IV. LE VOLET RÉNOVATION DES BÂTIMENTS : REHAUSSER L'AMBITION, ACCOMPAGNER TOUS LES FRANÇAIS

Le chapitre I er du titre IV « Se loger » du projet de loi, soit vingt-six articles - du 39 au 45 quinquies , consacré à la rénovation des bâtiments, a été délégué à la commission des affaires économiques. C'est un enjeu central pour les Français en termes de lutte contre le dérèglement climatique et de renforcement de la résilience, mais peut-être surtout de pouvoir d'achat et de protection du logement et du foyer.

À cet aune et malgré de réelles avancées, le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale paraît en retrait par rapport aux objectifs que s'est fixés la France pour 2050 à travers la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) . En outre, il n'a pas encore trouvé son équilibre entre les nouvelles contraintes et les nécessaires mesures d'accompagnement, notamment au bénéfice des plus modestes.

A. UN PROJET DE LOI INSUFFISAMMENT AMBITIEUX AU REGARD DES ENJEUX ET DÉSÉQUILIBRÉ ENTRE CONTRAINTE ET INCITATION

1. La rénovation énergétique : un enjeu fondamental, des objectifs très ambitieux

La rénovation des bâtiments et singulièrement celle des logements présente deux enjeux principaux : un enjeu de pouvoir d'achat et un enjeu climatique . Le logement est le premier poste de dépense des ménages. Il est la cause de 27 % des émissions de gaz à effet de serre. Réussir la rénovation des logements, c'est réduire les factures, lutter contre la précarité énergétique, relancer notre économie à travers le secteur du bâtiment et, in fine , atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé : un parc de bâtiments basse consommation (BBC) en 2050.

Le défi est de taille, sur 29 millions de résidences principales, 1,9 million seulement sont classées A ou B selon le diagnostic de performance énergétique (DPE), soit 7 % du parc. À l'opposé, 4,8 millions de logements sont classés F et G, soit 17 % du parc. Ils sont qualifiés de « passoires thermiques ».

Enfin, les rénovations performantes , c'est-à-dire permettant d'atteindre les gains les plus élevés soit une division par quatre ou cinq de la facture énergétique, sont trop peu nombreuses . Selon le rapport de juillet 2020 du Haut Conseil pour le climat , entre 2014 et 2016, seules 87 000 maisons individuelles par an ont fait l'objet de rénovations permettant un saut d'au moins deux classes énergétiques. Le taux de rénovation globale serait de 0,2 %par an dans le résidentiel et le tertiaire sur la période 2012 à 2016.

Le rapport d'Olivier Sichel pour la rénovation des logements pointait qu'alors que plus de la moitié des passoires thermiques sont des maisons individuelles, seules 32 % d'entre elles ont fait l'objet de travaux de rénovation et, dans les trois quarts des cas, les travaux effectués n'ont pas eu d'impact sur l'étiquette énergétique du logement.

Ces données techniques ne doivent pas occulter la forte dimension sociale du sujet . 1,5 million de passoires thermiques, soit un tiers environ, sont occupées par des propriétaires à faible revenu. 11,6 % des Français consacraient en 2017 plus de 8 % de leurs revenus au paiement des factures d'énergie de leur logement. 36 % des ménages du parc social, 26 % des ménages du parc privé seraient en situation de précarité énergétique .

Pour faire face à ces défis, la France s'est fixé l'objectif dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) d'août 2015, d'un parc immobilier au niveau bâtiment basse consommation (BBC) d'ici 2050. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) adoptée dans le cadre de la LTECV vise une réduction des gaz à effet de serre de 49 % en 2030 par rapport à 2015 (28 % dans le secteur du bâtiment) et une décarbonation complète en 2050. Cela implique 500 000 rénovations de bâtiments par an .

2. Un projet de loi mélangeant avancées et recul

Le projet de loi propose trois avancées significatives afin de favoriser la rénovation énergétique : l'organisation d'un service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) et l'accompagnement des ménages vers des rénovations performantes, la création d'un prêt avance mutation garanti par l'État et celle d'un plan pluriannuel de travaux dans les copropriétés.

L'article 43 du projet de loi est consacré à conforter ce SPPEH qui était resté dépendant d'initiatives partielles ou locales. Il lui donne la mission d'accroître le nombre des rénovations et surtout d'encourager à des rénovations performantes et globales. Il fournit l'information et les conseils nécessaires aux ménages pour diminuer leur consommation d'énergie. Ce service public a aussi pour mission de mobiliser les professionnels du secteur, les acteurs locaux et les banques. Il doit en outre favoriser la montée en compétences de la filière. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) sera chargée, à la suite de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'animation de ce réseau de guichets qui pourra également s'appuyer sur les collectivités territoriales.

Le point le plus nouveau est sans doute qu'en application du rapport d'Olivier Sichel, l'article 43 crée une mission d'accompagnement des ménages en vue de la préparation, du financement et de la réalisation des travaux de rénovation énergétique. Ces opérateurs seront agréés par l'État. Ils doivent permettre de passer de rénovations geste par geste à des rénovations globales.

Néanmoins, beaucoup reste à préciser dans ces dispositions ajoutées au texte initial en cours de discussion parlementaire par amendement.

Le deuxième apport notable est la création du prêt avance mutation garanti par l'État qui figure à l'article 43 quater , lui aussi ajouté par amendement lors des débats en séance publique à l'Assemblée nationale. C'est une proposition d'Olivier Sichel qui constatait que 62 % des propriétaires de passoires thermiques ont plus de 60 ans et n'ont, de ce fait, pas accès au financement bancaire. Par ailleurs environ 20 % de ces ménages connaissent des difficultés financières qui les empêcheraient d'emprunter tout en conservant un reste à vivre suffisant. La solution à ce problème serait que l'État vienne apporter sa garantie à un prêt de long terme qui serait remboursé à l'occasion du décès des occupants ou de la vente du bien qui a été rénové, sachant que normalement celui-ci verra sa valeur s'accroître grâce à sa rénovation.

Le troisième apport important est la création du plan pluriannuel de travaux dans les copropriétés . C'est l'essentiel de l'article 44. L'idée avait été abandonnée in extremis dans le cadre de l'ordonnance du 30 octobre 2019 sur la copropriété. À l'époque, le projet d'imposer un plan de travaux d'une durée et d'une ampleur mal définies avait paru contraire au droit de propriété garanti par la Constitution. Le présent projet de loi contourne cette difficulté en ne rendant obligatoire que l'élaboration d'un projet qui sera soumis au vote des propriétaires quinze ans après l'édification de l'immeuble. L'objectif reste le même : permettre à la copropriété de se projeter dans les dix années suivantes et de programmer les travaux nécessaires au bon état de l'immeuble et, par là même, d'envisager les lourds travaux de rénovation énergétique.

À contrepied de ces avancées notables, le projet de loi s'inscrit en recul de l'ambition de décarbonation des bâtiments en 2050 . Alors que la nouvelle définition du DPE , prévue par la loi ELAN 8 ( * ) qui entrera en vigueur le 1 er juillet 2021, entérine d'ores et déjà un assouplissement des catégories les plus performantes, le texte de l'Assemblée nationale vient brouiller le message sur l'objectif de rénovation à atteindre à travers ses articles 39, 39 bis C et 39 ter .

Le nouveau DPE marque une évolution importante des seuils. Le plafond de la classe A passe de 50 à 70 kWh/m²/an, celui de la B de 90 à 110 et celui de la C de 150 à 180.

Dans ce nouveau contexte réglementaire, de nombreuses parties prenantes ont été surprises et choquées que l'article 39 bis C ne retienne plus comme objectif la référence à la rénovation des bâtiments au niveau BBC en 2050, que l'article 39 ter considère comme performantes des rénovations n'atteignant que la classe C et non plus les classes A et B. Ces deux évolutions importantes se concrétisant dans une troisième, certes symbolique mais significative, la transformation de la dénomination de la classe C en « assez » performante plutôt qu'en « moyennement » performante.

Ces évolutions reposent sur l'analyse selon laquelle la classe C serait suffisante pour atteindre les objectifs 2050. Mais la note de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) sur laquelle repose cette affirmation ne dit pas exactement cela. Elle indique que la rénovation des passoires thermiques au niveau A, B ou C permet d'atteindre l'objectif 2028, mais qu'à l'horizon 2050, cela ne permet que « d'approcher les objectifs du scénario de la SNBC [...] sans toutefois les atteindre » même si le « facteur 4 » était obtenu.

3. Un projet de loi déséquilibré entre contraintes et incitations

Le projet de loi paraît ensuite déséquilibré entre les nouvelles obligations qu'il édicte et la faiblesse des outils nouveaux qu'il propose.

En Allemagne, 380 milliards d'euros ont été investis dans la rénovation énergétique depuis 2006.

En France, hors plan de relance, l'effort national serait, selon le rapport Sichel, de l'ordre de 6 milliards d'euros par an entre aides publiques de l'État et des collectivités locales et certificats d'économie d'énergie (C2E).

Pour mémoire, le plan de relance a marqué une réelle, mais insuffisante inflexion en mobilisant 6,7 milliards d'euros sur deux ans pour la rénovation des bâtiments. 2 milliards sont destinés aux particuliers et 500 millions pour les bailleurs sociaux. Sur cette enveloppe, il faut saluer l'ouverture de MaPrimeRénov' aux propriétaires bailleurs et aux copropriétés.

Mais c'est un effort d'une autre dimension qui est nécessaire pour accompagner les Français au regard des obligations du projet de loi. À l'article 40, il impose un audit énergétique en cas de vente d'une maison individuelle classée E, F et G, c'est-à-dire un document qui indiquera le montant des travaux à réaliser et qui viendra vraisemblablement en déduction du prix. L'article 41 interdit l'augmentation des loyers des passoires thermiques, les logements F et G. L'article 42 fait basculer dans l'indécence et donc interdit la location des logements classés G en 2025, F en 2028 et E en 2034.

Cela implique un effort de rénovation aujourd'hui sans précédent de la part des propriétaires.

Dans le parc social, si les logements F et G sont peu nombreux, environ 7 %, les logements E représentent 805 000 logements, soit 20 %.

Les coûts seront considérables. L'Union sociale pour l'habitat (USH) qui fédère le mouvement HLM, estime ainsi qu'une rénovation d'un logement classé E s'élèverait en moyenne à 38 000 € en incluant pour partie l'atteinte des étiquettes les mieux-disantes.

De son côté, la FNAIM estime la rénovation du parc privé E, F et G au niveau de la classe D du DPE à 54 milliards d'euros pour un coût de rénovation compris entre 10 000 et 22 000 € par logement.

Face à ces enjeux financiers, l'absence réponse à la hauteur dans le projet de loi est incohérente.

Les bailleurs sociaux restent soumis à la Réduction de loyer de solidarité, la RLS, qui obère leurs capacités d'investissement d'1,3 milliard d'euros par an et le Gouvernement leur demande en outre de construire 250 000 logements en deux ans !

Du côté des bailleurs privés, l'équation reste sans solution. Les loyers sont encadrés, les locataires bénéficient des économies d'énergie et les propriétaires payent les travaux...


* 8 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

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