N° 610
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 mai 2025
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des finances (1) sur le projet
de loi de programmation
pour la
refondation de Mayotte
(procédure accélérée),
Par MM. Georges PATIENT et Stéphane FOUASSIN,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de :
M. Claude Raynal, président ;
M. Jean-François Husson, rapporteur général
; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel
Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de
Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli,
vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu,
Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé
Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin,
Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée,
MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent
Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin,
Mme Nathalie Goulet,
MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric
Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine
Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon,
Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges
Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée,
MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet,
M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
544 et 609 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné le 13 mai 2025 le rapport pour avis de MM. Georges Patient et Stéphane Fouassin sur le projet de loi n° 544 (2024-2025) de programmation pour la refondation de Mayotte.
Le texte a été envoyé à la commission des lois du Sénat, qui a délégué à la commission des finances l'examen au fond de l'article 22. La commission des finances s'est également saisie pour avis des articles 1er, 9, 23, 26 et 27.
La commission des finances a adopté l'article 22, modifié par un amendement rédactionnel COM-11.
La commission des finances a émis un avis favorable sur les articles 1er, 9, 23, 26 et 27.
La commission considère toutefois que la programmation des investissements, prévue dans le rapport annexé dont l'approbation est prévue à l'article 1er du projet de loi, devrait être davantage précisée par le Gouvernement au cours de la navette.
I. DÉPARTEMENT DÉJÀ TRÈS EN DIFFICULTÉ, MAYOTTE RENCONTRE DES BESOINS CONSIDÉRABLES EN INVESTISSEMENTS APRÈS LES RÉCENTS PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES
Le département de Mayotte est déjà le département le plus pauvre de France, puisque 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage s'élève à 42 % de la population. Par ailleurs, l'extrême jeunesse de la population (53,8 % des habitants de Mayotte ont moins de 20 ans) implique des besoins forts en termes de formation et d'infrastructures scolaires.
Les dégâts considérables causés par le passage du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi en décembre 2024 ont renforcé les difficultés subies par le territoire mahorais.
Une mission inter-inspection estime à |
et à |
Seuls |
le coût des dégâts causés par les catastrophes de décembre 2024, |
la perte d'activité économique. |
des logements n'ont pas été endommagés, alors que 33 % ont été totalement détruits. |
Après le projet de loi d'urgence adopté le 24 février 2025 pour Mayotte, des mesures structurelles permettant la refondation du territoire mahorais sont proposées par le présent projet de loi.
II. UNE INFORMATION INSUFFISANTE DU PARLEMENT SUR LES INVESTISSEMENTS PROGRAMMÉS PAR L'ÉTAT
L'article 1er prévoit l'approbation du rapport annexé, qui programme des investissements à Mayotte pour la période 2025-2031 à hauteur de 3,176 milliards d'euros.
Typologie des investissements prévus à Mayotte entre 2025 et 2031
(en pourcentage)
Source : commission des finances d'après le rapport annexé
Ainsi, près de 1,2 milliard d'euros seront consacrés à la construction d'un nouvel aéroport à Grande-Terre, soit 37 % des investissements prévus. Le site de Bouyouni a été préféré à l'allongement de la piste existante à l'aéroport de Petite-Terre, en raison des contraintes sismiques et des risques d'élévation du niveau de l'eau. La construction du nouvel aéroport ne serait toutefois achevée qu'en 2036.
La gestion de l'eau et de l'assainissement mobilisera 730 millions d'euros, en vue de la construction notamment d'une deuxième usine de dessalement et d'une troisième retenue collinaire. Aujourd'hui, près de 30 % de la population mahoraise n'a pas accès à l'eau potable, justifiant la pertinence de ces investissements1(*).
Les investissements dans le système judiciaire représentent un montant total de 430 millions d'euros. La construction d'un deuxième hôpital, ainsi que la modernisation de l'hôpital existant à Mamoudzou, sont budgétisées à hauteur de 407 millions d'euros.
Le déploiement de la fibre (50 millions d'euros), le renforcement du dispositif de surveillance et d'interception aérien (52 millions d'euros), le développement du traitement des déchets (27 millions d'euros) constituent les autres axes de la programmation budgétaire de Mayotte.
Toutefois, comme le relève le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le projet de loi de programmation, certains dispositifs ne sont pas explicitement budgétisés. En particulier, la convergence des droits sociaux, prévue à l'article 15 du présent projet de loi, représentera un coût significatif pour les finances publiques.
La prise en charge des dégâts causés spécifiquement par les catastrophes naturelles de décembre 2024 n'est pas non plus traitée dans le rapport annexé.
Les investissements présentés dans le rapport annexé étaient pour l'essentiel déjà prévus avant la survenance des événements météorologiques.
Ainsi, le plan eau-Mayotte comprenait déjà les financements prévus pour le système de gestion de l'eau, les subventions de l'aéroport ont déjà fait l'objet d'annonces en 2019 et le déploiement de la fibre optique est en cours sur le territoire mahorais.
Enfin, aucune programmation annuelle des investissements n'est présentée, alors qu'il s'agit d'un élément important pour éclairer le vote des Parlementaires.
Les rapporteurs appellent le Gouvernement à présenter devant le Parlement la consommation annuelle envisagée des investissements programmés.
L'article 26 étend le bénéfice du passeport pour la mobilité des études (PME) aux lycéens de Mayotte, lorsque la filière d'enseignement souhaitée est indisponible localement. Cette mesure est profitable pour les élèves mahorais, qui n'ont pas accès à la même offre de formation notamment en lycée professionnel que les hexagonaux. La commission des finances appelle toutefois le Gouvernement à véritablement mettre en oeuvre ces dispositifs, tout comme les nouveaux « passeports pour la mobilité » votés en 2024 et dont le décret d'application n'a toujours pas été pris.
L'article 27 prévoit la création d'un fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP) spécifique à Mayotte, en remplacement du fonds en vigueur, supprimé à l'échelle nationale à compter de la rentrée 2025. Au vu de la jeunesse de la population mahoraise et du manque d'infrastructures scolaires pour les accueillir, quand plus de la moitié des enfants mahorais n'a accès à l'école que par demi-journées, un soutien à leurs activités périscolaires paraît indispensable.
III. DES MESURES DE SOUTIEN FISCAL À L'ÉCONOMIE MAHORAISE PERTINENTES
A. L'EXTENSION DE LA ZONE FRANCHE GLOBALE, UN DISPOSITIF QUI A FAIT SES PREUVES
L'article 22 étend le dispositif de zone franche globale pour une durée de cinq ans à Mayotte, portant à 100 % les taux d'abattement de l'impôt sur les sociétés (IS) ou de l'impôt sur le revenu (IR) payé par les entreprises et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), sachant que le taux d'abattement pour la cotisation foncière des entreprises (CFE) est déjà de 100 %. Ce régime fiscal très favorable serait applicable à pratiquement l'ensemble des secteurs d'activité, incluant notamment les activités libérales, le secteur du commerce, de l'éducation et de la santé.
Nombre de PME, TPE et grandes entreprises
et
chiffre d'affaires à Mayotte en 2022
Note : TPE signifie « très petites entreprises », PME « petites et moyennes entreprises » et ETI « entreprises de taille intermédiaire ».
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la direction de la législation fiscale
Cette réduction d'impôt s'applique aux TPE et aux PME, soit 99,7 % des entreprises présentes sur le territoire.
Cette révision de la zone franche globale, bien ciblée, permet d'exonérer les entreprises mahoraises de 18 millions d'euros d'impôts.
B. LE ZONAGE DE TOUTES LES COMMUNES DE MAYOTTE EN QUARTIERS PRIORITAIRES DE LA POLITIQUE DE LA VILLE (QPV), UN DISPOSITIF À LA PORTÉE LIMITÉE
L'article 23 prévoit le zonage de toutes les communes de Mayotte en QPV, pour une durée de cinq ans, alors que le zonage des QPV en outre-mer a été actualisé au 1er janvier 2025. Près de 75 % de la population mahoraise habite déjà dans un QPV. Par ailleurs, l'essentiel des aides fiscales associées au zonage en QPV est compris dans le dispositif de la zone franche d'activité globale à Mayotte.
Toutefois, le zonage d'un territoire en QPV permet de dégager des crédits budgétaires associés à la politique de la ville et de faciliter la mise en oeuvre de certaines politiques, comme les cités éducatives. Si un tel dispositif se justifie, il a néanmoins une portée limitée.
IV. LE CONDITIONNEMENT DE LA TRANSMISSION DE FONDS À LA VÉRIFICATION DE LA RÉGULARITÉ DU TITRE DE SÉJOUR, UNE MESURE DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION ILLÉGALE
L'article 9 conditionne les transmissions de fonds, soit les transferts d'argent liquide vers l'étranger, émis depuis le département de Mayotte, à la vérification préalable de la régularité du titre de séjour du client par les établissements financiers.
L'un des objectifs de cette mesure est de lutter contre le blanchiment de capitaux, et notamment contre le financement des filières illégales de passeurs en provenance des Comores. Si les risques de blanchiment sont en effet élevés avec des espèces, l'efficience de ce dispositif n'est pas avérée compte tenu de la difficulté à identifier les flux de capitaux.
Par ailleurs, cette mesure relève essentiellement d'un objectif de lutte contre l'immigration illégale et le rôle des banques n'est pas de suppléer l'État dans ses missions régaliennes.
La situation spécifique à Mayotte justifie l'adoption de l'article 9, dont les dispositions doivent rester circonscrites à ce territoire.
* 1 Voir le rapport d'information n° 440 pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en outre-mer, de MM. Georges Patient et Stéphane Fouassin (mars 2025).