EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le 18 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Annie Delmont-Koropoulis sur le projet de loi de finances pour 2021 (mission « Santé »).

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis de la mission « Santé » . - Au regard d'une progression annoncée de ses crédits supérieure à 17 % pour 2021, nous étions en droit d'espérer sinon une renaissance, du moins un renouveau stratégique de la mission « Santé ». D'autant que la crise sanitaire a mis en lumière le caractère pleinement régalien des politiques de sécurité sanitaire : une réaffirmation des moyens budgétaires de l'État dans ce domaine aurait ainsi eu du sens. Mais ne nous leurrons pas, les augmentations de crédits affichées sont loin d'être à la hauteur des espoirs que nous aurions pu nourrir.

Le programme 204 affiche la progression la plus significative, de 29 % pour 2021. Cette augmentation des moyens du programme est néanmoins essentiellement imputable à la majoration de la dotation de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et au financement d'un plan d'investissement en sa faveur d'un montant de 45 millions d'euros. L'État ne fait en réalité là qu'assumer enfin ses responsabilités à l'égard de l'agence de santé de ce territoire ultramarin dont les moyens étaient chroniquement sous-budgétisés.

Un peu moins de 4 millions d'euros supplémentaires sont également consacrés aux actions juridiques et contentieuses, pour un montant total supérieur à 57 millions d'euros qui comprend notamment la dotation versée par l'État à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam).

À cet égard, un désaccord persiste entre l'État et le laboratoire Sanofi sur leurs responsabilités respectives à l'égard des victimes de la Dépakine ® . Sanofi maintient qu'il a porté à la connaissance des autorités sanitaires dès le début des années 1980 les informations nécessaires sur les risques de malformations associés à la Dépakine ® et continue donc de contester systématiquement devant la justice les notifications créances que lui adresse l'État.

L'éparpillement des crédits de sécurité sanitaire et de prévention inscrits sur le programme 204 et l'attrition de la part du financement des agences sanitaires privent ce programme de toute cohérence stratégique et continuent de poser la question de son maintien.

La commission s'était opposée l'an dernier au transfert intégral du financement de Santé publique France vers l'assurance maladie, alors que l'agence exerce, pour le compte de l'État, des missions d'importance vitale pour la nation en matière de sécurité sanitaire. Nous l'avons bien vu avec la question des masques au début de la crise liée à la covid-19. Alors qu'il captait près de 48 % des crédits du programme 204 en 2014, le financement des opérateurs sanitaires en représente désormais moins du quart. Le programme ne contribue désormais plus qu'au financement de deux agences sanitaires : l'institut national du cancer (INCa) et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).

Le financement par l'assurance maladie autorise, par ailleurs, le Gouvernement à fixer le montant des dotations des opérateurs sanitaires par arrêté, sans possibilité pour le législateur d'en prendre connaissance lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La veille et la sécurité sanitaires constituant des missions régaliennes, je plaide pour le « rapatriement » sur le budget de l'État des crédits non seulement de Santé publique France, mais également de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui exerce des missions de police sanitaire au nom de l'État, et de l'école des hautes études en santé publique (EHESP).

Ma dernière observation sur le programme 204 concerne les moyens des comités de protection de personnes (CPP), qui n'augmenteront pas en 2021 alors même qu'ils ont été soumis à une charge de travail intense pour accompagner l'effort de recherche clinique déployé pendant la crise sanitaire. En dépit des promesses du ministère fin 2018, 34 CPP sur 39 fonctionnent toujours avec seulement un équivalent temps plein (ETP), ce qui continue de poser des problèmes pour l'instruction des projets de recherche pendant la période estivale.

J'en viens au programme 183 qui porte les crédits de l'aide médicale de l'État (AME). Alors qu'on nous promettait une maîtrise de la dépense pour 2019, le nombre de bénéficiaires a connu un rebond de 5 % à la fin de l'année dernière. Le confinement et la déprogrammation des soins non urgents devraient mécaniquement conduire à une moindre dépense d'AME en 2020, mais celle-ci rebondira logiquement en 2021. Le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation du coût total de l'AME, intégrant l'AME de droit commun et l'AME de soins urgents, supérieure à 15 % pour s'établir en 2021 à plus de 1 milliard d'euros, un niveau qu'elle n'avait encore jamais franchi.

Les fondamentaux de la dépense d'AME restent préoccupants. L'AME de droit commun continue de couvrir majoritairement des prestations hospitalières à hauteur de 66 % en 2019, contre seulement 34 % pour les soins de ville. Le recours des bénéficiaires aux soins de prévention demeure donc limité.

En outre, la dette de l'État à l'égard de l'assurance maladie au titre de l'AME de droit commun s'établit, en 2019, à 15 millions d'euros. S'ajoute à cela une dépense d'AME de soins urgents de 66 millions d'euros en 2019, qui reste de 26 millions d'euros supérieure à la contribution forfaitaire consentie par l'État, conduisant l'assurance maladie à prendre en charge le différentiel pour les hôpitaux.

Dans ces conditions, je plaide pour que l'intégralité de la dépense d'AME de soins urgents soit compensée par l'État dès lors qu'elle correspond à la prise en charge de frais de santé de personnes qui ne relèvent pas du régime général de la sécurité sociale.

L'an dernier, un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur la gestion de l'AME faisait état de détournements du dispositif et de la permanence de risques de fraudes et d'abus. Elle évoquait ainsi des cas caractérisés de tourisme médical et constatait une prévalence des naissances dans le cadre du dispositif des soins urgents et vitaux en 2018 suggérant une venue sur le territoire pour une prise en charge obstétricale.

À ces détournements s'ajoutent des fraudes et abus que les contrôles exercés par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), certes renforcés, peinent encore à endiguer : je pense, par exemple, aux fraudes à l'AME pour l'acquisition de produits psychotropes ou stupéfiants, ou à la problématique des multi-hébergeurs.

Face à ce constat préoccupant, les mesures introduites par le Gouvernement fin 2019 pour prévenir les risques de détournement du dispositif seront à mon sens insuffisantes. Elles comprennent le renforcement de la condition de résidence en situation irrégulière, le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes à un délai d'ancienneté dans le dispositif et l'obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-bénéficiaires. Ces conditions ont dû néanmoins être aménagées ou suspendues pendant la crise sanitaire.

Afin de réunir les conditions d'une maîtrise durable de la dépense d'AME, je vous proposerai en conséquence d'adopter un amendement visant à recentrer le panier de soins de l'AME sur les soins urgents, d'une part, et sur les soins de prévention, d'autre part. Les soins pris en charge par cette nouvelle aide médicale dite de « santé publique » incluraient ainsi : la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents, alignant de ce fait le périmètre des soins pris en charge sur ceux couverts par le dispositif équivalent en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens ; les soins liés à la grossesse et à ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Je suis, en outre, opposée à la réintroduction d'un droit de timbre pour l'accès à l'AME, qui pénaliserait l'accès aux soins de personnes dont la situation financière reste précaire. En contrepartie du recentrage du panier de soins de l'AME, je souhaite en effet lever les obstacles au recours aux soins, notamment de prévention.

Dans un souci de maximisation de l'accès des personnes en situation irrégulière aux soins et à la prévention, je vous propose ainsi de créer, au sein de la mission « Santé », un nouveau programme dédié au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à aller à la rencontre des personnes en situation irrégulière, afin de leur proposer des examens et de les sensibiliser sur la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention. Ce nouveau programme serait financé à hauteur de 10 millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins de la nouvelle aide médicale de santé publique.

Mes propositions entendent répondre à une réalité que j'ai moi-même pu mesurer sur le terrain, en tant que médecin : le dispositif de l'AME tend à être dénaturé par la persistance de comportements frauduleux, au détriment de personnes qui n'ont pas accès aux soins faute de connaître leurs droits ou par crainte de se faire connaître de l'administration. Cette situation qui nous invite au pragmatisme : combattre la fraude de façon déterminée tout en maximisant l'accès aux soins des plus vulnérables.

Telles sont mes observations sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2021. Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumets, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je félicite la rapporteure pour son rapport. Sur la question de l'AME, elle a su, grâce à son expérience de médecin et sa connaissance du territoire de la Seine-Saint-Denis, trouver un équilibre. L'AME est un sujet difficile : ses crédits augmentent, car le nombre de personnes éligibles s'accroît, mais il faut rappeler que ce dispositif est transitoire. Soit les personnes sont accueillies sur notre territoire et basculent dans un régime de droit commun, soit elles doivent être reconduites à la frontière.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie Annie Delmont-Koropoulis pour son rapport. La pandémie n'a eu qu'une faible incidence sur les crédits alloués à la mission, ce que je déplore. Le rapport évoque le transfert de Santé publique France à l'assurance maladie : il aurait fallu mobiliser les crédits de l'État.

Les crédits ne sont pas au rendez-vous. L'Oniam ne bénéficie pas de crédits supplémentaires, alors qu'il joue un rôle très important. Il en va de même par l'INCa. Le confinement a pourtant entraîné des retards de traitement en oncologie, avec des reports de chirurgies et de chimiothérapies.

S'agissant de l'AME, la rapporteure a trouvé une solution que nous n'approuvons pas. L'an dernier, nous nous étions opposés au durcissement des conditions d'accès à cette aide. Nous avions dénoncé une réforme contreproductive, injuste et inefficace. J'ai noté l'importance du volet prévention, mais nous ne sommes pas d'accord avec la notion de panier de soins, qui est une fausse bonne idée.

Nous voterons donc contre les crédits de la mission « Santé ».

Mme Florence Lassarade . - Comme médecin libéral, le panier de soins ne me convient pas. Lorsqu'un bénéficiaire de l'AME prend rendez-vous, nous ne connaissons pas la nature du problème médical qui justifie sa demande de consultation.

Mme Colette Mélot . - Je remercie la rapporteure pour son exposé. Le périmètre de la mission est limité puisque l'essentiel des mesures relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les propositions sur l'AME sont pragmatiques et équilibrées. Quant aux crédits du programme 204, ils sont en augmentation de 29 % en 2021.

Je voudrais attirer l'attention sur deux sujets : les ruptures de stocks des vaccins antigrippaux nous rappellent l'urgence du renforcement de nos politiques de prévention ; un retard de diagnostic de cancers a été observé pendant le premier confinement.

Mon groupe votera les crédits de la mission.

M. Jean Sol . - Je m'associe aux félicitations adressées à la rapporteure pour la qualité de son rapport. Je souscris à sa proposition sur l'AME.

Je suis consterné par la stagnation des moyens des CPP, alors même que ceux-ci ont été soumis à une intense charge de travail pour accompagner l'effort de recherche clinique déployé pendant la crise. Mme Buzyn s'était fortement engagée sur cette question, et il est regrettable que ses promesses n'aient pas été tenues : 34 CPP sur 39 ne fonctionnent qu'avec un ETP, ce qui va être un handicap pour poursuivre le travail engagé, notamment par le Sénat.

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis . - Madame Cohen, en ce qui concerne le programme 204, on peut se féliciter que le Sénat ait introduit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 le principe d'une compensation à l'euro près par l'État du transfert de Santé publique France à l'assurance maladie.

Nous regrettons que les crédits de l'INCa diminuent très légèrement. Nous pourrons entendre les représentants de l'INCa afin de savoir si les moyens sont réunis pour une future stratégie décennale de lutte contre le cancer.

Le recentrage du panier de soins s'articule autour de trois volets de prise en charge.

Le premier couvre toutes les situations susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital du patient ou de dégrader durablement son état de santé : ce sont les « maladies graves et les soins urgents ». Cela suppose de prendre en charge les affections aiguës, comme une appendicite, des fractures, des blessures graves. Seront également pris en charge la prévention et le traitement de pathologies graves : maladies infectieuses graves, maladies chroniques comme les cancers, l'insuffisance rénale et le diabète. Le deuxième concerne les soins liés à la grossesse et à la maternité.

Le troisième couvre les soins de prévention en garantissant l'accès aux vaccinations réglementaires et aux examens de prévention. Le dispositif des examens de prévention en santé mis en oeuvre par les 85 centres d'examen de santé pourrait être mobilisé pour permettre l'accès des bénéficiaires à l'aide médicale de santé publique, afin de bénéficier de consultations et d'examens adaptés à l'âge et aux facteurs de risque. Les examens de prévention en santé permettent de bénéficier de consultations en lien avec les problèmes d'addiction, de santé sexuelle, de troubles cardiovasculaires, de dépistage du cancer et de troubles psychologiques.

Madame Lassarade, la consultation facturée par un médecin sera payée par l'assurance maladie si le patient a une carte d'AME. Le médecin n'est pas le flic de service ! Nous avons, vous et moi, régulièrement fait des consultations gratuites. Si l'on a réduit le panier de soins, c'est pour limiter les fraudes des réseaux mafieux, qui utilisent les cartes d'AME de personnes qu'ils ont fait venir sur le sol français pour obtenir, via des consultations médicales, des ordonnances de médicaments onéreux, de psychotropes, de Subutex®, d'hormones de croissance, d'insuline, etc. Cette fraude se chiffre en dizaines de millions d'euros. Cette mesure fait partie des « fermetures de robinet » indispensables pour que nous puissions aider plutôt ceux qui ne vont pas vers le soin alors même qu'ils en ont besoin.

Madame Mélot, le confinement a donné lieu à des chutes dramatiques des vaccinations réglementaires. Il faut être vigilant sur l'hésitation vaccinale. L'adhésion de la population aux vaccins contre le covid-19 est un véritable enjeu. Il faut que le Gouvernement rassure les Français, et soit transparent sur les effets secondaires et les risques.

Monsieur Sol, un article additionnel a été intégré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 pour créer une contribution additionnelle sur le chiffre d'affaires des industries pharmaceutiques afin de dégager des moyens supplémentaires pour les CPP. Le montant devrait être de 3 millions d'euros.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 33

ÉTAT B

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis . - Dans un souci de maximisation de l'accès aux soins et à la prévention des bénéficiaires de l'aide médicale de santé publique, je vous propose un amendement qui crée, au sein de la mission « Santé », un programme dédié au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de démarches d' « aller vers », telles que des maraudes, des bus de prévention ou encore des barnums de dépistage, pour aller à la rencontre des personnes en situation irrégulière, leur proposer des examens et les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention. Le montant alloué à ce programme est de 10 millions d'euros.

Cet amendement est adopté.

Article additionnel après l'article 65

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis . - Mon amendement prévoit de remplacer l'AME de droit commun par une aide médicale dite de « santé publique » recentrée.

La prise en charge comprendrait : le traitement des maladies graves et les soins urgents, couvrant l'ensemble des situations susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital de la personne ou d'affecter durablement son état de santé ; les soins liés à la grossesse et ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Cet amendement maintient enfin les apports de la réforme introduite par le Gouvernement en loi de finances pour 2020 : clarification de la condition de résidence, obligation de comparution physique et, pour les soins non vitaux, délai d'ancienneté dans le dispositif et accord préalable de l'équipe de soins.

Cet amendement est adopté.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Le premier amendement est-il gagé sur le second ?

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteur pour avis . - Pour le premier amendement, il est prévu de transférer 10 millions d'euros du programme 183 vers ce nouveau programme.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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