Avis n° 141 (2020-2021) de M. Alain MILON , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 novembre 2020

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N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi
de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME IV

OUTRE-MER

Par M. Alain MILON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Po ncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 25 novembre 2020 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de M. Alain Milon sur les crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2021.

En préambule de son examen, le rapporteur pour avis a souhaité rappeler que la mission « Outre-mer » est très loin de retracer l'ensemble des crédits consacrés aux territoires ultramarins, qui bénéficient de crédits transversaux portés par 88 programmes relevant de 29 missions. Ainsi que l'a rappelé la direction générale des outre-mer (DGOM) à votre rapporteur pour avis, seuls 13 % des crédits de l'États destinés aux politiques ultramarines figurent dans la mission « Outre-mer » .

L'examen des crédits de la seule mission budgétaire dont le ministère des outre-mer est ordonnateur ne doit donc pas être confondu avec une appréciation globale de la politique ultramarine de l'État.

Trois grands aspects - partiellement - couverts par les crédits de la mission entrent dans le champ de compétence de la commission des affaires sociales : le soutien à l'embauche par l'exonération de cotisations sociales patronales, la politique du logement - et notamment du logement social - et le soutien financier apporté aux collectivités ultramarines.

Le constat préalable qu'il convient de porter est celui d'une augmentation sensible des crédits de la mission en 2021 en autorisation d'engagements (AE) et en crédits de paiement (CP) , que l'on doit considérer en miroir des autres programmes budgétaires à destination des outre-mer et, notamment, des crédits spécifiques du plan de relance, estimés pour l'heure à 1,5 milliard d'euros et qui, selon la DGOM, « ne constituent pas un plafond ».

2020

2021

AE

CP

AE

CP

Programme 138 - Emploi outre-mer

1 744 314 581 €

1 747 595 303 €

1 851 168 363 €

1 841 720 298 €

Programme 123 - Conditions de vie outre-mer

774 568 232 €

624 872 944 €

828 776 928 €

593 274 671 €

Total (en euros)

2 518 882 813 €

2 372 468 247 €

2 679 945 291 €

2 434 994 969 €

+ 6,39 %

+ 2,64 %

Source : PAP 2021

Ces tendances de la mission, globalement favorables, ne doivent pas occulter le fait que seul le programme 138 , et plus spécifiquement l'action n° 1 relative au soutien des entreprises et couvrant la compensation budgétaire par l'État des exonérations de cotisations sociales prévues pour l'activité ultramarine, connaît une augmentation nette de 5,4 % en CP , alors que les CP du programme 123, qui couvrent des dépenses budgétaires sectorielles, subissent une diminution de près de 5 % .

L'action du ministère des outre-mer prend donc la forme de baisses de prélèvements, plutôt que de dépenses d'intervention.

I. LA COMPENSATION PAR L'ÉTAT DES ALLÈGEMENTS SOCIAUX SUR LES BAS SALAIRES : UNE ORIENTATION CONFIRMÉE, UNE ATTENTION PARTICULIÈRE À PORTER AU SECTEUR DU BTP

A. LA SUPPRESSION DU CICE TOUJOURS PAS COMPENSÉE

Aux termes du PAP, « le dispositif d'allègement et d'exonération de cotisations de sécurité sociale dont bénéficient les entreprises et les travailleurs indépendants ultramarins constitue le principal axe financier d'intervention en matière de soutien à l'emploi ».

Ces dispositions, instituées par la loi pour le développement économique des outre-mer 1 ( * ) (Lodeom), figurent aux articles L. 752-3-2 et L. 752-3-3 du code de la sécurité sociale (CSS) et prévoient pour l'employeur l'exonération du paiement des cotisations et contributions sur la masse salariale qu'il emploie, selon divers barèmes à raison des secteurs d'activité. Le programme 138 est, pour sa grande majorité, consacré à la compensation par le budget de l'État des pertes de recettes subies par la sécurité sociale en conséquence de ces régimes d'exonération.

La croissance importante de la masse salariale dans les départements et régions d'outre-mer en 2018 et 2019 témoigne du dynamisme des embauches. D'après l'Acoss, les rythmes d'augmentation des effectifs en 2018 sont en forte accélération en Guyane , Guadeloupe et à la Martinique (respectivement 6,4 %, 2,6 % et 2,1 %), avec des dynamiques particulières observées dans les secteurs Lodeom, notamment l'industrie et le BTP.

Ces régimes d'allègement et d'exonération ont connu une modification importante à partir du 1er janvier 2019, au moment du remplacement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) par un abaissement pérenne des cotisations sociales patronales . Pour les entreprises sises dans les départements et régions d'outre-mer, le bénéfice du CICE se traduisait par un taux de 9 % appliqué à l'assiette des rémunérations n'excédant pas 2,5 SMIC. La suppression du CICE aurait donc dû se traduire dès 2019 par un renforcement des crédits de soutien aux entreprises porté par le programme 138, à due concurrence des bénéfices qui en étaient tirés. Or cette compensation n'a semble-t-il jamais été parfaitement respectée, au point que la perte nette des territoires ultramarins pourrait être de l'ordre de 60 à 100 millions d'euros pour l'année 2019 .

L'augmentation régulière des crédits du programme 138 consacrés à cette compensation budgétaire (+ 6,6 % pour 2021) s'explique essentiellement par l'élargissement du périmètre de ces régimes d'exonération, auquel le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) procède quasiment chaque année, en y rendant éligibles un ou plusieurs secteurs d'activité.

Les trois régimes des exonérations Lodeom

Trois régimes d'exonération des cotisations employeurs sont applicables aux départements et régions d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion) ainsi qu'à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, distinguant le « régime de compétitivité », qui vise le champ le plus vaste, et deux régimes spécifiques plus avantageux à vocation sectorielle, qui vise des secteurs plus fragilisés :

1) Le « régime de compétitivité » pour les entreprises de moins de 11 salariés et, quel que soit leur effectif, pour les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), de l'industrie, de la restauration, de la presse, de la production audiovisuelle, de l'environnement, de l'énergie et de divers autres secteurs de l'activité tertiaire, ainsi qu'aux entreprises de transport aérien pour les seuls personnels affectés dans ces territoires. L'exonération est totale jusqu'à 1,3 SMIC puis dégressive jusqu'à 2,2 SMIC ;

2) Le « régime de compétitivité renforcée » pour les entreprises de moins de 250 salariés ayant réalisé un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros et qui relèvent de plusieurs secteurs d'activité englobant l'industrie, l'environnement, l'agriculture, la pêche, le tourisme et les technologies innovantes. Ce régime est par ailleurs applicable aux entreprises situées en Guyane et exerçant leur activité dans les secteurs de la comptabilité ou du conseil. L'exonération est totale jusqu'à 2 SMIC puis dégressive jusqu'à 2,7 SMIC ;

3) Le « régime d'innovation et croissance » pour les entreprises de moins de 250 salariés ayant réalisé un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros et dont les salariés concourent à la réalisation de projets innovants dans le domaine des NTIC. L'exonération est totale jusqu'à 1,7 SMIC, maintenue en valeur absolue jusqu'à 2,5 SMIC puis dégressive jusqu'à 3,5 SMIC.

Rappelons que, dans l'hexagone, le régime des allègements généraux prévoit une exonération à hauteur du SMIC puis une dégressivité jusqu'à 1,6 SMIC.

B. UNE OPPORTUNITÉ DISCUTÉE PAR LES ACTEURS LOCAUX

Bien qu'on lui reconnaisse d'être globalement adapté aux besoins économiques lié à l'emploi outre-mer, le régime des exonérations Lodeom fait l'objet de plusieurs critiques de la part des acteurs locaux, qui en contestent notamment les importants effets de seuil . Auditionnée par votre rapporteur pour avis, la fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) l'a alerté sur la persistance d'un phénomène de « trappe à bas salaires », provoqué par le maintien de nombreux secteurs sous le « régime de compétitivité », lorsque l'un des deux régimes sectoriels paraîtrait plus adapté.

Aussi, les arbitrages successifs déterminant l'application du régime d'exonération par secteur ne semblent pas toujours reposer sur une stratégie d'ensemble cohérente, mais relèvent surtout d'un secours apporté a posteriori à des situations économiques dégradées.

Si, au cours de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, l'Assemblée nationale a adopté l'intégration du secteur de la production audiovisuelle dans le barème de compétitivité renforcée, dans le contexte politiquement délicat de la fermeture de France Ô, il est en revanche très peu probable qu'elle conserve la disposition insérée par le Sénat en première lecture, qui étend ce même dispositif au secteur pourtant très exposé du BTP 2 ( * ) .

Le projet annuel de performance souligne la part du BTP dans l'économie ultramarine : 65 % des entreprises artisanales et 44 % des effectifs des PME des départements et régions ultramarines. Or le contexte général de baisse des moyens financiers des collectivités locales, dont les commandes représentent près de 90 % de l'activité du BTP, ne laisse pas d'inquiéter à cet égard.

II. LE LOGEMENT ULTRAMARIN : UNE POLITIQUE EXCLUSIVE DU MINISTÈRE DES OUTRE-MER, MARQUÉE PAR UNE SOUS-EXÉCUTION CHRONIQUE DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES ET LA NÉCESSITÉ D'UN PILOTAGE RENFORCÉ

A. UN RYTHME TRÈS INSUFFISANT DE CONSOMMATION DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES

Ainsi que le relève la Cour des comptes dans un récent rapport consacré à la question du logement outre-mer 3 ( * ) , « la politique du logement outre-mer est la seule qui relève entièrement du ministère des outre-mer, depuis 1997 ». Elle est donc, à ce titre, la seule dont l'intégralité des crédits et du financement peut être retracée au sein de la mission « Outre-mer ».

L'action n° 1 « Logement » du programme 123 , dite « ligne budgétaire unique » (LBU) , est estimée en 2021 à 224,6 millions d'euros en AE (soit une augmentation de 8,7 %) et à 176 918 634 euros en CP (soit une diminution de 2,7 % ). Parallèlement à ces financements par crédits budgétaires, la politique du logement ultramarin est soutenue par d'importantes dépenses fiscales sur des impôts d'État dont le montant, stable par rapport à 2020, atteint 140 millions d'euros pour les seules réductions d'impôts appliquées aux investissements locatifs.

Au-delà des inquiétudes que peut susciter, derrière l'augmentation des AE pour 2021, la diminution parallèle des CP, votre rapporteur pour avis choisit d'y voir moins un retrait budgétaire de l'État dans sa politique du logement ultramarin qu'une plus grande prise en compte de la sous-exécution chronique des crédits de la LBU . En effet, le défaut de consommation de ces crédits illustre, d'après la Cour des comptes, une incapacité certaine pour les collectivités territoriales et les acteurs du logement social de mobiliser cette aide. De l'aveu même de la direction du budget, l'enjeu majeur de la LBU résiderait moins dans la sanctuarisation de son niveau de crédits que dans le développement des capacités d'ingénierie des collectivités pour atteindre les objectifs de la politique du logement.

Toujours d'après la Cour, « ces sous-consommations ont abouti à l'accumulation de 758 millions d'euros de restes à payer, dont près de 23 % antérieurs à 2014 ». Aussi, votre rapporteur pour avis invite à ne pas nécessairement s'alarmer de la diminution des CP de la LBU pour 2021 et salue ce qui lui apparaît relever d'une gestion plus saine d'exécution des crédits passés non-consommés.

B. UN PILOTAGE QUI DOIT ÊTRE REDIRIGÉ VERS L'OBJECTIF D'UN PARC LOCATIF SOCIAL AMBITIEUX

Il souhaite pour autant signaler, à la suite de la Cour, que le partage des financements publics entre incitations fiscales introduites en 2009 et LBU devrait être repensé et réorienté en faveur de cette dernière . En effet, « les incitations fiscales pour l'outre-mer, qui se sont progressivement substituées au financement budgétaire unique, n'ont qu'un effet secondaire dans la construction de logements sociaux » . Elle indique par ailleurs que les dépenses fiscales, par définition moins ciblées que les dépenses budgétaires, ne sont pas toujours orientées vers les logements sociaux , mais profitent souvent à des logements intermédiaires. Ainsi, la Cour conclut à une « absence d'effet de levier de la dépense fiscale, voire à son inefficience », contredisant l'opinion de la DGOM selon laquelle « la défiscalisation, sous la forme du crédit d'impôt, [reste] un complément efficace à la LBU, sous réserve que celle-ci soit bien pilotée ».

C'est précisément la qualité du pilotage , davantage que les moyens financiers mobilisés, qui suscite l'inquiétude de votre rapporteur pour avis. La Cour relève que, tant au niveau central (DGOM) qu'au niveau déconcentré (préfectures et directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement - DEAL), les effectifs sont simplement saturés et dans l'impossibilité d'assurer toutes les tâches d'animation et de suivi des projets et des besoins exprimés sur la base des plans locaux de l'habitat (PH). Bien qu'il soit intéressant et souhaitable que la politique du logement ultramarin soit pleinement intégrée dans le giron d'un ministère unique, force est de constater que la force de frappe de ce dernier est insuffisamment dimensionnée par rapport aux enjeux.

Votre rapporteur pour avis se montre particulièrement sensible au contrôle qui doit être exercé sur les 19 organismes de logement social (OLS) présents en outre-mer, bénéficiaires directs de la LBU et des dépenses fiscales, à qui est fixé pour 2021 par le ministère un objectif de 4 800 logements locatifs sociaux (LLS) et de logements locatifs très sociaux (LLTS). Outre le contrôle exercé par les juridictions financières, le modèle de l' établissement public foncier , présent en Nouvelle-Calédonie (depuis 1988), en Guyane (depuis 1996) et à Mayotte (depuis 2015), pourrait être utilement diffusé dans les territoires où le marché des OLS est excessivement atomisé et où la rationalisation de l'offre de logements sociaux s'en ressent (comme à La Réunion).

III. LE SOUTIEN BUDGÉTAIRE AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D'OUTRE-MER : LE RISQUE DE FINANCEMENTS CROISÉS LA NÉCESSITÉ DE SOUTENIR LES GESTIONNAIRES LOCAUX

A. DES CRÉDITS DISPERSÉS ET SOUS-CONSOMMÉS

La majorité des autres actions retracées dans le programme 123 , bien que présentées de manière distincte, visent pour la plupart un objectif de soutien aux collectivités territoriales d'outre-mer et doivent être replacées dans un contexte global de finances locales dégradées.

En effet, plus de 568 millions d'euros des crédits en AE du programme sont consacrés à des dépenses de transfert aux collectivités territoriales, soit près de 68,5 % du total - la proportion chutant toutefois à 65,1 % pour les CP.

Actions du programme 123 comportant des transferts aux collectivités territoriales

Action

AE

(en millions d'euros)

CP

(en millions d'euros)

Vecteur principal

N° 1 - Logement

50 000 000 €

39 381 746 €

Dotation spécifique aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (Frafu)

N° 2 - Aménagement du territoire

192 137 266 €

132 711 508 €

Contrats de convergence et de transformation (CCT)

N° 3 - Continuité territoriale

2 879 150 €

2 879 150 €

Subvention à Air Calédonie International pour assurer la desserte intérieure de Wallis-et-Futuna

N° 6 - Collectivités territoriales

191 055 846 €

129 672 174 €

Dotations d'aide à la reconversion de l'économie polynésienne

Dotations scolaires en Guyane, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

Fonds intercommunal de péréquation en Polynésie française

N° 7 - Insertion économique et coopération régionale

889 500 €

889 500 €

Fonds de coopération régionale de la Guadeloupe, de Guyane, de la Martinique, de La Réunion et de Mayotte

N° 8 - Fonds exceptionnel d'investissement

110 000 000 €

67 000 000 €

Financement d'investissements collectifs par le biais d'appel à projets (principalement adduction d'eau potable et assainissement)

N° 9 - Appui à l'accès aux financements bancaires

21 346 329 €

13 896 312 €

Bonification des prêts octroyés aux collectivités territoriales par l'agence française de développement (AFD)

Total

568 308 091 €

386 430 390 €

Source : PAP 2021

Alors que 76,3 % des crédits ayant fait l'objet d'une autorisation d'engagement pour 2020 ont été effectivement consommés, cette proportion chute à 68 % au titre des chiffres annoncés par le PLF pour 2021.

Une explication de ce phénomène avait été avancée par Mme Nassimah Dindar, rapporteure pour avis de la mission pour le PLF pour 2020, qui soulignait que « la sous-consommation de crédits est reprochée aux élus locaux qui manquent d'ingénierie. [...] Les collectivités locales ont des frais de fonctionnement bien plus lourds que leurs capacités d'investissement - ils se composent des traitements, mais aussi de toutes les prestations que nous versons : revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA) etc. Ce sont ces frais de fonctionnement qui, obérant notre capacité d'investissement, empêchent que nous engagions tous les crédits ouverts ».

En conséquence de cette faible ingénierie des collectivités territoriales, la DGOM entend concentrer en 2021 l'essentiel des crédits engagés, notamment pour les actions n° 7 et 8, sur un accompagnement financier et humain des gestionnaires locaux pour le suivi des appels d'offre ainsi que le développement de nouveaux contrats.

B. DES ORIENTATIONS DE GESTION DISCUTABLES, À RATIONALISER D'URGENCE

Face à cette orientation, votre rapporteur pour avis se montre particulièrement circonspect. D'une part, il paraît curieux - voire ubuesque - que davantage de crédits budgétaires soient engagés pour que des crédits budgétaires précédents soient intégralement consommés . D'autre part, il note le risque manifeste de « prime au faible gestionnaire » qu'une telle inflexion comporterait : alors que ces crédits, qui ne sont pas revêtus d'une mission de péréquation 4 ( * ) , visent à renforcer l'autonomie de gestion des collectivités d'outre-mer, leur fléchage aurait pour résultat direct de désavantager celles qui se seraient montrées les plus performantes dans la consommation des crédits qui leur étaient préalablement destinés.

Reprenant une observation de notre collègue Victoire Jasmin (SER, Guadeloupe), il semblerait plus opportun de consacrer les rallonges de crédits de l'exercice à venir au soutien des collectivités territoriales dans l'accomplissement de leurs missions régaliennes , comme le recouvrement des impositions locales.

Par ailleurs, l'importante dispersion de ces financements, ajoutée aux difficultés de contrôle de leur exécution dues aux effectifs limités des ordonnateurs de la mission, font courir un risque important de saupoudrage et/ou de financement doublonnés .

En effet, les domaines couverts par les CCT au titre de l'action n° 2, par les dotations de l'action n° 6 et par le fonds exceptionnel d'investissement de l'action n° 8 sont susceptibles de recoupements , notamment pour les actions de désenclavement du territoire et pour les investissements dans le champ scolaire.

Compte tenu du risque important de financements doublonnés ainsi que des effectifs limités dont disposent les ordonnateurs de la mission pour assurer leur contrôle, votre rapporteur pour avis plaide pour une refonte intégrale de la maquette budgétaire de la mission, qui privilégierait une approche par secteur d'intervention.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le 25 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Alain Milon sur le projet de loi de finances pour 2021 (mission « outre-mer »).

M. Alain Milon , rapporteur pour avis de la mission « outre-mer » . - Madame la présidente, mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de vous présenter, pour la première fois, mes observations sur les crédits de la mission « outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2021.

Comme préambule à cet examen, il me semble important de vous faire part de plusieurs observations.

En premier lieu, notre commission des affaires sociales a toujours fait preuve d'un intérêt particulier pour les territoires ultramarins, qui ne s'est jamais limité à l'appréciation des crédits budgétaires que la présente mission leur consacre. Outre la représentation importante parmi nos commissaires d'élus de ces territoires de tous bords politiques, notre attachement aux enjeux soulevés par les outre-mer provient de ce que certaines difficultés qu'ils éprouvent, davantage que dans l'hexagone, ont directement trait aux champs de compétence de notre commission : santé, emploi, solidarité. C'est pourquoi je suis particulièrement fier, dans le prolongement du rapport que nous avions produit en juin 2016 sur l'excellence sanitaire dans l'Océan indien - et deux ans plus tard, en Guyane et en Guadeloupe - avec plusieurs de nos collègues, de poursuivre devant vous l'engagement et la vigilance de notre commission sur ces sujets.

Bien qu'il soit difficile de ne pas aborder, au cours d'un tel débat, l'ensemble des enjeux et des difficultés auxquels les territoires d'outre-mer sont confrontés, je vous rappelle que la mission budgétaire que nous examinons est très loin de retracer l'ensemble des crédits qui leur sont consacrés, portés par 88 programmes relevant de 29 missions différentes. Un seul principe régit la maquette de la mission « outre-mer » : loin de présenter un ensemble cohérent et homogène, ses crédits n'y sont réunis qu'en raison de leur pilotage direct par le ministère des outre-mer qui, contre toute intuition, ne maîtrise qu'une part très restreinte - 13 % exactement - de l'engagement financier de l'État vers ces territoires. Ayons donc bien à l'esprit que notre examen ne porte pas sur une appréciation globale de la politique ultramarine de l'État, mais sur la seule gestion par le ministère compétent des crédits dont il est ordonnateur unique.

Enfin, je me dois de souligner devant vous qu'en conséquence de son caractère composite, la mission « outre-mer » comporte plusieurs lignes budgétaires de montants significatifs qui ne visent pas directement le champ de compétence de notre commission, comme le logement ou le soutien aux collectivités territoriales. Notre avis portant sur la globalité des crédits de la mission, j'ai néanmoins fait le choix de retenir dans mon examen les aspects les plus saillants de l'évolution budgétaire, sans considération sectorielle particulière.

Ces précisions contextuelles étant faites, j'en viens à la présentation proprement dite de la mission. Elle est composée de deux programmes, le premier, le 138, consacré à l'emploi outre-mer, et le second, le 123, aux conditions de vie.

J'observe tout d'abord avec satisfaction que les crédits de cette mission, conformément aux exercices précédents, connaissent une évolution favorable qui les porte en 2021 à plus de 2,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et plus de 2,4 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Cette évolution ne doit toutefois pas masquer l'affaiblissement global de l'effort budgétaire de l'État à l'égard des outre-mer, retracé dans le document de politique transversale en annexe du projet de loi de finances (PLF), et qui prévoit, en autorisations d'engagement, un passage de 18,3 milliards d'euros en 2020 à 17,8 milliards d'euros en 2021.

Bien qu'il ne rentre pas dans les attributions du rapporteur pour avis d'examiner l'évolution de ces crédits, leur baisse semble principalement imputable à un désengagement de l'État en matière de transition énergétique, de valorisation des atouts culturels et scientifiques des territoires ultramarins, mais surtout à la non-reconduction en 2021 des crédits ouverts en 2020 au titre du plan d'urgence face à la crise sanitaire.

Le programme 138, qui représente deux tiers de la mission, est en très grande partie soutenu par les crédits couvrant la compensation budgétaire par l'État des exonérations de cotisations sociales prévues pour l'activité salariale et indépendante ultramarine, qui connaissent une augmentation sensible de 6,6 % en crédits de paiement.

Je rappelle que le régime d'exonération de cotisations sociales patronales en outre-mer, plus connu sous le nom d'exonérations Lodeom, peut être décliné selon trois modalités - le régime de compétitivité, le régime de compétitivité renforcée et le régime d'innovation et croissance - dont les seuils d'exonération et de dégressivité sont plus ou moins élevés. L'augmentation régulière des crédits consacrés à la compensation budgétaire des exonérations Lodeom en PLF n'est souvent que le reflet à N+1 d'une extension du régime de compétitivité renforcée à un ou plusieurs secteurs d'activité décidée en année N, au moment du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Nous le savons bien, les discussions et les arbitrages qui d'année en année désignent les secteurs d'activité ultramarins éligibles à la compétitivité renforcée ne semblent pas répondre à une stratégie d'ensemble cohérente, mais plutôt à une succession de secours apportés a posteriori à des situations économiques dégradées, parfois au mépris d'une vision plus globale.

Ainsi, s'il faut se réjouir de l'intégration du secteur de la production audiovisuelle dans le barème de compétitivité renforcée, suite à la fermeture de France Ô, il est en revanche peu compréhensible que le Gouvernement ait fermé la porte à ce que le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), très exposé par la situation dégradée des finances locales, bénéficie de la même requalification, comme le prévoyait un amendement porté par notre collègue Viviane Malet.

Les représentants des entreprises ultramarines, que j'ai auditionnés en compagnie de plusieurs de nos collègues, se sont par ailleurs émus du manque à gagner substantiel qu'elles subissent depuis le remplacement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) par un renforcement du régime d'allégements de cotisations sociales à partir du 1 er janvier 2019.

Il semblerait en effet que cette substitution n'ait à ce jour fait l'objet d'aucune analyse quantitative stricte et qu'elle se soit traduite, selon nos collègues de la commission des finances, par une perte sèche de l'ordre de 100 millions d'euros, ce qui est considérable. Je déplore cette absence d'objectivation : si j'en crois le retour d'expérience de la fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM), la compensation de la suppression du CICE s'est initialement fondée sur un chiffrage erroné qui ne tenait pas suffisamment compte des délais d'ajustement, et n'a pas été dûment actualisé depuis.

J'en appelle donc aujourd'hui à ce que les dispositifs Lodeom, dont les effets sur l'emploi outre-mer sont indéniablement favorables, puissent s'extraire de cette évolution par à-coups et faire l'objet d'une stratégie plus globale.

Le programme 123, intitulé « Conditions de vie outre-mer », concentre en crédits de paiement pour 2021 moins de 600 millions d'euros et recouvre en réalité deux politiques principales : le soutien budgétaire au logement ultramarin et l'accompagnement humain et financier des collectivités territoriales.

Concernant le logement, il s'agit de la seule politique dont l'intégralité des crédits et du financement peut être retracée au sein de la mission « outre-mer », ce dont elle tire d'ailleurs sa dénomination de ligne budgétaire unique (LBU). Les crédits de paiement qui lui sont consacrés en 2021, portés à 177 millions d'euros, accusent une diminution de 2,7 % par rapport à l'an dernier, dans laquelle il faut moins voir, à mon sens un retrait budgétaire de l'État, qu'une plus grande prise en compte de la sous-exécution chronique des crédits de la LBU.

En effet, d'après un rapport récent de la Cour des comptes sur le sujet, le défaut de consommation de ces crédits illustre une incapacité certaine pour les collectivités ultramarines et les acteurs du logement social de mobiliser cette aide. De l'aveu même du ministère des comptes publics, l'enjeu majeur de la LBU ne réside pas tant dans la sanctuarisation de son niveau de crédits que dans le développement des capacités d'ingénierie des collectivités pour atteindre les objectifs de la politique du logement. Toujours d'après la Cour, « ces sous-consommations ont abouti à l'accumulation de 758 millions d'euros de restes à payer, dont près de 23 % antérieurs à 2014 ».

Nous touchons là, mes chers collègues, à un sujet qui déborde quelque peu du champ de notre compétence mais qui, en raison du caractère prépondérant de l'enjeu du logement social dans les outre-mer, doit tout de même attirer notre attention. Les conclusions esquissées par la Cour dans son rapport, qui me paraissent mériter une réflexion ultérieure, suggèrent que les 19 organismes de logement social présents dans les outre-mer, bénéficiaires directs de la LBU et par ailleurs destinataires de financements soutenus par de nombreuses dépenses fiscales, sont insuffisamment rationalisés dans leur action et ne bénéficient pas, compte tenu des effectifs limités du ministère des outre-mer et de ses agents déconcentrés, du pilotage requis.

La majorité des autres actions retracées dans le programme 123 vise des objets limités et disparates mais ont pour point commun de venir en soutien aux collectivités territoriales d'outre-mer et doivent être replacées dans un contexte global de finances locales dégradées. Elles concerneront, en 2021, plus de 568 millions d'euros des crédits du programme en autorisations d'engagement.

Là encore, de façon similaire aux constats que j'ai portés sur la politique du logement, je déplore que la principale faiblesse de ces crédits réside dans leur importante sous-exécution, elle-même directement conséquence des besoins en ingénierie exprimés par les élus locaux.

Je rappellerai en effet que ces derniers, fortement mobilisés dans l'engagement de dépenses de fonctionnement liés aux allocations individuelles de solidarité, voient leur capacité d'investissement fortement obérée et sont donc incapables de consommer l'intégralité des crédits qui leur sont destinés.

La direction générale des outre-mer (DGOM), que j'ai auditionnée, m'a indiqué avoir l'intention de renforcer cette année les crédits d'accompagnement financier et humain destinés aux gestionnaires locaux dont les capacités d'ingénierie auraient été trop faibles pour solliciter des crédits précédemment engagés. J'ai eu l'occasion d'alerter mes interlocuteurs sur le risque de « prime au mauvais gestionnaire » qu'une telle orientation comporterait : alors que ces crédits, qui ne sont pas habituellement revêtus d'une mission de péréquation, visent à renforcer l'autonomie de gestion des collectivités d'outre-mer, ce fléchage aurait pour résultat direct de désavantager celles qui se seraient montrées les plus performantes dans la consommation des crédits qui leur étaient préalablement destinés.

Je reprends à mon compte devant vous une suggestion qu'a alors formulée notre collègue Victoire Jasmin, qui a jugé plus opportun de recentrer ces crédits d'accompagnement vers le soutien aux gestionnaires locaux dans l'accomplissement de leurs missions régaliennes, tel le recouvrement de l'impôt, plus que vers la consommation de crédits déjà engagés.

De façon plus large, l'émiettement des crédits de soutien aux collectivités territoriales, qui nuit gravement à leur lisibilité au sein du programme 123, et qui peut même conduire à des financements doublonnés, plaide pour une refonte intégrale de la maquette budgétaire du programme, qui privilégierait une approche par secteur d'intervention.

Tels sont, madame la présidente, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « outre-mer ». Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits correspondants, qui sera pour ma part plutôt timide.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, et je suis ravie de vous avoir proposé d'élaborer ce rapport. Il est vrai que la commission des affaires sociales a effectué de nombreuses missions outre-mer et porte un grand intérêt aux territoires ultramarins. Le déplacement à Mayotte est d'ailleurs toujours très attendu.

Mme Victoire Jasmin . - Je souhaiterais tout d'abord remercier le rapporteur, qui a tenu compte de nos échanges. Son rapport illustre parfaitement la situation dans laquelle se trouvent les territoires d'outre-mer, alors qu'il n'est pas toujours évident de comprendre les différentes problématiques. Il permettra sans aucun doute à ceux qui ne vivent pas en outre-mer de mieux comprendre de quoi nous parlons, quand nous évoquons les exonérations Lodeom ou la LBU, par exemple.

Concernant le logement, les risques naturels majeurs nous contraignent à respecter des procédures différentes de celles de la métropole. Je ne dirai pas qu'elles sont plus compliquées, mais leur approche est différente. Or depuis trois ans, nous avons bien noté que les problèmes liés au BTP ont été évoqués, notamment parce que les coûts sont différents et la main-d'oeuvre insuffisamment valorisée.

De nombreux jeunes diplômés partent se former en métropole, mais ne trouvent pas d'emplois. Leurs savoir-faires ne sont plus valorisés.

Nous avons tous entendu, il y a quelques jours, les propos de notre collègue Valérie Létard, relatifs à Action logement ; nous avons l'habitude de dire « quand le bâtiment va, tout va ». Nous devons donc trouver des solutions pour relancer le bâtiment en outre-mer, notamment grâce au dispositif « Coeur de ville », aux projets d'accompagnement, au plan d'investissement volontaire (PIV)... Je suis sûre que nous pouvons y parvenir, si le ministre en a la volonté.

Enfin, il est important que les difficultés propres à chaque territoire soient prises en compte, et notamment les risques naturels majeurs qui sont très importants. Les chefs d'entreprise du BTP le savent et rencontrent de nombreuses difficultés.

Mme Élisabeth Doineau . - Lorsque j'ai présenté ce rapport en remplacement de Mme Nassimah Dindar l'an dernier, j'ai pu mesurer l'ampleur des difficultés. Je tiens donc à témoigner pour ces territoires, nos collègues rencontrant de nombreuses difficultés sur le terrain.

Les aides proposées aux outre-mer sont un véritable casse-tête. Elles sont superposées les unes sur les autres, au fur et à mesure des visites ministérielles dans les différents territoires ultramarins. Nous avons vraiment l'impression qu'à chaque époque, des dispositions ont été prises.

Mais comment sont réalisées les évaluations ? Nous n'avons pas le sentiment, après le lancement d'un programme sur l'habitat, par exemple, qu'une évaluation soit ensuite réalisée sur la dépense des crédits. Or, le rapporteur l'a indiqué, certains crédits non consommés datent de 2014 ! C'est révoltant. Des millions d'euros dorment quelque part, faute peut-être, justement, d'une évaluation effectuée dans les temps.

Les bidonvilles n'ont toujours pas disparu ; c'est inacceptable. Cela a été dit, les entreprises ont besoin de travail, les populations ont besoin d'être mieux logées, il suffit donc de le vouloir pour le faire. Il est important que le Gouvernement, plutôt que d'envoyer des ministres, organise une réelle gestion de ces crédits sur place.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie également le rapporteur pour son rapport très complet et nuancé.

Lors de nos déplacements, nous avons pu mesurer le fossé qui existe entre la politique menée en hexagone et celle qui est menée dans les territoires ultramarins. L'une de nos erreurs est que nous reproduisons, en outre-mer, ce qui est fait en métropole, sans tenir compte des spécificités. Les propositions des élus ne sont pas suffisamment prises en compte pour répondre à l'urgence dans ces territoires.

Je suis très admirative de mes collègues ultramarins qui restent toujours très mesurés, en séance publique, lorsqu'ils décrivent la situation de leur territoire, alors que les inégalités sont extrêmement importantes.

Alors que le rapporteur votera timidement en faveur des crédits de la mission, mon groupe s'abstiendra.

M. Stéphane Artano . - Je remercie le rapporteur pour ses propos, auxquels j'adhère en grande partie, sa vision étant extrêmement lucide.

Un rapport a été élaboré par la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la prise en considération de l'état d'urgence en outre-mer et les mesures de soutien économique. Nous n'avons pas été entendus sur tous les aspects que nous avions soulignés. La FEDOM l'a d'ailleurs clairement indiqué, lors de son audition devant notre commission, mais aussi devant la commission des finances.

S'agissant de la sous-consommation des crédits, elle est avérée. Une mission parlementaire, confiée à vos collègues Jean-René Cazeneuve et Georges Patient à la demande de l'ancienne ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, faisait notamment état d'un problème d'ingénierie de la part des partenaires de l'État sur les territoires, des difficultés de ces mêmes partenaires à honorer parfois leurs engagements, et d'acteurs privés qui méconnaissaient un certain nombre de règles publiques. Je rappellerai que le tissu économique ultramarin est composé à 90 % de très petites entreprises (TPE). Le Gouvernement s'est engagé à renforcer l'ingénierie territoriale.

J'ai toujours considéré qu'un budget traduisait une politique, du moins sur le plan philosophique. Or, ce qui manque à cette mission, c'est la visibilité de l'action de l'agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) en outre-mer. Une expérimentation a été effectuée à Mayotte, avec une cellule de renforcement de l'ingénierie des collectivités qui a permis d'améliorer la sous-consommation constatée il y a un an.

Les efforts de l'État doivent aller vers un renforcement de la capacité des collectivités ou des acteurs à être autonomes et à mobiliser les crédits, plutôt que de piloter en direct les actions - je plaide pour une totale responsabilité des collectivités dans les programmes qu'elles mènent.

Vous avez évoqué le logement social et le BTP. Nous avons tous soutenu l'amendement de Mme Viviane Malet relatif au BTP, dans la discussion budgétaire.

Laurence Cohen nous trouve mesurés dans l'hémicycle, il s'agit plutôt d'une certaine pudeur. Nous présentons un certain nombre de difficultés, et nous ne sommes pas toujours entendus, mais nous voulons faire avancer les choses sans passer pour les « pleureurs de service ».

Enfin, je confirme les propos de notre collègue Victoire Jasmin, les problématiques sont différentes dans chaque territoire. De sorte que leur prise en considération amène des adaptations de dispositifs pouvant être perçus comme ressortant du droit commun et choquer, alors qu'elles tiennent simplement compte d'une réalité ultramarine.

Je soutiens la mission « outre-mer », tout comme le rapporteur, du bout des lèvres, car elle est incomplète - je pense, par exemple, à la disparition du CICE. Mais surtout, elle manque de perspectives. Il a été annoncé que l'outre-mer bénéficierait de 1,5 milliard d'euros dans le cadre du plan de relance, or les mandats de négociation ne sont pas encore finalisés.

Il s'agira d'un vrai sujet, car certains secteurs, comme le tourisme, n'ont pas bénéficié de beaucoup d'aides ; cette mission ne traduit pas un soutien aux secteurs d'activité particulièrement pénalisés par la crise sanitaire.

Mme Viviane Mal et . - Je souhaiterais également remercier Alain Milon pour cet excellent rapport. Il a fait preuve d'une expertise très fine de la situation des outre-mer et de cette mission.

Je remercie également les collègues qui ont soutenu l'amendement que j'ai proposé et qui visait à mettre le BTP en compétitivité renforcée. Actuellement, nos entreprises sont en train de mourir. Que la sagesse du Sénat n'ait pas été entendue est regrettable.

S'agissant des crédits alloués à la LBU, s'ils n'ont pas diminué, les autorisations d'engagement sont supérieures aux crédits de paiement, ce qui veut dire que nous ne consommerons pas les sommes engagées - comme c'est le cas depuis plusieurs années.

Il conviendrait donc de définir des priorités pour cette LBU, de faire en sorte qu'elle soit plus facile à utiliser, plus accessible. Nous le constatons sur le terrain, nous passons beaucoup plus temps à monter des projets qu'à construire des logements.

Lors de la visioconférence avec le ministère, j'ai également pointé la problématique des personnes âgées. Si nos territoires sont encore jeunes, ils vont vieillir rapidement ; nous devons anticiper.

Nous pourrions, par exemple, flécher un habitat alternatif, non seulement pour les personnes handicapées, mais également pour les personnes âgées dans le cadre de la LBU, et mener de petites opérations qui seraient certainement plus faciles à monter.

Mme Jocelyne Guidez . - Je remercie Alain Milon pour son rapport très pointu.

Des aides sont-elles prévues pour rénover des maisons très anciennes, qui ont un cachet, voire une histoire, dans lesquelles vivent des personnes âgées ? Ces maisons deviennent, malheureusement, insalubres.

M. Alain Milon , rapporteur pour avis . - Oui, il existe des aides pour ce type de restauration, qui permettent la forme d'exonérations fiscales sur des investissements immobiliers.

Durant des années, j'ai écouté avec attention le rapport de la mission « outre-mer ». Je ne suis pas le premier à indiquer qu'il existe un manque total de visibilité sur les dépenses que peut réaliser l'État sur ces territoires. Il y a tellement de disséminations dans tellement de budgets différents, que nous ne percevons pas bien la cohésion, la clarté de l'action de l'État sur ces territoires.

Par ailleurs, le ministère des outre-mer, alors que les territoires sont immenses et que les populations ont de grands besoins, est finalement extrêmement petit et dispose de très peu de moyens.

S'agissant de la spécificité des territoires, que vous avez tous évoquée, je répondrai que vous nous devons aller plus loin en tenant en compte de leur identité.

Je n'ai disposé, en somme, pour l'examen de cette mission que de trois semaines, ce qui est très insuffisant pour vous présenter des propositions de changement, mais suffisant pour se rendre compte des lacunes des actions du ministère et de notre étude - pour avis, qui plus est. Ces territoires connaissent des problèmes majeurs. L'État s'en occupe-t-il bien ? Je ne pense pas. Il s'en occupe, certes, mais bien, je ne le pense pas.

Nous ne pouvons plus perdre de temps, nous devons travailler différemment, notamment avec les élus des outre-mer, pour présenter des propositions budgétaires différentes, quitte à être en désaccord avec le Gouvernement - quel qu'il soit.

Tel est le projet que j'espère mener à bien, d'ici à la prochaine présentation de la mission « outre-mer » pour 2022.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

___________

Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM)

Jean-Pierre Philibert , président

Laurent Renouf , délégué général

Mélinda Jerco , chargée de mission « Atlantique »

Direction générale des outre-mer (DGOM)

Marc Demulsant , sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État

Isabelle Richard , sous directrice des politiques publiques

Cabinet de Sébastien Lecornu, Ministre des Outre-mer

Mathieu Lefebvre , directeur adjoint de cabinet

Hugo Le Floc'h , conseiller budgétaire

Léa Roussarie , conseillère parlementaires et affaires politiques


* 1 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.

* 2 https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/101/Amdt_110.html

* 3 Cour des comptes, Le logement dans les départements et régions d'outre-mer, rapport public thématique, septembre 2020.

* 4 Cette mission de péréquation est davantage assurée par les crédits des actions n° 2 et 5.

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