B. LE MÉCANISME DES SOFICA CONTESTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Bien que l'amendement présenté par le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Philippe Auberger, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, et par M. Jean-Pierre Thomas, tendant à supprimer, à compter du 10 octobre 1995, les avantages fiscaux consentis aux personnes physiques ou morales qui investissent dans la production cinématographique et audiovisuelle par l'intermédiaire des sociétés de financement des industries cinématographiques et audiovisuelles (SOFICA) ait finalement été retiré par ses auteurs, l'âpreté de la discussion qui a précédé ce retrait démontre que le système des SOFICA pourrait être prochainement remis en cause.

1. Un dispositif souvent décrié, mais qui a fait la preuve de son efficacité


• L'article 40 de la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier a institué un système d'abri fiscal, inspiré des dispositifs en vigueur au Canada et en Australie notamment, destiné à encourager l'investissement des particuliers et des entreprises dans la production cinématographique et audiovisuelle.

L'objectif recherché par les pouvoirs publics était double : drainer vers la production cinématographique et audiovisuelle des capitaux longs ; assurer le pluralisme des financements nécessaire à une création diversifiée. Parce que l'investissement dans le 7ème art est par nature un investissement risqué, l'industrie du cinéma étant avant tout une industrie de prototypes et aucune « recette » ne permettant à l'avance de garantir le succès d'un film, l'avantage consenti aux souscripteurs de parts de SOFICA figure parmi les plus avantageux du droit fiscal.

Ainsi, les personnes physiques domiciliées en France ont-elles la faculté de déduire l'intégralité des sommes versées aux SOFICA de leur revenu imposable, dans la limite toutefois de 25 % de ce revenu. La seule contrainte imposée en contrepartie de cet avantage fiscal est l'immobilisation des sommes investies pendant 8 ou 5 ans, selon que la SOFICA garantit ou non la sortie de son capital.

Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent, pour leur part, pratiquer dès l'année de l'investissement un amortissement exceptionnel de 50 % des sommes souscrites au capital d'une SOFICA.

Les SOFICA agissent comme des intermédiaires financiers : leur rôle est de collecter des fonds pour les investir exclusivement dans la production cinématographique ou audiovisuelle. Leur activité est fortement encadrée. La création des SOFICA est soumise à l'agrément du ministère des finances, de même que chaque augmentation de leur capital. Elles doivent avoir pour activité exclusive le financement en capital d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ayant elles-mêmes reçu l'agrément du CNC.

Les investissements des SOFICA peuvent consister en une souscription au capital de sociétés dont l'activité exclusive est la réalisation de telles oeuvres ou emprunter la forme de versements en numéraire réalisés par contrat d'association à la production d'un film, les versements intervenant alors antérieurement au début des prises de vue.

En contrepartie, les investisseurs acquièrent un droit sur les recettes d'exploitation de l'oeuvre.

BILAN DE L'ACTIVITÉ DES SOFICA (1986-1994)


• Maintes fois dénoncé comme un privilège fiscal réservé aux contribuables les plus fortunés (l'avantage fiscal consenti n'est réellement intéressant que pour les contribuables imposés au taux marginal le plus élevé), le dispositif d'abri fiscal mis en place par la loi de 1985 semble pourtant avoir fait la preuve de son efficacité.

Chargé par MM. Pierre Bérégovoy et Jack Lang d'une mission de réflexion sur le financement du cinéma et l'avenir des SOFICA, M. Patrick Careil, inspecteur des finances, concluait en mai 1990 à l'utilité du système et recommandait son maintien, sous réserve de quelques améliorations.

Soulignant que l'objectif poursuivi par les Pouvoirs publics - l'orientation de capitaux longs vers la production cinématographique et audiovisuelle accompagnée d'une diversification des sources de financement-était « légitime » et qu'il avait été « atteint », l'auteur du rapport faisait également valoir que, contrairement aux idées les plus répandues, l'avantage fiscal avait effectivement bénéficié à l'industrie cinématographique et audiovisuelle plus qu'aux souscripteurs. Observant par ailleurs que l'effet de « levier » du mécanisme, c'est-à-dire le rapport entre les sommes investies dans le secteur et son coût pour l'État (correspondant aux moins-values fiscales) s'établissait au minimum à 2,5 %, il jugeait la reconduction des SOFICA préférable au versement d'une subvention budgétaire destinée à compenser la marginalisation de l'apport des distributeurs dans le financement de la production, conséquence de la crise de la fréquentation.

2. Supprimer les SOFICA reviendrait à placer la production cinématographique dans une situation de dépendance extrême à l'égard des chaînes de télévision

Dans le domaine de la production cinématographique, les SOFICA sont devenues aujourd'hui des partenaires importants pour le montage financier des films. Les contrats d'association à la production devant être conclus et les engagements financiers versés avant le début des prises de vue l'apport des SOFICA contribue à alléger le risque financier pris par les producteurs et à atténuer leur dépendance à l'égard des chaînes de télévision, qui financent désormais le tiers de la production cinématographique nationale.

Certes, l'apport des SOFICA ne représente que 5 à 6 % des sommes investies chaque année dans la production d'oeuvres cinématographiques totalement ou majoritairement françaises. Et l'on peut penser que la perte de 130 millions de francs en moyenne n'affecterait pas outre mesure un secteur d'activité qui en draine chaque année près de trois milliards.

Cette analyse, purement quantitative, ne saurait être partagée par votre rapporteur. La production française ne souffre certes pas d'une pénurie de capitaux, comme on aurait pu le craindre il y a quelques années, lorsque, sous l'effet de la crise de la fréquentation, la contribution des distributeurs s'est effondrée. Cette évolution a en effet été plus que compensée par la part croissante prise par les sociétés de télévision dans la production cinématographique et nombreux sont ceux pour penser aujourd'hui que l'afflux des capitaux vers le cinéma, tout en exerçant un fâcheux effet inflationniste sur les budgets de production, en favorisant le laxisme, n'encourage pas une recherche systématique de la qualité.

Cependant, il est à craindre que la suppression des SOFICA, loin de gommer les inconvénients décrits ci-dessus, contribuerait encore à aggraver la situation actuelle, en renforçant l'emprise de la télévision sur la production cinématographique.

Si la contribution des SOFICA au financement de la production française reste globalement marginale, elle représente toutefois plus de 11 % du budget des films qui en sont bénéficiaires. De plus, la tendance à la concentration des interventions des SOFICA sur un nombre de films plus restreint, esquissée en 1994, s'accompagne d'une progression très substantielle de l'investissement moyen consenti par film : il passe de 2,6 millions de francs en 1993 à 4,7 millions de francs en 1994 en progression de plus de 80 %. Cet apport est parfois déterminant pour la réalisation d'un film.

Le maintien des SOFICA apparaît donc indispensable : il est le gage d'une création pluraliste et diversifiée. Leur existence permet seule d'atténuer la concentration croissante des moyens de la production cinématographique dans les mains des chaînes de télévision.

Pour autant, une réforme des modalités de fonctionnement des SOFICA paraît aujourd'hui s'imposer.

La multiplication, au cours des trois dernières années, des SOFICA adossées à des groupes audiovisuels puissants et proposant des garanties de rachat à leurs souscripteurs a perverti le système originel.

Sur les cinq SOFICA ayant reçu l'agrément du ministère de l'économie et des finances pour procéder à des investissements au cours de l'année 1995, deux seulement n'offrent pas de garanties de rachat des parts souscrites à leur capital (Sofinergie 4 et Bymages 4) ; deux (Studio Images 2 et Cofimage 7) garantissent le rachat au pair des parts investies, et la dernière assortit son engagement de rachat d'une garantie équivalente à 95 % de la valeur nominale (Valor 4).

Cette évolution présente deux types d'inconvénients.

En gommant les risques pris par les souscripteurs de parts de SOFICA, elle ouvre la voie à la remise en cause de l'avantage fiscal qui leur est consenti en contrepartie, et qui figure, rappelons-le, parmi les plus avantageux du droit en vigueur.

En exerçant une forte attraction sur les investisseurs potentiels, elle condamne à terme l'existence de SOFICA indépendantes et concourt ainsi à la concentration des sources de financement de la production cinématographique.

Les contraintes supplémentaires imposées par le ministère de l'économie et des finances aux SOFICA abritées par des groupes audiovisuels ne paraissent pas de nature à remédier à cette situation. Ces contraintes sont de deux ordres :

- la durée d'immobilisation minimale des capitaux investis dans une SOFICA offrant des garanties de rachat est portée de 5 à 8 ans ;

- les SOFICA adossées à un groupe audiovisuel doivent consacrer 35 % de leurs investissements dans des productions non soutenues par ce groupe ; qui plus est, ces investissements « extérieurs » doivent être effectués avec une part de risque réelle, c'est-à-dire sans garantie de remboursement.

Il importe donc de réformer au plus tôt le fonctionnement des SOFICA, afin de renouer avec sa raison d'être originelle, comme ne cessent d'ailleurs de le réclamer depuis 1992 les producteurs, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales.

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