III. DANS LE DOMAINE SOCIAL, LE PROGRAMME 123 « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER » NE TRADUIT PAS LES ORIENTATIONS FIXÉES PAR LES ASSISES DE L'OUTRE-MER

• Le programme 123, qui regroupe les politiques publiques tendant à l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer, porte des actions très disparates, au périmètre et au montant très différents : celles retraçant les mesures relatives au sanitaire et au social ainsi qu'à l'insertion économique et à la coopération régionale ne représentent respectivement que 0,9 et 0,03 % du total de la mission, tandis que les crédits dédiés au logement en recouvrent 9 %.

Ce programme sera doté en 2019 de 888 millions d'euros en AE et de 799 millions en CP, soit une progression respective de 11,5 % et 9 % par rapport à la LFI pour 2018 à périmètre courant . À périmètre constant, l'évolution serait, selon nos collègues de la commission des finances, de - 3 % en AE et de 0 % en CP .

Les mesures de périmètre touchant le programme sont des augmentations de crédit financées par une partie des mesures fiscales relatives à la TVA NPR et au régime de l'IR dans les Drom.

• Dans ce programme, deux actions intéressent particulièrement la compétence de votre commission des affaires sociales : celle relative au logement et celle dédiée à l'action sanitaire et sociale et aux politiques menées dans le champ de la culture, de la jeunesse et des sports.

Les autres actions connaissent des évolutions contrastées :

- l' aménagement du territoire , qui représente 7 % des crédits de la mission, connaîtra une hausse de 17,3 % en AE et de 5,2 % en CP destinée à financer une augmentation des crédits alloués à la politique contractuelle entre l'État et les collectivités (qui recouvre notamment les contrats de plan État-région, actuellement mis en oeuvre pour la période 2015-2020) ainsi que la mise en place des contrats de convergence issus de l'article 9 de la loi Erom. Cette augmentation sera financée par les ressources nouvelles issues des réformes fiscales évoquées ci-dessus ;

- les crédits dédiés à la continuité territoriale , qui ont connu une amputation de 20 % à la suite de la réforme actée dans le cadre de la LFI pour 2015, seront quasiment stables par rapport à l'exercice 2018. Cette stabilité contraste avec les indications fournies à votre rapporteure l'an passé par les services ministériels, qui indiquaient que le budget 2018 devait correspondre à une « situation de transition » dans l'attente de nouvelles orientations « permettant d'aller plus loin en matière de soutien à la mobilité des ultramarins », qui devaient, conformément aux engagements pris par le Président de la République, être définies dans le cadre des Assises ;

- la hausse des crédits de paiement (+ 6,8 %) alloués aux collectivités territoriales , qui constitue l'action la plus importante du programme (30 % de ses crédits), constitue le prolongement de la consommation exceptionnelle de crédits sur cette action au titre des dernières années - en raison du plan d'urgence pour la Guyane et des conséquences financières du passage des ouragans Irma et Maria dans l'arc antillais. Cette hausse de crédits est également financée par la réallocation des mesures fiscales ci-dessus exposées ;

- conformément à l'engagement pris dans le cadre des Assises, les crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) seront portés à 110 millions d'euros en AE et 65 millions d'euros en CP, soit une hausse respective de 175 % et 81 % par rapport à 2018. Cette hausse résulte, ici encore, du déploiement des ressources issues des modifications fiscales précitées. Elle ne doit pas faire oublier que le calibrage des projets a rendu la consommation effective de ces crédits très malaisée au cours des dernières années : un suivi attentif de l'exécution des AE ouvertes devra donc être effectué pour s'assurer du plein respect des engagements pris dans le cadre des Assises ;

- la nouvelle hausse très soutenue des crédits associés aux politiques d'appui à l'accès aux financements bancaires (+ 87,1 % par rapport à 2018), qui résulte d'une mesure de périmètre, s'exerce sur des crédits d'un montant faible à l'échelle de la mission. Cette action finance des bonifications de prêts pour les personnes publiques par l'intermédiaire de l'agence française de développement (AFD). Il est à noter que, malgré cette mesure de périmètre, les autorisations d'engagement associées seront en baisse de 15 %.

Évolution des crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer »

(arrondis en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Action

LFI 2018

PLF 2019

Évolution

LFI 2018

PLF 2019

Évolution

01 Logement

226

226

0 %

228

223

-2 %

02 Aménagement du territoire

161

189

17,3 %

166

174

5,2 %

03 Continuité territoriale

41

42

2,4 %

41

42

1,7 %

04 Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports

19

20

0,5 %

20

21

8,2 %

06 Collectivités territoriales

262

265

1 %

225

240

6,8 %

07 Intégration économique
et coopération régionales

910

870

-4,4 %

910

870

-4,4 %

08 Fonds exceptionnel d'investissement

40

110

175 %

36

65

80,6 %

09 Appui à l'accès
aux financements bancaires

46

39

-15,3 %

17

32

87,1 %

Total du programme

797

888

11,5 %

733

799

9,0 %

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

1. Une stagnation préoccupante des crédits de l'action « Logement », qui s'accompagne d'une sous-exécution chronique des crédits votés en loi de finances

• La situation très dégradée de l'habitat ultramarin n'est plus à démontrer : plusieurs indicateurs en offrent une vision saisissante.

Le déséquilibre structurel existant entre l'offre et la demande de logements sociaux atteint, dans certains outre-mer, des niveaux insoutenables : à Mayotte, on comptait ainsi, en 2014, 6 760 demandes de logements sociaux non satisfaites pour un parc de 14 500 logements, alors que 80 % de la population mahoraise satisfait aux conditions de ressources du logement locatif social. L'indicateur 1.1 de la mission, qui évalue la fluidité du parc de logements sociaux au regard du nombre de demandeurs en attente d'un logement pour un logement attribué, connaît une dégradation en 2018 : alors qu'il était de 4,8 en 2016, il est estimé à 5 pour 2018 comme pour 2019.

La permanence d'un habitat très insalubre, extrêmement éloigné des standards hexagonaux , apparaît par ailleurs intolérable. Le recensement opéré sur le territoire mahorais en 2012 faisait apparaître que deux logements sur trois y étaient dépourvus du confort de base, et que 70 % seulement des résidences principales disposaient d'une prise d'eau. Au total, 113 500 logements situés dans les Drom sont considérés comme insalubres ou indignes, selon les informations fournies par la DGOM.

Cette situation s'inscrit dans un contexte de tension structurelle qui ne laisse pas envisager d'amélioration rapide . Le mouvement de rattrapage des retards actuels, conjugué aux effets d'une importante croissance démographique dans certains territoires, à la faiblesse des revenus moyens, au caractère limité des disponibilités foncières ou encore à l'importance du parc de logements insalubres ou sous-équipés explique l'immensité des besoins, qui ne devraient pas diminuer au cours des prochaines années.

La DGOM estime qu'en Guyane, pour répondre à la forte augmentation du nombre de ménages et au renouvellement du parc de logements, il sera nécessaire de produire entre 3 700 et 5 130 logements par an pendant au moins 20 ans, dont 35 % de logements locatifs sociaux - soit 1 300 à 1 800 logements sociaux neufs par an. En Guadeloupe, les objectifs à atteindre pour satisfaire le besoin en logements seraient de 50 000 logements supplémentaires sur la période 2015-2030, dont 25 000 logements sociaux « au moins ».

Les réalisations effectuées au cours des dernières années apparaissent dès lors très largement insuffisantes. Sur le territoire mahorais, l'ambition initiale du plan « Mayotte 2025 » était de doter le territoire d'un parc de 8 000 logements sociaux ; entre 2015 et 2017, seuls 570 logements locatifs sociaux et très sociaux ont cependant été financés, en dépit de la croissance exponentielle des besoins.

Au regard de ces éléments, les objectifs de production de logements affichés par la DGOM apparaissent pour le moins flous :

Construction neuve de logements sociaux en location
et en accession

(logements/an)

Réhabilitation de logements sociaux (logements/an)

Amélioration
du parc privé (logements/an)

Objectif total d'ici 2027 (logements)

Guadeloupe

1 250

370

16 200

Martinique

1 200

800

650

26 500

Guyane*

pas d'objectif chiffré,
mais des besoins évalués au moins à 3500 par an

35 000

La Réunion

pas d'objectif chiffré,
mais souhait de maintenir un rythme de construction à 3 500

35 000

Mayotte**

Entre 400
et 800 logements
par an

0

nc

7 000

Nouvelle Calédonie ***

4 650 logements sont programmés d'ici 2021

4 650

Saint-Pierre et Miquelon

210

210

Wallis et Futuna

non communiqué

-

Polynésie française

non communiqué

-

TOTAL

Arrondi à 124 500 logements bénéficiant de subvention de l'État

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Face à cette situation, l'évolution des moyens dédiés à l'action « Logement » ne peut qu'interroger.

Pour mémoire, l'année 2013 avait vu la ligne budgétaire unique (LBU) replacée au fondement de la politique du logement en outre-mer, ainsi qu'un renforcement significatif des crédits associés (+ 6 % en CP). La LFI pour 2014 avait poursuivi cette inflexion avec une hausse de 8 % des crédits concernés, avant le coup d'arrêt brutal marqué par la LFI pour 2015 , qui prévoyait une stagnation des CP et une baisse de plus de 9 % des AE - soit de l'investissement. Entre 2015 et 2017, les AE ont été stabilisées à hauteur de 247 millions d'euros, tandis que les CP ont connu une baisse continue, quoique inégale d'année en année.

L'année 2018 a été marquée par une nouvelle baisse en CP (- 1,6 %), mais surtout par une réduction notable des autorisations d'engagement, en diminution de 20 millions d'euros par rapport aux années précédentes (soit - 8,1 %). Votre rapporteure pour avis avait souligné que cette diminution de l'investissement en faveur du logement constituait un très mauvais signal, qui plus est dans le contexte d'augmentation des coûts de construction.

Pour 2019, les crédits dédiés logement seront atones en AE et en diminution de 2 % en CP . Ils demeureront très en-deçà de leur niveau de 2014, par rapport auquel ils sont en diminution de 17 % en AE et de 9 % en CP.

Évolution des crédits de la LBU depuis 2012

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Autorisations d'engagement

273,0

272,8

272,8

247,6

247,6

246,0

225,6

226

Crédits de paiement

214,1

227,0

243,5

243,7

234,7

231,8

227,7

223

Source : Réponses au questionnaire budgétaire

• Cette programmation budgétaire n'apparaît pas compatible avec les objectifs affichés par le Gouvernement . Les réponses au questionnaire budgétaire transmises à votre rapporteure pour avis continuent en effet, comme depuis plusieurs années, d'afficher une « priorité accordée au logement ». La loi Erom prévoit par ailleurs, en son article 3, que « la République s'assigne pour objectif la construction de 150 000 logements dans les outre-mer au cours des dix années suivant la promulgation de la présente loi ».

Or, les réponses au questionnaire budgétaire précisent que cette « priorité » sera déclinée à la fois sur l'effort de construction du locatif social et très social neuf (6 921 logements locatifs sociaux et très sociaux devraient ainsi être construits) et sur les opérations de réhabilitation du parc existant (2 209 opérations sont programmées, contre 3 550 l'an dernier). Cette année encore, ces objectifs se situent donc très en-deçà de ceux fixés par la loi.

Votre rapporteure relève par ailleurs le caractère chronique de la sous-consommation des crédits de la LBU depuis plusieurs années . En 2016, seuls 232 millions d'euros ont ainsi été consommés sur les 248 millions de crédits ouverts en AE, et seulement 216 millions sur les 235 millions ouverts en CP. En 2017, 193 millions d'euros sur les 246 ouverts en AE, et 199 millions d'euros sur les 235 ouverts en CP ont effectivement été consommés. Comme l'année dernière, votre rapporteure souligne que la sous-utilisation de ces crédits réside bien davantage de la complexité des dispositifs en cause et des difficultés liées au foncier que de la mauvaise volonté des acteurs chargés de les mettre en oeuvre.

Ces constats sont d'autant plus préoccupants que le cadre flottant des décisions prises par le Gouvernement sur le logement ultramarin n'encourage pas à l'optimisme. Alors que des objectifs clairs et chiffrés ont été fixés dans le cadre de la loi Erom, et alors que la tenue des Assises a permis d'identifier précisément les besoins des territoires et de déterminer les grands axes de la stratégie à mettre en oeuvre, la ministre des outre-mer a annoncé le 19 novembre dernier, en ouverture de la journée des outre-mer du congrès des maires et des intercommunalités, le lancement avant la fin de l'année d'une grande conférence sur le logement ultramarin . Devant la réalité des réalisations effectuées sur le terrain, votre rapporteure ne peut que redouter qu'il ne s'agisse d'un nouvel instrument de communication sans réelle portée opérationnelle.

2. Un flou budgétaire autour des crédits dédiés à l'action sanitaire et sociale

• Après un effondrement de l'ordre de 35 % l'an dernier en AE et de 10 % en CP, lié à la suppression de la ligne budgétaire dédiée à la construction d'une Cité des outre-mer en Ile-de-France, les crédits de l'action n° 4 « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports » seront fixés pour 2019 à 19,6 millions d'euros en AE et 21,2 millions d'euros en CP , soit respectivement une quasi-stabilité et une augmentation de 8 % . L'ampleur de cette augmentation est cependant à relativiser au regard des montants relativement modestes alloués à cette action.

L'action n° 04 finance en premier lieu diverses subventions dans le domaine de la culture, de la jeunesse et des sports . Votre rapporteure pour avis avait constaté l'an passé la chute spectaculaire des crédits associés, qui étaient près de dix fois inférieurs à ceux prévus par la LFI pour 2017, sans qu'aucune justification n'ait été apportée sur ce point dans le cadre du projet annuel de performance ou des réponses au questionnaire parlementaire. Cette baisse sera maintenue dans le cadre du budget 2019 et ces crédits seront stabilisés à hauteur de 1,14 million d'euros en AE et de 1,25 million d'euros en CP.

Plusieurs lignes budgétaires sont par ailleurs destinées au financement complémentaire de la protection sociale dans certains territoires ultramarins. Votre rapporteure pour avis s'étonne de constater que le projet annuel de performances ne précise pas l'intégralité des montants alloués, comme c'était pourtant le cas les années précédentes.

La présente action prévoit ainsi un financement de l'allocation spéciale vieillesse et l'allocation supplémentaire à Saint-Pierre-et-Miquelon , qui correspondent à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) dans l'hexagone. L'allocation aux personnes âgées et handicapées à Wallis-et-Futuna, qui bénéficiait l'année dernière à 1 700 personnes, sera également financée à hauteur de 1,7 million d'euros au maximum pour la part de l'État.

Un financement de 12 millions d'euros est également prévu depuis 2016 pour la participation de l'État au financement du régime de solidarité territorial (RST) de Polynésie française , qui connaît des difficultés importantes, principalement dues à la forte croissance du nombre de ses bénéficiaires - le régime couvrait 62 300 bénéficiaires en août 2017, soit 23 % de la population couverte par la protection sociale généralisée (PSG), dont le RST ne devait au départ constituer qu'un régime résiduel. Cette aide financière s'inscrit dans le cadre d'une convention signée le 16 avril 2015 entre l'État et le Pays pour la période 2015-2017, par laquelle le gouvernement polynésien s'est engagé à mener les réformes nécessaires au redressement de son système social. Le projet annuel de performances indique que cette convention a été prolongée d'une année.

La mission prévoit par ailleurs le financement d'actions diverses dans le domaine sanitaire et social. Il s'agit principalement de la participation du ministère des outre-mer au financement de plusieurs plans nationaux déclinés dans un cadre interministériel (VIH, lutte contre les addictions, nutrition et lutte contre l'obésité, environnement, cancer,) principalement en faveur du tissu associatif.

Votre rapporteure s'était félicitée l'an dernier de la nette augmentation de cette ligne budgétaire, qui était passée de 1,85 million d'euros en 2017 à 3,9 millions en 2018 ; cette précision ne figure cependant malheureusement pas dans le projet annuel de performances pour 2019. Il est cependant indiqué l'exercice 2019 marquera l'achèvement du financement, commencé en 2017, du projet de restructuration du service d'oncologie de l'hôpital de Papeete en Polynésie française, pour un montant de 6 millions d'euros au total.

Elle se satisfait cependant de constater le fléchage spécifique de 1,95 million d'euros vers des actions sanitaires et sociales à Mayotte, au bénéfice principalement de la prise en charge de la petite enfance.

Elle rappelle, d'une manière générale, que les enjeux souvent cruciaux sur les territoires associés aux différents dispositifs abondés par la présente action nécessiteraient la mise en place de lignes budgétaires mieux identifiées et mieux suivies que cette action « fourre-tout ».

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