B. LA RÉFORME ANNONCÉE PAR LE GOUVERNEMENT PERMETTRA DE RESPONSABILISER LES ACTEURS DU SYSTÈME HOSPITALIER TOUT EN AMÉLIORANT LA QUALITÉ DES SOINS À MOINDRE COÛT

1. Les premières mesures annoncées sont judicieuses mais leur portée doit être précisée

Le 16 juin 1995, M. Alain Juppé, Premier ministre et Mme Elisabeth Hubert, ministre de la santé publique et de l'assurance maladie ont traduit leur volonté de réformer l'hôpital en annonçant la création d'un Haut Conseil de la Réforme Hospitalière qui a commencé ses travaux dès le début de l'été.

Un décret et un arrêté du 22 août 1995 sont venus officialiser la création et la composition de cette instance.

Placé sous la présidence du Professeur Bernard Devulder et composé de 18 membres, le Haut Conseil dispose d'un mandat de deux ans pour accomplir sa mission.

Il doit étudier les moyens de mieux adapter les structures hospitalières publiques et privées aux besoins de la population et de réformer leur modalité de financement.

Sans attendre les conclusions du Haut Conseil qui devaient lui être remises à la fin du mois de novembre 1995, le Premier ministre, M. Alain Juppé a présenté les quatre principes de réforme qu'il a retenus dans une note de synthèse préliminaire rédigée par le Haut Conseil.

Ces principes sont les suivants :

- la régionalisation du financement de l'hospitalisation publique et privée ;

Des agences régionales seront ainsi chargées de répartir des crédits limitatifs entre les établissements. Elles veilleront, ce faisant, à corriger progressivement les inégalités géographiques actuellement constatées.

- /' accréditation et l'évaluation des services hospitaliers, en fonction de normes de qualité et de coût, par une institution indépendante ;

- la contractualisation entre des agences régionales pour le financement de l'hospitalisation publique et privée et les structures hospitalières ;

L'attribution des budgets se fera en effet, a dit le Premier ministre, en fonction d'indicateurs de qualité des soins et de sécurité sanitaire dans le cadre d'un programme régional de santé publique.

- la coordination sur une base volontaire de l'hospitalisation publique et de l'hospitalisation privée grâce à la mise en place de structures de coopération au plan local.

En outre, le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement engagera une réforme des conseils d'administration des hôpitaux et des modes de nomination des directeurs de certains grands hôpitaux.

D'une part, les présidents des conseils d'administration des hôpitaux seront élus par leurs membres ; les élus locaux ne seront donc plus automatiquement à la tête des conseils.

D'autre part, les directeurs de plusieurs grands groupes hospitaliers seront désormais nommés en Conseil des Ministres, selon la procédure actuellement utilisée pour les hôpitaux de Paris, Lyon et Marseille.

A l'exception de la dernière mesure (nomination en Conseil des Ministres de certains directeurs), les réformes annoncées par M. Alain Juppé, Premier ministre, ne présentent pas de novation surprenante.

Depuis plusieurs années, en effet, de nombreux rapports, qu'ils soient parlementaires ou d'experts, proposaient de telles réformes.

Il s'agit, d'une part, de sortir du système de la dotation globale (mais pas de l'enveloppe globale) en instituant un nouveau mode de financement contractualisé.

Il s'agit, d'autre part, d'harmoniser au niveau régional les échelons de décision de planification et de financement.

Il s'agit enfin d'améliorer la qualité des soins d'une manière compatible avec l'objectif de maîtrise des dépenses en accréditant les services en fonction de critères de qualité et de coût.

Des précisions devront toutefois être apportées afin d'apprécier l'exacte portée de ces réformes.

a) Les agences régionales

Le projet de création d'agences régionales de financement de l'hospitalisation publique et privée avait été évoqué par un candidat à l'occasion de la campagne pour l'élection présidentielle. Le discours du Premier ministre s'y réfère désormais, mais ne précise pas quelle sera la composition de ces agences : seront-elles composées de représentants de l'Etat ou de l'assurance maladie ? Y aura-t-il d'autres participants (élus, personnalités qualifiées...) ?

L'on peut penser que ces agences seront exclusivement composées de représentants de l'Etat et de l'assurance-maladie. En effet, si c'est le Gouvernement qui détermine le montant de l'enveloppe régionale ainsi que le dit le discours du Premier ministre, il est logique que le décideur (Etat) et le payeur (assurance-maladie) soient associés au sein de l'Agence. Si tel n'était pas le cas, la compétence d'allocation des ressources aurait probablement été confiée, soit aux services déconcentrés de l'Etat, soit aux unions régionales de caisses d'assurance maladie qui seront créées par la réforme.

Le discours du Premier ministre, qui précise que les agences régionales seront responsables du financement de l'hôpital public et privé, ne dit pas si le financement des cliniques privées sera modifié. Sera-t-il, lui aussi, déterminé exclusivement par contrat et par « budget » ?

b) La contractualisation

En affirmant la promotion des contrats comme support du financement, le Premier ministre n'a pas précisé, nous l'avons dit, si ces contrats s'appliqueraient aussi aux cliniques privées à but lucratif.

En outre, et quelle que soit la réponse apportée à cette première question, on ne sait pas qui, du côté des établissements de santé, conclura les contrats. Le Premier ministre a en effet évoqué la conclusion de contrats par les « structures hospitalières » et les Agences.

La réponse à cette question est essentielle pour l'avenir des établissements publics de santé.

Soit, et c'est l'hypothèse que privilégie votre commission, les contrats seront passés entre l'Agence régionale et les établissements de santé : l'avenir des établissements publics, dans leur forme actuelle, est alors préservé.

Soit l'Agence régionale signera des contrats directement avec les services hospitaliers (qui, il faut le rappeler, feront seuls l'objet d'une « accréditation » et d'une « évaluation » en fonction de normes de « coût »). Si une telle hypothèse était retenue, il y aurait un risque d'éclatement des établissements publics de santé, les services ayant désormais une légitimité sanitaire (accréditation) et financière (contacts avec l'Agence régionale) très importante. On peut penser que le pouvoir des instances dirigeantes des établissements serait, en pratique, très sensiblement réduit au profit des chefs de services.

c) L'accréditation et l'évaluation

Il convient de se féliciter que les services hospitaliers publics et privés fassent l'objet d'une évaluation et d'une accréditation.

Cependant, certains éléments méritent encore d'être précisés. Il faudra d'abord veiller à une harmonisation du financement des structures publiques et privées pour pouvoir mieux évaluer et comparer les coûts.

Ensuite, il faudra rendre cette évaluation et cette accréditation compatibles avec les dispositifs actuels de planification. En effet, la logique actuelle de la planification, issue de la réforme de 1991, repose sur les notions « d'établissements », « d'installations » et « d'équipements » et non pas de « services ».

d) Les conseils d'administration des hôpitaux

La réforme annoncée par le Premier ministre prévoit que le président du conseil d'administration sera désormais élu parmi ses membres et ne sera donc plus nécessairement un élu local. Etait-ce indispensable ? L'on peut penser que cette disposition donnera lieu à débat.

En effet, dans l'état actuel des choses, les personnels qualifiés n'ayant pas été choisis dans la perspective de devenir les présidents des conseils d'administration, les élus sont les seuls membres des conseils à ne pas être à la fois juges et parties.

Il conviendra donc de réfléchir à une éventuelle réforme de la composition des conseils d'administration.

2. Ces réformes doivent être complétées

Dans son discours, le Premier ministre n'a pas évoqué certaines réformes qui étaient pourtant attendues.

Ainsi, il a réservé l'application des « bonnes pratiques » et des références médicales opposables » à la médecine de ville et n'a évoqué, ni les références hospitalières, ni le principe de l'évaluation individuelle des praticiens hospitaliers qui en serait le corollaire obligé.

L'évaluation semble ainsi, dans ce projet, s'arrêter au niveau du service.

L'objectif de redéploiement des moyens n'est pas non plus affiché : si les réformes annoncées établissent des procédures tendant soit à corriger les « inégalités géographiques » soit à améliorer la « qualité » et le « coût » des services hospitaliers, le Premier ministre n'a à aucun moment évoqué la nécessaire adaptation du système hospitalier aux besoins de la population. L'on peut toutefois penser que celle-ci est tellement sous-jacente à toute perspective de réforme qu'il n'est pas besoin de s'attarder sur le constat.

Ainsi que l'a souligné le président Jean-Pierre Fourcade à l'occasion du débat sur la protection sociale prévu par la loi du 25 juillet 1994 et organisé au Sénat le 16 novembre dernier, les réformes annoncées par le Premier ministre devraient être complétées.

D'abord, dans le cadre de l'harmonisation des conditions d'exercice des médecins exerçant dans des structures publiques et privées, des références médicales devraient être appliquées à l'hôpital public. L'Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation Médicale a déjà, à cet égard, accompli un important travail de préparation.

Ensuite, la réforme des conseils d'administration ne saurait se limiter à la modification du mode de désignation de leur président.

Il conviendra ainsi de réfléchir à un accroissement de leurs compétences, notamment en matière de recrutement des personnels médicaux

L'amélioration de l'accueil des patients hospitalisés doit également faire l'objet de mesures spécifiques. La politique du ministère chargé de la santé est d'ailleurs allée dans ce sens au cours de ces dernières années. Elle s'est notamment traduite par l'actualisation par voie de circulaire de la charte du malade hospitalisé (circulaire DGS/DH n° 95-22 du 6 mai 1995). Cette charte fait la synthèse des droits du patient, que ce soit dans le cadre du dialogue avec le médecin ou en matière d'information, de consentement, de respect de la vie privée, de liberté d'aller et de venir, d'accès aux dossiers ou de droits de recours.

Cette charte est remise à tous les patients à l'occasion de leur accueil dans un établissement de santé.

Les droits du patient ont également été renforcés par l'adoption, à l'initiative de notre collègue Lucien Neuwirth, d'un nouvel article du code de la santé publique qui fait obligation aux établissements de santé d'inscrire dans leur projet d'établissement les dispositions qu'ils comptent prendre pour améliorer la prise en charge de la douleur en leur sein.

La réforme de l'hôpital, pour une part, doit venir d'une plus grande attention, d'un meilleur service rendu au malade. Cette politique doit donc être encouragée et renforcée : si le patient ne peut avoir de « droit à la guérison », il a certainement le droit d'être mieux accueilli dans les établissements de santé.

Enfin, l'hôpital ne sera pas véritablement réformé si les causes de la sous-médicalisation des établissements publics de santé perdurent.

Il conviendra donc de renforcer l'attractivité du statut de praticien hospitalier par rapport à celle des carrières libérales. A cet égard, l'objectif de « réorientation d'un nombre significatif de médecins de ville » annoncé par le Premier ministre devrait se traduire, non seulement comme il l'a indiqué, par des incitations à exercer la médecine du travail, la médecine scolaire ou préventive, mais aussi par de fortes incitations à exercer, totalement ou à temps partiel, en milieu hospitalier. Et des passerelles devraient être organisées entre les centres hospitaliers et universitaires et les hôpitaux généraux afin d'améliorer, sans préjudice pour la carrière des praticiens, « l'irrigation » médicale de notre système hospitalier.

Votre Commission ne saurait conclure cette partie consacrée à l'hôpital sans regretter l'absence de décret d'application de l'article 40 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale.

Cet article prévoyait l'institution d'incitations financières à la coopération inter hospitalière ou aux fusions entre établissements de santé.

Proposées par le préfet, ces mesures de coopération ou de fusion donnaient lieu, en quelque sorte, à un « retour sur investissement » pour les établissements de santé.

Les économies réalisées pour l'assurance maladie étaient en effet évaluées par les parties en présence : une fraction était reversée aux établissements en compensation de l'effort de restructuration engage.

Votre Commission regrette que cet article, introduit par le Sénat, soit en pratique dépourvu de portée du fait des lenteurs ou de 1 inertie administrative.

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