B. LA QUESTION PRÉOCCUPANTE DU MAILLAGE TERRITORIAL

1. Vers une contraction du maillage territorial ?

Au cours de l'année 2019, la gendarmerie a organisé une série d' « ateliers d'idéation », avec l'aide de 1 483 réservistes citoyens, qui ont apporté leur vision de l'avenir de la gendarmerie en mobilisant chacun leur domaine de compétence. Ces ateliers, qui ont eu lieu à l'extérieur de la « maison gendarmerie », ont permis au directeur général de la gendarmerie nationale de soumettre 101 propositions d'évolutions au ministre de l'intérieur. Certaines ont d'ores et déjà été retenues, comme la création d'un statut d'engagé pour les actuels gendarmes adjoints volontaires.

Le premier atelier d'idéation portait sur le thème: « dégager des marges nouvelles pour investir ». Il s'agit d'un thème essentiel compte-tenu de la stagnation des moyens en investissement depuis des années au sein de la gendarmerie malgré les plans immobiliers récents qui permettent tout juste de traiter les problèmes les plus importants mais sont loin de correspondre à des investissements « normaux » pour un parc d'une telle ampleur.

Les propositions retenues à l'issue de cet atelier sont les suivantes :

- valoriser certaines prestations externes (GIGN, secours en montagne, garde républicaine, PJGN, etc.),

- facturer systématiquement les missions non spécifiques réalisées au profit d'un opérateur externe (SOI) ;

- ouvrir par la loi la possibilité aux collectivités locales de financer les forces de sécurité sur les aspects de fonctionnement et d'investissement.

Une autre proposition semble plus radicale : contracter significativement le maillage territorial par regroupements d'unités et fermer les brigades de moins de 10 gendarmes .

Or, une telle réorganisation permettrait peut-être d'obtenir certaines améliorations en termes de rationalisation des moyens, de concentration des ressources au profit des unités restantes qui seraient alors mieux dotées, mais elle représenterait en même temps un recul des services publics de proximité, ce qui semble particulièrement peu pertinent dans le contexte actuel .

Il est vrai que la situation actuelle, dénoncée à maintes reprises par la commission, risque d'aboutir dans les années qui viennent à la fermeture de certaines brigades et casernes en raison de problèmes de sécurité ou de salubrité.

L'une des pistes envisagées par la gendarmerie pour maintenir une présence territoriale tout en réalisant des économies est de rendre la gendarmerie partie prenante de la réforme en cours consistant à transformer les maisons de services au public en maisons « France service », dont 300 doivent ouvrir d'ici janvier 2020 et, en principe, 2 000 d'ici 2022. . Il s'agirait ainsi de profiter du dense maillage des brigades de gendarmerie et des plages horaires larges des gendarmes qui y travaillent pour y installer d'autres services publics. Une telle démarche permettrait de mieux rentabiliser la présence d'emprises foncières parfois sous-employées, voire redondantes avec d'autres services publics.

Pour intéressante qu'elle paraisse, cette solution conduirait toutefois indéniablement à une banalisation de la gendarmerie et des services de sécurité. En outre, poser le problème en ces termes revient à abandonner de facto l'idée d'une véritable remise à niveau tant du parc immobiliers que des moyens mobiles de la gendarmerie , alors que de nombreux rapports parlementaires plaident pour une telle remise à niveau et que les Gouvernements successifs affirment tous faire de la sécurité une priorité.

Les maisons France Service

En avril 2019, le président de la République a annoncé la mise en place du réseau France Services pour faciliter les démarches administratives des Français sur tout le territoire.

D'ici janvier prochain, 300 points France Services vont ouvrir, en priorité dans les petites centralités des zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et une attention particulière sera portée sur les territoires d'outre-mer.

Il pourra s'agir de lieux d'accueil permanents ou de bus itinérants. Ces implantations France Services pourront être accueillies dans les locaux des mairies, des centres sociaux, des bibliothèques, des tiers-lieux, des gendarmeries.

L'autre hypothèse est en effet un renforcement des moyens planifié de manière pluriannuelle , via une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure, comme évoqué ci-dessus. L'adoption d'une telle « LOPSI » pourrait être mise à profit pour remédier au déficit des moyens des forces de sécurité en termes d'équipements et d'investissements.

La gendarmerie nationale se trouve ainsi aujourd'hui à la croisée des chemins . Soit les prochaines années verront une forte remise en cause de son modèle territorial, éventuellement partiellement compensée par des efforts drastiques de mutualisation avec les autres services de l'Etat, soit la Nation décide d'un effort d'ampleur en faveur du service public de la sécurité, ce qui implique le déblocage de financements importants et pérennes permettant de remettre à niveau l'ensemble des moyens matériels sur lesquels s'appuient la gendarmerie nationale - et la police nationale - pour remplir leurs missions au service de nos concitoyens.

2. Les autres pistes pour réaliser des économies

Il convient de noter qu'à côté de ces « tentations » de réduction du maillage territorial, d'autres pistes actuellement explorées pour améliorer la couverture territoriale de la gendarmerie à moyens constants paraissent intéressantes.

Ainsi, un décret du 15 février 2019 élargit de manière expérimentale la compétence judiciaire de 227 unités dans 44 groupements de gendarmerie au-delà des limites du département, ce qui représente plus de 2500 hommes. Ce dispositif comprend des procédures d'habilitation judiciaire supra-départementale et une coordination interdépartementale plus souple des effectifs engagés. Cette réforme est de nature à diminuer les délais d'intervention aux limites des départements et d'améliorer le contrôle des flux interdépartementaux . Après la phase d'expérimentation, cette mesure pourrait être plus largement étendue, renforçant ainsi l'efficacité opérationnelle de l'action de la gendarmerie.

D'autres réformes envisagées auraient pour effet de reporter des coûts actuellement assumés par la gendarmerie nationale sur les collectivités locales ou les personnes privées. C'est le cas de la réforme de la facturation des services d'ordre indemnisé (SOI). Actuellement, la facturation des prestations de sécurité assurées par la gendarmerie n'est pas intégrale. Le coût de 20€ de l'heure policier/gendarme facturé aux organisateurs d'événements culturels ou sportifs est inférieur aux coûts réels. Il y a plus de 10 ans déjà, le ministre de l'intérieur évoquait un objectif de 35 euros de l'heure. Un tel coût aurait une dimension dissuasive et conduirait les collectivités et les organisateurs privés à faire davantage appel aux sociétés privées de sécurité.

Par ailleurs, la commission avait déjà évoqué l'année dernière la création de deux nouvelles directions rattachées au secrétariat général du ministère de l'intérieur : la direction des achats et la direction générale du numérique (DNUM).

S'agissant en premier lieu de la direction des achats, appelé Service de l'Achat, de l'Équipement et de la Logistique de la Sécurité Interieure (SAELMI), cette mutualisation de la fonction achat entre toutes les directions générales du ministère de l'intérieur est censée permettre de réaliser d'importantes économies d'échelle . En accompagnement de cette création, un total de 219 ETP ont été transférés de la gendarmerie nationale au SAELMI. En outre, le programme 152 a été « déssoclé » de 20 millions d'euros pour 2020, correspondant aux gains attendus de cette réforme dans un premier temps. Il est étonnant que cette diminution qui risque d'être prématurée, surtout dans un contexte général de pénurie des moyens de fonctionnement et d'investissement.

S'agissant en second lieu de la Direction générale du numérique, Cette nouvelle direction générale regroupera plusieurs services préexistants et sera créée au 1 er janvier 2020.

Rappelons que, pour le moment, il existe essentiellement, au sein du ministère de l'intérieur, quatre services différents compétents dans le domaine du numérique :

1 - une direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) compétente pour tous les services du ministère de l'intérieur ;

2 - une sous-direction des systèmes d'information et de la communication à la Préfecture de police ;

3 - une mission des systèmes d'information à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ;

4 - enfin, un service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, dit ST(SI)2, placé auprès de la gendarmerie nationale mais compétent pour les systèmes d'information de sécurité de la gendarmerie et de la police. Le ST(SI)2 a une compétence éprouvée et reconnue ; ce service est ainsi notamment à l'origine du système NEO (Néogend et Néopol), mais aussi du système de gestion des soldes « Agorh@ solde », qui a été mis en place de manière efficace pour un coût très modéré.

La commission avait souligné que le nouveau dispositif, tout en produisant les économies indispensables et en soutenant l'ensemble des services du ministère dans leur transformation numérique, devait permettre de capitaliser sur les réussites préexistantes en la matière (notamment celles du ST(SI)2) et de respecter les spécificités des systèmes d'information de la sécurité intérieure, dont les exigences en termes de disponibilité et d'efficacité sont très élevées. La nouvelle gouvernance du numérique au sein du ministère de l'intérieur devait enfin impérativement rendre impossibles des dérives retentissantes telles que celles mis en exergue par la Cour des comptes dans un passé récent, du projet Louvois des armées à l'opérateur national de paie (ONP) de Bercy.

La DNUM sera ainsi créée au 1 er janvier 2020. Conformément aux recommandations exprimées lors de l'examen du PLF 2019 par la commission, les décisions prises au cours de l'année 2019 témoignent d'un compromis permettant de maintenir une certaine capacité en matière d'informatique au sein de la gendarmerie nationale :

- 50,2M€ en AE sont identifiés pour être transférés au programme 216 (Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur). Ces crédits seront notamment dédiés à l'hébergement, l'infrastructure, l'applicatif (FAED, ...), la location des points hauts ainsi que la dématérialisation de la procédure pénale ;

- En revanche, 80,2 M€ (AE) sont maintenus au sein du programme 152, principalement pour maintenir la capacité opérationnelle des unités. Ces crédits sont destinés aux acquisitions suivantes (PLF 2020) :

• Neogend (71,8 M€ AE) : 61,7 M€ en AE pluriannuel (2020-2023) pour le renouvellement des nouveaux marchés avec la location de 100 000 terminaux et 10,1 M€ pour couvrir les besoins de l'annuité 2020 ;

• Sac à dos numérique et équipements métiers (8,4 M€) dont :

? équipement radio personnels et véhicules ;

? caméras piétons ;

? équipements liés à la dématérialisation de la procédure pénale ;

? pièces détachées radio ;

? équipement de lutte contre la cybercriminalité ;

? logiciels d'enquête (Mercure, Analyse notebook...) ;

? brouilleurs.

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