C. LES CRISES ALIMENTAIRES

Ces derniers mois ont été ponctués de plusieurs crises survenant dans l'alimentation : problèmes décelés dans certains fromages au lait cru, poulets dans lesquels des traces de à la dioxine ont été décelées, affaire " Coca-Cola ", suspicion d'incorporation de sang de bovin dans certains vins...

Votre rapporteur pour avis ne souhaite pas développer ces différents aspects, la commission des affaires économiques ayant mis en place dès le 5 mai dernier un groupe de travail sur les industries agro-alimentaires qui a remis ses conclusions ce mois-ci. Par ailleurs, il est nécessaire de laisser à l'AFSSA le temps de se mettre en place et à la vingtaine d'articles de la loi d'orientation agricole, adoptée en juillet dernier, relatifs à la sécurité sanitaire des élevages et des produits d'être mis en application.

Par ailleurs, le rapport pour avis de notre collègue Mme Odette Terrade sur les crédits de la consommation dans le projet de loi de finances pour 2000 retrace sommairement l'historique de ces crises.

On rappellera, au demeurant, que si l'application du principe de précaution est une nécessité, ses corollaires doivent être les principes de proportionnalité et de compensation.

D. LE PROBLÈME DE L'INTÉGRATION

Les différentes crises survenues dans les secteurs de la volaille, du veau et du porc ont soulevé le problème de l'intégration. On intègre aujourd'hui par l'amont (fournisseurs d'intrants), par l'aval (abatteurs, distributeurs) mais aussi " de façon rampante, à l'horizontale " c'est-à-dire tout simplement entre éleveurs.

Ce mouvement s'effectue pour répondre à une attente, à un besoin de sécurité des producteurs mais, aussi lors des crises, par expansionnisme. Il est en général provoqué par le choc entre la lourdeur des investissements et la variabilité des cours.

Or, la loi -notamment celle de 1964- est aujourd'hui impuissante face à ces nouvelles formes d'intégration et ne réglemente plus les rapports contractuels entre intégrateurs et intégrés. Cette intégration est néfaste pour les producteurs qui perdent leur pouvoir économique, et conduit, en outre, à l'absence de choix pour le consommateur à moyen terme.

1. La diversité des modes d'intégration

Selon qu'elle se situe vers l'aval ou l'amont, l'intégration répond à des réalités économiques différentes. En aval, l'intégration anticipe et se substitue aux mécanismes de soutien des marchés en cas du surabondance de l'offre par rapport à la demande. C'est en effet, dans ce schéma précis, le transformateur ou le négociant qui est le mieux armé pour affronter le marché et entre autres déceler ce qui peut être vendu de ce qui ne l'est pas 11( * ) . L'intégration peut, et dans certains cas doit, orienter la production. C'est ce qui donne à cette forme d'intégration aval une pleine justification, du moins économique.

A l'opposé, l'intégration amont c'est-à-dire aux mains des détenteurs des moyens de production se justifie économiquement en cas de pénurie de l'offre. Elle stimule et incite à la production sur un marché dont les besoins restent à satisfaire. Elle s'explique aussi par les difficultés financières rencontrées par les élevages.

Il y aurait donc, selon les époques et selon les contextes, une bonne et une mauvaise intégration . La volonté même d'intégration de la filière a expliqué le développement de la coopération, les agriculteurs désirant contrôler soit leurs débouchés soit leur approvisionnement, là où le capital privé faisait défaut.

2. Les difficultés posées par l'absence de solution face au développement de l'intégration

Face aux développements des différentes formes d'intégration, la question d'actualité réside dans la définition même du terme d'intégration. Où commence-t-elle et où finit-elle ? L'article 17.1 de la loi du 6 juillet 1964 qualifie de contrats d'intégration " tous contrats, accords ou conventions conclus entre un producteur agricole ou un groupe de producteurs et une ou plusieurs entreprises industrielles ou commerciales comportant obligation réciproque de fournitures de produits ou de services "... " Dans le domaine de l'élevage, sont réputés contrats d'intégration les contrats par lesquels le producteur s'engage envers une ou plusieurs entreprises à élever ou à engraisser des animaux ou à produire des denrées d'origine animale, et à se conformer à des règles concernant la conduite de l'élevage, l'approvisionnement en moyen de production ou l'écoulement des produits finis "...

En développement depuis le début des années cinquante et d'origine américaine, les contrats d'intégration ont, au fil des années amené le législateur à légiférer et la jurisprudence à prendre position :

- Une première fois avec la loi du 6 juillet 1964 (loi n° 64-678) qui tend " à définir les principes et les modalités du régime contractuel en agriculture " .

- Une deuxième fois avec la loi d'orientation agricole de 1980 pour donner une base juridique aux contrats-type dans l'aviculture et l'élevage des veaux de boucherie, filières historiques de l'intégration (le contrat à façon pour la production de poulets de chair a été totalement remanié en 1983). Ce dispositif " n'a constitué en rien une novation mais plus modestement, a formalisé une jurisprudence constante de la cour de cassation depuis 1976 ".

- Une troisième fois avec une jurisprudence de la Cour de Cassation qui, depuis 1982, a pris une position diamétralement opposée, élargissant dans ses attendus la notion d'intégration. Il suffit ainsi que l'agriculteur soit lié à l'approvisionnement ou à la revente et qu'il soit tenu à l'exclusivité ou conditionné par des contraintes techniques pour qu'il y ait intégration. Cette jurisprudence explique la position des industriels de l'alimentation animale : leurs relations avec les éleveurs sont souvent considérées par le juge comme de l'intégration, alors que ce n'est pas réellement le cas sur le plan économique.

Malgré -ou à cause de- son évolution, cette législation s'avère aujourd'hui dépassée et ne répond pas à de nombreux problèmes liés à la modification des structures et du marché. L'inadaptation de ce texte tient dans son article 17 qui stipule que l'un des partenaires doit être une entreprise commerciale ou industrielle. Ceci " a pour effet d'exclure d'office les coopératives, les groupements de producteurs et les agriculteurs eux-mêmes du champ d'intervention de la loi " .

Toutes les conséquences de la récente crise du porc ne sont pas encore connues, mais de réelles inquiétudes se font jour. Un questionnaire mis au point par le SCEES (Service central des enquêtes et des études statistiques) et adressé régulièrement aux éleveurs porcins incluait dans sa mouture de novembre 1998 ces deux nouvelles questions : y-a-t-il des porcs dont vous n'êtes pas propriétaire ? ; y-a-t-il des porcs qui vous appartiennent mais qui sont confiés à d'autres éleveurs ?

Une nouvelle forme d'intégration horizontale s'opère donc entre éleveurs qui, pour pouvoir développer leur production, passent des contrats de façon avec d'autres éleveurs en difficulté. Dans l'Ouest, lorsqu'un éleveur veut s'agrandir, compte tenu des volumes de production et des normes de quantité d'azote à l'hectare, il est obligé de passer par l'intégration horizontale d'autres éleveurs.

Des éleveurs de l'Ouest de la France intègrent aujourd'hui jusque dans le Maine-et-Loire ou en Mayenne. Avec un statut qualifié de " salarié déguisé " ne bénéficiant d'aucune protection " cette nouvelle forme d'intégration mettrait l'intégré dans une situation de dépendance totale vis-à-vis d'un autre éleveur tout en échappant à la loi de 1964 ".

Régulièrement taxés d'intégration déguisée, les coopératives et les groupements de producteurs sont eux aussi en dehors du champ d'application de la loi de 1964, limitative, dans son article 17 aux firmes privées. Chacun en convient : " le producteur étant sociétaire d'une coopérative ou membre d'un groupement ne peut, par définition être intégré lui-même ".

3. La solution préconisée par la loi d'orientation agricole

Notre collègue, M. Michel Souplet, rapporteur de la loi d'orientation agricole, avait été à l'initiative d'un amendement adopté par le Sénat prévoyant que " dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présentera un rapport sur les adaptations législatives ou réglementaires nécessaires afin d'encadrer le phénomène de l'intégration et de renforcer le pouvoir économique des producteurs ".

Cet article a été inséré finalement au sein de l'article 141 relatif au rapport global que doit remettre le Gouvernement.

Votre commission des affaires économiques suivra avec attention l'évolution de ce dossier.

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