III. DANS L'ATTENTE DE LA RÉFORME DES AIDES DIRECTES À LA PRESSE

 

Les aides à la presse sont concentrées en totalité sur la presse d'information politique et générale.

Chacune de ses trois composantes présente des spécificités :

Ø les aides à la diffusion (114,7 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 42,8 millions d'euros de compensation versés à La Poste, soit 157,5 millions en 2024) regroupent les crédits de l'aide au portage et au postage. Les deux dernières années ont été mises à profit pour mettre en oeuvre une réforme d'ampleur, dite « réforme Giannesini », du nom de l'auteur de la mission qui a conduit à cette évolution ;

Ø les aides au pluralisme (25,9 millions d'euros en 2024), décomposées en six enveloppes distinctes ;

Des aides très concentrées

Ces aides sont caractérisées par leur extrême concentration. Ainsi, la première enveloppe, destinée aux quotidiens d'information politique et générale (IPG) nationaux à faibles ressources publicitaires, a été dotée de 11 millions d'euros en 2022, que se sont répartis cinq titres, dont trois qui reçoivent plus de 3 millions d'euros. 7 titres parmi les 52 titres se partagent plus de la moitié des 4 millions d'euros de l'aide aux publications nationales (hors quotidiens) à faibles ressources publicitaires.

Ø enfin, les aides à la modernisation (55,13 millions d'euros). La moitié de l'enveloppe, soit 27,85 millions d'euros, correspond à la dotation versée à France Messagerie pour la distribution des quotidiens IPG. Cette aide, stable depuis 2022, devrait s'éteindre, au moins à ce niveau, en 2025, avec la fin des engagements de l'État. Les crédits libérés devraient logiquement à cette échéance être réaffectés au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), qui se trouve ponctionné depuis trois ans.

Les aides directes à la presse représentent, hors dépenses fiscales, plus de 20 % du chiffre d'affaires de la presse IPG.

Les six quotidiens qui reçoivent le plus d'aides

Titres

Aides directes

Aides à la distribution

Total

Aujourd'hui en France

56 986

12 137 302

12 194 288

Le Figaro

892 524

4 997 739

5 890 263

Le Monde

1 183 393

4 654 214

5 837 607

La Croix

5 315 201

339 963

5 655 164

Libération

3 862 413

1 526 879

5 389 292

L'Humanité

3 364 388

517 764

3 882 152

Les aides à la presse sont souvent perçues comme opaques, en dépit des efforts de transparence avec la mise en ligne de la totalité des titres aidés6(*) et complexes, car résultant d'un empilement de dispositifs ad hoc. Il en résulte un procès en illégitimité souvent entendu, qui amplifie la méfiance dont les médias font l'objet dans une partie de l'opinion publique. Il faut par ailleurs relever le paradoxe de montants d'aides inchangés sur une longue période, alors même que la diffusion papier diminue constamment depuis plus de 10 ans. La vente au numéro de la presse quotidienne nationale a été divisée par plus de deux entre 2019 et 2022, et la presse quotidienne régionale sur la même période de plus d'un quart.

La ministre de la culture a indiqué lors de son audition devant la commission le 24 octobre dernier son intention de lancer le vaste chantier de la réforme de ces aides. Les conclusions des États généraux de l'information (voir infra) seront certainement attendues pour déterminer une orientation qui reste à ce stade largement à définir. En effet, si on se place dans l'hypothèse réaliste de moyens constants, une réforme générera des gagnants, mais également des perdants. Or le sujet est presque existentiel pour les publications les plus dépendantes de ces aides.

En mettant de côté les aides au portage et au postage, qui viennent de faire l'objet d'une réforme ambitieuse, et la question traitée en infra de France Messagerie, le rapporteur souhaite poser trois grands principes qui pourraient guider la réforme :

ü assurer une meilleure conditionnalité des aides. La commission d'enquête sur la concentration des médias précitée avait proposé à l'unanimité, d'une part7(*), de réviser les conditions d'octroi des aides au pluralisme et à la modernisation en prenant en compte la situation financière des groupes auxquels le titre appartient, d'autre part8(*), d'accorder une bonification aux titres respectant de manière volontaire certains critères permettant de mieux assurer l'indépendance des rédactions. Cette piste doit être explorée pour limiter les procès trop régulièrement tenus d'une « presse des milliardaires » ;

ü donner toute sa place à la presse numérique. Le fait que l'essentiel des aides soutient la distribution et la diffusion fait mécaniquement baisser la part des crédits à laquelle les titres numériques peuvent prétendre. Ainsi, seule une enveloppe spécifique de 4 millions d'euros leur est réservée, soit 15 % des aides au pluralisme et 1,7 % de l'ensemble. La ponction des crédits du FSDP a également handicapé le développement des acteurs du numérique, ce qui est paradoxal à une époque où ce mode de lecture est devenu dominant ;

ü réfléchir enfin à la place des aides à la distribution, qui représentent encore les deux tiers de l'enveloppe globale.

Le rapporteur estime que cette réforme, d'ampleur budgétaire finalement limitée, s'inscrit pleinement dans la restauration d'un contrat de confiance entre les titres et leurs lecteurs, et doit être menée dans les deux années qui viennent.


* 4 https://www.senat.fr/rap/r20-692/r20-692.html

* 5 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commissions-denquete/commission-denquete-concentration-des-medias-en-france.html

* 6  https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/aides-a-la-presse-classement-des-titres-de-presse-aides/#:~:text=En%202022%2C%20le%20minist%C3%A8re%20de,les%20aides%20%C3%A0%20l%27investissement.

Partager cette page