Rapport n° 124 (2000-2001) de M. Philippe NACHBAR , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 6 décembre 2000

Disponible au format Acrobat (48 Koctets)

Tableau comparatif au format Acrobat (8,5 Koctets)

N° 124

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 décembre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles sur la proposition de loi de
MM. Josselin de ROHAN, Paul DUBRULE, Philippe FRANÇOIS et Alain GÉRARD instituant un
droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique ,

Par M. Philippe NACHBAR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 478 (1999-2000)

Communes .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Déposée le 21 septembre dernier par MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard, la proposition de loi qui nous est soumise a pour objet de permettre aux communes de subordonner au paiement d'un droit l'accès à certaines manifestations culturelles se déroulant sur la voie publique.

Une telle mesure apparaît aujourd'hui indispensable pour assurer la survie de manifestations qui présentent un très grand intérêt culturel et social mais dont bien des villes ou villages ne peuvent plus assumer la charge. Elle est également urgente car un certain nombre de communes ont déjà été contraintes, en marge de la loi, de prévoir ou d'autoriser le paiement d'un droit d'accès à leurs fêtes traditionnelles.

Votre commission apportera donc son soutien à cette proposition de loi, qui permet de réaliser un équilibre satisfaisant entre l'intérêt général qui s'attache à la valorisation du patrimoine culturel, la recherche d'une répartition équitable des charges publiques et les principes qui président à l'utilisation du domaine public.

I. LA NÉCESSITÉ D'UNE INTERVENTION DU LÉGISLATEUR

En l'état actuel du droit, aucun texte n'autorise la perception d'un droit d'accès aux voies publiques sur lesquelles se déroule une manifestation culturelle.

Ce qui place dans une situation inextricable les communes qui, faute de moyens, n'ont d'autre choix que de renoncer volontairement à l'organisation de fêtes correspondant pourtant à une véritable mission de service public ou de s'exposer à être obligées d'y renoncer à la suite d'une décision de justice si elles ont pris -souvent d'ailleurs sans le savoir- le risque d'ignorer la loi.

1. Le défaut de base légale des droits d'accès aux manifestations organisées sur la voie publique

En réponse à plusieurs questions écrites de parlementaires 1 ( * ) , le ministère de l'Intérieur a affirmé que : " la soumission de la circulation sur la voie publique à un péage porte atteinte à la liberté d'aller et de venir et au principe de valeur législative de la gratuité d'utilisation du domaine public ", et souligné que le fait qu'une manifestation se tienne dans les rues du centre historique d'une ville " ne saurait justifier l'existence d'un droit de péage pour pouvoir circuler sur les voies publiques concernées ".

Cette prise de position peut paraître exagérément catégorique.

Ainsi, l'affirmation selon laquelle la soumission de la circulation sur la voie publique à un péage porte atteinte à la liberté d'aller et de venir mérite-t-elle d'être nuancée. En effet, tout en reconnaissant que " la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle " -ce que nul ne contestera- le Conseil constitutionnel a également relevé que " ce principe ne saurait faire obstacle à ce que l'utilisation de certains ouvrages donne lieu au versement d'une redevance " et que le principe de la gratuité de la circulation sur certaines voies publiques ne devait pas être regardé comme un principe fondamental des lois de la République (Décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979).

On pourrait aussi souligner que la contrepartie du droit d'accès à une manifestation organisée sur la voie publique ne se réduit pas strictement au droit de circuler sur la voie en question, et que son assimilation à un droit de péage n'est dès lors pas totalement convaincante.

Cela dit, il est en tout cas un point sur lequel on ne peut contester la réponse ministérielle : " Aucune des dispositions du code général des collectivités territoriales, y compris celles relatives à la police de la circulation en agglomération, ne permet de soumettre à un droit de péage la circulation sur la voie publique, en l'espèce dans les rues commerçantes et pittoresques du centre historique d'une ville . "

Il n'en reste pas moins que, sur le terrain, l'attitude des pouvoirs publics a été beaucoup plus nuancée.

2. Le sort incertain des manifestations culturelles locales

De tout temps, les fêtes locales ont représenté un moment fort de la vie des villes et des villages et préservé la vitalité des cultures et des traditions régionales. Mais elles prennent aujourd'hui une importance nouvelle. Tout en revêtant des formes très diverses -festivals artistiques, évocation d'événements historiques, animations de rue, reconstitution de festivités anciennes (fêtes ou foires médiévales ou Renaissance), manifestations folkloriques- elles ont en commun de répondre à une forte demande sociale.

Sur le plan culturel, elles contribuent puissamment à la connaissance et à la valorisation du patrimoine architectural, et en particulier du " petit " patrimoine ; elles participent du regain d'intérêt pour les cultures régionales et pour l'histoire locale ; elles ont précédé et amplifié les initiatives gouvernementales en faveur du renouveau des " arts de la rue ".

Sur le plan social, elles répondent à la demande accrue d'animation locale et de lien social.

Enfin, elles sont un élément essentiel de la promotion touristique des collectivités territoriales.

Leur organisation par les communes ou, avec leur soutien, par des structures associatives (comité des fêtes, office du tourisme, association culturelle...) correspond donc à une véritable mission de service public.

Mais elle occasionne aussi aux collectivités territoriales des charges financières de plus en plus difficiles à assumer, d'une part parce qu'il n'est plus possible d'attirer ou de fidéliser le public sans lui offrir des prestations de qualité et, d'autre part, en raison du coût des mesures indispensables pour accueillir dans des conditions de sécurité satisfaisantes des flux souvent très importants de visiteurs.

Faute de moyens, certaines communes ont déjà été contraintes de renoncer à leurs fêtes traditionnelles. D'autres se sont résignées à demander le paiement de droits d'accès : votre commission ne dispose pas d'éléments permettant d'évaluer leur nombre ni la proportion des fêtes devenues " payantes ". Il semble cependant, d'après les informations qu'elle a pu recueillir, que la pratique de l'accès payant se soit assez largement répandue, surtout depuis une dizaine d'années, et qu'elle concerne aussi bien des manifestations récemment créées que des fêtes très anciennes et qui étaient très longtemps restées gratuites.

La cause première du développement de l'accès payant aux fêtes locales réside bien sûr dans la situation des finances locales. Mais il tient aussi à deux autres facteurs :

- le premier est que l'immense majorité des communes qui ont mis en place ce droit d'accès l'ont fait en toute bonne foi, et sans avoir conscience d'enfreindre la loi. En autorisant un organisateur à faire payer un droit d'entrée, elles n'ont nullement eu le sentiment qu'elles autorisaient la perception irrégulière d'une redevance illégale ;

- le second, qu'il semble particulièrement intéressant de souligner, est que l'accès payant aux fêtes locales semble avoir été très bien compris et admis par le public, d'autant mieux d'ailleurs que les organisateurs ont généralement eu soin de respecter le droit d'accès des riverains et la desserte des immeubles.

Cependant, malgré l'accueil globalement favorable du public, le recours au droit d'accès ne peut constituer qu'une solution précaire qui expose les communes et les organisateurs à une menace permanente de contentieux, tant en raison de l'illégalité de ce droit que des conditions quelquefois un peu approximatives de son application, quels que soient par ailleurs la bonne volonté et le dévouement des personnels, généralement bénévoles, qui en sont chargés sur le terrain. Ainsi, le responsable de l'organisation d'un festival a-t-il indiqué à votre rapporteur qu'il avait toujours soin d'expliquer aux préposés à la vente des billets qu'ils ne pouvaient pas demander de pièce d'identité aux riverains invoquant leur droit d'accès gratuit : il est à craindre que tous ne pensent pas à prendre cette utile précaution.

Autoriser l'accès payant aux manifestations culturelles locales, dans des limites raisonnables et dans un cadre juridique clair, répond donc à un véritable besoin.

Ce besoin, nul ne s'en étonnera, a été d'abord perçu au Sénat. Mais le souci d'aider les communes à faire vivre leurs fêtes locales est partagé, il convient de le noter, par nos collègues députés, puisque deux propositions de loi ayant même objet que celle qui nous est soumise ont été déposées à l'Assemblée nationale, l'une par M. Christian Jacob, l'autre par M. Gilbert Le Bris et les membres du groupe socialiste 2 ( * ) .

II. LA PROPOSITION DE LOI ET LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

1. Le dispositif de la proposition de loi

Le dispositif de la proposition de loi, qui tend à insérer un article nouveau dans le code général des collectivités territoriales, répond à deux préoccupations :

- permettre aux communes de percevoir un droit d'accès aux portions de la voie publique où sont organisées des manifestations culturelles, tout en donnant un caractère exceptionnel à cette faculté ;

- clarifier la nature juridique de ce droit d'accès et donc les conditions de sa mise en oeuvre.

Les conditions restrictives du recours au droit d'accès

Il est clair que pour les auteurs de la proposition de loi -et votre rapporteur partage entièrement cette conception- l'accès payant aux manifestations organisées sur la voie publique ne saurait devenir une pratique courante. Il ne pourra donc être prévu que sous certaines conditions.

- En premier lieu, c'est au préfet qu'il est donné compétence, à la demande du maire, pour autoriser que l'accès à une manifestation soit subordonné au paiement d'un droit. Cette procédure est dictée par des considérations essentiellement pragmatiques : elle est destinée à favoriser un dialogue entre le maire et le préfet sur le choix des manifestations qui justifient le recours à une telle mesure. On peut cependant s'interroger sur son efficacité : il n'est en effet pas certain que les préfets souhaitent vraiment s'engager dans un tel dialogue. Par ailleurs, il n'est peut-être pas souhaitable de donner au représentant de l'Etat un pouvoir de décision dans des matières -la police municipale et la gestion du domaine public communal- qui sont par nature de la compétence des autorités municipales.

- La deuxième condition tient à la nature culturelle des manifestations. L'exposé des motifs indique que sont essentiellement visées les festivités dont la dimension touristique est importante pour la commune, et qui participent à la promotion du patrimoine historique et architectural décentralisé comme à celle des traditions et coutumes locales : il s'agit, en somme, de manifestations d'intérêt général et qui ne peuvent guère se dérouler ailleurs que sur la voie publique, dans le cadre historique et architectural qui leur donne tout leur sens et qu'elles ont vocation à valoriser. Cependant, le texte se garde, à juste titre, d'en donner une définition précise, ce qui serait sans doute impossible compte tenu de la diversité des cas qui peuvent se présenter, et ce qui permet de laisser, comme il est souhaitable, une large marge d'appréciation aux autorités compétentes.

- De toute façon, tout risque d'abus paraît écarté car, et c'est la troisième condition, chaque commune ne pourrait être autorisée qu'au plus deux fois par an à percevoir une redevance pour l'accès à une manifestation culturelle organisée sur la voie publique. La durée maximale de chaque manifestation n'est pas précisée : dans l'immense majorité des cas, la durée des festivités qui peuvent être visées par la proposition de loi est comprise entre une demi-journée (pour un défilé, ou une animation en soirée) et une ou deux journées (généralement, dans ce dernier cas, en fin de semaine).

La nature juridique du droit d'accès

Il ressort clairement du dispositif de la proposition de loi que le droit d'accès prévu s'analyse comme une redevance domaniale, qui ne peut cependant être assimilée ni à un droit de péage, ni à un droit de stationnement sur la voirie : il ne s'agit pas de faire payer le droit d'emprunter la voie publique, d'y stationner ou d'y exercer une activité commerciale, mais l'accès à un service public culturel dont la voie publique se trouve être le support.

Ce choix n'est pas, juridiquement, celui de la facilité, mais il présente deux avantages :

- en premier lieu, il contribue à confirmer le caractère " non commercial " et d'intérêt général des manifestations qui peuvent donner lieu à la perception de cette redevance. Le droit d'accès constitue une ressource publique qui viendra en atténuation des dépenses exposées par la commune (dispositif de sécurité, subvention à l'organisateur...) dans le cadre d'une mission de service public. Il permet aussi que cette dépense ne soit pas uniquement à la charge des contribuables de la commune mais de l'ensemble du public qui bénéficiera de la fête et du cadre privilégié dans lequel elle se déroule, c'est-à-dire des usagers du service public culturel qu'elle représente ;

- en second lieu, cette qualification juridique du droit d'accès permet aussi d'opérer une clarification des compétences et des rôles respectifs de la commune et de l'organisateur de la fête.

Il est évident, par exemple, que de même que la décision d'instituer un droit d'accès, la fixation des tarifs de ce droit et la détermination des redevables ne pourront en aucun cas être laissées à l'initiative de l'organisateur.

De même, seul le maire, autorité de police, est compétent pour prendre les mesures qui devront être prévues pour que les restrictions imposées à la liberté de circulation n'excèdent, selon la formule consacrée, " ni par leur nature, ni par leur durée, ni par leur importance " celles qui peuvent être imposées dans l'intérêt général, et en particulier pour prévoir les dispositions permettant l'accès des riverains et la desserte des immeubles.

Enfin, la commune devra être attentive à ce que le rôle éventuellement confié à l'organisateur, en matière par exemple de contrôle des accès à la manifestation et de perception du droit d'accès, ne puisse s'analyser comme une délégation illégale de pouvoirs de police ni comme une atteinte aux règles applicables au maniement des deniers communaux.

2. La position de la commission

Votre commission approuve entièrement l'inspiration de la proposition de loi qui, outre qu'elle a le mérite de poser clairement un problème trop longtemps ignoré par les autorités de l'Etat, répond à la nécessité d'adapter les règles de droit à l'évolution des aspirations du corps social et des missions d'intérêt général dont les collectivités publiques doivent assumer la charge.

Elle approuve également l'économie générale du dispositif proposé, auquel votre rapporteur ne vous proposera d'apporter que des aménagements de portée limitée.

Ce dispositif ne porte aucune atteinte, il convient de le souligner, à la liberté d'aller et venir.

On observera d'abord que l'organisation sur la voie publique d'une manifestation culturelle n'apporte pas d'atteinte plus considérable à la liberté de circulation -ni à la destination normale de la voirie- que la tenue d'un marché, le déroulement d'une cérémonie officielle, l'exercice du droit de manifestation, ou certaines compétitions sportives.

De même, le paiement d'un droit d'accès ne constitue pas en lui-même une atteinte à la liberté de circulation. Si l'on peut saluer le souci qui avait conduit le législateur de 1880 -auquel se réfère la réponse ministérielle précitée- à disposer, un peu imprudemment, qu'" il ne (serait) plus construit à l'avenir de ponts à péage sur les routes nationales et départementales " (article 1 er , al. 1 de la loi du 30 juillet 1880), on ne saurait pour autant considérer que ses successeurs, lorsqu'ils ont à nouveau soumis à péage l'utilisation de certains ouvrages d'art, ont voulu porter quelque atteinte que ce soit à la liberté de circulation : ils ont simplement voulu la concilier avec le souci d'une répartition plus équitable des charges publiques entre contribuables et usagers.

C'est dans la même logique que se place la proposition de loi : permettre que des portions de la voie publique soient, à titre exceptionnel et pour une durée limitée, utilisées pour l'organisation de manifestations culturelles et demander une participation financière à ceux qui veulent y assister ne remet nullement en cause le principe fondamental de la liberté d'aller et venir mais permettra de le concilier avec celui, tout aussi fondamental, de l'égalité devant les charges publiques, comme avec le souci de satisfaire de nouveaux besoins collectifs.

Les aménagements proposés

Votre rapporteur n'a souhaité modifier que sur deux points le dispositif de la proposition de loi :

- en premier lieu, et pour les raisons déjà évoquées, il vous propose de donner au maire, et non au préfet, compétence pour décider de soumettre au paiement d'un droit l'accès des portions de la voirie communale où sont organisées les manifestations culturelles. Cette modification conduit à modifier également l'insertion du texte dans le code général des collectivités territoriales : il est proposé de l'insérer après l'article L. 2213-6 du code, à la fin des dispositions relatives à la police municipale de la circulation et du stationnement ;

- en second lieu, il paraît indispensable que le texte mentionne, de façon explicite, la nécessité de réserver la desserte des immeubles riverains. Tel est l'objet de la précision qu'il est proposé d'ajouter à la fin du dispositif de la proposition de loi.

Enfin, votre commission vous proposera également de préciser l'intitulé de la proposition de loi.

*

* *

Au bénéfice des observations qui précèdent, votre commission vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions, et qui figure ci-après.

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 6 décembre 2000 sous la présidence de M. Adrien Gouteyron, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Nachbar , la proposition de loi n° 478 instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique , présentée par MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard.

La commission a tout d'abord entendu M. Josselin de Rohan , premier signataire de la proposition de loi, qui a exposé à la commission, à l'invitation de M. Adrien Gouteyron, président , les raisons qui avaient motivé son dépôt.

Beaucoup de communes et souvent de petites communes -telles, en Bretagne, Josselin ou Moncontour, mais aussi des villes comme Lorient, Quimper ou Concarneau- organisent des festivals culturels qui, en raison de leur conception même, se tiennent en tout ou partie sur la voie publique et dans un cadre architectural et monumental dont ils sont indissociables.

Ces festivals représentent de lourdes charges pour les municipalités, qu'elles ont besoin d'équilibrer par des recettes : elles sont donc conduites à demander un droit d'entrée aux spectateurs.

Mais elles sont alors à la merci d'un contentieux et certaines villes -comme Chinon ou Lorient- ont dû renoncer à percevoir ce droit, ce qui entraîne inévitablement des déficits importants et souvent, par voie de conséquence, la disparition de certaines manifestations culturelles, comme ce fut le cas à Chinon.

L'objet de la proposition de loi, comme de celles déposées à l'Assemblée nationale par M. Christian Jacob et par M. Gilbert Le Bris, est donc de permettre exceptionnellement, et dans des circonstances bien précises, aux communes de percevoir un péage pour l'accès aux festivités se déroulant sur la voie publique.

Bien sûr, il faut que cette faculté soit organisée dans des conditions préservant le droit d'accès des riverains et le principe de la liberté de circulation. Mais il faut trouver un moyen terme entre ces exigences et la possibilité de percevoir une redevance, faute de quoi l'existence de nombreux festivals culturels sera menacée.

Un premier débat a suivi l'intervention de M. Josselin de Rohan.

M. James Bordas , soulignant qu'en dehors de Chinon une autre ville du département de l'Indre et Loire avait été contrainte de renoncer à organiser une manifestation culturelle qui attirait un nombreux public mais dont elle ne pourrait assurer le financement, a estimé que la proposition de loi pouvait apporter une solution à de tels problèmes, tout en insistant sur la nécessité de limiter le périmètre soumis à péage.

M. Jacques Valade a observé que les villes-centres des communautés urbaines assumaient fréquemment la quasi-totalité des dépenses d'animation culturelle et a souligné la difficulté d'assurer une meilleure répartition de ces dépenses dans le cadre de l'intercommunalité.

M. Ambroise Dupont a demandé pourquoi le champ d'application de la proposition de loi était limité aux manifestations culturelles.

M. Fernand Demilly a craint que la proposition de loi ne supprime pas tout risque de contentieux.

M. Alain Dufaut , évoquant le cas d'Avignon, où pendant le festival coexistent dans la rue de nombreux spectacles tant gratuits que payants, a souligné qu'aucune loi ne pourrait régler tous les problèmes, et notamment celui du droit d'accès des riverains, qui est toujours délicat à gérer.

M. Ivan Renar est convenu de la réalité du problème posé aux communes mais s'est interrogé sur la manière dont serait reçue la solution qu'il était proposé de lui apporter, et qui pourrait être interprétée comme un rétablissement de l'octroi.

Prenant ensuite la parole pour présenter son rapport, M. Philippe Nachbar, rapporteur , s'est associé à l'analyse des auteurs de la proposition de loi et a souligné que l'intervention du législateur apparaissait urgente, car beaucoup de communes étaient en effet contraintes soit de faire payer l'accès à certaines manifestations culturelles -et de courir alors le risque de contentieux- soit de renoncer à les organiser.

Examinant les problèmes juridiques soulevés, il a noté qu'actuellement le droit d'accès à une manifestation culturelle n'avait aucune base légale et que, dans des réponses à des questions parlementaires, le ministère de l'intérieur avait pris une position de principe en considérant qu'un tel droit d'accès portait atteinte au principe de la liberté d'aller et venir. Il a estimé que cette affirmation devait être nuancée, rappelant que le Conseil constitutionnel avait jugé que l'institution de droits de péage était compatible avec ce principe, et il a souligné que le droit d'accès proposé, qui en lui-même n'était contraire à aucun principe général du droit, permettrait en outre de répartir entre tous les usagers d'un service public culturel les charges actuellement assumées par les seuls contribuables de la commune.

Rappelant qu'il s'était félicité, lors de l'examen au Sénat du budget de la culture, que le Gouvernement fasse de la diffusion culturelle une de ses priorités, il a souligné que la proposition de loi participait aussi de cette priorité et permettrait de lever les incertitudes financières et juridiques qui pèsent actuellement sur les communes et sur le sort de nombreuses manifestations culturelles : son examen s'inscrit donc parfaitement dans les missions du Sénat et dans celles de sa commission des affaires culturelles.

Analysant ensuite le dispositif de la proposition de loi, le rapporteur a souligné que ses auteurs avaient entouré d'un certain nombre de garde-fous la mise en place d'un droit d'accès aux manifestations se déroulant sur la voie publique. Ainsi, cette faculté serait soumise à autorisation du préfet ; elle serait réservée aux manifestions culturelles, limitation dont la commission pourrait certes débattre, mais qui paraissait justifiée en raison notamment du coût de ces manifestations ; enfin, seules deux manifestations par an pourraient donner lieu à la perception d'un droit d'accès, ce qui suffit à exclure toute assimilation de ce droit à un octroi.

Il a ensuite noté que la proposition de loi définissait le droit d'accès comme une redevance domaniale, soulignant qu'il était donc de même nature que d'autres redevances dont la perception est déjà autorisée par le code général des collectivités territoriales, et qu'il ne portait aucune atteinte aux principes constitutionnels.

M. Philippe Nachbar, rapporteur , a conclu son exposé en indiquant qu'il proposerait à la commission d'approuver la proposition de loi, en lui apportant toutefois deux modifications, l'une pour donner au maire compétence pour décider de soumettre l'accès à une manifestation au paiement d'un droit, sous réserve bien sûr du contrôle de légalité exercé par le préfet, et éventuellement du contrôle du juge, l'autre pour réserver expressément le droit d'accès des riverains, dont il appartiendra naturellement au maire de prévoir les conditions dans lesquelles il devra être concrètement assuré.

Un second débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Remerciant le rapporteur d'avoir exprimé son soutien à un dispositif qui cherche à apporter une solution pratique aux problèmes auxquels sont confrontés de nombreux maires, et à réaliser un équilibre entre le respect de libertés auxquelles nul ne souhaite porter atteinte et le souci de répartir plus équitablement des charges financières assumées par les communes, M. Josselin de Rohan a exprimé son accord avec les modifications proposées.

M. Jean-Luc Miraux a posé des questions sur la portée de la notion de desserte des immeubles riverains, qui lui paraissait plus large que celle de droit d'accès des riverains et sur la limitation du champ d'application du texte aux manifestations culturelles, il s'est aussi inquiété de savoir si le texte permettait que chacune des deux manifestations annuelles puissent se dérouler sur plusieurs jours.

M. André Bohl s'est interrogé sur la position de principe prise par le ministère de l'intérieur, notant que dans l'exercice de ses pouvoirs de police, le maire pouvait en tant que de besoin limiter la liberté de circulation. Il a souhaité être assuré que la proposition de loi ne modifiait pas les pouvoirs de police du maire et qu'elle ne restreignait pas exagérément le recours au droit d'accès payant, qui est dans les faits déjà pratiqué. Il a en outre demandé si le droit serait perçu par la commune ou par l'organisateur, remarquant qu'une commune pouvait confier le soin d'organiser des manifestations culturelles à plusieurs organisateurs.

M. René-Pierre Signé a demandé si le maire pourrait percevoir un péage pour l'accès à une manifestation se déroulant sur une voie départementale.

M. Ivan Renar s'est associé à la question de M. André Bohl sur le destinataire de la redevance et a en outre voulu savoir si le texte serait applicable lorsque, par exemple, des tribunes étaient installées pour accueillir les spectateurs de l'arrivée d'une course cycliste ou d'une autre épreuve sportive. Il s'est d'autre part demandé si la proposition de loi " n'ouvrait pas la boite de Pandore " et si son application ne créerait pas plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait.

S'associant à cette dernière remarque, M. Xavier Darcos a évoqué les multiples formes que peuvent revêtir les manifestations culturelles visées par la proposition de loi, et qui d'ailleurs n'occupent pas forcément la totalité de la voie publique, et si le texte proposé pourrait s'appliquer à des situations très diverses et régler des problèmes tout aussi divers.

M. Fernand Demilly s'est interrogé sur la limitation à deux manifestations annuelles du recours au droit d'accès.

Revenant sur les questions soulevées par MM. Ivan Renar et Xavier Darcos, M. André Maman a souligné qu'un texte de loi ne résoudrait pas tous les problèmes qui se posent localement et qui ne pourront trouver de solution que grâce à la négociation.

Répondant aux différents intervenants, M. Philippe Nachbar , rapporteur , a notamment apporté les précisions suivantes :

- le texte prévoit une limitation du droit d'accès payant à deux manifestations annuelles, mais ne limite pas la durée de ces manifestations, qui en effet ne se déroulent pas toutes sur une seule journée ;

- la desserte des immeubles riverains, notion qui figure déjà dans le code général des collectivités territoriales, recouvre le droit d'accès des riverains, qu'on ne peut évidemment obliger à payer pour accéder à leur domicile, mais aussi, en tant que de besoin, l'accès d'autres personnes aux immeubles riverains. Dans la pratique, les organisateurs de fêtes payantes sur la voie publique font ainsi généralement droit aux demandes d'accès au périmètre de la fête de personnes souhaitant par exemple visiter un monument, ou accéder à des commerces : M. Adrien Gouteyron, président , a observé à cet égard que le principe de l'accès payant ne pouvait être bien accepté que s'il était appliqué avec une certaine souplesse et qu'il y aurait toujours des contentieux si, par exemple, il portait un préjudice excessif aux commerces inclus dans le périmètre ;

- on peut certes concevoir que l'accès payant ne soit pas réservé à des manifestations culturelles, mais les manifestations sportives, par exemple les courses cyclistes qui se déroulent sur de longs parcours et peuvent traverser plusieurs communes, poseraient à cet égard des problèmes spécifiques. Le choix des manifestations culturelles se justifie par les coûts très importants qu'elles occasionnent aux communes et par le fait qu'elles attirent de très nombreux visiteurs extérieurs. L'option retenue par les auteurs de la proposition de loi paraît donc raisonnable et il paraît préférable, sauf à fragiliser le texte, de la retenir : il sera toujours possible de réfléchir ultérieurement à un élargissement du champ d'application de ses dispositions. En tout cas, il est parfaitement possible, même sans texte, de prévoir un accès payant à des tribunes installées au lieu d'arrivée d'une épreuve sportive ;

- la proposition de loi ne modifie pas les pouvoirs de police du maire qui, en matière de circulation et de stationnement, s'exercent sur l'ensemble de la voirie à l'intérieur de l'agglomération ;

- le texte prévoit que le droit d'accès sera perçu par la commune ;

- il est certain que la proposition de loi ne peut pas régler tous les problèmes qui pourront se poser localement lors de l'organisation de telle ou telle manifestation et qu'elle n'évitera pas tout risque de contentieux. Mais il convient de rappeler qu'aujourd'hui le droit d'accès est dans tous les cas illégal, et que toutes les communes où il est pratiqué s'exposent à être condamnées en cas de recours.

A l'issue de ce débat, la commission a approuvé la proposition de loi dans la rédaction proposée par son rapporteur .

*

* *

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi
relative aux conditions d'institution d'un droit d'accès
à certaines manifestations culturelles
organisées sur la voie publique

Article unique

Après l'article L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé :

" Art. L. 2213-6-1 . - Le maire peut, dans la limite de deux fois par an, soumettre au paiement d'un droit l'accès des personnes à certaines voies ou à certaines portions de voies ou à certains secteurs de la commune à l'occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique, sous réserve de la desserte des immeubles riverains. "

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte de la proposition de loi

___

Conclusions de la Commission

___

Proposition de loi instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique

Proposition de loi relative aux conditions d'institution d' un droit d'accès à certaines manifestations culturelles organisées

sur la voie publique

Article unique

Article unique

Après l'article L. 2215-5 du code général des collectivités territoriales, insérer un article L. 2215-6 ainsi rédigé :

Après l'article L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé :

Art. 2215-6 : - Le représentant de l'Etat dans le département peut soumettre au paiement d'un droit l'accès des personnes à certaines voies ou à certaines portions de voies ou à certains secteurs d'une commune à la demande du maire de celle-ci, à l'occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique.

" Art. L. 2213-6-1 . - Le maire peut, dans la limite de deux fois par an, soumettre au paiement d'un droit l'accès des personnes à certaines voies ou à certaines portions de voies ou à certains secteurs de la commune à l'occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique , sous réserve de la desserte des immeubles riverains. "

Ces autorisations sont limitées à deux par an et par commune.

* 1 Questions n° 34.462 de M. Yves Dauge, député, n° 35-606 de M. Léon Vachet, député, et n° 40-185 de M. Christian Jacob, député.

* 2 Documents AN n° s 2652 et 2712 (11 e législature)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page