C. LA MISE EN oeUVRE DE NOUVELLES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET LES PERSPECTIVES DE RÉFORME

L'année 2019 devrait voir se concrétiser les mesures législatives prévues par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont l'impact budgétaire reste limité. Dans le même temps, le ministère de la justice a mis en place un groupe de travail qui pourrait déboucher sur une réécriture, attendue, de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante.

1. Le placement séquentiel en CEF

L'article 52 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, adopté par le Sénat, vise à donner une base juridique solide à la pratique du placement séquentiel dans les CEF .

Il s'agit d'autoriser le jeune, dans la dernière phase de son placement, à passer du temps en dehors du CEF, dans sa famille ou dans un foyer de jeunes travailleurs par exemple, afin de préparer sa sortie et de faciliter la reprise d'une scolarité, d'une formation ou la recherche d'un emploi. Pendant ces « séquences » passées en dehors du centre, le jeune resterait néanmoins sous la responsabilité du directeur du CEF.

L'objectif est, d'une part, d'éviter une rupture trop brutale entre la vie du jeune pendant la durée de son placement en CEF, où il est très solidement encadré, et son retour dans son lieu de vie habituel, d'autre part, de préparer au mieux sa sortie, afin d'éviter une « sortie sèche », facteur de réitération. Ces sorties peuvent également avoir pour effet d'apaiser les tensions qui peuvent exister entre les jeunes accueillis dans le CEF.

Le projet de budget prévoit de consacrer 0,67 million d'euros à la mise en oeuvre de ce placement séquentiel.

2. La mesure éducative d'accueil de jour

Aucun crédit spécifique n'est en revanche alloué à l'expérimentation de la nouvelle mesure éducative d'accueil de jour (MEAJ), qui devra être mise en oeuvre, à moyens constants, par redéploiement de crédits et d'effectifs au sein de la PJJ.

L'article 52 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit cette expérimentation pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi. Un rapport d'évaluation devra être adressé au Parlement au moins six mois avant le terme de l'expérimentation, en vue de son éventuelle généralisation.

La MEAJ vise à assurer, en journée, l'accueil de jeunes dans une perspective d'insertion sociale, scolaire et professionnelle. Elle est conçue comme une voie intermédiaire entre le milieu ouvert et le placement, adaptée aux besoins des jeunes confiés à la PJJ et de nature à éviter des ruptures dans leurs parcours. Elle entend remobiliser le jeune à partir d'un projet éducatif global pour l'aider à s'insérer dans les dispositifs de droit commun : retour à la scolarité, formation professionnelle, accès à l'emploi, insertion sociale et citoyenne.

Les ressorts dans lesquels cette mesure pourra être prononcée par les tribunaux, dont le nombre ne pourra excéder vingt, seront définis par arrêté de la ministre de la justice, garde des sceaux.

Dans des conditions qui seront précisées par voie de circulaire, chaque DIR de la PJJ pourra présenter, à partir de diagnostics locaux, jusqu'à quatre projets expérimentaux, en les hiérarchisant. Chaque projet détaillera les besoins identifiés, les objectifs visés et les organisations envisagées pour y répondre, ainsi que les modalités de communication avec les juridictions.

Des comités de pilotage régionaux et un comité national seront chargés du suivi et de l'évaluation de l'expérimentation.

Les professionnels de la PJJ ont été associés aux réflexions sur cette expérimentation. Les organisations syndicales entendues par votre rapporteure s'interrogent néanmoins sur l'apport de la MEAJ par rapport à la mesure d'activité de jour, créée en 2007 et prévue à l'article 16 ter de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Cette mesure, peu utilisée par les juridictions, consiste « dans la participation du mineur à des activités d'insertion professionnelle ou scolaire soit auprès d'une personne morale de droit public, soit auprès d'une personne morale de droit privé exerçant une mission de service public ou d'une association habilitées à organiser de telles activités, soit au sein du service de la protection judiciaire de la jeunesse auquel il est confié ».

En première analyse, il semble que la MEAJ serait un dispositif plus intensif et plus contraignant pour le mineur que l'actuelle mesure d'activité de jour : l'éducateur viendrait chercher le jeune à son domicile le matin, un emploi du temps serré lui serait appliqué, puis il serait ramené chez lui le soir.

La communication auprès des juridictions, pour que celles-ci prononcent régulièrement la MEAJ, sera un déterminant essentiel de son succès. Ce type de dispositif peut présenter un intérêt pour redonner à des jeunes des habitudes de travail (se lever le matin à heure fixe, participer à un ensemble d'activités...) et leur inculquer des savoirs fondamentaux avant de les insérer éventuellement dans les dispositifs de droit commun.

3. Vers une réforme de l'ordonnance de 1945 ?

L'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquance est le texte fondateur du droit pénal des mineurs à l'époque contemporaine.

Elle repose sur quelques grands principes auxquels les professionnels de la PJJ sont très attachés : l'existence d'une justice spécialisée, compétente en matière civile et en matière pénale, concernant les mineurs (juge des enfants, tribunaux pour enfants, cour d'assises des mineurs) ; le primat de l'éducatif sur le répressif, qui conduit à envisager la peine privative de liberté comme la solution d'ultime recours ; la prise en compte de la personnalité du mineur, qui implique que des mesures d'investigation soient réalisées avant qu'une décision judiciaire soit prise ; enfin, un principe d'atténuation de la responsabilité pénale, en vertu duquel la peine encourue par un mineur est au plus égale à la moitié de celle encourue par un majeur 14 ( * ) .

Modifiée à 40 reprises depuis 1945, soit en moyenne une fois tous les deux ans, l'ordonnance a cependant perdu en lisibilité et en cohérence au fil du temps, ce qui a conduit le ministère de la justice à mettre en place un groupe de travail pour préparer une réforme.

Ce groupe de travail associe des professionnels de la justice des mineurs et des parlementaires, dont nos collègues Catherine Troendlé et Michel Amiel pour le Sénat. Après avoir tenu neuf réunions au cours du deuxième semestre de l'année 2018, le groupe de travail devrait remettre, à la fin du mois de mars 2019, un rapport à la garde des sceaux mettant en valeur les points de consensus.

La direction de la PJJ a indiqué à votre rapporteure que le groupe de travail est guidé par quelques grands principes :

- maintenir la notion de discernement pour déterminer le seuil de responsabilité pénale ;

- favoriser la souplesse de la réponse éducative ;

- renforcer toutes les mesures de nature à éviter la récidive et à favoriser la réinsertion du mineur ;

- encourager la césure du procès pénal, afin qu'une décision soit prise rapidement sur la culpabilité du mineur et sur l'indemnisation des parties civiles, tout en se donnant le temps d'étudier la situation du mineur pour choisir la sanction la plus adaptée ;

- répondre aux exigences du Conseil constitutionnel concernant l'impartialité du tribunal 15 ( * ) pour enfants et favoriser la continuité de l'intervention du juge des enfants auprès d'un même mineur.

L'objectif de la réforme est d'abord de rendre le texte de l'ordonnance plus intelligible et plus facile d'accès pour les professionnels de la justice des mineurs. Il s'agit aussi de réduire le délai de jugement, alors qu'il s'écoule aujourd'hui en moyenne dix-sept mois entre le début des poursuites et le jugement, ce qui est trop long pour les victimes mais aussi pour les auteurs d'infractions et leurs parents. Enfin, il est souhaitable d'uniformiser les pratiques judiciaires diverses mises en place après la décision du Conseil constitutionnel sur l'impartialité du juge des enfants en adaptant la procédure.

À partir des préconisations du groupe de travail et des précédents projets de réforme de l'ordonnance, un projet de texte pourrait être élaboré et soumis à la représentation nationale.

Votre rapporteure espère que ce projet de refonte de l'ordonnance de 1945 aboutira à un texte plus lisible et répondant aux enjeux actuels de la justice des mineurs. Elle rappelle que la réforme d'ensemble de l'ordonnance est un projet ancien, déjà envisagé en 2008 au moment du rapport de la commission Varinard 16 ( * ) . Au cours du quinquennat précédent, un projet de réforme n'a pu voir le jour en raison de la priorité légitimement donnée, à partir de 2015, à la lutte anti-terroriste par rapport aux autres dossiers portés par le ministère de la justice. L'année 2019 pourrait offrir un contexte politique plus propice à l'avancement de ce type de réforme.

*

* *

Au bénéfice de ces observations, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.


* 14 Cette excuse de minorité peut toutefois être écartée, sur décision du tribunal pour enfants ou de la cour d'assises des mineurs, si le jeune a entre seize et dix-huit ans. Il peut alors être sanctionné comme un majeur.

* 15 Par une décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a censuré l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire, qui permettait au juge des enfants ayant instruit le dossier et renvoyé le mineur pour jugement de présider ensuite le tribunal pour enfants, en raison de l'atteinte portée au principe d'impartialité des juridictions garanti par la Constitution.

* 16 Cf. le rapport de la commission présidée par André Varinard, « Adapter la justice pénale des mineurs : entre modifications raisonnables et innovations fondamentales -
70 propositions » , décembre 2008.

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