D. MAIS LA CRISE A AUSSI CONDUIT À UNE PRISE DE CONSCIENCE NATIONALE : LA NÉCESSITÉ DE REPENSER LE RÔLE DE L'INDUSTRIE POUR L'AVENIR

La crise économique et sanitaire, inédite et soudaine, qui a frappé la France en 2020 semble avoir conduit à une prise de conscience relative au rôle de l'industrie dans la vie économique de la Nation.

D'abord, la rupture des chaînes d'approvisionnement mondiales, qui a conduit à des pénuries de principes actifs médicamenteux ou d'équipements de protection individuelle, ainsi que de certains intrants ou composants, a mis en évidence le caractère essentiel des productions industrielles . La crise semble avoir élargi la notion de la souveraineté industrielle , jusqu'ici réservée à la production de matériel de défense, d'agents biochimiques, de moyens de communication ou encore à l'approvisionnement en énergie ou en eau.

Le constat d'un manque de capacité de production française - voire européenne - pour certains produits critiques pour l'économie et la société , remet en cause les choix politiques opérés au cours des dernières décennies, qui ont permis - ou encouragé - la délocalisation de nombre d'activités industrielles et le démantèlement de champions français. Selon un rapport récent de France Stratégie, l'emploi des entreprises françaises à l'étranger représente aujourd'hui 62 % de leurs effectifs, contre 38 % en Allemagne ou 26 % en Italie. Ce même rapport met en évidence les conséquences de la désindustrialisation de la France, qui limite les gains de productivité de l'économie dans son ensemble, pèse sur la distribution des revenus, le volume d'emplois, la balance commerciale, et le développement technologique.

Ce n'est pas un hasard si les appels à la « relocalisation » de l'activité industrielle en France se sont multipliés depuis le début de l'année. La notion recouvre en réalité plusieurs objectifs distincts, allant d'une incertaine « rapatriation » d'activités déplacées à l'étranger par des groupes français, à la reconstruction de capacités nationales dans des secteurs stratégiques spécifiques, traduisant en fait une visée plus générale de réindustrialisation de l'économie française.

La crise interroge aussi la structure et la composition même du tissu industriel, marqué en France par une forte prévalence de petites et moyennes entreprises, et un socle d'ETI inférieur à celui qui existe en Allemagne par exemple. La politique industrielle doit agir sur les déterminants de la croissance et du développement des PME - accès aux marchés à l'export, croissance des fonds propres, investissement - et encourager la structuration des filières. Le dialogue renouvelé entre l'État et les filières, par le biais du Conseil national de l'Industrie, doit donner les impulsions à cette réorganisation et redynamisation du tissu industriel.

À la lumière de cette crise, le rapporteur appelle donc à repenser une stratégie de souveraineté industrielle conquérante, visant à reconstruire un socle industriel national. Cette reconstruction passera tout autant par la transformation et modernisation de l'existant, par la réindustrialisation des territoires, que par le soutien à l'émergence de nouvelles filières ou à la « relocalisation ». Une telle stratégie de souveraineté ne devra pas laisser de côté l'enjeu des compétences , cruciales pour la préservation et le développement des savoir-faire industriels.

Dans la majorité des cas, l'échelle pertinente pour ces projets de reconquête industrielle sera celle de l'Europe, d'abord, parce que les fonds nécessaires à l'établissement de filières nouvelles sont colossaux et ne pourront être mobilisés que de manière concertée par plusieurs États ; ensuite, parce que la compétitivité ne pourra être atteinte que par la massification de la demande sur l'ensemble du marché européen et un partage des tâches source d'économies d'échelle. En ce sens, les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) sont un outil prometteur et pourront être mobilisés au-delà des seuls projets en matière de batteries automobile et d'hydrogène. D'un point de vue plus stratégique, les pays européens partagent une vision de l'autonomie stratégique renouvelée, dans un contexte international marqué par le regain de tensions commerciales et géopolitiques, en particulier vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. La question de la capacité de production d'équipements de télécommunications par exemple, comme on l'a vu dans le cas de Huawei, est fortement liée aux enjeux de souveraineté technologique et numérique.

Déjà, la crise semble avoir conduit à repenser le rôle de l'État et les outils à sa disposition : il a mobilisé à grande échelle des outils de garantie et les prises de participation publiques directes ou indirectes, jusqu'ici très limitées. Il a également accru les aides incitatives visant à ce que les industriels dirigent leurs efforts de recherche et d'investissement - et les consommateurs leur pouvoir d'achat - vers des produits plus prometteurs au regard de la transition environnementale.

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