II. LE RECOURS AUX ORDONNANCES : UNE BANALISATION PÉRILLEUSE

Il convient tout d'abord d'examiner le respect par le projet de loi d'habilitation des dispositions de l'article 38 de la Constitution, avant d'en apprécier l'opportunité.

A. LE RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNANCES

Le recours aux ordonnances suppose une autorisation du législateur qui accepte ainsi de se dessaisir au profit de l'exécutif : cette habilitation doit donc être correctement délimitée. Le Conseil constitutionnel a été amené à préciser la portée de l'article 38 de la Constitution aux termes duquel " le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ".

Le juge a tout d'abord exigé du Gouvernement qu'il spécifie la finalité des mesures qu'il entend prendre sur le fondement de l'habilitation. Dans sa décision n° 77-72 DC du 12 janvier 1977 (Election des députés du territoire des Afars et des Issas), le Conseil constitutionnel énonce ainsi que " s'il est (...) spécifié à l'alinéa 1 er de l'article 38 (...) de la Constitution que c'est pour l'exécution de son programme que le Gouvernement se voit attribuer la possibilité de demander au Parlement l'autorisation de légiférer par voie d'ordonnances, (...) ce texte doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre ".

Cependant, ainsi qu'il l'a précisé dans sa décision n°86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, le Gouvernement s'il a l'obligation d'indiquer " le domaine d'intervention " des mesures envisagées, ne peut être " tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra ".

S'agissant du présent projet de loi d'habilitation, votre rapporteur n'a pu avoir connaissance d'avant-projets d'ordonnances, contrairement à ce qui avait été le cas lors des précédents projets de lois d'habilitation, les réunions interministérielles n'ayant pas encore eu lieu. Cependant, l'exposé des motifs permet de conclure que les exigences posées par le juge constitutionnel ont été respectées puisqu'il énonce les textes qui devront être étendus à l'outre-mer ainsi que les domaines concernés par des mesures allant au-delà d'une simple transposition.

Le Conseil constitutionnel a ensuite exclu du champ de la délégation les mesures relevant de la loi organique (décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982). Cette limite doit être particulièrement mentionnée concernant la législation relative à l'outre-mer dans la mesure où les statuts des territoires d'outre-mer, en vertu de l'article 74 de la Constitution, relèvent de lois organiques. Le champ de l'habilitation ne saurait donc inclure des matières de nature statutaire relevant du domaine de la loi organique et il importera de vérifier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de ratification, que les mesures figurant dans les ordonnances ne correspondent pas à des " dispositions qui définissent les compétences des institutions propres du territoire, les règles essentielles d'organisation et de fonctionnement de ces institutions, y compris les modalités selon lesquelles s'exercent sur elles les pouvoirs de contrôle de l'État, ainsi que les dispositions qui n'en sont pas dissociables " (décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996).

Enfin, l'article 38 de la Constitution ne conçoit la possibilité de la délégation que pour un laps de temps limité. La loi d'habilitation doit fixer la date avant l'expiration de laquelle les ordonnances devront être prises ainsi que la date butoir assignée au Gouvernement pour déposer le projet de loi de ratification. Tel est le cas en l'espèce puisqu'il est prévu que les ordonnances devront être prises au plus neuf mois après la promulgation de la loi, les projets de ratification des ordonnances devant être déposés devant le Parlement au plus tard trois mois après ce premier butoir.

Si le respect formel des dispositions de l'article 38 de la Constitution paraît donc assuré, on assiste , ainsi que l'avait déjà souligné votre commission des Lois lors de l'examen par le Sénat du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires en octobre 2000, à une banalisation périlleuse du recours aux ordonnances .

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