N° 450

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mars 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République ,

Par M. Stéphane PIEDNOIR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3649 rect., 3797 et T.A. 565

Sénat :

369 et 448 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Le 16 mars 2021, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a examiné les articles du projet de loi confortant le respect des principes de la République qui lui ont été délégués par la commission des lois. Il s'agit des articles 1 er bis (formation des enseignants), 4 bis (délit d'entrave à l'enseignement), 19 ter (attestation délivrée aux élèves de compétences numériques) et le chapitre V relatif à l'éducation et aux sports, incluant les articles 21 à 25 bis (notamment instruction en famille, école privée, respect des principes de la République dans le sport).

À de nombreuses reprises, que ce soit à l'occasion de ses travaux sur les modalités d'ouverture des écoles hors contrat au moment de l'examen des dispositions de la loi dite « Gatel », ou d'amendements présentés dans le cadre du projet de loi pour une école de la confiance, la commission a montré sa volonté de préserver la liberté d'enseignement, dont l'enseignement privé est une composante essentielle 1 ( * ) , tout en luttant contre un détournement de cette liberté.

Alors même que la défense et la promotion des principes de la République lui semblent indispensables dans le contexte actuel, elle regrette l'orientation prise par ce texte qui jette, sans fondement objectif ou documenté, une suspicion généralisée sur l'instruction en famille et oublie des pans entiers d'actions.

À travers l'adoption de 58 amendements et sous-amendements, dont 28 du rapporteur, la commission a modifié le texte transmis par l'Assemblée nationale afin de répondre à trois objectifs :

- compléter le texte par des dispositions relatives à l'école publique et à l'université ;

- trouver un équilibre entre lutte contre le séparatisme et préservation de la liberté d'enseignement ;

- renforcer les dispositions relatives au sport, domaine dans lequel la prise de conscience de la nécessité d'agir pour renforcer le respect des principes de la République a été tardive.

I. UN TEXTE INABOUTI, DISPROPORTIONNÉ ET SUSCITANT DE NOMBREUSES INTERROGATIONS

A. AU NOM DU RENFORCEMENT DU RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE, UNE ATTEINTE DISPROPORTIONNÉE À LA LIBERTÉ DE RECOURIR À L'INSTRUCTION EN FAMILLE

1. La remise en cause du triptyque des modalités d'instruction existant depuis l'instauration de l'instruction obligatoire

Depuis 1882 et les lois Ferry, l'instruction obligatoire des enfants peut se faire par trois voies : l'école publique, l'école libre (école privée sous contrat ou hors contrat), ou l'instruction à domicile. Dans son discours aux Mureaux le 2 octobre dernier, le Président de la République annonçait vouloir strictement limiter l'instruction à domicile, notamment aux impératifs de santé. Il s'agissait selon lui de « l'une [des décisions] les plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 ».

Certes, le texte du projet de loi a été assoupli notamment à la suite de l'avis juridique du Conseil d'État. Toutefois, l'article 21 opère une profonde évolution de l'instruction à domicile. Il touche au principe même de l'organisation de l'instruction en instaurant pour la première fois depuis 1882 une hiérarchie entre les modalités de son organisation : tous les enfants de 3 à 16 ans doivent être scolarisés, l'instruction en famille étant reléguée à un mode d'organisation dérogatoire .

2. Le passage d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, source d'incertitudes

Le texte prévoit le passage d'un régime de déclaration, qui existe d'ailleurs pour d'autres libertés fondamentales, comme la liberté d'association ou l'ouverture d'un établissement d'enseignement privé, à un régime d'autorisation préalable . Certes, les critères pour recourir à l'instruction ont été élargis par rapport à l'intention initiale du Président de la République, à la suite de son examen en première lecture à l'Assemblée nationale. Ainsi, l'interdiction d'invoquer des convictions politiques, philosophiques ou religieuses par les personnes responsables de l'enfant pour justifier le recours à l'instruction en famille a été supprimée. Par ailleurs, le quatrième critère autorisant le recours à l'instruction en famille, à côté de l'état de santé de l'enfant ou son handicap, de l'itinérance de la famille ou l'éloignement géographique, et la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives, fait désormais référence à l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet pédagogique.

Toutefois, la mise en place d'un régime d'autorisation bouleverserait profondément l'organisation de l'instruction en famille : tant que cette dernière n'aura pas obtenu l'autorisation - l'administration disposant d'un délai de deux mois pour examiner le dossier -, il lui serait impossible d'instruire l'enfant à domicile. Celui-ci devrait être scolarisé jusqu'à obtention de l'autorisation. Pour votre rapporteur, le système proposé ouvre une période de flou , pouvant aller jusqu'à deux mois, voire plus si l'autorisation n'est pas accordée et que la famille dépose un recours, pendant lequel l'enfant fréquenterait une école qu'il est susceptible de quitter du jour au lendemain dès réception de l'autorisation.

En outre , le texte ne tire pas les conséquences de ce contrôle a priori des dossiers, qui s'ajoute au contrôle pédagogique obligatoire annuel : les familles devront solliciter chaque année une autorisation, avec un réexamen complet de leur dossier, ouvrant à chaque fois une période d'incertitude sur cette reconduction.

Enfin, la commission souligne les moyens importants qui devront être mobilisés chaque année au niveau académique pour examiner ces demandes d'autorisation, puis pour répondre aux demandes de recours, sans pour autant que ce nouveau système n'allège les contrôles a posteriori .

3. Une suspicion généralisée contre l'instruction en famille malgré l'absence de données reliant ce type d'instruction au séparatisme

Certes, le nombre d'enfants instruits en famille a connu une forte augmentation ces dernières années. Selon les chiffres transmis par le ministère de l'éducation nationale, on dénombrait lors de l ' année scolaire 2007-2008 13 500 enfants instruits en famille. Ils étaient à la rentrée 2020 un peu plus de 62 000 , cette augmentation étant principalement due au développement important du nombre d'élèves instruits hors classe CNED réglementée et correspondant à un libre choix des parents.

Au final, ce que traduit principalement ce texte, c'est une défiance de la part du Gouvernement à l'égard de l'instruction en famille, en dehors de tout lien prouvé entre instruction en famille et séparatisme .

En effet, le ministère n'ayant mené aucune étude sur ces enfants, l'étude d'impact associé au projet de loi s'avère particulièrement lacunaire sur le sujet .

Le lien entre séparatisme et instruction en famille - qui sous-tend la genèse de l'article 21 de ce projet de loi - vient du constat empirique de la présence d'enfants déclarés en instruction en famille dans trois écoles de fait découvertes en 2019 et 2020, créant ainsi un malheureux amalgame diffusé auprès de l'opinion publique .

Pour votre rapporteur, le dispositif proposé bouleverse de manière disproportionnée l'instruction en famille : en raison de l'existence de quelques cas de recours par séparatisme, l'ensemble des familles voient leur choix d'instruction fragilisé.

La commission est convaincue qu'il est possible d'atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement de conforter le respect des principes de la République, en conservant un système de déclaration . Pour cela, tous les enfants instruits en famille doivent faire l'objet d'un contrôle pédagogique annuel par les services de l'éducation nationale, comme le prévoit déjà la loi. Par ailleurs, les inspecteurs de l'éducation nationale ne disposent pas toujours de l'enquête réalisée par les services de la mairie, qui est pourtant un outil précieux pour disposer d'informations sur les conditions matérielles dans lesquelles est réalisée cette instruction.

La lutte contre le séparatisme est donc principalement une question de moyens et de pleine utilisation des outils offerts par le droit en vigueur .

Enfin, le passage à un régime d'autorisation n ' aura aucune conséquence pour les « enfants hors système » mentionnés par le Président de la République dans son discours d'octobre dernier. Les parents de ces enfants, qui aujourd'hui ne respectent pas l'obligation de déclaration au maire et à l'autorité académique de l'instruction en famille - alors même qu'aucune justification n'est demandée -, n'iront pas demain solliciter une autorisation.


* 1 DC n° 99-414 du 8 juillet 1999.

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