EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 7 novembre 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 110 - Aide économique et financière au développement - et 209 - Solidarité à l'égard des pays en développement - de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2019.

Après l'exposé des rapporteurs pour avis, un débat s'est engagé.

M. Christian Cambon, président. - Une nouvelle fois, je m'étonne des sommes très importantes que nous versons aux fonds multilatéraux, comme le Fonds mondial Sida ou le Fonds européen de développement (FED), dont les délais de décaissements peuvent atteindre, pour ce dernier, 5 à 6 ans, alors que nous ne disposons pas d'évaluations suffisantes de l'efficacité de ces fonds.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Puisque la France augmente son budget d'aide publique au développement, il serait important de mieux le piloter : ne serait-il pas souhaitable d'avoir une loi de programmation ? Par ailleurs, 32 députés avaient réclamé le retour d'un secrétariat d'Etat, est-ce possible et souhaitable ?

M. Olivier Cadic. - La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), auprès de laquelle je me suis rendu, fonctionne bien : il existe aussi des exemples positifs en matière d'aide multilatérale. La Chine gagne aujourd'hui des marchés d'infrastructure, y compris en Europe, à des prix qui suggèrent l'existence de subventions de l'Etat chinois. Est-il vrai que la Chine bénéficie toujours de prêts de l'AFD ? Quel est le montant de ces prêts ?

Mme Christine Prunaud. - L'endettement des pays africains est préoccupant. Il y a une opacité de l'utilisation des fonds. Un exemple me chagrine : le fait que la TTF finance en partie la Turquie, pour la gestion des migrants, dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. En quoi est-ce de l'aide au développement ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Nous n'avons pas les moyens de contrôler vraiment ce budget. Nous avons appris qu'il y avait eu un don de 50 millions d'euros à la Gambie, comme le ministre des affaires étrangères nous l'a confirmé. Il faut soutenir ce type de pays, mais n'oublions pas que l'on réduit en même temps de 110 millions d'euros le budget du ministère des affaires étrangères. On impose aussi une réduction de 2,8 millions d'euros à TV5 monde et à France Médias Monde (FMM) : l'AFD ne peut-elle pas apporter son soutien ?

M. André Vallini. - Nous versons effectivement beaucoup d'argent à ces fonds multilatéraux qui font sans doute du bon travail mais dans l'opacité. Quant à moi, sur ce budget, je vois le verre à moitié vide : avec une augmentation de 130 millions d'euros en crédits de paiement sur les 5 milliards nécessaires pour atteindre les 0,55% du RNB en fin de quinquennat, les dernières marches seront vraiment très hautes. Lorsque le Président Macron annonce un milliard d'euros de crédits de plus, il s'agit d'autorisations d'engagement ! Par ailleurs, j'ai signé une tribune avec des parlementaires de tous bords : l'année dernière, 50% de la TTF, soit 800 millions d'euros, sont allés à l'aide au développement : 530 millions au FSD et 270 millions à l'AFD. Cette année, le Gouvernement supprime l'affectation à l'AFD, certes en la budgétisant, mais rien ne garantit qu'il en sera de même l'année prochaine. Beaucoup de parlementaires tiennent à l'affectation de ces taxes qui permettent d'avoir une visibilité à long terme sur les crédits disponibles pour l'APD. Nous ferons donc un amendement pour rétablir l'affectation à l'AFD ou au FSD. Le groupe socialiste s'abstiendra sur ce budget.

M. Olivier Cigolotti. - Je me suis rendu récemment au Burkina Faso et au Togo. Dans ces pays, nous devenons des petits poucets : la Chine réalise directement des grandes infrastructures et bénéficie de marchés sans passer par une mise en concurrence. L'aéroport de Lomé a ainsi été confié à des Chinois sans mise en concurrence et Aéroport de Paris n'a donc pas pu présenter d'offre.

M. Jean-Marie Bockel. - J'aurais volontiers signé cette tribune sur la TTF si on m'avait sollicité. Faut-il un secrétaire d'Etat ? Oui, il serait intelligent de le rétablir. Les britanniques avaient créé un ministère distinct à l'époque de Tony Blair, ce qui avait été un geste politique fort. Le fait qu'il n'y ait pas aujourd'hui de poste ministériel est dommageable. Avec une AFD qui monte en puissance, ce serait préférable.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Nous rentrons bien là dans le fond de la cale ! Il est bien prévu qu'une nouvelle loi d'orientation et de programmation soit déposée l'année prochaine. Au moment où le Président de la République a pris l'engagement des 0,55%, la question se pose : peut-on avoir des moyens d'APD qui augmentent fortement alors que les crédits de nos médias internationaux et de la francophonie baissent ? Il faut en tout cas approfondir l'évaluation des projets. Ce matin je recevais un expert sur la Syrie, qui a eu à évaluer des projets de l'AFD mais aussi des projets menés par des agences allemandes et anglaises en Syrie. Celles-ci emploient beaucoup moins d'agents que l'AFD car elles recrutent des vacataires et des experts pour chaque mission, ce qui permet aussi de juger les personnes sur la mise en oeuvre des projets avant de renouveler ou non leur mission.

L'AFD doit continuer à faire des prêts, mais elle doit effectivement davantage mettre l'accent sur les dons.

S'agissant de la gouvernance, il est frappant que l'AFD soit finalement placée directement sous le pilotage du Président de la République, qui préside désormais un conseil d'orientation du développement, puis, au niveau interministériel, du CICID, qui se réunit très peu fréquemment. Les ministères de tutelles ne jouent pas un rôle important dans ce dispositif : sous le CICID, on passe directement au Conseil d'administration de l'AFD.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - L'AFD est bien un outil, un levier au service de la politique de la France. Nous sommes par ailleurs favorables à la création d'un secrétariat d'Etat de plein exercice. Concernant la Chine, depuis 2004, l'AFD a engagé 1,3 milliard d'euros dans ce pays, et les dépenses d'APD en dons ont été de 100 millions d'euros en 2017. Lors de la loi de programmation, il nous faudra examiner cette question de l'affectation géographique de nos dépenses d'aide au développement.

Dans les pays excessivement endettés, il faut effectivement recentrer notre aide vers les dons. Sur la TTF, il faut garder la plus grande vigilance. Concernant France Médias Monde, l'AFD pourrait sans doute effectivement soutenir certains projets dès lors qu'ils relèvent de l'aide au développement.

M. Richard Yung. - Je ne partage pas le point de vue du rapporteur sur la gouvernance de l'aide au développement. Il est positif que le Président de la République se préoccupe de ce sujet. La suppression du ministère de la coopération avait un sens politique : montrer que notre politique à l'égard de l'Afrique relevait désormais des relations extérieures normales. Par ailleurs, les ministères des affaires étrangères et des finances sont bien présents au Conseil d'administration de l'AFD, qui n'est pas un bateau ivre ! Enfin, le vrai problème des interventions chinoises, c'est la corruption qu'elles véhiculent.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Je ne dis pas qu'il est mauvais que l'aide publique au développement et l'AFD bénéficient d'un Conseil au niveau présidentiel, au contraire. Nous pouvons, je crois, tous souscrire au triptyque du Président de la République : plus de moyens, réorienter sur les pays les plus pauvres et des actions plus efficaces. Mais il n'y a rien d'extraordinaire à évaluer le management et l'efficacité de l'AFD, comme de n'importe quelle autre structure.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - L'AFD fait son travail, notre souhait est simplement de remettre le politique là où il doit être. Les créatures, les agences, ne doivent pas échapper à leurs créateurs, les décisionnaires politiques. En matière l'APD, le présent Gouvernement mérite plutôt d'être salué, dès lors que la trajectoire sera respectée.

M. Christian Cambon, président. - On revient toujours à l'importance de l'évaluation et du contrôle, qui sont au coeur de la feuille de route du Parlement, mais qui sont particulièrement difficile à exercer dans ce domaine de l'aide au développement. Il est donc nécessaire d'insister sur l'évaluation. Au Royaume-Uni, nous avions pu observer le caractère très sérieux et très sévère des évaluations menées par des partenaires privés sur les projets d'APD. Des décisions importantes ont pu en découler, comme le choix de ne plus aider l'Inde.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement », le groupe socialiste et républicain s'étant abstenu et le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ayant voté contre.

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