II. COMBATTRE LES GRANDS FLÉAUX : DES DOTATIONS TRES IMPORTANTES POUR LUTTER CONTRE LE SIDA ET LA TOXICOMANIE, MAIS INSUFFISANTES POUR VAINCRE LE TABAGISME, L'ALCOOLISME ET LE CANCER

Si la lutte contre le Sida et la toxicomanie fait, cette année encore, l'objet d'un effort accru, votre rapporteur tient à mettre l'accent sur des causes qui semblent « laissées pour compte », à savoir la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme et la lutte contre le cancer.

A. LA LUTTE CONTRE LE SIDA : UNE NOUVELLE PROGRESSION DES CRÉDITS DE 5,3 %

Cette année encore, les crédits destinés à lutter contre le Sida progresseront de façon significative, avec une augmentation de 26 millions de francs. Ils représentent désormais près de 475 millions de francs.

La politique menée en 1997 se traduira par une grande déconcentration des actions. En effet, alors que les dépenses non déconcentrées, qui s'élèvent à 160 millions de francs, régressent de 25 millions de francs, les dépenses déconcentrées progressent de 48,5 millions de francs pour s'établir à 290 millions de francs. Les moyens des consultations de dépistage seront, eux aussi, en progression de 3 millions de francs et atteindront ainsi 23,6 millions de francs.

1. Le point sur l'évolution de l'épidémie

a) Les nouvelles contaminations

Selon les estimations, 110.000 personnes seraient atteintes par le VIH en France. L'épidémie concerne encore majoritairement deux groupes de population : les personnes homosexuelles ou bisexuelles et les usagers de drogue par voie injectable. Près des deux tiers appartiennent en effet à ces deux groupes alors qu'un quart seulement a été contaminé par voie hétérosexuelle.

L'étude du poids de l'épidémie dans chacune des populations concernées montre que la population des usagers de drogue est de loin la plus touchée. Elle était, en 1995, 5 fois plus atteinte que la population homosexuelle ou bisexuelle et 500 fois plus atteinte que la population hétérosexuelle.

La dynamique de diffusion du virus dans ces populations a été différente. L'épidémie a progressé très rapidement chez les homosexuels et les usagers de drogue pour atteindre un point culminant entre 1983 et 1986 pour les homosexuels ou bisexuels et entre 1984 et 1987 pour les usagers de drogue. Depuis cette date, le nombre de nouvelles contaminations diminue chaque année et de façon particulièrement nette chez les usagers de drogue.

En revanche, si l'épidémie chez les hétérosexuels a commencé en même temps que celle des homosexuels, elle a été beaucoup plus lente. Le nombre de nouveaux cas a augmenté faiblement chaque année pour atteindre un plateau depuis la fin des années 80.

Cependant, compte tenu de l'importance de la population hétérosexuelle (18 millions d'hommes et 19 millions de femmes), et malgré la lenteur de la diffusion de l'infection dans cette population, il est assez probable que, dans un avenir plus ou moins proche, le nombre de nouveaux cas annuels de contamination par le VIH chez les hétérosexuels soit supérieur à celui constaté chez les homosexuels, les bisexuels ou chez les usagers de drogue.

b) Les malades du Sida

En France, le système de surveillance du Sida a été mis en place en 1982 et repose, depuis 1986, sur la déclaration obligatoire des cas, faite par les praticiens. La déclaration est basée sur la définition OMS/CDC du Sida, qui a été révisée en 1993.

Depuis le début de l'épidémie et jusqu'au 30 juin 1996, 42.262 cas de Sida (41.618 adultes et 644 enfants) ont été enregistrés ; 62,3 % sont décédés. Le nombre de personnes vivantes atteintes de Sida est donc actuellement estimé entre 17.000 et 19.000.

Compte tenu de l'absence de déclaration obligatoire jusqu'en 1986, le nombre total de cas réels de Sida depuis le début de l'épidémie serait compris entre 48.500 et 53.000.

Le nombre de nouveaux cas de Sida diagnostiqués en 1994 était estimé à 6.400 et à 6.000 en 1995. Globalement, l'épidémie semble donc se stabiliser, même si la faible diminution observée en 1995 est encore trop récente pour être interprétée en terme de tendances.

La comparaison des courbes du nombre de nouveaux cas de Sida par année de diagnostic montre des évolutions différentes selon le mode de contamination.

Chez les homosexuels ou bisexuels, le nombre de nouveaux cas de Sida se stabilise depuis 1991 autour de 2.500 par an. Chez les usagers de drogues injectables, le nombre de nouveaux cas de Sida se situe autour de 1.500 depuis 1994. Dans le groupe des hémophiles ou transfusés, la diminution du nombre de nouveaux cas de Sida observée à partir de 1990 s'accélère depuis 1994.

Mais, chez les personnes contaminées par voie-hétérosexuelle, le nombre de nouveaux cas continue à progresser (le nombre de cas diagnostiqués en 1995 est estimé à 1.400).

Il faut toutefois rappeler que ces tendances concernent les formes tardives de l'infection par le VIH qui ne se développent, pour la moitié des individus, que plus de dix ans après l'infection. Les tendances de l'épidémie de Sida ne reflètent donc pas l'évolution actuelle des nouvelles contaminations.

2. Le bilan de l'activité des centres de dépistage gratuit

La mise en place de consultations de dépistage anonyme et gratuit de l'infection par le VIH depuis 1987-1988 traduit une politique de prévention et de dépistage basée sur le volontariat et la responsabilité des personnes. Les centres visent à favoriser l'accès au dépistage dans le cadre d'une démarche d'information et de conseil auprès des personnes qui les consultent.

Un dispositif de dépistage anonyme et gratuit au moins a été créé dans chaque département. Certains sont gérés par un établissement hospitalier, d'autres sont situés dans un dispensaire anti-vénérien et gérés par les conseils généraux.

Depuis 1992, l'accès à des consultations de dépistage gratuit du VIH a été étendu à des centres de protection maternelle et infantile et à des centres de planification et d'éducation familiale. Depuis 1993, les centres de dépistage interviennent aussi dans les établissements pénitentiaires.

Les centres ont reçu, depuis l'origine, 322.954 personnes pour information ou pour un test du VIH, la moyenne du nombre annuel de consultations étant passée de 323 à 1.076. En 1995, le taux de séropositifs rapporté à la population testée dans les consultations était de 0,6 %. Il variait selon le lieu de consultation, les taux les plus élevés étant observés dans les prisons (1,0 %).

Le taux de séropositifs dépistés dans les consultations diminue au cours du temps ; il est presque dix fois plus faible en 1995 qu'en 1998. Cette baisse est liée à l'augmentation très nette du nombre de consultants, le nombre de sujets positifs dépistés étant relativement stable (entre 1.700 et 2.100 selon les années).

3. La prise en charge des malades

a) L'aide à la vie quotidienne, le soutien et l'hébergement

Expérimentée en 1991, la politique d'aide à la vie quotidienne a été généralisée en 1996. Ses objectifs sont d'éviter les hospitalisations liées à l'impossibilité pour les malades de subvenir aux besoins de leur vie quotidienne, de favoriser les sorties précoces de l'hôpital après les phases de traitement intensif et de permettre la continuité des soins à domicile par l'hospitalisation à domicile, les services de soins infirmiers et le réseau libéral.

En 1995, 36 départements ont bénéficié de cette action (11 départements de plus qu'en 1994) et 2.030 malades ont été suivis dans l'année, bénéficiant au total de 360.000 heures de prestations (160.000 heures de plus qu'en 1994, soit 80 % d'augmentation).

L'aide à la vie quotidienne est complétée par des actions de soutien dont l'objectif est d'apporter un soutien psychologique, social et juridique aux personnes séropositives ou malades : elles ont été mises en oeuvre dans 64 départements en 1995 contre 52 en 1994.

Pour offrir un toit aux personnes atteintes du virus de l'immuno-déficience humaine, différentes solutions ont été mises en place quand les structures telles que les CHRS ou les dispositifs d'accueil d'urgence ne suffisaient pas.

Plusieurs solutions sont offertes en fonction de la situation des personnes concernées et de l'évolution de leur maladie. En 1995, environ 50 millions de francs ont été consacrés à l'hébergement des personnes séropositives ou malades. On comptait alors 476 places d'appartements relais, 107 places d'accueil familial, 8 services d'accompagnement social qui ont suivi 342 personnes après les avoir relogées dans un logement social et 18 places d'accueil temporaire permettaient des séjours de répit. Enfin, 363 personnes avaient bénéficié d'un accueil d'urgence.

Pour les personnes qui ont besoin de soins journaliers, isolées, sans logement ou sans ressources, la solution proposée à titre expérimental consiste en la mise à disposition d'appartements de coordination thérapeutique, cofinancés par l'État, à hauteur de 50 % et par l'assurance maladie (par un forfait global annuel calculé sur la base de 123 F/jour maximum) : 135 places ont ainsi été agréées le 30 août 1994 et 145 places nouvelles viennent d'être agréées.

Lors de son conseil d'administration du 28 mai 1996, la Caisse nationale de l'assurance maladie s'est prononcée pour la poursuite de cette expérimentation et a prévu les moyens nécessaires à la création de 50 places supplémentaires, soit un total de 330 places réparties sur l'ensemble du territoire, dans les zones à forte endémie.

Le nombre d'appartements thérapeutiques mis à disposition des malades n'est donc pas encore suffisant. Leur cofinancement et la lourdeur de la procédure de création sont peut-être en cause.

b) Les réseaux ville-hôpital et la mise à disposition de trithérapies


Les réseaux

Mis en place par la circulaire DH/DGS du 4 juin 1991, les réseaux sont aujourd'hui au nombre de 80. Ils sont financés, pour leur fonctionnement, par les crédits d'État, l'assurance maladie prenant à sa charge les postes de coordinateurs et les formations des médecins généralistes dans les centres hospitaliers.

Les réseaux ont pour objectif de regrouper les différents professionnels du soin et, de plus en plus, les professionnels du secteur social. Ils favorisent ainsi la continuité des soins entre l'hôpital et le domicile tout au long de l'évolution de la maladie et se sont révélés particulièrement adaptés à la prise en charge du Sida, à sa chronicité et à ses conséquences médicales et sociales pour les personnes qui en sont victimes.

La diffusion de l'épidémie, l'évolution de la maladie et des modes de prise en charge conduisent à prévoir la nécessité d'étendre ces réseaux dans une vingtaine de départements d'ici 1998.

En outre, l'ordonnance relative à la maîtrise des dépenses de soins a prévu la mise en place de procédures de prise en charge forfaitaire de pathologies lourdes : il est probable que le Sida sera concerné en premier lieu et que les pratiques de réseau seront, dans ce contexte, rapidement généralisées.


Le développement des trithérapies

De récents essais thérapeutiques ont permis d'évaluer l'efficacité thérapeutique de l'association de plusieurs molécules antivirales comparativement à une monothérapie de première intention ou à la poursuite d'un seul traitement en cours. Les associations triples ont pour la plupart une activité antivirale plus prononcée que les bithérapies.

Le traitement de référence des patients n'ayant jamais reçu de traitement antirétroviral antérieur est une bithérapie, les trithérapies étant recommandées chez les patients ayant déjà reçu une bithérapie, en cas de progression de la maladie.

La bithérapie comporte soit l'association de deux inhibiteurs nucléosidiques (AZT, ddl, ddC, 3TC, d4T), soit encore l'association d'un inhibiteur nucléosidique à une antiprotéase (Saquinavir, Indinavir, Ritonavir).

La trithérapie comporte soit l'association de trois inhibiteurs nucléosidiques (AZT, ddl, ddC, 3TC, d4T), soit l'association d'inhibiteurs nucléosidiques à des inhibiteurs non nucléosidiques, soit l'association de deux inhibiteurs nucléosidiques à une antiprotéase (Saquinavir, Indinavir, Ritonavir).

Il faut observer que les patients atteints par le VIH sont traités actuellement plus tôt et par association médicamenteuse. Ainsi, en juin 1995, 61 % des patients suivis en milieu hospitalier recevaient un traitement antirétroviral dont 31 % en association. Au premier trimestre 1996, ils sont 69 % à en recevoir un, dont les trois quarts en association médicamenteuse. Les associations sont plus souvent des bithérapies (94 %) que des trithérapies (6 %) et le pourcentage de patients traités sous trithérapies est plus élevé à Paris qu'en province.

La prescription d'antiprotéases est en croissance forte : alors qu'elle concernait 2.804 patients fin avril 1996, 11.671 patients en recevaient à la fin du mois de juillet.

Une bithérapie coûte entre 29.000 francs et 44.602 francs par an et par malade et une trithérapie entre 42.216 francs et 56.634 francs par an.

B. LES CRÉDITS DE LA L UTTE CONTRE LA TOXICOMANIE : UNE TRÈS FORTE PROGRESSION DE 8,3 %

Les crédits de la lutte contre la toxicomanie inscrits au budget du ministère s'élèvent à 694 millions de francs, en progression de 8,5 % par rapport à la loi de finances pour 1996. Il faut y ajouter 230 millions de francs affectés à la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie qui est désormais rattachée aux services du Premier ministre.

Cette augmentation vise essentiellement à poursuivre la politique de substitution et à permettre la mise en oeuvre du plan gouvernemental de lutte contre la drogue annoncé le 14 septembre 1995.

1) La poursuite de l'augmentation des capacités de prise en charge des toxicomanes avec hébergement

Il convient de signaler que le manque de places d'hébergement constitue une des plus vives critiques portées au dispositif de prise en charge des toxicomanes. Outre le nombre de personnes insatisfaites, ce manque de places génère un délai d'attente (de 29 jours en moyenne) après le sevrage. Ce temps de latence entraîne une rupture dans la prise en charge et, trop souvent, mène à l'échec les démarches de soins qui ont été engagées.

Le plan triennal 1993-96 prévoyait le doublement des capacités de prise en charge avec hébergement, le nombre de places devant être porté de 620 à 1.240. Fin 1996, 1.217 places seront disponibles avec une diversification importante de cette partie du dispositif spécialisé. En effet, des communautés thérapeutiques résidentielles ainsi que des appartements thérapeutiques relais et de transition ont été créés pour répondre aux différentes demandes des patients toxicomanes.

2) La diversification des modes de prise en charge, notamment par le recours aux traitements de substitution

Les traitements de substitution constituent une modalité de prise en charge des personnes dépendantes, notamment des héroïnomanes. Ces traitements améliorent la situation du patient d'un point de vue social, affectif, somatique et concourent à la réduction des risques infectieux. Ils s'insèrent dans une stratégie thérapeutique d'ensemble de la dépendance visant, à terme, le sevrage.

Deux médicaments sont disponibles en 1996 : la Méthadone et le Subutex.

La Méthadone est le plus ancien des médicaments de substitution employés. Le dispositif de prescription et de délivrance de la Méthadone a évolué pour en faciliter l'accès aux toxicomanes qui en relèvent : tous les centres spécialisés de soins aux toxicomanes peuvent désormais la prescrire et la délivrer.

La première phase du traitement a lieu en centres spécialisés composés d'équipes pluridisciplinaires qui apportent toutes les prestations nécessaires à chaque patient.

Quand ce patient retrouve un équilibre personnel, sans consommation d'autres produits et avec des conditions sociales favorables, le médecin du centre peut lui proposer d'être suivi par son médecin de ville. Celui-ci est alors contacté par le médecin du centre pour organiser la poursuite du traitement ; le patient ne peut aller se faire renouveler ses prescriptions de Méthadone qu'auprès de ce seul médecin, qui a donné son accord et bénéficié d'une formation adaptée.

La dispensation du médicament a alors lieu dans une pharmacie d'officine du choix du patient, le pharmacien d'officine devant également avoir bénéficié d'une formation spécifique. En cas de problème, le patient pourra être réorienté vers le centre spécialisé de soins aux toxicomanes.

Ce dispositif impose que tous les centres de soins disposent du personnel nécessaire (médecins, infirmières) pour cette modalité de prise en charge. Actuellement, 110 centres spécialisés disposent effectivement du personnel en nombre suffisant pour le suivi de ces traitements dans de bonnes conditions, contre 3 seulement en 1990. Ils couvrent 62 départements.

Le Subutex, bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché depuis le 31 juillet 1995, est disponible en officine depuis février 1996 avec une indication de traitement de la pharmacodépendance majeure aux opiacés. Il s'adresse à des patients pour la plupart déjà suivis en médecine libérale. Le Subutex peut être prescrit par tout médecin traitant après un examen médical.

De surcroît, alors qu'une primo-prescription de Méthadone n'est pas autorisée en milieu pénitentiaire, même par un médecin d'un centre spécialisé de soins aux toxicomanes, une prescription de Subutex peut être indiquée en face d'une dépendance majeure aux opiacés.

3) Les réseaux toxicomanie/ville/hôpital

Les réseaux toxicomanie/ville/hôpital visent à assurer la continuité des soins entre les médecins généralistes, les centres spécialisés de soins aux toxicomanes et les différents services hospitaliers concernés par l'accueil des toxicomanes au sein d'un même hôpital. Ils s'inscrivent dans les stratégies liées au sevrage et aux prises en charge avec substitution. Depuis 1993, 32 réseaux ont été créés.

4) L'ouverture du secteur hospitalier à la prise en charge des
toxicomanes

Cette priorité a été affirmée par de précédentes directives visant à réserver un certain nombre de lits pour le sevrage de ces patients et lors de la création des réseaux toxicomanie/ville/hôpital. La circulaire du 3 avril 1996 poursuit cette politique : elle affirme que, « du fait de sa mission de service public, l'hôpital doit offrir aux patients toxicomanes les soins médico-psycho-sociaux qu'ils requièrent ».

Elle prévoit que le développement de la prise en charge hospitalière doit, en conséquence, s'articuler autour des priorités suivantes :

- la poursuite de la mobilisation des services hospitaliers sur leurs missions de sevrage,

- l'implication plus importante des consultations de médecine,

- la mise en place d'équipes de liaison et de soins aux toxicomanes,

- le renforcement de certains services hospitaliers impliqués dans la prise en charge des usagers de drogue et devant faire face à des situations de crise,

- la formation du personnel hospitalier.

5) La réduction des risques infectieux et la campagne de vaccination contre l'hépatite B

Depuis 1993, dans le cadre de la prévention des risques infectieux, 25 « boutiques », lieux refuges permettant de discuter, de se reposer, de se doucher, de laver son linge ou de prendre un café ont été ouvertes pour les toxicomanes les plus marginalisés. Elles offrent des soins infirmiers de première urgence, dispensent du matériel d'injection stérile et proposent une orientation vers le dispositif sanitaire et social.

6) Les injonctions thérapeutiques

L'intérêt du recours à l'injonction thérapeutique a été à plusieurs reprises rappelé aux Procureurs de la République et aux préfets. Le bilan de l'année 1995 montre ainsi une augmentation de près de 11 % du nombre des personnes ayant été orientées vers un service sanitaire suite à une interpellation pour usage de stupéfiants. Elles étaient au nombre de 6.500 en 1994 et 7.220 en 1995.

C. LES PARENTS PAUVRES DU BUDGET DE LA SANTÉ : LA LUTTE CONTRE L'ALCOOLISME ET LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME

Les crédits de la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme sont reconduits par la loi de finances pour 1997 : le chapitre 47-17 sera doté, pour 1997, des mêmes 183,5 millions de francs dont il avait bénéficié en 1996. Seule la ventilation entre dépenses déconcentrées et dépenses non déconcentrées est modifiée au profit des premières et à hauteur de 2,8 millions de francs.

Cette reconduction en francs courants entraîne leur légère baisse en francs constants.

Certes, le secrétaire d'État chargé de la santé et de la sécurité sociale l'a rappelé lors de son audition budgétaire par votre commission, il faut ajouter aux crédits au chapitre 47-17 ceux qui seront engagés par le comité français d'éducation pour la santé et ses comités régionaux et départementaux.

Mais ce comité agissait déjà au cours des années précédentes, et, la progression de ses crédits en 1997 ne suffit pas à convaincre d'une augmentation des crédits de la lutte contre l'alcoolisme.

Les moyens sont donc insuffisants pour mener une véritable politique de prévention, qui ne peut se résumer à l'augmentation des droits de consommation, telle qu'elle est prévue dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997.

1. La politique de lutte contre l'alcoolisme demeure un impératif, malgré la diminution globale de la consommation

La consommation annuelle d'alcool pur des Français a régressé depuis 1985 :

Cette régression demeure insuffisante, d'autant qu'elle s'accompagne de phénomènes inquiétants chez les jeunes.

Ainsi, 50 % des 12-18 ans déclarent boire de l'alcool, de même que les trois quarts des jeunes de 18 ans.

Entre 14 et 18 ans, la consommation d'alcool des jeunes qui déclarent boire de l'alcool est évaluée à 2,7 verres par jour.

De surcroît, la part des jeunes consommateurs réguliers diminue alors que celle des jeunes consommateurs occasionnels augmente : ceux qui boivent consomment de plus en plus et recherchent fréquemment l'ivresse. Ainsi, 21 % des jeunes de 14 à 18 ans disent avoir été ivres au moins une fois au cours des trois mois précédant l'enquête réalisée par le ministère de la santé.

On connaît enfin l'importance de l'alcoolisme dans les facteurs de la mortalité prématurée évitable : la conférence de la santé a ainsi placé la lutte contre l'alcoolisme dans les dix priorités de santé publique définies pour l'année.

Le budget pour 1997 n'est pas le seul, ni le premier, à présenter des insuffisances en ce qui concerne la lutte contre l'alcoolisme : la stabilisation des crédits en loi de finances initiale et les mesures de régulation budgétaire intervenant en cours d'année à leur détriment font presque figure de tradition budgétaire.

Ainsi, à partir d'une base 100 en 1986, l'évolution des crédits ouverts en loi de finances initiale (francs constants) a été la suivante :

1986 100

1987 94,9

1988 98,7

1989 95,1

1890 98,4

1991 97,9

1992 95,2

1993 92,1

1994 95

1995 104

1996 Stabilisation en francs courants et gel

de 4,5 % (5,2 millions de francs)

en cours d'année

L'utilisation des crédits budgétaires de la lutte contre l'alcoolisme correspond, pour l'article 10 du chapitre 47-17, à des subventions versées à des associations pour leur lutte contre l'alcoolisme.

Les crédits de l'article 20, réévalués cette année aux dépens de ceux de l'article 10, sont déconcentrés dans les DDASS. Ils correspondent au financement du dispositif permanent de lutte contre l'alcoolisme qui repose sur les centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie et les comités départementaux de prévention de l'alcoolisme.

En outre, des crédits inscrits au chapitre 66-11 sont affectés à des subventions d'équipement sanitaire en psychiatrie extra-hospitalière et à la lutte contre l'alcoolisme (14 millions de francs directement inscrits à l'article 50).

2. La politique de lutte contre le tabagisme : 2 millions de francs seulement lui sont affectés.

De même que la consommation d'alcool, le tabagisme a régressé depuis vingt ans au sein de la population française.

Chez les adultes de 18 ans et plus, la proportion des fumeurs dans l'ensemble de la population est passée de 42 % à 34 % entre 1974 et 1993.

Cependant, si l'on affine par sexe, la baisse est beaucoup plus sensible chez les hommes, puisque la proportion de fumeurs diminue de 59 % à 40 % alors que, chez les femmes, elle augmente régulièrement, de 28 % en 1974 pour atteindre 35 % en 1991, année à partir de laquelle ce chiffre est régulièrement en baisse.

35,1 % des jeunes âgés de 12 à 18 ans fument. Parmi ceux-ci, 89,9 % ont une consommation tabagique régulière. La comparaison des taux de prévalence depuis 1977 chez les fumeurs occasionnels de cette tranche d'âge permet d'enregistrer une chute importante, ils sont en effet passés de 48 % à 31 % chez les garçons et de 43 % à 31 % chez les filles.

D'une façon générale, on enregistre une modification lente mais constante des comportements. Les campagnes de prévention axées autour d'une image positive du non-fumeur et les augmentations régulières des prix des cigarettes contribuent largement à la diminution du nombre de fumeurs.

Le tabagisme demeure fortement lié à l'activité professionnelle et au milieu social : chez les hommes, les ouvriers sont les plus nombreux à fumer (16 % de plus que la moyenne). Les cadres supérieurs et les agriculteurs sont en revanche très au-dessous de la moyenne.

Une fraction importante (les deux tiers) des crédits de la lutte contre le tabagisme sont utilisés pour subventionner le comité national de lutte contre le tabagisme. Ce comité, auprès duquel on peut considérer que l'État sous-traite la politique de lutte contre le tabagisme est une association cofinancée par le ministère de la santé et l'assurance maladie. Il a deux activités principales, qui reçoivent chacune la moitié des 1.360.000 francs de subventions étatiques :

- une activité judiciaire. Le CNCT mène en effet une action soutenue contre la publicité illégale en faveur du tabac dans le cadre de la loi du 10 janvier 1991 qui a autorisé les associations déclarées depuis plus de cinq années et dont l'objet est la lutte contre le tabagisme à se porter partie civile à l'encontre des infractions relatives à l'interdiction de publicité. Si l'action judiciaire du CNCT est légitime, on peut s'interroger sur le fait que son financement représente la moitié des crédits de la lutte contre le tabagisme ;

- une activité de prévention. L'autre moitié de la subvention de l'État soutient en effet les activités de prévention croissantes de cette association (brochure, affiches...), ainsi que les multiples enquêtes réalisées autour du thème du tabac.

D. LA LUTTE CONTRE LE CANCER NE FAIT PAS L'OBJET D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE

Le rapport du Haut Comité de la santé publique de 1994 observe l'importance de la mortalité prématurée attribuable au cancer. Il est responsable de 140.000 décès chaque année tous âges confondus. Avant l'âge de 65 ans, c'est la première cause de mortalité avec 36 % des décès dont 9.000 cancers du poumon et 6.900 cancers des voies aéro-digestives supérieures, dont l'impact est une spécificité française, liée à l'association alcool-tabac. Ces deux cancers augmentent actuellement chez les femmes.

Une partie des décès attribuables au cancer peut être évitée, soit par des mesures préventives de réduction des comportements à risque, soit par une amélioration du système de soins ou du dépistage.

Retenu comme un des thèmes prioritaires dans bon nombre de conférences régionales de santé, la lutte contre le cancer est également l'un des dix objectifs prioritaires de la conférence nationale de santé.

Deux rapports IGAS de 1993 soulignaient le rôle de coordination que devrait reprendre l'État dans le domaine de la prévention, du dépistage et de l'organisation des soins et soulignaient la nécessité de clarifier, le cas échéant par des dispositions législatives ou réglementaires, le rôle des différents acteurs dans un système aujourd'hui trop disparate. Ces rapports faisaient le constat d'une absence de véritable politique de lutte contre le cancer au sens de la définition des objectifs et de priorités et de la coordination de l'utilisation des moyens.

Il convient donc de mettre en place une politique de lutte contre le cancer qui vise à développer la prévention et à améliorer l'organisation du dépistage et des soins pour une prise en charge de qualité accessible à tous les patients.

Certes, depuis trois ans, une meilleure prise de conscience des problèmes de lutte contre le cancer s'est faite avec le lancement en 1993 du programme national de dépistage systématique du cancer du sein, la création en 1995 du conseil national du cancer et en juin 1996 et la mise en place du comité scientifique sur le dépistage du cancer colo-rectal.

Par ailleurs, dès 1994, avec la thématique du cancer, l'Alsace a fait partie des trois programmes pilotes régionaux de santé ; elle a été suivie en 1995 sur le même sujet par la région Champagne-Ardenne.

1. L'information statistique

Le constat de l'insuffisance de statistiques disponibles dans le domaine du cancer a été dressé. Un groupe de travail issu du comité national des registres a donc élaboré des propositions pour la mise en place d'un système d'informations statistiques sur le cancer pour suivre de façon permanente les données nécessaires à la prise de décision, au suivi des actions mises en oeuvre et à leur évaluation : morbidité, mortalité, survie, facteurs de risque, statistiques sur les filières de soins... Un programme commun sera mis en oeuvre sur ce point entre le ministère de la santé et l'INSERM.

2. La prévention

En 1996, le ministère du travail et des affaires sociales s'est associé à la campagne européenne sur la prévention du mélanome et l'abus de l'exposition au soleil en diffusant des plaquettes d'information et d'affiches dans tous les départements français. Sur ce même aspect, un groupe de travail du conseil supérieur d'hygiène publique de France a élaboré un rapport sur les dangers des appareils de bronzage utilisant les rayonnements ultra-violets, qui a déjà eu des conséquences sur le plan réglementaire.

3. Le dépistage

Un financement de 6 millions de francs a été accordé en 1994, en 1995 et en 1996, en vue de mettre en place des actions dans le domaine du cancer et notamment le programme de dépistage du cancer du sein.

a) Dépistage du cancer du sein

Installé officiellement en mai 1994 avec la signature d'un accord entre l'État, les caisses d'assurance maladie, les conseils généraux et la mise en place d'un comité national de pilotage, le dépistage organisé du cancer du sein concerne aujourd'hui vingt départements. Une dizaine de départements s'apprêtent à se lancer dans un tel programme.

Sur le plan organisationnel, une cellule de gestion du programme a été mise en place à la Direction générale de la santé avec l'aide de la Ligue nationale contre le cancer pour l'évaluation et le suivi des actions départementales et le soutien logistique du groupe de pilotage. Un cadre de référence a été élaboré sous forme d'un cahier des charges rigoureux qui fait appel à l'assurance de qualité (formation des professionnels et contrôle de qualité des appareils, des clichés et de la lecture...) sur toute la chaîne de dépistage.

Par ailleurs, des plans de formation ont été élaborés pour les professionnels concernés, notamment les radiologiques et les manipulateurs-radio, les anatomo-pathologistes et les radio-physiciens et ingénieurs biomédicaux pour lesquels un cours spécifique est financé par le ministère. Pour les responsables départementaux de programmes, des séminaires annuels sont organisés pour faire le point sur les résultats. Ces formations devraient être poursuivies en 1997, ainsi que des formations spécifiques destinées à des experts.

Cependant, il apparaît désormais nécessaire de proposer sur tout le territoire national un dépistage de qualité à toutes les femmes concernées ; une réflexion sur les moyens réglementaires et financiers nécessaires à cette mise en oeuvre est en cours.

b) Dépistage du cancer colo-rectal

Si certains essais contrôlés avec une forte participation de patients volontaires ont pu mettre en évidence une réduction de la mortalité de ce cancer, le test qui permet le dépistage n'est pas très sensible ni très spécifique. Si son utilisation en pratique individuelle ou lors de campagnes de dépistage de masse était préconisée, elle devrait se faire avec beaucoup de rigueur et avec le support d'un cahier des charges garantissant la qualité des examens et du suivi des patients positifs à qui doivent être proposés des examens complémentaires. L'exemple du dépistage du cancer du sein témoigne de cette nécessaire rigueur. Le comité qui a été nommé en juin 1996 a pour mission d'élaborer un cadre de ce type.

4. Le contrôle de qualité des installations de radiothérapie : un retard surprenant

Dans le cadre de la loi n° 95-116 du 4 février 1995 (J.O. du 5 février 1995), le contrôle de qualité des installations de radiothérapie a été rendu obligatoire. 2,4 millions de francs ont été réservés en 1994 pour la mise en place de ce contrôle. Votre rapporteur tient à souligner que le Parlement avait adopté ce dispositif à l'initiative du Gouvernement, qui invoquait alors l'urgence. Près de deux ans après le vote du Parlement, le décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur du dispositif n'est toujours pas publié.

5. Organisation des soins : le conseil national du cancer

Mis en place en 1995, le Conseil national du cancer a été saisi par la DGS d'un avis sur le dépistage du cancer du col de l'utérus. Les travaux du Conseil devraient permettre d'orienter l'action des pouvoirs publics dans le domaine de la cancérologie.

6. Les programmes régionaux de santé

Expérimentés à partir de 1994 par la région Alsace sur la thématique du cancer, puis par la région Champagne-Ardenne, ce sont des programmes qui associent l'ensemble des professionnels et institutions concernés par la lutte contre le cancer dans la région (statistiques, prévention, dépistage, soins en incluant la douleur et la qualité de la vie).

Ils intègrent des partenaires aussi divers que les observatoires de la santé, inspections d'académie, comités d'éducation à la santé, caisses d'assurance maladie, associations de malades, unions régionales, infirmières, établissements de soins, services déconcentrés, professionnels de santé...

Ils élaborent ensemble des objectifs qui passent par la définition de buts à atteindre et d'actions à mettre en oeuvre, devant faire l'objet d'évaluation sur la base d'indicateurs définis a priori. Ces programmes sont soutenus financièrement par les crédits du ministère de la santé. Ils sont appelés à se mettre en place progressivement sur tout le territoire national.

Cette analyse rend compte de la réalité des interventions publiques en faveur de la lutte contre le cancer. Elle révèle aussi à l'évidence qu'à la différence de la lutte contre le Sida ou la toxicomanie, la lutte contre le cancer ne fait l'objet, ni d'une individualisation budgétaire, ni d'un engagement financier de l'État à la hauteur du problème de santé publique posé, ni enfin d'une véritable politique, qui se traduirait par la définition d'objectifs à atteindre et des moyens pour y parvenir.

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