II. UN STATUT JURIDIQUE INCERTAIN : LA NÉCESSITÉ D'UNE INTERVENTION LÉGISLATIVE

A. LA MISE EN VENTE LIBRE DU NORLEVO : UN FONDEMENT JURIDIQUE FRAGILE

Quelques semaines après la mise sur le marché du NorLevo, le secrétaire d'Etat à la Santé et à l'Action sociale, M. Bernard Kouchner, supprimait, par un arrêté du 27 mai 1999, l'obligation de prescriptions médicales auxquelles, comme tous les contraceptifs hormonaux, ce médicament était soumis jusque-là.

Cette décision, prise sur proposition du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), permettait la vente libre en pharmacie du NorLevo.

La prescription médicale d'un médicament :
rappel de certains aspects réglementaires

La prescription médicale d'un médicament est obligatoire lorsqu'une ou plusieurs des substances actives qui le composent sont inscrite sur une liste (Liste I ou Liste II) des substances vénéneuses. L'inscription des principes actifs se fait sur arrêté du Ministre chargé de la Santé sur proposition de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Pour les principes actifs inscrits, il y a possibilité d'exonérer certains produits, notamment pour de faibles dosages et/ou une durée limitée de traitement. L'exonération est prise par arrêté du Ministre chargé de la Santé pris sur proposition de l'AFSSAPS et après avis de l'Académie de pharmacie.

L'éthynil-estradiol est inscrit sur la liste des substances vénéneuses (comme tous les oestrogènes de synthèse) depuis le 21 septembre 1983 et ne bénéficie d'aucune exonération.

Le lévonorgestrel, inscrit sur la liste des substances vénéneuses depuis le 21 février 1979, a été exonéré par un arrêté du 30 mai 1999 dans les conditions suivantes : durée maximale de traitement de 2 jours, quantité maximale remise au public 1,5 mg, dose limite par unité de prise. La contraception d'urgence par le NorLevo n'est donc pas soumise à prescription depuis cette date, tandis que la contraception continue par pilule microprogestative reste soumise à prescription.

Les conditions de prescription et de délivrance des médicaments sont mentionnées dans leur autorisation de mise sur le marché. Des mentions spécifiques doivent figurer sur l'emballage du médicament lorsque la prescription est obligatoire.

Or, la loi Neuwirth du 28 décembre 1967 soumet, à son article 3, la délivrance des contraceptifs hormonaux à une double contrainte : d'une part, ceux-ci, comme les autres contraceptifs, ne peuvent être délivrés qu'en pharmacie ; d'autre part, ils ne peuvent être délivrés qu'après avoir été prescrits par un médecin.

L'arrêté du 27 mai 1999 choisissait donc d'ignorer cette disposition de la loi Neuwirth.

La position du Gouvernement se fondait sur la directive du Conseil n° 92/26/CEE du 31 mars 1992 concernant la classification en matière de délivrance des médicaments à usage humain 7 ( * ) .

L'article 3 de cette directive prévoit que les médicaments sont soumis à prescription médicale lorsqu'ils :

" - sont susceptibles de présenter un danger, directement ou indirectement, même dans des conditions normales d'emploi, s'ils sont utilisés sans surveillance médicale

ou

- sont utilisés souvent, et dans une très large mesure, dans des conditions anormales d'emploi et que cela risque de mettre en danger directement ou indirectement la santé

ou

- contiennent des substances ou des préparations à base de ces substances, dont il est indispensable d'approfondir l'activité et/ou les effets secondaires

ou

- sont, sauf exception, prescrits par un médecin pour être administrés par voie parentérale. ".

Le paragraphe 4 du même article précise cependant qu'une " autorité compétente " peut déroger à l'application des dispositions dudit article " eu égard :

a) à la dose maximale unique ou à la dose maximale journalière, au dosage, à la forme pharmaceutique, à certains conditionnements et/ou

b) à d'autres conditions d'utilisation qu'elle a spécifiées ".

L'article 4 de la directive prévoit en outre que " les médicaments non soumis à prescription sont ceux qui ne répondent pas aux critères énumérés à l'article 3 ".

Le Gouvernement a ainsi estimé qu'en soumettant à prescription médicale obligatoire tous les contraceptifs hormonaux, la loi du 28 décembre 1967 dépassait les objectifs de la directive du 31 mars 1992.

Cette position a été explicitée dans la réponse faite par la ministre de la Justice à une question écrite posée le 23 décembre 1999 par votre rapporteur, dans laquelle il s'étonnait de ce qu'un arrêté puisse modifier une loi.

Le Garde des sceaux soulignait ainsi que :

" Le Garde des sceaux, ministre de la Justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que la directive 92-96-CEE du 31 mars 1992 concernant la classification en matière de délivrance des médicaments à usage humain fixe les critères appliqués par les autorités compétentes pour soumettre à prescription médicale obligatoire certains médicaments, lorsqu'elles en autorisent la mise sur le marché, ainsi que les dérogations possibles. C'est en considération de ce texte que l'arrêté du 27 mai 1999 permettant la prescription du NorLevo sans autorisation médicale a pu être pris. En effet, selon l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, autorité compétente en matière d'autorisation de mise sur le marché des médicaments, le NorLevo n'est pas susceptible de présenter un danger conduisant à l'exigence d'une prescription médicale, compte tenu de son dosage et de ses conditions d'utilisation. Le fait que les dispositions de la loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 soumettant la délivrance des contraceptifs hormonaux n'aient pas encore été modifiées ne rend pas pour autant l'arrêté susvisé illégal. En effet, alors même qu'une disposition législative n'aurait pas été rendue conforme à une directive postérieure, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 24 février 1999 (Association de patients de la médecine d'orientation anthroposophique et autres), a considéré qu'il y avait lieu d'écarter l'application de telles lois contraires à des directives. Dans ces conditions, il est possible d'écarter sous la réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux dans le cas du NorLevo, l'application de la loi du 28 décembre 1967, même s'il est envisagé de modifier prochainement celle-ci. En effet, en prévoyant que tous les contraceptifs hormonaux sont soumis à prescription médicale obligatoire, une telle disposition dépasse les objectifs de la directive susvisée. " 8 ( * )

Le Gouvernement en a par conséquent déduit que seules demeuraient applicables les règles de droit commun en la matière, telles qu'elles résultent des articles R. 5190, R. 5193 et R. 5204 du code de la santé publique.

Ces articles imposent que soient prescrits par un médecin tous les médicaments ou produits qui contiennent des substances identifiées, par un arrêté du ministre chargé de la Santé, comme dangereuses ou présentant des risques directs ou indirects pour la santé. Le lévonogestrel, principe actif du NorLevo, figure d'ailleurs au nombre de ces substances.

Toutefois, en vertu de l'article R. 5192 de ce code dans sa rédaction issue d'un décret du 31 mars 1999, des médicaments qui contiennent des doses très faibles de ces substances ou qui sont utilisés pendant une durée de traitement très brève peuvent échapper à cette obligation. Or le ministre chargé de la Santé a considéré, par une décision en date du 27 mai 1999, que le NorLevo entrait dans le champ de ces dernières dispositions et pouvait donc à ce titre bénéficier de cette exemption.

Dès lors, selon le ministre chargé de la Santé, rien ne faisait plus obstacle à ce que le NorLevo soit mis en vente livre dans les pharmacies. L'autorisation de mise sur le marché du produit, qui, en vertu de l'article R. 5135 du code de la santé publique, rappelle les règles particulières de délivrance, a d'ailleurs été corrigée en conséquence par une décision du directeur général de l'AFSSAPS du 6 janvier 2000, afin de faire disparaître la mention selon laquelle le NorLevo devait être obligatoirement prescrit par un médecin.

* 7 Journal officiel des Communautés européennes n° L. 113 du 30/04/1992 pp. 5-7.

* 8 Question écrite n° 21400 du 23 décembre 1999 JO questions écrites Sénat p. 4202. Réponse JO questions écrites Sénat du 2 mars 2000, p. 792.

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