III.  LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT : L'INCOHÉRENCE ET L'ILLUSION

Le présent projet de loi de financement pour 2001 comme la loi de financement pour 2000, comporte essentiellement un arbitrage, opéré sans perspective, entre d'une part le souci de faire participer les retraités dès aujourd'hui aux fruits de la croissance et la nécessité d'afficher un abondement du fonds de réserve des retraites qui, avec la constitution du Conseil d'orientation des retraites, constitue l'alpha et l'omega de la politique du Gouvernement.

Mais le financement des trente-cinq heures, se traduisant par une ponction nette de plus de 11 milliards de francs sur le FSV, de même que le transfert audit fonds de la dette de l'Etat à l'égard des régimes AGIRC-ARRCO, tarissent les excédents du FSV qui devaient alimenter le fonds de réserve.

Au-delà de la complexité des circuits financiers, qui portent atteinte à l'intelligibilité du projet de loi, ce sont les contradictions et les incohérences politiques du Gouvernement qui apparaissent clairement.

A. DES ARBITRAGES SANS VISIBILITÉ NI COHÉRENCE

Plusieurs mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 concernent la branche vieillesse : revalorisation des pensions (art. 19) , création d'un répertoire national des retraites (art. 20), pérennisation de l'interdiction du cumul emploi retraite (art. 21) , prise en charge par le FSV de l'engagement pluriannuel de l'Etat envers l'ARRCO et l'AGIRC (art. 22) , financement des cotisations vieillesse dès la période de cessation d'activité (art. 23) , modification de la clef de répartition du prélèvement social de 2 % sur les revenus du capital (art. 24) , ajustement du fonds de réserve (art. 25) , amélioration de la situation des veuves de marins (art. 26) .

Le présent tome III du rapport insiste sur celles de ces mesures qui peuvent concerner l'équilibre actuel et futur des régimes de retraite et renvoie pour plus de détail aux commentaires des différents articles 14 ( * )

1. La revalorisation des pensions

La revalorisation des pensions retenue dans l'article 19 du projet de loi de financement de la sécurité sociale est de 2,2 %.

L'évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation des ménages (hors tabac) est en prévision de 1,2 % (rapport économique social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2001).

Le rattrapage au titre de la sous-évaluation des prix en 2000 est de 0,5 %. L'évolution " neutre " des pensions en 2001 était donc de 1,7 %.

Le Gouvernement a choisi de majorer cet indice de 0,5 % au titre de la participation des retraités aux fruits de la croissance. Le coût de cette mesure est estimé dans l'annexe c du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 à 1,7 milliard de francs pour la branche vieillesse.

Revalorisation des pensions sur la période 1990-2000 (2001 prévision)

Cette revalorisation est sans nul doute économiquement possible aujourd'hui, dans un contexte caractérisé par une croissance forte des recettes et un rapport démographique favorable. D'aucuns trouveront d'ailleurs cette revalorisation insuffisante.

De fait, la branche vieillesse du régime général affiche un excédent tendanciel de 3,3 milliards de francs pour 2001.

Le Gouvernement, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, a choisi d'affecter les excédents de la CNAVTS au fonds de réserve, fonds destiné selon lui à garantir l'avenir des retraites.

Votre rapporteur analyse longuement ci-après le mécanisme du fonds de réserve.

Mais, dans la logique même défendue par le Gouvernement, il observe qu'à ce stade tout " coup de pouce " aux retraites d'aujourd'hui, réduit d'autant les sommes mises en réserve pour " garantir l'avenir des retraites ".

Cet arbitrage est-il fondé ? En l'absence de toute perspective de réforme, de toute indication sur l'ampleur de l'effort nécessaire et sur sa nature même, le Gouvernement ne peut répondre.

Aussi, cette revalorisation parfaitement acceptable, voire insuffisante, aujourd'hui, souffre pourtant d'un grief majeur : elle ne s'inscrit dans aucune politique permettant de garantir les pensions qui seront versées demain.

Il n'est guère étonnant dans ces conditions que cette revalorisation intervienne de surcroît dans un contexte de vide juridique.

La loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale a modifié les modalités de revalorisation des pensions. Le dispositif institué par cette loi comportait trois éléments :

- une revalorisation annuelle fixée en rapport avec l'indice d'évolution prévisionnelle des prix hors tabac ;

- un ajustement permettant de corriger un éventuel écart entre le taux prévisionnel et le taux réel d'évolution annuelle des prix ;

- une compensation positive ou négative pour les assurés titulaires à la date de la revalorisation d'un avantage vieillesse ou d'invalidité correspondant à l'écart constaté au titre de l'année précédente.

Or ce mécanisme mis en place en 1993 était provisoire et ne prenait effet en 1994 que pour une durée de cinq ans.

L'année dernière déjà, le Gouvernement n'a pas tranché entre l'indexation en vigueur -c'est-à-dire essentiellement fondée sur les prix- et une indexation fondée sur l'évolution des salaires -solution à laquelle la majorité actuelle s'était déclarée favorable lors de la campagne électorale précédant les élections législatives de 1997.

Le Gouvernement s'est rangé en réalité à une politique des " coups de pouce " confirmant sa gestion " conjoncturelle " du dossier des retraites .

Dans le projet de loi de financement pour 1999, l'exposé des motifs justifiait une prolongation des mécanismes provisoires " dans l'attente du diagnostic que doit établir le Commissaire général au plan en concertation avec les partenaires sociaux et portant sur la situation de l'ensemble des régimes de retraite " .

Dans le projet de loi de financement pour 2000, le Gouvernement a reconduit ce mécanisme au motif que " l'élaboration d'une règle pérenne de revalorisation des pensions pour les années suivantes sera examinée dans le cadre de la concertation pour les retraites " .

Cette année, la méthode discrétionnaire du Gouvernement est reconduite sans autre commentaire ni référence à la définition à venir d'une règle pérenne.

Votre rapporteur juge que cette situation n'est pas satisfaisante : elle n'assure aucune garantie aux retraités qui se voient chaque année soumis, pour leur revalorisation de pension, à l'arbitraire des décisions gouvernementales . Selon les années, le Gouvernement choisit d'appliquer un " coup de pouce " plus ou moins généreux.

En outre, votre rapporteur rappelle que, si les pensions de retraite augmenteront de 2,2 %, les prestations familiales croîtront seulement de 1,7 %. En gain de pouvoir d'achat, les retraites seront revalorisées de 0,5 % alors que les prestations familiales ne le seront pas. Il n'y a guère de raison pour que les familles soient désavantagées alors que leur branche génère des excédents considérables confisqués par le Gouvernement 15 ( * ) .

2. Le fonds de solidarité vieillesse à nouveau précarisé

a) Plusieurs mesures portent des atteintes majeures aux ressources du fonds

Dans la lignée des lois de financement précédentes, l'article 11 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 transfère au FOREC -fonds de financement des 35 heures- l'intégralité des droits sur les boissons prévus aux articles 402 bis , 438 et 520 A du code général des impôts ainsi que 55 % (+ 7 points) du droit de consommation visé à l'article 403 dudit code.

Attribution des " droits 403 " sur les alcools

Loi de juillet 1993

LFSS 1997

Loi du 27.07.1999 portant création de la CMU

LFSS 2000

PLFSS 2001

FSV

100 %

60 %

55 %

8 %

0%

Régimes assurances maladie

40 %

40 %

CNAMTS

5 %

45 %

45 %

FOREC

47 %

55 %

TOTAL

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Le manque à gagner sur l'exercice 2001 est évalué à 5,7 milliards par an.

Mais cette mesure est de surcroît rétroactive : le transfert s'effectue dès 2000. En d'autres termes, le projet de loi de financement pour 2001 modifie la loi de financement pour 2000. Cette ponction rétroactive vient s'ajouter à celle déjà opérée par la loi de financement pour 2000 qui avait ramené, toujours au profit du FOREC, la part du FSV dans les droits dits " 403 " de 55 % à 8 %, soit un prélèvement de 5,6 milliards de francs.

En outre, l'article 12 du projet transfère 0,15 point de CSG, soit 7,5 milliards de francs, du FSV vers la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS), cette dernière étant ainsi compensée de la perte des droits sur les tabacs eux-mêmes affectés au FOREC.

Ainsi, le FSV contribue-t-il deux fois, l'une directement, l'autre indirectement, et à hauteur de 13,2 milliards de francs au financement des trente-cinq heures.

Or les excédents du FSV sont censés alimenter le fonds de réserve, c'est-à-dire " la garantie de l'avenir des retraites ".

L'arbitrage entre l'avenir des retraites et la réduction du temps de travail est saisissant.

En contrepartie très partielle de ces deux mesures, le fonds recevra les parts du prélèvement de 2 % affectées à la branche famille et à la CNAMTS, pour un montant de 2,4 milliards de francs.

Votre rapporteur s'élève vivement contre ces mesures qui, sous couvert de compensation, laissent une ardoise au fonds de solidarité vieillesse de près de 11 milliards de francs et font in fine supporter le financement des 35 heures par un fonds censé garantir les retraites de demain.

De surcroît, sous couvert de la neutralité d'une compensation, le Gouvernement procède à une ponction future sur le fonds de solidarité vieillesse.

Pour compenser la suppression de la CSG sur les salaires inférieurs à 1,3 SMIC, le Gouvernement octroie au F.S.V une fraction du produit de la taxe sur les conventions d'assurance.

En contrepartie de la recette dynamique qu'est la CSG, le Gouvernement concède une taxe peu réactive : entre 1996 et 2001, son produit n'a crû que de 2,3 milliards de francs, c'est-à-dire en moyenne de 1,7 % par an.

b) La cohérence des interventions du fonds est remise en question

Deux mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 tendent à modifier le champ d'intervention du Fonds de solidarité vieillesse.

Ce champ est traditionnellement constitué par les opérations de solidarité effectuées dans le périmètre de base de l'assurance vieillesse.

Or, dans son projet, le Gouvernement propose d'étendre le champ du fonds au domaine de la protection complémentaire, et, en même temps, de transférer à la branche famille une dépense relevant éminemment du secteur de la solidarité.

L'article 22 du projet de loi de financement de la sécurité sociale met fin au contentieux né entre l'Etat et les régimes complémentaires de salariés, ARRCO et AGIRC en 1984.

Le 23 mars 2000, l'Etat et les régimes ont conclu une convention qui précise les conditions d'apurement de ce que ces régimes considèrent comme une dette. Le financement de ce remboursement est confié au FSV pour un montant d'environ 9,5 milliards de francs au titre du passé, et au montant des cotisations pour l'avenir.

L'Etat a mis cet engagement pluriannuel à la charge du FSV, qui doit rembourser 2,2 milliards de francs annuels à l'ARRCO et 650 millions de francs à l'AGIRC.

Ces sommes doivent, selon les termes de cette convention, couvrir d'abord les cotisations de l'année. Sur le reliquat, c'est-à-dire la différence entre la somme versée et ces cotisations, le FSV rembourse la dette due au titre du passé.

En 2001, le FSV va verser à l'ARRCO 2,2 milliards de francs ; pour couvrir les cotisations de l'exercice 1999 à hauteur de 1,9 milliard de francs et apurer le passé à hauteur de 300 millions de francs.

A ce rythme, le fonds de solidarité vieillesse devra verser 2,2 milliards de francs à l'ARRCO pendant 15 à 20 ans.

Le règlement du contentieux des périodes Fonds national de l'emploi (FNE) entre les régimes de retraite complémentaire et l'Etat.

Un contentieux opposait depuis 1984 les régimes de retraite complémentaire ARRCO et AGIRC à l'Etat au sujet du financement des droits de retraite attribués par ces régimes, pour les périodes pendant lesquelles les salariés sont indemnisés au titre du Fonds national de l'emploi ou des autres allocations du régime de solidarité.

L'Etat s'était engagé en 1984 à rembourser à ces régimes la charge des allocations correspondant aux point attribués selon ces modalités.

Si l'inscription des points au profit des préretraités a bien été effectuée par les régimes, les factures adressées à l'Etat à ce titre étaient restées impayées.

Constatant l'absence de contribution de l'Etat, les partenaires sociaux avaient décidé, pour faire pression, de subordonner l'attribution de nouveaux droits à compter du 1 er juillet 1996 à son engagement explicite de les financer.

Depuis 1998, les rencontres s'étaient multipliées entre les représentants des régimes et le cabinet de Martine Aubry. Le 23 mars 2000, une convention conclue entre l'Etat, d'une part, l'ARRCO et l'AGIRC d'autre part précise les modalités de règlement du contentieux.

Le remboursement au titre des cotisations antérieures se monte à 2,025 milliards de francs en faveur de l'AGIRC et 7,425 milliards de francs en faveur de l'ARRCO. Par ailleurs, les pouvoirs publics prennent en charge à partir du 1 er janvier 1999 70 % des cotisations aux régimes complémentaires relatives aux périodes de préretraite ou de chômage, cotisations calculées sur la base du salaire de la dernière année d'activité.

La liquidation de la dette se fera sur plusieurs années, ce qui pose la question de son impact sur le FSV.

Ce règlement d'une dette de l'Etat par le FSV étend le périmètre d'intervention de celui-ci à la protection complémentaire et obère un peu plus la possibilité du FSV d'alimenter le fonds de réserve des retraites.

En revanche, l'article 19 du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit la prise en charge progressive par la CNAF du coût des majorations de pensions pour enfants que finançait, au titre de la solidarité nationale depuis 1994, le fonds de solidarité vieillesse .

Pour 2001, le versement de la CNAF est prévu pour un montant de 2,9 milliards de francs, et de 20 milliards de francs à terme.

Ces transferts qui modifient les domaines d'intervention du FSV n'ont, en réalité, pas d'autre finalité que financière.

La seule cohérence de ces mesures affectant le fonds est de transformer celui-ci en une entité comptable par laquelle l'Etat peut se livrer à loisir à un certain nombre de débudgétisations.

La mise à charge des cotisations ARRCO AGIRC soulage le budget de l'Etat.

Le transfert à la branche famille de la majoration pour enfant entraîne a priori un allégement des charges du FSV. Mais cet allégement, qui ne fait que transiter par le FSV, n'est qu'un trompe-l'oeil car, cette économie pour le FSV est immédiatement recyclée au profit du FOREC, c'est-à-dire du financement des trente-cinq heures.

Ce n'est donc pas pour habiller la branche vieillesse que le Gouvernement déshabille la branche famille.

Au total, en dehors de deux mesures nouvelles chiffrées à 300 millions de francs environ, l'ensemble des " tuyauteries " mises en place aboutit, afin de financer la réduction du temps de travail, à opérer, en 2000-2001, un prélèvement sur le FSV à hauteur de plus de 15 milliards de francs soit davantage que la totalité des excédents prévus pour ce fonds pour ces deux exercices.

Impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001
sur les comptes de la première section du Fonds de solidarité vieillesse (FSV)

(en millions de francs)

FSV : opérations de solidarité

1999

2000

2001

Solde CCSS de septembre 2000

165

5.356

9.768

Retraite complémentaire des bénéficiaires d'ASS et des préretraités

- 2.884

Retraite de base des allocataires en cessation anticipée d'activité

- 130

Prise en charge des majorations pour enfants par la CNAF

2.910

Transfert des droits sur les boissons

- 5.404

- 5.669

Réduction de 0,15 point du taux de CSG

- 7.515

Affectation de 20 % du prélèvement social de 2 % sur les revenus de capitaux

2.400

Coup de pouce de 0,5 % sur les pensions

- 180

Solde après PLFSS pour 2001

165

- 48

- 1.300

Ponction nette sur le FSV

-

5.404

11.068

Hormis cette ingéniosité financière qui atteint chaque année un raffinement plus élevé, la politique du Gouvernement en matière de retraite se résume à l'attente.

* 14 Voir présent rapport tome IV commentaires des articles.

* 15 Cf. Rapport sur le Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2001, Tome III, Famille.

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