B. AFFINER LA DOCTRINE DE PARTICIPATION DE L'ÉTAT DANS L'INDUSTRIE ET L'ARTICULATION AVEC LES AUTRES INVESTISSEURS

1. Une articulation avec les autres investisseurs publics à clarifier, notamment dans l'industrie

Comme les années précédentes, la rapporteure a tenu à interroger l'articulation des doctrines d'investissement de l'APE et de Bpifrance, banque d'investissement publique dont l'État détient directement sous gestion de l'APE 49,2 %, et 98,4 % avec la Caisse des Dépôts.

Cette articulation est théoriquement claire. Le plan stratégique de Bpifrance est d'ailleurs validé avec l'APE, et le commissaire aux participations de l'État siège au conseil d'administration de Bpifrance, ainsi qu'au comité des investissements, dont l'aval est nécessaire pour les investissements significatifs. Tandis que l'APE a vocation à se concentrer sur des secteurs de souveraineté, qui ont une relation particulière avec l'État, et à investir dans de grandes entreprises, dans une position d'actionnaire majoritaire ou de référence à long, voire très long terme, Bpifrance se concentre sur le financement de l'innovation ou l'investissement dans des startups, avec une position d'actionnaire minoritaire et un horizon de sortie à court-moyen terme, défini dès le stade de l'investissement.

Plus capillaire que l'APE, Bpifrance investit ainsi dans une centaine d'entreprises par an, y compris des petites et moyennes entreprises (PME) ou entreprises de taille intermédiaire (ETI), et gère un portefeuille d'environ 750 participations (quasiment 10 fois plus que l'APE).

Le rachat par l'État des participations de Bpifrance dans Eutelsat, pour s'assurer du contrôle sur un actif devenu stratégique après le déploiement des constellations en orbite basse, notamment en raison de leur usage en matière de défense, montre que cette ligne de partage est globalement bien respectée.

Alors que l'APE a récemment pris le virage de l'investissement dans le numérique, traditionnellement abandonné à Bpifrance dans une logique de compétences « métiers », il demeure d'autres cas où l'intervention de Bpifrance en lieu et place de l'APE manque d'évidence. C'est par exemple le cas pour STMicroelectronics, l'un des leaders mondiaux de la production de semi-conducteurs, composants de base utilisés dans de nombreux secteurs industriels, devenus d'autant plus critiques, dans une période de tensions commerciales, que leur production est très concentrée en Asie et aux États-Unis, et qui figure du reste au portefeuille de Bpifrance depuis une quinzaine d'années (soit bien plus que la moyenne, autour de 5 à 7 ans).

Réciproquement, la doctrine d'intervention directe de l'État en matière d'industrie - à l'exception des secteurs traditionnels de l'industrie de défense et de l'aéronautique - demeure relativement peu claire, l'État conservant par exemple quelque 15 % de Renault (mais ayant cédé ses parts dans PSA, devenu Stellantis, à Bpifrance), tout en se montrant réticent à investir dans des entreprises de l'industrie de base, comme la chimie ou la sidérurgie, pourtant essentielles au maintien du tissu industriel national.

Compte tenu de la crise profonde traversée par l'industrie française, la rapporteure estime que l'APE devrait engager une réflexion plus poussée sur sa doctrine d'intervention dans ce secteur, et ses capacités d'analyse des risques systémiques, afin de se donner les moyens de protéger les industries socle, tout en se délestant d'entreprises industrielles moins stratégiques. Elle rappelle toutefois que l'actionnariat n'est pas le seul levier de politique économique dont dispose l'État, y compris en matière de politique industrielle, et que ce dernier n'est certes pas le moyen le plus adéquat pour soutenir des entreprises en déficit de compétitivité.

Cette démarcation ne pourra naturellement se faire sans risque que si le désengagement de l'État est compensé par le développement d'un actionnariat individuel sur le plan national. Une meilleure articulation avec la stratégie de Bpifrance, qui cherche à développer son activité d'investissement pour le compte de tiers, pourrait être pertinente également à ce titre.

2. Mieux articuler les investissements au niveau européen

Enfin, dans une période d'attrition des finances publiques, la rapporteure s'interroge sur la pérennité du modèle de participations financières purement nationales alors que les enjeux de souveraineté sont de plus en plus évoqués au niveau européen, et que cette échelle paraît en effet la plus pertinente pour permettre la création de « champions » européens capables de rivaliser avec les compétiteurs asiatiques ou américains. Le modèle d'Airbus, dont les États français, allemand et espagnol détiennent une part significative du capital, gagnerait sans doute à être davantage répliqué, notamment dans les secteurs à forte intensité capitalistique, comme la défense et le spatial.

Ainsi, sans imposer une mutualisation à tout crin, la rapporteure suggère, afin de fédérer les moyens, de rechercher systématiquement une meilleure coordination des prises de participation de l'État avec nos partenaires européens, notamment dans les secteurs de la défense et du spatial.

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