B. DES EFFORTS ENCORE INSUFFISANTS POUR PROMOUVOIR LA CONTRACEPTION

Si la contraception d'urgence répond à une situation de détresse et permet de " réparer un accident ", elle n'a pas vocation à remplacer une contraception classique. L'absorption de NorLevo de manière répétée est ainsi dangereuse pour la santé.

L'accent mis aujourd'hui sur la contraception d'urgence -qui devrait rester une méthode d'exception, de " rattrapage "- est assez révélateur de l'échec relatif des politiques menées depuis 30 ans en faveur du développement de la contraception, particulièrement auprès des jeunes.

1. Un taux d'IVG trop élevé, particulièrement chez les jeunes filles

La sexualité des mineurs est pourtant une réalité. Selon une enquête conduite en 1994 et dont les résultats ont été publiés en 1997 1 ( * ) , environ 45 % des adolescents de 15-18 ans ont déjà eu une relation sexuelle avec pénétration (environ 47 % des garçons et 41 % des filles), mais ils sont 55 % (57 % des garçons et 51 % des filles) si l'on considère toutes les pratiques mettant en jeu les organes génitaux (caresses, rapports orogénitaux).

Le type d'orientation scolaire constitue un facteur nettement discriminant pour l'entrée dans la sexualité : les adolescents en apprentissage ont une activité sexuelle et génitale nettement plus précoce que les adolescents scolarisés en lycées d'enseignement professionnel, eux-mêmes plus précoces que les adolescents scolarisés en lycée d'enseignement général.

Pour les adolescents sexuellement actifs, on peut souligner les éléments suivants 2 ( * ) :

- plus de trois quarts déclarent avoir utilisé un préservatif lors de leur première relation sexuelle, et 20 % la pilule, alors que 10 % n'ont utilisé aucune précaution. En outre, environ 57 % des adolescents ayant eu leur première relation sexuelle en 1989 déclaraient avoir utilisé un préservatif, alors qu'ils étaient 85 % parmi ceux ayant eu leur première relation sexuelle en 1993 : la progression du recours au préservatif est particulièrement remarquable, et atteste que les adolescents sont dans l'ensemble des sujets responsables et sensibles aux messages de prévention ;

- les adolescents n'ayant pas utilisé de préservatif étaient deux fois plus nombreux que ceux ayant utilisé un préservatif à effectuer un test de dépistage de VIH, mais ce dans des proportions encore relativement faibles (respectivement 18,6 % et 8,2 %).

- 3,3 % des filles sexuellement actives (mais 9 % des filles en apprentissage) avaient connu une grossesse, parmi lesquelles 72 % avaient eu recours à une IVG.

- 15,4 % des filles et 2,3 % des garçons déclaraient avoir été contraints à la relation sexuelle. Les proportions étaient nettement supérieures pour les filles en apprentissage.

- seuls 16 % de garçons et 26 % des filles ont informé leurs parents de leur entrée en sexualité active. Pour 90 % d'entre eux, les parents ont " bien réagi ".

D'une manière générale, la sexualité n'est pas un sujet de dialogue avec les parents.

L'enquête réalisée par la SOFRES pour Sida Info service 3 ( * ) confirme largement ce fait : les principaux canaux d'information des jeunes de 15-24 ans en matière de sexualité sont les pairs (amis, frères et soeurs pour 65 % d'entre eux), loin devant les médias (45 % pour la télévision, 36 % pour la presse écrite, 19 % pour la radio) et, très loin devant, les médecins, qui précédent eux-mêmes les parents (26 %). L'institut de sondage commentait d'ailleurs : " la sexualité est une préoccupation majeure et reste un sujet sensible, difficile à aborder au sein de la cellule familiale ". La demande de confidentialité pour l'accès à la contraception ne saurait par conséquent être considérée comme quelque chose d'exceptionnel.

Ces éléments posent la question des connaissances que les mineurs adolescents ont de leur corps et de la sexualité. Lors des auditions organisées par le Conseil national du sida 4 ( * ) , un intervenant en milieu scolaire a dressé un bilan préoccupant de ces connaissances : il existerait une grande " misère affective et sexuelle " chez les adolescents, misère largement due à la démission tant des parents, qui se déchargeraient du devoir d'informer en escomptant l'action des institutions scolaires, que des institutions scolaires, qui attendent la même chose des parents. Les connaissances en matière d'anatomie, de sexualité, de règles d'hygiène, de maladies sexuellement transmissibles, seraient déficientes au point de faire courir des risques majeurs aux adolescents.

Les données relatives à l'IVG ne manquent pas, elles aussi, d'être préoccupantes, tant pour l'ensemble des femmes en âge de procréer que pour les mineures adolescentes.

Les données globales sont les suivantes 5 ( * ) :

- 220.000 IVG par an dont 160.000 déclarées (une IVG pour trois naissances) contre 250.000 en 1976 ;

- sur 100 grossesses accidentelles, 53 sont dues à un rapport non protégé, 32 à un rapport protégé par une méthode contraceptive insuffisamment efficace, 15 à un oubli de contraception ;

- sur 100 femmes enceintes, 36 grossesses ne sont pas souhaitées, et 22 donnent lieu à une IVG ;

- 75 % des IVG sont pratiquées avant la 8 ème semaine, 19 % avant le 5 ème semaine ;

- 22 % des avortements sont pratiqués par la pilule RU 486 ;

Quant aux jeunes adultes et aux mineures adolescentes, les données indiquent que :

- 30 % des IVG concernent les moins de 25 ans ;

- 10 % concernent les moins de 20 ans : 6.000 IVG chez les moins de 18 ans, 10.000 chez les 18-20 ans ;

- entre 1985 et 1995 et notamment entre 1993 et 1995, le nombre d'IVG chez les mineures oscille entre 5.700 et 6.400 IVG par an ;

- la proportion des mineures enceintes recourant à l'IVG augmente fortement : elle était de 59,7 % en 1985, de 64 % en 1990 et de 71,8 % en 1995 ;

- les adolescentes sont trois fois plus nombreuses que les adultes à n'utiliser aucune contraception (c'est le cas de 10 % d'entre elles environ) et elles sont nettement plus nombreuses à faire état d'un échec du préservatif pour expliquer leur grossesse (on retrouve des données comparables en Suisse, en Angleterre et aux Etats-Unis).

Une étude récente des services du Ministère de l'emploi et de la solidarité confirme ces tendances 6 ( * ) . En 1998, le nombre d'interruptions volontaires de grossesses (IVG) s'établit à 214.000, soit 6 % de plus qu'en 1990. Dans le même temps, le taux d'IVG pour 1.000 femmes de 15 à 49 ans a légèrement diminué (de 13,6 o / oo à 13,3 o / oo ). Si l'on restreint l'observation aux femmes de 15 à 44 ans, il s'est au contraire un peu accru (de 15,0 à 15,4 o / oo ).

De 1990 à 1997, le recours à l'IVG est plutôt stable au-delà de 25-26 ans alors qu'il augmente chez les plus jeunes . Les taux les plus élevés concernent les femmes de 20 à 24 ans (24 o / oo en 1997, 21 o / oo en 1990), mais la plus forte augmentation est le fait des 18-19 ans : 19 o / oo contre 15 o / oo sept ans auparavant.

Pour les très jeunes, âgées de 15 à moins de 18 ans, le taux atteint près de 7 o / oo en 1997 (6 o / oo en 1990). Cette évolution, certes limitée par rapport à celle constatée pour les femmes un peu plus âgées, illustre l'importance d'une information précoce sur les moyens contraceptifs et d'un accès facilité aux jeunes.

La croissance du taux d'IVG chez les jeunes peut donner lieu à plusieurs hypothèses, encore difficiles à confirmer.

Une augmentation de la fréquence ou de la précocité des rapports sexuels semble devoir être écartée. L'âge médian des premiers rapports est situé à 17 ans pour les filles comme pour les garçons depuis plusieurs décennies.

L'évolution des modes de vie dans un contexte parfois marqué par la précarité économique pourrait apporter des éléments d'explication. Une fraction significative des jeunes femmes d'aujourd'hui a, en effet, été confrontée à des situations prolongées de chômage, pour elles-mêmes ou leurs proches. Ceci a, entre autres, pour effet de conduire à des installations en couples plus tardives, avec ou sans mariage, et donc à un nombre croissant de jeunes femmes seules ou n'ayant pas de situation professionnelle et familiale stable. Celles-ci pourraient avoir plus de difficultés, souvent en raison de leur situation matérielle, à recourir à une contraception efficace et, en cas de grossesse accidentelle, ne pas se sentir en mesure de l'assumer.

L'accent mis sur la prévention contre le sida et l'usage du préservatif a pu aussi faire ressentir la contraception comme un élément secondaire au regard de la protection contre la maladie et ne pas inciter à des pratiques contraceptives plus systématiques ou plus sûres que le seul préservatif.

L'ensemble des données disponibles attestent une vulnérabilité forte et même grandissante des mineurs adolescents du point de vue de l'accès à la contraception.

Si ces derniers ont, dans leur grande majorité, bien intégré les messages de santé publique en matière de protection lors des rapports sexuels, une proportion non négligeable (de l'ordre de un sur dix ?) a des rapports sexuels sans contraception.

* 1 H. Lagrange, B. Lhomond (dir.), L'entrée dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du sida , Paris, La découverte, 1997.

* 2 Ces résultats ont été repris dans le rapport du Conseil national du sida sur " L'accès confidentiel des mineurs adolescents aux soins ", 6 mars 2000, dont nous reproduisons ici quelques éléments.

* 3 SIDA INFO SERVICE, Les 15-24 ans face au sida et à la sexualité, étude réalisée à partir des appels reçus à S.I.S. et d'un sondage SOFRES sur un échantillon de 500 personnes , 1 er décembre 1999.

* 4 Conseil national du sida, op. cit. p. 28.

* 5 I. Nisand, L'IVG en France. Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes , rapport au Ministre de l'emploi et de la solidarité et au Secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, février 1999.

* 6 Les IVG en 1998 , in Etudes et résultats, DREES, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, n° 69, juin 2000.

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