CHAPITRE IV :

DROITS DES ACTIONNAIRES

ARTICLE 62

Extension des droits des actionnaires minoritaires

Commentaire : le présent article vise à abaisser à 5 % le seuil de détention du capital à partir duquel les actionnaires peuvent entreprendre certaines actions de contrôle sur la gestion de la société. Par ailleurs, il modifie les modalités de l'expertise de gestion en introduisant au préalable une procédure de question écrite.

I. LE DISPOSITIF ACTUEL

La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales comporte un ensemble de dispositions garantissant certains droits aux actionnaires minoritaires :

- le droit, soit pour un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins le dixième du capital social, soit pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de demander la désignation en justice d'un mandataire pour convoquer l'assemblée générale (article 158 de la même loi) ;

- le droit, pour un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital ou pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de requérir l'inscription à l'ordre du jour de projets de résolution (article 160 de la même loi) ;

- le droit, soit pour un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins le dixième du capital social, soit pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de demander en justice la récusation pour juste motif d'un ou plusieurs commissaires aux comptes désignés par l'assemblée générale (article 225 de la même loi) ;

- le droit, soit pour un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins le dixième du capital social, soit pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de demander en justice la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (article 226 de la même loi) ;

- le droit, soit pour un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins le dixième du capital social, soit pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de poser par écrit des questions au président du conseil d'administration ou au directoire sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation (article 226-1 de la même loi) ;

- le droit, soit pour un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins le dixième du capital social, soit pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, de demander que les commissaires aux comptes, en cas de faute ou d'empêchement, soient relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, par décision de justice (article 227 de la même loi) ;

- le droit, pour un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital ou pour une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1, d'intenter une action sociale en responsabilité contre les administrateurs (article 245 de la même loi).

Toutefois, il n'existe pas d'harmonisation de la définition des " minoritaires ", qui sont assimilés selon les cas soit à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social, soit à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital, soit encore aux actionnaires membres d'une association répondant aux conditions fixées à l'article 172-1 de la même loi.

Une telle association peut être créée par des actionnaires d'une société cotée, justifiant d'une inscription nominative depuis au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5 % des droits de vote.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article propose de renforcer le droit des actionnaires minoritaires qui ne sont pas regroupés dans une association répondant aux conditions fixées à l'article 171-2 de la même loi.

Le paragraphe I propose de baisser à 5 % la part de capital social que doit posséder un ou plusieurs actionnaires pour pouvoir soit récuser ou un plusieurs commissaires aux comptes, soit poser, deux fois par exercice, des questions écrites au président du conseil d'administration ou au directoire sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, soit pour demander que les commissaires aux comptes, en cas de faute ou d'empêchement, soient relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, par décision de justice.

Comme il a été indiqué précédemment, l'actuel article 226 autorise un ou plusieurs actionnaires représentant au moins un dixième du capital social à demander en justice la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Il s'agit cependant d'une procédure assez lourde, qui peut créer parfois inutilement une situation de conflit entre la direction et certains actionnaires minoritaires.

C'est la raison pour laquelle le paragraphe II propose de modifier le dispositif prévu au premier alinéa de l'article 226 de la loi précitée en le décomposant en deux étapes : la possibilité pour les actionnaires de poser des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion et, en l'absence de réponse, la faculté de demander la désignation d'un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur lesdites opérations.

Désormais, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, poser au président du conseil d'administration ou au directoire des questions portant sur des opérations de gestion de la société.

Le seuil à partir duquel les actionnaires ont une capacité à agir a été baissé puisque ces derniers devaient détenir jusqu'à présent au moins un dixième du capital social.

Les questions doivent être posées par écrit. Elles couvrent un domaine très large puisque sont visées les opérations de gestion non seulement de la société dont ils sont actionnaires, mais également des filiales de ladite société 154 ( * ) . Dans ce cas cependant, il est précisé que la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe.

Concrètement, cela signifie que les opérations de gestion qui font l'objet d'interrogations de la part des actionnaires minoritaires de la société mère doivent représenter un enjeu significatif au niveau du groupe.

La réponse apportée par le président du conseil d'administration ou le directoire doit être communiquée aux commissaires aux comptes. Elle doit intervenir dans le mois suivant l'envoi de la question.

En effet, s'il n'est apporté aucune réponse, mais également si les explications données s'avèrent insuffisantes, les actionnaires qui ont posé la question ont la faculté de demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications au texte proposé par le gouvernement.

D'abord, elle a étendu la baisse du seuil à partir duquel les actionnaires ont une capacité à agir à deux dispositions :

- celle de l'article 158 de la loi du 24 juillet 1966 précitée relative à la désignation en justice d'un mandataire pour convoquer l'assemblée générale ;

- celle de l'article 402 de la même loi qui autorise les associés représentant au moins le dixième du capital, dans les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions à demander la liquidation légale de la société au président du tribunal de commerce.

Par ailleurs, elle a complété le nouveau dispositif proposé à l'article 226.

D'une part, elle élargit aux associations répondant aux conditions fixées par l'article 172-1 l'obligation préalable de question écrite au président du conseil d'administration ou du directoire sur une ou plusieurs opérations de gestion avant de pouvoir saisir le juge pour la désignation d'un expert chargé d'établir un rapport sur les opérations en question.

D'autre part, elle a modifié la rédaction du deuxième alinéa de l'article 226 afin d'affirmer la faculté pour le ministère public, le comité d'entreprise et la commission des opérations de bourse de demander directement en référé la désignation d'un expert.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Il convient de rappeler que votre rapporteur avait insisté dans son rapport de 1996 au Premier ministre 155 ( * ) sur la nécessité de responsabiliser les organismes intermédiaires, et, notamment, les associations d'actionnaires.

Par ailleurs, il avait souligné que " la protection des actionnaires minoritaires pourrait être renforcée en étendant au niveau des groupes de sociétés l'expertise de gestion prévue à l'article 226 de la loi de 1966. Cette expertise peut être demandée en justice par un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social. S'il est fait droit à cette demande, des experts sont désignés pour établir un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. Il conviendrait cependant de réserver cette expertise aux minoritaires de la société mère pour des opérations relevant des filiales, dès lors que celles-ci représentent un enjeu significatif au niveau du groupe ".

Votre commission se félicite donc que ces recommandations aient été reprises par le gouvernement. Toutefois, la notion de " demande devant être appréciée au regard de l'intérêt du groupe " lui paraît ambiguë. C'est la raison pour laquelle elle vous proposera un amendement qui précise que la demande doit porter sur une ou plusieurs opérations représentant un enjeu significatif au niveau du groupe, et, notamment, que les actionnaires puissent poser des questions sur des opérations de gestion des filiales.

Votre commission approuve également l'obligation pour les actionnaires minoritaires et les associations d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article 172-1 de devoir interroger le président du conseil d'administration ou le directoire sur les opérations de gestion qui retiennent leur attention avant de demander au juge de désigner un expert.

Toutefois, il n'apparaît pas, dans la rédaction actuelle, que les opérations sur lesquelles l'expert présentera un rapport sont celles qui avaient fait l'objet de la question écrite. Votre commission vous proposera donc un amendement rédactionnel dans ce sens.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

ARTICLE 63

Participation aux assemblées générales

Commentaire : le présent article vise à autoriser la participation des actionnaires aux assemblées générales par des moyens de télécommunication et à supprimer la faculté donnée aux statuts d'exiger la détention d'un nombre minimum d'actions pour participer aux assemblées générales.

I. LE DISPOSITIF EXISTANT

L'article 133 du décret n° 67-236 du 13 mars 1967 prévoit que l'actionnaire qui ne peut assister personnellement à l'assemblée générale peut choisir entre trois formules :

- donner une procuration à un autre actionnaire ou à son conjoint ;

- voter par correspondance ;

- adresser une procuration à la société sans indication de mandat.

Concrètement, lorsqu'un actionnaire n'a pas la possibilité de se faire représenter, il ne peut participer à l'assemblée générale qu'en votant par correspondance.

Le présent article propose de tenir compte des nouvelles technologies pour autoriser les actionnaires à participer aux assemblées générales sans être physiquement présents.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le paragraphe I du présent article propose de compléter l'article 161-1 de la loi du 24 juillet 1966 précitée afin d'autoriser les actionnaires à participer aux assemblées générales par des moyens de télécommunication et de tenir compte de leur participation pour le calcul du quorum et de la majorité.

Cette faculté peut être utilisée aussi bien pour les assemblées générales ordinaires que pour les assemblées extraordinaires. Elle doit cependant être expressément prévue par les statuts.

Le présent article renvoie à un décret la détermination des moyens de télécommunication susceptibles d'être utilisés.

Par ailleurs, afin de faciliter l'accès des actionnaires aux assemblées générales, le paragraphe II de cet article abroge l'article 65 de la loi du 24 juillet 1966 précitée qui donnait aux statuts la faculté d'exiger un nombre minimal d'actions, sans que celui-ci puisse être supérieur à dix, pour ouvrir le droit de participer aux assemblées générales ordinaires.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a porté plusieurs modifications.

D'abord, elle a estimé que le terme " moyens de télécommunication " était trop large, dans la mesure où il inclut le recours au téléphone, l'utilisation de la télécopie, la visioconférence et la télétransmission des interventions et des votes à travers des supports électroniques.

Elle a estimé que le téléphone et la télécopie n'apportaient pas les garanties nécessaires et a donc remplacé la notion de " moyens de communication " par visioconférence et supports électroniques.

Par ailleurs, elle a tenu compte de l'abrogation de l'article 165 de la loi précitée (qui autorisait les statuts à exiger des actionnaires la détention d'un nombre minimum d'actions pour participer aux assemblées générales) pour modifier l'article 95 de la même loi.

D'une part, elle a supprimé la deuxième phrase de l'article 95 qui prévoyait que le nombre minimum d'actions que l'administrateur doit posséder ne peut être inférieur à celui exigé par les statuts pour ouvrir aux actionnaires le droit d'assister à l'assemblée générale ordinaire. En effet, cette disposition devient de facto caduque puisqu'il n'existe plus de nombre minimal d'actions nécessaire pour participer aux assemblées générales.

Désormais, il revient aux statuts de fixer librement le nombre d'actions dont un administrateur doit être propriétaire.

D'autre part, l'Assemblée a modifié le dernier alinéa de l'article 165 pour adapter les conditions que doit remplir un salarié pour pouvoir être nommé administrateur au titre de l'article 93-1 156 ( * ) .

La législation en vigueur exige que l'actionnaire salarié détienne un nombre d'actions égal à celui exigé pour participer à l'assemblée générale afin de pouvoir être nommé administrateur, soit dix actions.

Dans la mesure où l'accès aux assemblées générales n'est plus lié à la détention d'un nombre minimum d'actions, les salariés seraient soumis au droit commun et devraient donc être propriétaires du nombre minimum d'actions déterminé par les statuts pour pouvoir être nommés administrateurs.

Or, ce nombre peut s'avérer beaucoup plus important que les dix actions prévues à l'article 165 et risque alors d'empêcher les salariés de devenir membres du conseil d'administration.

C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a exonéré les salariés de l'obligation de détenir le nombre minimum d'actions prévu par les statuts pour être nommés administrateurs. Les salariés doivent cependant détenir au moins une action puisqu'ils doivent être actionnaires.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission approuve la faculté donnée aux actionnaires de pouvoir participer aux assemblées générales sans avoir à être physiquement présents.

Toutefois, votre commission estime que les moyens de télécommunication utilisés pour participer à distance aux assemblées générales doivent permettre d'identifier l'actionnaire. Elle vous propose donc un amendement dans ce sens.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article ainsi modifié.

ARTICLE 64

Information des actionnaires sur les rémunérations, avantages, mandats et fonctions des mandataires sociaux

Commentaire : le présent article vise à faire figurer dans le rapport annuel présenté à l'assemblée générale les rémunérations versées à chaque mandataire social et la liste de leurs mandats et fonctions.

I. LE DISPOSITIF ACTUEL

La législation française impose la publication de certaines informations sur la rémunérations des mandataires sociaux.

Ainsi, l'article 24 du décret n° 83-1020 du 29 novembre 1983 précise que l'annexe doit comporter le montant des rémunérations allouées au titre de l'exercice aux membres des organes d'administration, de direction et de surveillance à raison de leurs fonctions. Il est cependant précisé que ces informations sont données de façon globale pour chaque catégorie et qu'elles peuvent ne pas être fournies lorsqu'elles permettent d'identifier la situation d'un membre déterminé de ces organes.

Toutefois, les informations fournies aux actionnaires ne portent jamais sur la rémunération individuelle des dirigeants des sociétés cotées.

A cet égard, la France se distingue des pays anglo-saxons.

Comme rappelle le rapport Viénot 157 ( * ) , au Royaume-Uni, l'information sur les rémunérations de dirigeants des sociétés cotées figure dans le rapport annuel.

Aux Etats-Unis, ces informations se trouvent dans le document de convocation des actionnaires à l'assemblée générale, auquel renvoie le rapport annuel.

En revanche, à l'exception de la Suède, aucun pays d'Europe continentale n'impose la révélation de la rémunération individuelle des dirigeants des sociétés cotées.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

L'exposé des motifs de la présente loi insiste sur la nécessité de doter les sociétés d'un fonctionnement plus transparent et d'améliorer l'information des actionnaires.

Le présent article doit contribuer à atteindre ces objectifs en rendant obligatoire la publication de la rémunération et des mandats de chaque mandataire social dans le rapport annuel présenté à l'assemblée générale.

L'article 340 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales précise qu'à la clôture de chaque exercice, le conseil d'administration, le directoire ou les gérants dressent l'inventaire, les comptes annuels et établissement un rapport de gestion écrit.

L'article 157-2 de la même loi prévoit que ce rapport rend également compte de l'état de la participation des salariés au capital social.

Le présent article propose d'insérer, après l'article 157-2, un nouvel article 157-3 qui obligera le rapport de gestion écrit à rendre compte de la rémunération versée à chaque mandataire social durant l'exercice.

Concrètement, sont concernées les rémunérations des administrateurs, du directeur général, des directeurs généraux délégués, des membres du conseil de surveillance, des membres du directoire ou, le cas échéant, du directeur général unique et des gérants des sociétés en commandite par actions.

L'information sur les rémunérations doit être exhaustive puisque sont visés non seulement la rémunération totale et les avantages de toute nature versés par la société dont la gestion est visée par le rapport, mais également le montant des rémunérations et avantages de toute nature que chaque mandataire social a reçus de la part des sociétés contrôlées au titre de l'article 155-1.

Les termes de rémunération et d'avantages de toute nature couvrent un domaine très large : les salaires, les jetons de présence, les sommes fixes ou proportionnelles au chiffre d'affaire, les compléments de retraite versés en fin de mandat, les contrats d'assurance vie etc.

Il convient de remarquer que le rapport " rend compte " de la rémunération totale. Cette rédaction laisse penser qu'il ne se contentera pas de dresser une liste des rémunérations, mais portera également sur la politique de détermination de la rémunération des mandataires sociaux.

Comme recommande le rapport Viénot précité, ce rapport pourrait comporter un exposé détaillé " sur les principes de répartition des fractions fixes et variables des rémunérations, sur les critères d'assiette des parties variables et sur les règles d'attribution des bonus et des primes ".

Le troisième alinéa du nouvel article 157-3 précise que le rapport annuel comprend également la liste de l'ensemble des mandats et fonctions exercés par les mandataires sociaux. Cette disposition vise à informer les actionnaires sur les cumuls de mandats qui sont exercés par les mandataires sociaux.

La publication de cette information peut avoir deux conséquences. D'une part, elle responsabilise les actionnaires lors de l'élection des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance. D'autre part, elle incite les mandataires sociaux à limiter le nombre de mandats qu'ils exercent, sans préjudice des dispositions sur les cumuls de mandats renforcées par la présente loi.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

D'abord, l'Assemblée nationale a étendu le champ d'application de l'obligation de publication des rémunérations attribuées aux mandataires sociaux par des filiales de la société en remplaçant la référence à l'article 355-1 par la référence à l'article 357-1.

En outre, elle a considérablement élargi la portée de ce texte en soumettant les dix salariés les mieux rémunérés aux mêmes obligations de transparence que les mandataires sociaux.

Ainsi, elle a rendu obligatoire la publication dans le rapport de gestion les rémunérations et les avantages de toute nature de chacun des dix salariés les mieux rémunérés de la société versées d'une part par ladite société et, d'autre part, par ses filiales.

Par ailleurs, la liste des mandats et fonctions que ces deniers exercent dans d'autres sociétés doit figurer dans le rapport de gestion.

Ensuite, l'Assemblée nationale a renforcé la transparence sur les options dont bénéficient chaque année les mandataires sociaux et les dix salariés qui en sont les premiers bénéficiaires.

Ainsi, elle a imposé que figure au rapport de gestion une information nominative sur le nombre, les dates d'échéance et le prix des options ou d'achat d'actions qui ont été consenties aux mandataires sociaux durant l'année et à raison des mandats et fonctions qu'ils exercent.

Sont visées les options qui leur ont été consenties non seulement par la société dont la gestion est décrite dans le rapport, mais également ses filiales et par les sociétés auxquelles les mandataires sociaux sont liés dans les conditions prévues à l'article 208-4 158 ( * ) de la loi du 24 juillet 1966 précitée.

Le rapport de gestion doit en outre contenir le nombre et le prix des actions souscrites ou achetées durant l'exercice par les mandataires sociaux dans les sociétés mentionnées précédemment.

Les options consenties aux dix plus importants bénéficiaires salariés ainsi que les options levées par ces derniers font également l'objet d'une information nominative.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission est favorable à la publication de la rémunération nominative des rémunérations des mandataires sociaux et de la liste de leurs mandats.

Certes, elle est consciente que cette disposition bouscule quelque peu la mentalité française pour laquelle la question des rémunérations reste un sujet tabou. En réalité, la suppression de cette opacité aura pour conséquence à moyen terme de mettre un terme aux " fantasmes " entretenus par la presse sur les rémunérations des dirigeants.

En outre, elle contribuera au renforcement du gouvernement d'entreprise puisque les mandataires sociaux devront confirmer par leurs actes que le montant de leur rémunération est lié à la qualité de leur travail et à leur implication, tandis que les actionnaires pourront mieux contrôler la politique de détermination de la rémunération des mandataires sociaux et leur demander plus facilement des comptes.

Par ailleurs, votre commission approuve le régime de transparence introduit par l'Assemblée nationale en exigeant une information nominative portant d'une part sur les options consenties aux mandataires et, d'autre part, sur les options levées par lesdits mandataires 159 ( * ) .

Toutefois, votre commission estime qu'il n'est pas opportun de faire figurer ces informations dans le rapport annuel de gestion.

En effet, il résulte de l'article 208-8 de la loi du 24 juillet 1966 précitée et de l'article 174-20 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 que le conseil d'administration ou le directoire doit présenter un rapport annuel spécial à l'assemblée générale ordinaire portant sur le nombre et le prix des options consenties, sur leurs bénéficiaires ainsi que sur le nombre des actions souscrites ou achetées.

Il paraît donc plus opportun d'inclure les informations nominatives énumérées précédemment dans ce rapport.

Toutefois, dans la mesure où l'article 70 bis du présent projet de loi porte sur le renforcement de la transparence du régime des stocks-options, il apparaît plus opportun de regrouper dans cet article les dispositions du présent article concernant les informations nominatives portant, d'une part, sur les options consenties aux mandataires sociaux et, d'autre part, sur les options levées par ces mandataires.

Enfin, votre commission s'oppose à l'extension de l'obligation de publication des rémunérations aux dix salariés les mieux rémunérés. La nécessité de renforcer la transparence sur les rémunérations des mandataires sociaux se justifie par le fait qu'ils sont à la fois juges et parties, en déterminant, même indirectement, leurs propres rémunérations. La situation des salariés, même les mieux rémunérés, n'est pas comparable.

L'Assemblée nationale justifie sa proposition par le fait qu' " en ne visant que les mandataires sociaux, le présent alinéa risque d'instaurer une distorsion entre l'information relative à la rémunération des salariés qui, prévue à l'article 168 de la loi du 24 juillet 1966, reste globale et limitée à une seule société et, d'autre part, celle relative à la rémunération des dirigeants qui devient nominative et consolidée ".

Cet argument n'est pas convainquant dans la mesure où les informations prévues à l'article 168 précité visent à informer les actionnaires sur la politique de détermination des hauts salaires et à leur permettre de faire des comparaisons avec les politiques salariales menées par des sociétés ayant des activités similaires.

Votre commission vous proposera donc un amendement qui tient compte de l'ensemble de ces remarques.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

ARTICLE 64 bis (nouveau)

Répartition de la somme allouée aux administrateurs en rémunération de leur activité par le conseil d'administration.

Commentaire : le présent article vise à donner valeur législative au principe selon lequel le conseil d'administration répartit entre ses membres la somme fixée annuellement par l'assemblée générale pour rémunérer les administrateurs de leur activité.

I. LE DISPOSITIF ACTUEL

L'article 108 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales prévoit que l'assemblée générale peut allouer aux administrateurs en rémunération de leur activité, à titre de jetons de présence, une somme fixe annuelle que cette assemblée détermine.

L'article 93 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 charge le conseil d'administration de répartir entre ses membres les sommes globales allouées aux administrateurs.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

La commission des lois de l'Assemblée nationale a proposé un amendement visant à préciser dans la loi que le conseil d'administration fixe la répartition desdites sommes entre ses membres. En outre, la délibération du conseil devrait être reproduite intégralement dans le procès-verbal de la réunion.

Elle a justifié cet amendement en estimant que " les comités de rémunération délibèrent trop souvent dans le secret et les conseils d'administration n'interviennent pas suffisamment pour donner leur avis et le détail des jetons de présence ".

Le gouvernement a émis un avis favorable à cet amendement mais a rappelé que l'obligation de faire reproduire la délibération du conseil d'administration dans le procès-verbal de la réunion était du domaine réglementaire. Cette disposition a été supprimée tandis que le gouvernement s'est engagé à faire figurer cette précision dans le décret d'application.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 64 ter (nouveau)

Approbation par l'assemblée générale des comptes consolidés

Commentaire : le présent article vise à faire présenter les comptes consolidés à l'assemblée générale par le conseil d'administration ou le directoire.

I. LE DISPOSITIF ACTUEL

L'article 157 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales prévoit que, lors de la réunion de l'assemblée générale, le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, présente les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés.

En outre, l'article 228 de la loi précitée prévoit que les comptes consolidés doivent être certifiés par les commissaires aux comptes.

En revanche, l'assemblée générale ne peut délibérer et statuer que sur les questions relatives aux comptes annuels.

Or, avec le développement de la mobilité des capitaux et la mise en place d'une économie de marchés financiers, la valeur d'une société est analysée moins à travers ses comptes sociaux que ses comptes consolidés.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui autorise l'assemblée générale à approuver les comptes consolidés.

En outre, la rédaction de l'article 157 de la loi précitée a été modifiée afin de remplacer la lecture du rapport par le conseil d'administration ou le directoire par sa présentation à l'assemblée générale.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Dans son rapport de 1996 au Premier ministre portant sur la modernisation du droit des sociétés, votre rapporteur avait défendu l'approbation des comptes consolidés par l'assemblée générale.

Cette position était notamment justifiée par le fait qu'il apparaissait difficile de maintenir que seuls les dividendes, et donc les comptes sociaux, fondent la rémunération des actionnaires et la valorisation de leurs actifs. En effet, avec le développement de la mobilité des capitaux, investisseurs et analystes se fondent non plus sur les seuls comptes sociaux, mais aussi et avant tout sur les comptes consolidés. Les groupes sont devenus la principale réalité en dépit des lacunes de leur statut juridique. Dès lors, on peut soutenir que pour un actionnaire, le véritable fondement de la valeur de ses titres est moins le dividende distribué que le résultat consolidé, réel et anticipé. Ce sont bien en effet les anticipations qui, pour une large part, expliquent les fluctuations des cours des actions . Or, il peut y avoir une déconnexion importante entre le résultat économique et le dividende 160 ( * ) . L'approbation des comptes consolidés doit donc permettre de prendre en compte cette évolution de la réalité économique.

Dès lors, dans une économie de marchés financiers, la qualité de l'information financière devient une donnée essentielle du développement des sociétés . Or, l'intervention de la COB, à ce titre, porte, pour les sociétés cotées, très largement sur les seuls comptes consolidés, et non sur les comptes sociaux. La COB sanctionne administrativement les violations du droit à une information comptable et financière qui soit exacte, précise et sincère, et la diffusion d'informations fausses ou trompeuses peut être pénalement sanctionnée. Il est dès lors paradoxal qu'il n'existe aucune disposition visant la qualité des comptes.

L'objection à la reconnaissance des comptes consolidés se fonde souvent sur l'incertitude et la multiplicité de leurs normes d'élaboration. En effet, indépendamment des avis émis par le Conseil National de Comptabilité (CNC), les comptes consolidés peuvent être élaborés au regard de différentes normes internationales, principalement européennes (normes IASC 161 ( * ) ) ou américaines (normes FASB 162 ( * ) ). Cette multiplicité conduit alors à des pratiques très disparates 163 ( * ) et permet des pratiques peu propices à une information financière correcte, telles que le choix de plusieurs référentiels, selon les intérêts de l'entreprise ( norm shopping ).

Or, il convient de rappeler que, à l'initiative de M. Jean Arthuis, lorsqu'il était ministre de l'Economie et des Finances, la réforme du processus de normalisation comptable a prévu la création d'un comité de la réglementation comptable (CRC) chargé de fixer les prescriptions comptables applicables en France. Cette réforme a également pris en compte le nécessaire recours à des référentiels internationaux, tels que l'IASC ou le FASB pour les sociétés devant être cotées sur des marchés étrangers, notamment aux Etats-Unis. Ainsi, lorsque ces sociétés utilisent des normes internationales homologuées par le CRC, elles sont dispensées d'établir et de publier leurs comptes consolidés dans les conditions prévues par les articles " ad hoc " de la loi de 1966. Cette disposition, justifiée par la nécessité de permettre aux sociétés françaises d'accéder aux capitaux étrangers, a mis fin à l'incertitude, tenant aux référentiels d'élaboration des comptes consolidés. En outre, ce texte a prévu la possibilité pour les commissaires aux comptes d'une entreprise de consulter le CNC réuni en " comité d'urgence " sur des points conditionnant l'arrêté des documents comptables.

La réalité économique et les exigences croissantes de l'information financière conduisent, ainsi que cela avait d'ailleurs été proposé dès 1991 au Sénat, à l'initiative du président Etienne Dailly, à prévoir l'approbation des comptes consolidés.

En outre, il convient de relever que l'Assemblée nationale n'a pas accompagné l'obligation d'approbation des comptes de sanctions pénales. Votre commission ne peut donc qu'approuver cet article, même si les modalités pratiques de son application restent à définir.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 154 Le présent article fait référence aux " sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article 355-1 ".

L'article 355-1 dispose " qu'une société est considérée comme contrôlant une autre :

- lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de ces sociétés ;

- lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

- lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société.

Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose, directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne ".

* 155 Philippe Marini : la modernisation du droit des sociétés, juillet 1996, pages 80 et 92.

* 156 L'article 93-1 prévoit que lorsque les actions détenues par le personnel de la société représentent plus de 5 % du capital social de la société, une assemblée générale extraordinaire peut prévoir qu'un ou deux administrateurs soient nommés parmi les salariés actionnaires.

* 157 AFEP, MEDEF : rapport du comité sur le gouvernement d'entreprise présidé par M. Marc Viénot, juillet 1999, page 9.

* 158 L'article 208-4 prévoit que des actions peuvent être consenties :

- soit au bénéfice des membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d'intérêt économique dont 10 % au moins du capital ou des droits sont détenus, directement ou indirectement, par la société consentant les options ;

- soit au bénéfice des membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d'intérêt économique détenant, directement ou indirectement, au moins 10 % du capital ou des droits de la société consentant les options ;

- soit au bénéfice des membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d'intérêt économique dont 50 % au moins du capital ou des droits sont détenus, directement ou indirectement, par une société détenant elle-même, directement ou indirectement, au moins 50 % du capital de la société consentant les options.

* 159 En revanche, elle s'oppose à la publication des mêmes informations concernant les dix plus importants bénéficiaires salariés.

* 160 Ainsi, un groupe en perte peut distribuer des dividendes dès lors que la société mère est bénéficiaire.

* 161 International Accounting Standards Committee.

* 162 Financial Accounting Standards Board.

* 163 Ainsi, d'après une étude qui avait été menée par de grands cabinets d'expertise comptable et portait sur l'information financière de 100 groupes industriels et commerciaux en France, 21 groupes déclarent utiliser conjointement les normes françaises et celles de l'IASC, 9 les normes françaises et celles de la FASB, et enfin 7 se réclamaient de principes internationaux, sans référence aux normes nationales.

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