EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 10 NOVEMBRE 2021

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M. Laurent Lafon , président . - Chers collègues, nous nous retrouvons pour l'examen de trois avis budgétaires, et nous commençons par les crédits relatifs à la presse.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis des crédits du programme 180 « Presse et médias » . - La presse traverse dans notre pays une zone de turbulence qui se prolonge et s'étire. Elle a perdu plus de 60 % de ses recettes depuis 2000, et peu d'autres secteurs ont eu à souffrir autant sur cette période.

Dans ce contexte général sinistré, la pandémie a constitué un nouveau drame, mais aussi et de façon paradoxale, une chance. Un drame parce que la crise s'est traduite par un effondrement de près de 20 % des recettes publicitaires et la mise à l'arrêt des activités annexes comme l'événementiel.

Cependant, elle a aussi représenté une chance puisque nos concitoyens ont pu mesurer l'importance et la valeur d'une information fiable, vérifiée de manière professionnelle. Ainsi, selon le baromètre annuel de la société Kantar, la crédibilité de la presse écrite a augmenté de deux points en 2021. Si le niveau de 48 % reste insatisfaisant, il révèle toutefois une progression à l'oeuvre ces deux dernières années, pour la première fois depuis longtemps.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont apporté un soutien important et unanimement salué par la profession. La presse écrite a ainsi bénéficié d'aides s'élevant à 425 millions d'euros en 2022, répartis entre dotations et dépenses fiscales.

En outre, la presse a bénéficié de 166 millions d'euros d'aides en 2020, et d'un plan de relance de 140 millions d'euros en 2021 et 2022. En trois ans et en complément des crédits budgétaires habituels, 326 millions d'euros ont donc été versés.

En 2022, sur le programme qui nous rassemble aujourd'hui, on observe une hausse des crédits de 50 %, qui est cependant largement le résultat d'un effet d'optique, puisqu'elle est causée par le transfert des crédits utilisés pour compenser la mission de service public de La Poste, dans le cadre de la réforme du postage et du portage. Son premier effet est d'ailleurs paradoxalement de diminuer les crédits budgétaires en 2022, mais une hausse est prévue en 2023.

Par ailleurs, les crédits de l'Agence France-Presse (AFP) restent stables, et le fonds destiné aux radios associatives augmente de 1,1 million d'euros, après une hausse de 1,25 million en 2021, pour répondre à la diminution des recettes publicitaires de ces acteurs fragiles, et à la progression du nombre de radios éligibles.

Il me faut à ce stade lever un malentendu persistant : la vocation des aides à la presse n'est pas de soutenir à bout de bras un secteur connaissant un irrésistible déclin, erreur ruineuse déjà commise avec Presstalis. Je voudrais aussi rappeler que nous croyons tous ici au futur de la presse, qui a été très rentable pendant la majeure partie de son histoire.

Les aides sont une contrepartie normale pour la place essentielle qu'occupe une presse diversifiée et pluraliste dans le débat public et le fonctionnement de nos démocraties. Par ailleurs, ces soutiens ont pour vocation première d'accompagner la presse vers un modèle économique viable et ambitieux. Or, la cause première des difficultés rencontrées par les publications reste l'irruption du numérique, qui a bien failli emporter la musique et menace aujourd'hui le cinéma. Il appartient donc aux pouvoirs publics de s'emparer de ce sujet, comme nous l'avons fait dans cette commission, à l'initiative de David Assouline, sur le sujet des droits voisins.

Cette mise au point faite, je voudrais revenir sur la façon dont le Gouvernement accompagne la presse. Tout d'abord, dans le secteur de la distribution, il s'agit de solder les comptes très lourds laissés par Presstalis, désormais « France Messagerie », et mettre ainsi fin à un interminable feuilleton. Le plan d'aide prévoit encore 80 millions d'euros de l'État pour 2020 et 2021, et 47 millions d'euros supplémentaires doivent provenir des éditeurs. Je ne voudrais pas me montrer trop optimiste, mais la nouvelle société est d'une taille bien plus modeste - 269 salariés contre 1 069 au moment de la faillite -, et ne présente plus de réel risque systémique.

Cependant, je voudrais relever deux sujets de préoccupation. D'abord, une lutte continue d'opposer les messageries lyonnaises de presse (MLP) et France Messagerie sur la distribution hors quotidien, et cette concurrence se traduit par des barèmes touffus, des négociations sans fin avec l'Autorité des régulations des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), et ne profite à personne dans un secteur déclinant.

L'assortiment constitue un second sujet de préoccupation. L'une des dispositions essentielles de la loi de modernisation de la distribution permettait aux marchands de choisir en partie les titres qu'ils proposent, pour éviter l'effet désastreux sur la clientèle des cartons éventrés et des étalages trop fournis. Plus de deux ans après la promulgation de cette loi, rien n'est encore fait. Certes, la crise sanitaire a frappé, mais le vrai sujet demeure l'existence d'un système informatique qui était déjà antédiluvien il y a dix ans. Je suis donc un peu sceptique quand j'entends que tout sera prêt pour le mois de juin ; ce serait un réel exploit !

Par ailleurs, il s'agira de se montrer vigilant quant à la réforme du postage et du portage. Le projet des ministres de la culture et de l'économie, présenté en septembre, consiste à optimiser les réseaux de portage, possédés la plupart du temps par la presse locale, en leur confiant la distribution, partout où cela est possible, de toutes les publications nationales aux abonnés. Pour ce faire, les tarifs postaux très avantageux de la presse d'information politique et générale (IPG) seraient supprimés dans les zones dites « denses », qui concentrent un peu plus de la moitié des volumes. Une aide à l'exemplaire porté, calculée de manière à être neutre financièrement, serait instituée à la place.

Cette réforme me semble présenter trois avantages. Tout d'abord, elle permet de sortir par le haut de l'éternel débat sur la compensation versée à la Poste, qui affiche un déficit sur la presse de 186 millions d'euros. De plus, si elle est menée comme prévu - ce à quoi nous veillerons, elle offrira aux éditeurs une visibilité tarifaire sur les six prochaines années. Enfin, elle permettra de mieux utiliser des réseaux de portage performants, qui devront cependant accepter de s'ouvrir à d'autres publications. Tel est d'ailleurs le principal défi de l'année 2022 : passer d'une culture de l'exclusivité à une culture de l'ouverture ; la rationalité économique le réclame. Dans l'ensemble, je suis convaincu par cette réforme qui permet, à enveloppe équivalente, de créer un système d'incitation au portage plus judicieux et efficace.

Par ailleurs, il faudra être vigilant au sujet des droits voisins. Le constat est implacable : plus de deux ans après la promulgation de la loi, rien n'a été versé aux éditeurs, mais beaucoup aux avocats. Notre commission y a consacré deux auditions cette année, qui ont démontré le manque d'unité de la profession et la multiplication des manoeuvres dilatoires de Google, qui abuse de subterfuges juridiques pour retarder l'échéance, voire y échapper. Heureusement, la décision de l'Autorité de la concurrence, enfin rendue le 13 juillet 2021, a été d'une sévérité exemplaire en sanctionnant Google à hauteur de 500 millions d'euros et en lui ordonnant de mener des négociations sous peine d'astreintes. J'ai interrogé hier Mme la ministre Roselyne Bachelot au sujet des droits voisins, lors de son audition devant la commission, mais elle m'a renvoyé vers Bercy. Les échos sur les négociations en cours ne sont pas tous très rassurants, même si je note avec satisfaction la conclusion d'un accord entre la presse IPG et Facebook, et la création d'un nouvel organisme de gestion collective (OGC) pour l'ensemble de la presse - à l'exception, cela ne surprendra personne, de la presse IPG... Plus de deux ans après l'adoption de la loi, il est plus que temps que les entreprises se soumettent enfin à la règle de droit.

Un dernier sujet a fait son apparition récemment : la hausse du prix des matières premières, qui frappe la presse écrite comme de nombreux secteurs. Selon mes informations, on observe depuis janvier 2021 des hausses de prix de 25 à 30 % pour le papier et de 50 % pour les emballages. Au-delà de l'augmentation tarifaire, la disponibilité même du papier pose question et inquiète. En effet, une part importante de la matière collectée et triée est aujourd'hui redirigée vers la fabrication de cartons d'emballage, au détriment de l'économie circulaire du papier graphique, pour laquelle les éditeurs de presse acquittent pourtant une éco-contribution.

S'il est difficile pour les pouvoirs publics d'intervenir pour orienter les prix du marché, la question d'un soutien rapide et temporaire pourrait se poser, d'autant que la presse se retrouve une nouvelle fois victime du succès des plateformes de l'Internet, qui ont popularisé la livraison à domicile et la production de carton au détriment du papier.

Au vu de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la presse pour 2022.

M. Max Brisson . - Notre groupe partage les conclusions de notre rapporteur, dont l'expertise sur le sujet est connue et remarquable ! La presse fait en effet partie de ces filières dont les problématiques structurelles ont été accentuées par la crise sanitaire, à cause de l'érosion de ses deux principales sources de revenus : la vente des journaux papier et les recettes publicitaires. Il était donc important que l'État poursuive son effort financier, non pour tenir à bout de bras une filière en difficulté mais bien pour tenter de maintenir et de faire vivre le pluralisme de l'information.

Le plan repose cette année encore sur plusieurs dispositifs, dont l'aide au transport postal, le plan de relance pour 50 millions d'euros et les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui, à hauteur de 179 millions d'euros.

Certes, nous constatons une forte augmentation des aides à la presse grâce aux 62 millions d'euros de transfert de crédits pour la réforme de la distribution de la presse, qui traduit les recommandations du rapport d'Emmanuel Giannesini. Cette réforme concerne la presse dite « abonnée », vise à stabiliser les tarifs postaux pour l'ensemble des titres et à inciter les éditeurs à recourir davantage au portage. Néanmoins, nous serons attentifs à sa mise en oeuvre. Nous serons également vigilants quant aux résultats de l'évaluation qui suivra la diminution de l'aide à l'exemplaire posté en zone dense à partir de 2024.

Les aides liées à la crise sanitaire sont également reconduites, notamment l'aide au pluralisme des services de presse en ligne, qui permet d'accompagner la recherche de nouveaux modèles économiques, ainsi que les crédits du plan de relance. De même, le crédit d'impôt adopté en juillet 2020 pour le premier abonnement souscrit à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne IPG est reconduit, ce qui est positif, même si l'on peut regretter une communication insuffisante sur cette disposition.

Je serai moins positif sur la situation des territoires ultramarins, dont vous n'avez pas parlé cher collègue, et dont les crédits de 2 millions d'euros sont certes reconduits mais ne résoudront pas toutes les difficultés rencontrées, tant la diffusion de la presse y subit des contraintes lourdes, notamment en termes d'acheminement et de stockage du papier.

Malgré cette réserve importante, notre groupe sera favorable au vote des crédits consacrés à la presse parce qu'ils viennent protéger différents acteurs du secteur, garantissant ainsi le maintien du pluralisme et de la qualité de l'information dans notre pays.

M. Jérémy Bacchi . - Je commencerai par saluer la stabilité plutôt encourageante des crédits de l'AFP.

Néanmoins, la diffusion de la presse connaît une mutation et cela crée des inquiétudes pour un certains nombres de petits journaux à travers le pays, qui ont le sentiment de perdre la maîtrise de la distribution.

De plus, on observe une légère baisse de l'aide au pluralisme, d'1,22 million d'euros. Il s'agit peut-être d'une stabilisation des crédits, certains journaux ayant disparu pendant la crise sanitaire. Cependant, dans une année d'élections présidentielles, cette aide méritait d'être substantielle, d'autant qu'un certain nombre de journaux sont en grande difficulté, notamment, vous l'avez mentionné, à cause de l'explosion du prix du papier et de la raréfaction de cette ressource. Le seul apport au pluralisme réside dans les 60 millions d'euros pérennisés au titre du crédit d'impôt pour le premier abonnement.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote.

Mme Monique de Marco . - La presse a été confrontée à plusieurs crises et a connu une baisse des ventes de 40 % depuis 2007, et ce phénomène tend à s'accélérer. Par ailleurs, le nombre de marchands de journaux est aussi en forte diminution.

Nous tenons à saluer le soutien d'un secteur en difficulté, mais le régime des aides à la presse mériterait une réforme en profondeur, davantage de transparence, d'équité entre les médias, et de contreparties, notamment sur l'emploi et l'indépendance des journalistes. En effet, certains titres sont aujourd'hui subventionnés alors qu'ils appartiennent à des grands groupes, que des licenciements ont cours dans les rédactions et que les conditions dans lesquelles l'information y est produite se dégradent. Les aides à la presse pourraient servir de levier pour lutter contre la concentration des médias et renforcer leur indépendance par rapport au pouvoir économique.

J'aimerais enfin poser une question de fonctionnement : la question des radios est-elle incluse dans ce programme ?

Et pour conclure, malgré la qualité du rapport, nous nous abstiendrons lors du vote.

M. Pierre-Antoine Levi . - Nous avons la chance d'avoir un État qui protège le pluralisme de la presse. Vous avez rappelé l'aide massive qu'il fournit, l'augmentation du budget, ainsi que la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour un premier abonnement, qui permettra une démocratisation plus grande encore de l'accès à la presse.

Sur les tarifs postaux bonifiés, il faudra peut-être s'interroger sur le maintien de cette disposition pour certains journaux qui ne respectent pas les valeurs républicaines.

Par ailleurs, je salue l'augmentation des crédits pour le fonds de soutien et l'expression radiophonique locale d'1 million d'euros, pour accompagner le passage vers la norme digital audio broadcasting (DAB+) pour les radios locales et associatives. Enfin, le soutien à Medi 1, radio francophone du Maroc, semble très positif, surtout dans un contexte où le besoin de compréhension interculturelle est important.

Le groupe Union Centriste suivra donc l'avis du rapporteur.

M. David Assouline . - On observe une très forte hausse de l'aide à la diffusion, qui aurait pu nous inciter à voter en faveur des crédits.

Cependant, deux lignes sont en baisse : celle de l'aide au pluralisme et celle de la modernisation. Or, le pluralisme est l'enjeu majeur pour la presse, à l'heure des concentrations, qui tuent cette diversité sur le territoire. La multiplicité de titres crée une illusion de pluralisme, mais les lignes éditoriales sont similaires et, de fait, les mêmes cinq ou six banques et assurances contrôlent presque toute la presse quotidienne régionale (PQR).

Par ailleurs, la modernisation est l'outil essentiel pour traverser ce moment de révolution technologique, qui a en grande partie tué la presse papier. Ces baisses sont mal venues, ou pour le moins maladroites. Nous nous abstiendrons donc lors du vote.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis . - Pour répondre à Monique de Marco, nous traitons bien des questions liées aux radios, mais seulement associatives. Depuis l'an dernier celles-ci sont aidées et les aides ont été maintenues cette année, ce qui est très positif.

Pour rassurer Max Brisson, la presse ultramarine fait bien partie intégrante du rapport, mais il m'était difficile d'évoquer tous les sujets dans ma présentation. Je précise toutefois que l'aide à la presse a été renforcée dans les outre-mer l'an dernier, et qu'elle est maintenue en 2022.

L'aide au pluralisme est effectivement au coeur du rôle que nous avons à jouer en examinant ce budget. Néanmoins, il nous faut aussi être vigilants sur la réforme du postage et du portage, qui représente une grande nouveauté dans ce budget, et sur les résultats de laquelle nous nous montrerons attentifs l'an prochain. Elle devrait en tout cas être efficace car les grands problèmes rencontrés dans la distribution ne le sont pas au niveau régional ni local, mais national. Ma seule inquiétude demeure la course au tarif à laquelle se livrent les deux messageries.

Je finirai en rappelant qu'un nouveau défi attend la presse : celui de la pénurie et du prix du papier. J'ai également interrogé à ce sujet Mme la ministre hier, qui m'a renvoyé vers ses collègues du Gouvernement.

M. Laurent Lafon , président . - Je remercie Michel Laugier pour la qualité de son rapport et mets son avis aux voix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias» de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2022.

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