C LA PLACE DU FRANÇAIS DANS LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Le français bénéficie, dans la plupart des organisations internationales, du statut de langue officielle et de langue de travail, qui le place théoriquement sur un strict pied d'égalité avec l'anglais. Dans la pratique cependant, cette parité est rarement respectée.

1. L'état des lieux

a) L'organisation des Nations Unies


A l'ONU, la situation du français s'est fortement dégradée au cours des dernières années. Une délégation de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF), qui a effectué une mission au siège de New-York en avril 1994, a cependant noté qu'après une importante régression entre 1992 et 1993, la situation française semblait actuellement se stabiliser.

La proportion des interventions faites en français à l'Assemblée générale, qui a chuté de 19 % en 1992 à 14 % en 1993, a connu une légère amélioration en 1994 (15%). Les retards observés dans la traduction et la publication des documents en français continuent cependant de s'accentuer, la pression budgétaire ayant conduit à supprimer des postes de traducteurs anglais-français en dépit de l'accroissement continu du nombre de textes à traduire.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer la détérioration de la place réservée au français au siège de New-York : outre l'implantation géographique de celui-ci, on note la relativement faible proportion des fonctionnaires francophones qui y travaillent (26 %) et particulièrement de ceux qui y exercent un poste de responsabilité (11 %). Les observateurs dénoncent par ailleurs la violation fréquente des dispositions qui imposent le recrutement de candidats maîtrisant au moins deux langues de travail de l'organisation internationale, et la pression croissante exercée par la hiérarchie en faveur de l'utilisation de l'anglais. La suppression de postes d'interprètes et de traducteurs, justifiée par des raisons d'ordre budgétaire, contribue par ailleurs à la multiplication des réunions « informelles » tenues en anglais en l'absence d'un service d'interprétation ou à l'indisponibilité des documents de travail en français.

Il semble enfin que l'adhésion de nouveaux États, et particulièrement des États d'Europe centrale et orientale, contribue à accélérer le processus d'uniformisation linguistique, la plupart de leurs représentants ayant choisi de s'exprimer en anglais ou dans leur langue maternelle à la tribune des Nations Unies.

Plus inquiétante encore est l'évolution très nettement perceptible vers le tout-anglais des institutions spécialisées des Nations Unies qui, comme l'organisation internationale du travail ou l'organisation mondiale de la santé, ont leur siège à Genève, ou comme l'UNESCO, à Paris. Dans ce cas, en effet, l'environnement francophone des organismes internationaux ne paraît plus susceptible de freiner la dégradation de la place réservée au français.

Pourtant, ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne ne sont actuellement membres de l'UNESCO. Le respect de la parité entre le français et l'anglais y est cependant ouvertement contesté depuis 1993 par le Japon ou certains pays nordiques. Les économies budgétaires servent de prétexte à la multiplication des réunions tenues exclusivement en anglais. Enfin, le poids de la hiérarchie anglophone y est particulièrement fort, notamment dans un secteur aussi sensible que celui de l'éducation où, pour être lue, une note doit impérativement être rédigée en anglais et où se tiennent désormais dans cette langue 90 % des réunions.

Cette évolution s'effectue en dépit d'un important programme de formation linguistique des personnels de l'UNESCO, auquel contribue financièrement le Gouvernement français chaque année.

Au siège de l'ONU à Genève, plusieurs signes sont inquiétants. Parmi ceux-ci la faible proportion des ouvrages francophones disponibles à la bibliothèque (30 %), alors que les livres rédigés en langue anglaise représentent 60 % du total. On peut citer encore le recrutement par le directeur français de la communication et porte-parole du Secrétaire général de l'ONU à Genève d'un adjoint de nationalité américaine ignorant le français, au point de ne pas comprendre les questions qui lui sont posées en salle de presse par les journalistes francophones accrédités...

b) Les institutions de l'Union européenne

Votre rapporteur a consacré l'an passé d'importants développements à la place du français dans l'Union européenne, qui restent valables pour l'essentiel.

Pour des raisons historiques, le français bénéficie au sein des institutions européennes d'une position globalement plus favorable qu'à l'ONU, en dépit de la dégradation observée ces dernières années.

En 1995, qui a été marquée par l'adhésion de trois nouveaux États membres, les privilèges dont jouissait traditionnellement la langue française au sein de ces institutions ont continué d'être remis en cause.

En particulier, le régime monolingue français qui était en vigueur dans la salle de presse de la Commission européenne depuis 1957 a cédé la place à un bilinguisme français-anglais pour les points de presse quotidiens et les communications officielles. Les conférences de presse continuent toutefois, comme auparavant, à se tenir dans toutes les langues de la Communauté. Cette évolution marque une victoire des journalistes anglophones, qui revendiquaient depuis longtemps l'abandon de ce qu'ils ressentaient comme un privilège indu accordé à la langue française. La Commission avait jusqu'à présent résisté, invoquant le coût de l'interprétariat et de la traduction des documents de presse induits par l'abandon du monolinguisme, ainsi que le caractère majoritairement francophone de la ville de Bruxelles. Le souci d'assurer la plus large publicité à ses travaux a cependant conduit la Commission à faire droit à la demande des journalistes anglophones.

Par ailleurs, le passage de neuf à douze langues officielles, et autant de langue de travail, comporte un risque non négligeable d'accélérer le glissement des institutions européennes vers l'anglais.

Comme le soulignait l'an passé votre rapporteur, les combinaisons possibles pour l'interprétation des réunions ou la traduction des documents sont désormais au nombre de 132. Outre le coût budgétaire croissant et la lourdeur des procédures de décision qu'induit ce plurilinguisme intégral, il est à craindre que cet excès de multilinguisme aboutisse finalement à la remise en cause du multilinguisme.

Alors que le ministre délégué aux affaires européennes, M. Alain Lamassoure, avait l'an passé suggéré, dans la perspective de la conférence intergouvernementale qui se tiendra en 1996, une évolution des institutions européennes vers un multilinguisme tempéré, distinguant quatre ou cinq langues de travail parmi les douze langues officielles de la Communauté, le Parlement européen et le Conseil des ministres de l'Union européenne ont très clairement fait connaître leur opposition à cette proposition.

Dans une résolution adoptée le 19 janvier 1995, le Parlement européen, soulignant que « toute proposition visant à limiter les langues renforce la distance entre le citoyen et les institutions européennes qui atteint déjà un niveau inquiétant », et rappelant « que des arguments techniques ou budgétaires ne peuvent en aucun cas justifier une limitation des langues », réaffirme solennellement « son attachement en faveur de l'égalité des langues officielles et des langues de travail de tous les pays qui constituent l'Union (...), élément fondamental de la notion de l'Union européenne, de la philosophie ainsi que de l'égalité politique de ses États membres ». Il « déclare sa détermination de combattre toute tentative visant à établir une discrimination entre les langues officielles et les langues de travail de l'Union européenne », estimant « que le droit d'un élu de s'exprimer et de travailler dans sa propre langue est partie indissociable du droit démocratique et de son mandat ». En tout état de cause, il réitère sa souveraineté et sa compétence à régler son propre fonctionnement, y compris en matière linguistique.

Les conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne sur la diversité et le pluralisme linguistiques, adoptées le 12 juin 1995, rappellent par ailleurs « l'importance qu'il attache à l'égalité des langues officielles et des langues de travail des institutions de l'Union ».

2. Une politique volontariste tend à assurer le respect du statut du français et à affirmer la présence francophone dans les organisations internationales


• Plusieurs résolutions ont été récemment adoptées, qui rappellent la nécessité de veiller au respect du statut du français dans les organisations internationales.

La première émane des ministres des affaires étrangères et de la francophonie des pays ayant en commun l'usage du français, réunis en conférence ministérielle à Ouagadougou le 9 décembre 1994. Elle demande aux Gouvernements des pays francophones d'inviter expressément leurs délégués à s'exprimer en français aux Nations Unies lorsque leur langue nationale n'y bénéficie pas du statut de langue officielle, appelle au développement des activités des groupes francophones, souligne la nécessité de préserver les moyens budgétaires nécessaires à la traduction et à l'interprétation en langue française au sein de cette institution, et attire l'attention des pays francophones sur la nécessité d'améliorer par la formation de spécialistes la qualité des prestations de traduction ou d'interprétation. Cette résolution appelle de ses voeux l'adoption d'une résolution réaffirmant ces principes au cours de la 50ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

La seconde a été adoptée par l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) au cours de la XXIè session tenue à Québec du 10 au 12 juillet dernier.

Ce texte incite les Gouvernements francophones à exiger le respect des textes et résolutions de l'ONU instituant la parité entre les deux langues de travail que sont le français et l'anglais. Afin de promouvoir l'usage du français, elle préconise la mise en réseau des grandes bibliothèques francophones, le renforcement des services de traduction et d'interprétation, le développement de la formation au français des diplomates et une mobilité accrue des fonctionnaires des Nations Unies. La France a enfin pris l'initiative de déposer, à l'occasion du cinquantième anniversaire des Nations Unies, une résolution traitant de l'usage des langues, de l'équilibre des recrutements et de l'intangibilité des budgets de traduction. Au-delà de la défense du français, ce projet de résolution veut assurer la défense du plurilinguisme en tant qu'expression de l'universalité des Nations Unies.


• Le ministère des affaires étrangères, le secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique (SGCI), la Délégation générale à la langue française et le Comité de suivi du français dans les organisations internationales exercent de façon de plus en plus scrupuleuse un devoir de vigilance tendant à lutter contre les dérives linguistiques observées dans le fonctionnement de ces institutions.

La France a ainsi dénoncé la publication par la Commission européenne en mars 1995 d'un magazine, « European dialogue », distribué gratuitement en Hongrie, en République tchèque et en Slovaquie et disponible seulement en hongrois, tchèque, slovaque et anglais, ou encore l'absence de documents préparatoires en français de réunions tenues par l'Office panaméricain de la santé ou par l'Office de travaux et de secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.


• La France trouve aussi auprès de ses partenaires francophones un soutien efficace. Au siège des Nations Unies, à New-York, des délégations francophones africaines ont récemment quitté des réunions pour lesquelles aucun service d'interprétation n'était prévu ou dont les documents préparatoires n'étaient pas disponibles en français.


• Plus généralement, l'accent est mis sur le recrutement de fonctionnaires francophones et sur la formation linguistique des fonctionnaires non francophones.

Le prochain sommet des chefs d'État et de Gouvernement ayant le français en partage devrait notamment décider de la définition d'un projet de formation de francophones à la fonction publique internationale, qui sera financé sur fonds multilatéraux.

La représentation de la communauté francophone au sein des organisations internationales est par ailleurs encouragée. Elle a notamment trouvé sa traduction dans l'ouverture d'un bureau de l'Agence de coopération culturelle et technique, principal opérateur de la francophonie, à New-York, au début de l'année 1995.

Des stages de formation linguistique ont été organisés, conjointement avec l'ENA, pour assurer la mise à niveau en français des fonctionnaires des trois pays qui ont rejoint l'Union européenne le 1er janvier dernier.

Votre rapporteur insiste sur la priorité qui doit être dès à présent accordée à l'apprentissage du français dans les pays d'Europe centrale et orientale qui ont vocation à adhérer à l'Union européenne. Il convient en effet de lutter contre la tendance observée lors de leur admission à l'ONU de s'exprimer de préférence en anglais.

Comme le soulignait, en effet, M. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères en juillet 1994, « c'est dans l'Union européenne que se jouera l'avenir du français. Si demain, à la faveur des élargissements, l'anglais s'imposait comme la seule langue de travail, comment pourrions-nous défendre le statut international de notre langue sur d'autres continents ? »

D. LES INDUSTRIES DE LA LANGUE, UN ENJEU POUR LA FRANCOPHONIE

Dans le cadre des auditions auxquelles il a procédé en mars 1994 dans la perspective de l'examen de la loi Toubon, votre rapporteur avait été amené à rencontrer M. André Danzin, chargé par M. Jacques Toubon, alors ministre de la culture et de la francophonie, d'une mission de réflexion sur « le français, soumis au choc des technologies de l'information ».

Celui-ci l'avait convaincu de la nécessité de promouvoir en France une stratégie de développement du traitement informatisé du langage, les « béquilles » informatiques étant susceptibles d'aider le français à « rivaliser » dans les domaines scientifiques et technologiques avec la langue anglaise.

Le développement des industries de la langue était également inscrit parmi les objectifs prioritaires de la politique linguistique française, et présenté comme un complément indispensable à l'adoption de la loi Toubon.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur a souhaité, avec un recul de deux ans jugé raisonnable, faire le point sur la stratégie retenue en la matière et ses premiers développements.

Quelle n'a pas été sa surprise de découvrir à cette occasion que la France ne disposait toujours pas à l'heure actuelle d'un état des lieux précis et fiable sur les initiatives publiques ou privées conduites en la matière, ni a fortiori de politique structurée favorisant le développement de ces industries.

La Délégation générale de la langue française, relancée au mois de septembre par votre rapporteur, s'est essayée à dresser un premier tour d'horizon. Son étude, publiée en annexe au présent rapport, reflète la diversité des initiatives existantes et dénote l'absence de stratégie d'ensemble.

Dans ce contexte, votre rapporteur se félicite de la création, en avril dernier, d'un comité consultatif sur le traitement du langage, dont la présidence a été confiée à M. André Danzin et qui a été installé en octobre dernier.

La première tâche de ce comité sera de dresser un état des lieux complet des initiatives françaises en ce domaine, de faire ressortir leurs forces et leurs faiblesses, avant de proposer au Gouvernement la définition d'une stratégie permettant d'accélérer et d'orienter le développement de ces industries.

Il y va, pour une part, de l'avenir de la langue française.

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