II. L'HÔPITAL : POUR QUE LE TAUX DIRECTEUR SOIT RESPECTÉ ET AIT DES EFFETS STRUCTURANTS, DES RÉFORMES DOIVENT ÊTRE APPLIQUÉES TRÈS RAPIDEMENT SUR LE TERRAIN

La dérive des dépenses hospitalières constatée malgré l'encadrement des budgets par la dotation globale a conduit le Gouvernement à fixer à un niveau très bas le taux directeur pour 1996.

Ce taux directeur, en l'absence de réforme hospitalière, serait insuffisant pour reconduire les budgets actuels.

Il faudra donc appliquer très rapidement sur le terrain les réformes proposées par le Premier ministre afin que le taux directeur ait les effets structurants souhaités et qu'il ne se traduise pas par des restructurations « aveugles », frappant les hôpitaux ou services performants autant que ceux qui le sont moins.

A. UN SYSTÈME HOSPITALIER EN DIFFICULTÉ

1. Un système hospitalier toujours plus coûteux, qui justifie la fixation d'un taux directeur très rigoureux

Préalablement à toute analyse, il faut savoir qu'au 31 décembre 1993, les structures hospitalières publiques comportaient 166.691 lits qui se répartissaient en 107.121 lits de court séjour, 53.662 de moyen séjour et 5.908 lits de long séjour.

Et 58 % des 1.650.000 personnes travaillant dans le secteur de la santé exercent à l'hôpital qui représente donc plus d'un million d'emplois.

a) Les effets de maîtrise attendus de la dotation globale sont épuisés depuis cinq ans

L'hôpital coûte cher. Certes, l'évolution de la consommation de soins hospitaliers s'est caractérisée par une décélération importante depuis 1985, date à laquelle la dotation globale a été généralisée. Ainsi, le taux moyen d'évolution des dépenses hospitalières est passé de 12,6 % sur la période de 1980-1985 à 5,6 % sur la période 1985-1990.

Mais depuis 1990, ce taux n'a plus fléchi, les dépenses hospitalières ayant progressé de 5,6 % en 1991, de 6,9 % en 1992, de 6,3 % en 1993 et de 4,5 % en 1994. Elles ont progressé à nouveau de 5,85 % en 1995 (source : commission des comptes, octobre 1995).

Le coût cumulé total de ces protocoles est donc d'environ 20 milliards de francs.

La dégradation du taux moyen dévolution des penses peut. être également expliquée par l'évolution des effectifs à 1 hôpital.

Si l'on s'intéresse aux progressions nettes, en neutralisant l'effet prix, le coup d'arrêt initial donné à l'augmentation des dépenses par l'institution du budget global est beaucoup moins brutal que le laisseraient à penser les chiffres bruts : le taux moyen de progression a en effet été seulement ramené de 3,3 % de 1981 à 1985 à 2 % de 1986 à 1990.

Les mauvais résultats depuis 1990 peuvent être dans une large mesure expliqués par les conséquences budgétaires des mesures, résultant des protocoles Evin et Durafour qui ont pesé, chaque année d'un à deux-points sur les dépenses hospitalières. Leur coût a commencé à s'infléchir à partir de 1995.

En particulier, les emplois administratifs ont progressé de 23 % en 10 ans. La commission des comptes révèle en particulier que les effectifs de secrétaires médicales ont crû d'un tiers en cinq ans, et se demande légitimement si les besoins n'auraient pas pu être satisfaits par redéploiement.

Si l'on considère le coût des créations d'emplois non médicaux depuis 1991, on a :

15 000 emplois x 200 000 francs = 3 000 000 000 francs par an, soit 15 milliards de francs en 5 ans.

Dans la mesure où ces mêmes créations ont été au moins aussi importantes dans la période 1985-1990, on a donc un coût total de 30 milliards de francs.

b) Un taux directeur fixé à un niveau très bas

Pour 1995, le taux directeur des dépenses hospitalières applicable aux établissements sous compétence tarifaire de l'Etat avait été fixé à 3,80 %.

Il s'agissait d'un taux de rigueur qui a impliqué des efforts de redéploiement de la part des établissements hospitaliers. Il a néanmoins pris en compte les hypothèses économiques associées au projet de loi de finances et d'évolution de la mesure salariale propre au secteur hospitalier résultant notamment des accords salariaux pour la fonction publique et des protocoles Durafour et Durieux. Il comprenait également les taux applicables aux enveloppes spécifiques liées aux priorités que le Gouvernement voulait promouvoir, notamment la lutte contre le Sida, la sécurité transfusionnelle, la périnatalité, l'accueil des urgences et la recherche clinique.

Ce taux, on l'a vu, n'a pas été respecté, les dépenses hospitalières ayant progressé de 5,85 % cette année (estimation de la commission des comptes).

Pour 1996, il a été fixé à 2,1 %, taux qui implique, non seulement une rigueur, mais aussi des redéploiements accrus. Il correspond en effet au taux de la hausse des prix prévue pour 1996.

Ce taux se décompose de la manière suivante :

ï 1,4 % sont accordés à tous les hôpitaux, c'est le taux de reconduction (dont 0,3 % sont destinés à couvrir le coût des protocoles Durafour et Durieux),

ï 0,7 % constitueront une marge de manoeuvre régionale contractualisée.

. Par ailleurs, les missions prioritaires de service public (Sida, hépatite C, toxicomanie, programme périnatalité, réforme de la transfusion sanguine et de la prise en charge des détenus) seront finances, à hauteur de 0,48 %, par la hausse du forfait journalier.

Ce taux ne sera pas suffisant pour assurer la reconduction de tous les budgets hospitaliers à moyens constants.

En effet, selon la Fédération hospitalière de France l'évolution mécanique de la masse salariale (qui représente une très large fraction des budgets), pour 1996, sera la suivante :

+ 0,8 % résultant du T ;

- + 1,36 % résultant du dispositif salarial décidé par le Gouvernement en 1995 ;

- + 0,30 % au titre des protocoles Durieux-Durafour ;

soit un total de + 2,46 %.

Dans la mesure où les charges de personnel représentent 70 % du budget des hôpitaux, leur progression mécanique en 1996 impliquera une hausse des budgets de 2,14 %. La dotation globale n'augmentant pour touts les hôpitaux que de 1,4 %, il manque 0,74 point de dotation globale pour financer à structure constante l'évolution des charges de personnel.

A peu de choses près, ce 0,74 point correspond à 0 7 point de marge de manoeuvre régionale. Or, celle-ci ne sera pas distribuée à tous les établissements d'une manière générale.

Pour apprécier à leur juste mesure les difficultés que contreront les hôpitaux, il faudrait également tenir compte de l'augmentation de la TVA et de la hausse des cotisations a la CNRACL qui pèseront également sur les budgets.

Il faut enfin prendre en considération l'importante modification du mode de financement des investissements hospitaliers consécutive à la diminution des subventions de l'Etat. Si la part des subventions est passée de 17 % en 1980 à 4 % aujourd'hui, celle de l'autofinancement a quasiment doublé, progressant de 34 % en 1980 à 60 % aujourd'hui
• Compte tenu des difficultés budgétaires des établissements, la modification de la structure de financement des investissements a eu pour conséquence leur niveau peu élevé . L'hôpital pourra-t-il suivre demain l'évolution technologique si rapide et si coûteuse ?

Il est probable que, malgré la politique d'aide à l'investissement concernant certains programmes prioritaires qui a été prévue dans le taux directeur d'évolution des dépenses hospitalières et le financement des surcoûts engendrés par certains investissements hospitaliers sur les marges de manoeuvre des services déconcentrés de l'Etat, l'investissement hospitalier sera à nouveau pénalisé cette année.

Pour 1996, en effet, les subventions d'équipement de l'Etat baissent encore d'environ un quart par rapport à l'année dernière, qu'il s'agisse des crédits de paiement ou des autorisations de programme.

2. Des redéploiements de moyens sont nécessaires pour satisfaire les besoins de la population

L'offre hospitalière est excédentaire. Le constat est ancien. Les suppressions de lits intervenues depuis les années 80 qui, contrairement à ce que l'on dit parfois, ont été importantes, sont cependant demeurées en deçà de ce qui aurait été nécessaire pour une meilleure adaptation de notre système hospitalier aux besoins de la population.

Les capacités hospitalières publiques et privées sont traditionnellement exprimées en « lits », même si cette notion peut apparaître de nos jours moins pertinente que d'autres (telles que le plateau technique) pour apprécier réellement l'état de l'offre. La notion de lit présente cependant l'avantage d'être facilement mesurable...


Le court séjour

Le système hospitalier français a atteint sa capacité maximale en lits de court séjour en 1978.

Depuis cette date, où l'on comptait 340.000 lits, leur nombre a diminué de 60.000, soit une réduction de près de 20 % en 15 ans. Sur les trots dernières années, le nombre de lits de court séjour a diminué de 20.000.

Il faut ajouter à ces lits de court séjour les places en structures de soins alternatives à l'hospitalisation, qui se répartissent ainsi :


Les soins de suite ou de réadaptation, les soins de longue durée et la psychiatrie.

Dans ces domaines, l'évolution des trois dernières années est marquée par une forte diminution des lits de psychiatrie (- 16.000 en trois ans et - 40.000 en treize ans) et une faible régression du nombre de lits en soins de suite ou de réadaptation (- 2.000 en trois ans).

Cette évolution doit être poursuivie : il est patent que notre système hospitalier est excédentaire en lits de court séjour (qui représentent 53 % des capacités totales) alors qu'il ne couvre qu'imparfaitement les besoins de la population, notamment ceux qui sont exprimés par les personnes malades du Sida, les toxicomanes ou les personnes âgées.

Pour satisfaire ces derniers, le système hospitalier doit s'adapter par la création de lits de long séjour et l'amélioration de la prise en charge sanitaire des personnes âgées.

La prise en compte de besoins nouveaux correspondant à la dépendance de personnes âgées a ainsi conduit à la création de 2.400 places d'alternative à l'hospitalisation et de 10.000 lits de soins de longue durée.

En outre, les circulaires DH n° 26 du 13 juillet 1993 et n° 43 du 1er décembre 1994 encouragent désormais les hôpitaux à «  constituer des pôles gérontologiques de proximité et à améliorer l'accueil et la prise en charge psychologique et sociale du patient et des familles ». Dans cette perspective, le ministère de la santé a instauré, depuis 1993, une filière de recrutement des praticiens hospitaliers en médecine polyvalente à orientation gériatrique.


Les instruments de planification existent

Afin de faciliter des redéploiements de qualité, la loi du 31 juillet 1991 a réformé la planification hospitalière.

La carte sanitaire issue de cette loi, a pris en compte de nouvelles disciplines (soins de suite et de réadaptation, soins de longue durée) et activités de soins (réanimation, accueil et traitement des urgences, néonatologie).

La révision de la carte a été réalisée, pour le court séjour, au cours de la période mars 1993-janvier 1995, dans 22 régions sur 26.

Les schémas régionaux d'organisation sanitaire, qui doivent déterminer la répartition géographique des installations et activités ainsi que les objectifs sanitaires prioritaires, ont tous été élaborés (à l'exception du SROS de la Guyane) avant la fin de l'année 1994. Leur application devrait permettre de mieux adapter le réseau hospitalier aux besoins, même si, dans certains cas, leurs décisions reflètent plus un compromis que la volonté de trouver la meilleure solution possible.

Outre la mise au point des instruments de planification sanitaire, des mesures réglementaires sont venues réformer le système d'accueil et de traitement des urgences. Leur mise en oeuvre aura, elle aussi, sans nul doute des effets structurants sur le système hospitalier tout entier.

Il est cependant regrettable que la réforme des urgences n'ait pas reçu d'application significative et que les nécessaires redéploiements n'aient pas été entrepris depuis le printemps dernier.

Les redéploiements et adaptations qu'ils auraient induits auraient dégagé des marges de manoeuvre rendant plus aisé le respect d'un taux directeur rigoureux pour l'année 1996.

3. Une « sous-médicalisation » de certains hôpitaux

Malgré la politique engagée par le précédent gouvernement consistant en des dotations supplémentaires pour renforcer la médicalisation des urgences et l'engagement de négociations -qui n'ont pas encore abouti sur le statut des praticiens hospitaliers, de nombreux hôpitaux publics sont en situation de sous-médicalisation.

Celle-ci est particulièrement évidente dans certains hôpitaux non universitaires et dans certaines disciplines telles que la radiologie ou l'anesthésie. Malheureusement, les dernières évolutions concernent aussi désormais des disciplines jusque là épargnées. En moyenne, dans les hôpitaux non universitaires, 40 % environ des postes publiés ne sont pas pourvus.

Ces postes demeurent vacants ou sont, en pratique, occupés par des étudiants et des médecins à diplôme étranger.

D'après une enquête effectuée par les Directions Régionales des Affaires Sanitaires et Sociales à la fin de l'année 1993, 20 % des postes de praticien hospitalier à temps plein et 25 % des postes à temps partiel n étaient pas occupés par des praticiens titulaires. Environ 7 % des postes à temps plein et 9 % des postes à temps partiel étaient vacants.

Cette situation est particulièrement criante dans certaines régions telles que le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et la Champagne-Ardenne dont les taux de vacance des postes de praticiens à temps plein sont respectivement de 14 %, 14,5 % et 8,5 %.

4. Des personnels à remobiliser

La question des rémunérations au sein de la fonction publique, importante. Nous avons vu, cependant, la faiblesse des marges de manoeuvre des hôpitaux pour financer toute mesure nouvelle et même les mesures déjà prises.

La seule question des rémunérations ne peut cependant expliquer à elle seule le malaise diffus des agents hospitaliers : responsabilisation, mobilité ou aménagement du temps de travail, par exemple pourraient être nature à le résorber tout en contribuant à améliorer la qualité des soins.

Il faut bien constater que les mesures qui ont été prises pour les différentes catégories de personnel ne sont pas encore suivantes.


Les personnels hospitalo-universitaires

Dans le cadre de la réflexion d'ensemble entreprise sur la refonte des statuts des personnels médicaux, plusieurs aspects du statut des personnels enseignants et hospitaliers sont en cours de modification.

Un projet de décret, à paraître prochainement, devrait élargir les possibilités richement et de mise à disposition, modifier les conditions de recrutement des praticiens hospitaliers universitaires et ouvrir le concours de maître de conférences des universités-praticien hospitalier aux titulaires de l'habilitation à diriger des recherches.


Les personnels médicaux hospitaliers

La loi du 4 février 1995 portant diverses mesures d'ordre social a créé un corps d'accueil des médecins à diplôme étranger non autorisés individuellement à exercer leur profession en France afin d'accorder un statut plus satisfaisant à ceux qui auront subi avec succès les épreuves d'un examen professionnel. Cette mesure, qui n'aura que des effets transitoires, a aussi pour objectif de garantir simultanément la qualité et la continuité des soins à l'hôpital public.

Deux autres mesures ont été prises :

- le statut des praticiens contractuels a été modifié afin de mieux assumer certaines missions spécifiques prévues par la loi (soins en milieu pénitentiaire, IVG, évaluation...) ;

- le statut des praticiens hospitaliers à temps plein a également été modifié afin de permettre leur mise à disposition, auprès des groupements d'intérêt public chargés de la transfusion sanguine.


Les personnels paramédicaux

Les accords Durieux, signés le 15 novembre 1991, ont permis aux agents travaillant exclusivement de nuit d'effectuer un travail effectif d'une durée de 35 heures. Cette mesure devait être mise en place au 31 décembre 1993, son application effective étant rendue possible grâce à la création de 4.000 emplois.

Un rapport de l'Inspection Générale des Affaires sociales a cependant montré qu'un tiers des établissements seulement était parvenu à appliquer effectivement ces dispositions.

Aussi, le Gouvernement a pris de nouvelles mesures tendant à faciliter la mise en oeuvre des accords, dont la création de 1.230 emplois supplémentaires.

Une enquête est actuellement en cours de réalisation pour en mesurer l'impact sur l'ensemble du territoire.

En outre, en application du protocole du 15 novembre 1991, le ministère annonce son intention de mener une étude sur la fonction d'infirmière clinicienne ou experte.

Toutes ces mesures, si elles sont importantes, ne suffisent pas cependant à faire progresser la mobilisation et la responsabilisation des agents hospitaliers. La réforme hospitalière qui devrait intervenir dans les prochains mois devra s'y employer.

Compte tenu des difficultés rencontrées par les établissements hospitaliers et de la dérive actuelle des dépenses hospitalières, il est urgent, non seulement d'engager des réformes profondes, mais de les appliquer rapidement.

Si tel n'était pas le cas, en effet, le caractère très rigoureux du taux directeur d'évolution des dépenses pourrait entraîner des restructurations « aveugles ».

La contrainte budgétaire est certes un bon moyen de favoriser les nécessaires redéploiements : elle ne peut être le seul.

Le Gouvernement en a tenu compte, en présentant un plan de réforme ambitieux.

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