B. AUDITION DE M. MARC BRODIN, PRÉSIDENT, SUR LE RAPPORT 2001 DE LA CONFÉRENCE NATIONALE DE SANTÉ

Réunie le mardi 16 octobre 2001, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Marc Brodin, président, sur le rapport 2001 de la Conférence nationale de santé .

M. Nicolas About, président, a souligné que la commission entendait, chaque année, toujours avec beaucoup d'intérêt, le président de la Conférence nationale de santé. Il a rappelé que le code de la santé publique prévoyait qu'il était « tenu compte pour l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale » des « analyses et des propositions » qui sont l'objet du rapport annuel de la Conférence.

Il a fait observer que la commission, à de multiples reprises, avait déploré que les lois de financement aient finalement un « contenu en santé publique » assez pauvre, ce qui ne faisait pas pour autant de ce texte une loi comptable tant les comptes étaient embrouillés et incertains. Aussi la commission était-elle particulièrement soucieuse d'entendre M. Brodin présenter les grandes lignes du rapport de la Conférence qui avait été transmis au Parlement et distribué aux membres de la commission.

M. Marc Brodin, président de la Conférence nationale de santé, a rappelé que la Conférence nationale de santé comprenait 78 membres, dont 19 représentants des professionnels exerçant à titre libéral, 19 représentants des institutions et établissements publics et privés de santé, 26 représentants des conférences régionales de santé et 14 personnalités qualifiées.

Il a indiqué qu'au cours de ces quatre premières années, la Conférence nationale de santé avait essentiellement travaillé sur les dix priorités définies depuis 1996. Il a souligné qu'à partir de l'année 2000, la Conférence, en réponse notamment aux critiques formulées par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2000, s'était efforcée de recenser les thèmes prioritaires élaborés par chaque région. Elle avait ainsi privilégié cette année quatre thèmes proposés par les conférences régionales de santé : les troubles de l'apprentissage et l'école, le suicide et la dépression des jeunes, la prévention du saturnisme et l'habitat, enfin, les accidents de la circulation routière.

S'agissant du thème consacré aux troubles de l'apprentissage et l'école, M. Marc Brodin a indiqué que la Conférence avait recommandé de favoriser toute action d'information concernant le développement cognitif, langagier et psychomoteur de l'enfant et d'améliorer le repérage et le dépistage précoces, le traitement des troubles spécifiques du langage, des troubles de la vision, de l'audition, facteurs d'échec scolaire, professionnel, culturel et de précarisation sociale.

Evoquant le suicide et la dépression des jeunes, il a souligné que la Conférence avait souhaité que l'on généralise les activités de prévention du mal-être des jeunes et le repérage de la crise suicidaire et que l'on instaure l'évaluation psychologique et le suivi de tout jeune suicidant.

S'agissant de la prévention du saturnisme et de l'habitat, il a précisé que la Conférence avait recommandé la suppression de l'origine de l'intoxication, c'est-à-dire les peintures au plomb, qui suffisait à elle seule à supprimer le saturnisme et avait parallèlement préconisé le relogement systématique des habitants concernés.

Abordant le thème des accidents de la circulation routière, M. Marc Brodin a indiqué que la Conférence avait mis l'accent sur la nécessité de réactiver les droits et les devoirs de chacun afin de réduire les écarts entre les devoirs réels et les pratiques observées, tant pour les conducteurs que les distributeurs de boissons, et les professionnels chargés des contrôles. La Conférence avait également souhaité que l'on analyse les raisons des comportements de prise de risques à tous les âges de la vie pour mieux orienter les programmes de prévention impliquant les jeunes et leurs aînés.

M. Marc Brodin a souligné que les propositions de la Conférence nationale de santé de mars 2001 portaient également sur quatre axes d'évolution du système de soins : le panier de soins, la démographie des professionnels de santé, l'aménagement du territoire et les réseaux, l'évolution des relations entre professionnels et usagers au regard des nouvelles technologies de l'information et du recours en responsabilité.

Evoquant le contenu du panier de soins, il a rappelé que le rapport du Haut comité de la santé publique soulignait l'importance de retenir des actions de santé construites à partir de l'ensemble des actes préventifs, curatifs et de réadaptation nécessaires à la maîtrise d'un risque ou d'une pathologie définis. Il a souligné que la Conférence reprenait à son compte les orientations proposées par le Haut comité et avait affirmé le caractère prioritaire de ce dossier. La réflexion devait maintenant se poursuivre, d'une part, sur les critères d'éligibilité au panier de biens et services de santé et, d'autre part, sur la définition des champs et des rôles des différents acteurs concernés.

S'agissant de la démographie des professionnels de santé, M. Marc Brodin a fait observer qu'il convenait de distinguer les problèmes actuels et les problèmes futurs. Il a expliqué que certaines spécialités posaient actuellement des problèmes spécifiques qui pouvaient être en partie résolus en tenant compte des complémentarités établies avec l'ensemble des autres professionnels de santé, en privilégiant la rémunération de l'acte intellectuel clinique distinguée de la rémunération de l'acte technique et en améliorant la répartition des spécialistes entre le secteur public et le secteur privé. La Conférence nationale de santé proposait, pour les professionnels de santé concernés, de faire évoluer les rémunérations en associant progressivement les paiements à l'acte avec le paiement au forfait, à l'image de ce qui se faisait dans les autres pays de l'Union européenne. Elle recommandait également d'instaurer une régulation incitative de l'offre de soins selon les besoins locaux et soulignait la nécessité d'inciter les professionnels de santé à s'installer en zone géographique où l'offre est peu développée, de favoriser les évolutions de carrière, la mobilité et les passerelles entre les métiers de santé, et de réduire les rigidités internes des cursus de formation initiale.

S'agissant de l'aménagement du territoire et des réseaux, M. Marc Brodin a indiqué que la Conférence nationale de santé proposait de favoriser le regroupement par bassin de vie de l'ensemble des activités ambulatoires des professionnels qui interviennent en premier recours ou à domicile et de favoriser le regroupement de professionnels sous les différentes formes juridiques existantes ou sous des formes juridiques nouvelles à créer. La Conférence avait également souhaité que l'on repense la relation entre santé et territoire en appuyant la mise en place d'une organisation coordonnée graduée de l'offre de soins, en développant des plateaux techniques de proximité de qualité, et en rendant faciles et souples le regroupement d'activités complémentaires médicales et chirurgicales et les regroupements entre établissements publics et/ou privés. La Conférence avait en outre proposé que soit reconnu aux habitants le droit d'être associés à part entière à l'élaboration, la réalisation et l'évaluation des politiques régionales de santé.

S'agissant de l'évolution des relations entre professionnels de santé et usagers, M. Marc Brodin a précisé que la Conférence avait entendu aborder ce thème sous deux angles : le développement des nouvelles technologies de la communication et les droits du malade. Il a indiqué que le développement des nouvelles technologies de la communication offrait dans le domaine de la santé des possibilités supplémentaires d'information du grand public, de développement de la prévention, des soins et de la recherche, et d'utilisation des données des dossiers médicaux. Il a souligné que la Conférence avait formulé le souhait que l'utilisation de ces nouveaux outils se fasse dans le respect de la vie privée et de la dignité des patients et que les sites internet consacrés à la santé respectent la confidentialité et déclarent à quelles fins sont recueillies les données. S'agissant de l'exercice des droits du malade, il a estimé qu'il s'agissait là d'une avancée, dans la mesure où l'amélioration de la relation soignant-soigné et de l'information du malade devait contribuer à diminuer les contentieux. Néanmoins, devant le risque d'augmentation des contentieux entre professionnels de santé et malades, il convenait en outre néanmoins, d'une part, de créer des instances de conciliation et d'arbitrage indépendantes et de favoriser le recours à celles-ci, d'autre part, de disposer rapidement d'une loi sur l'aléa médical et l'indemnisation des victimes.

M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie , a souhaité savoir dans quelle mesure le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, notamment le rapport annexé, reflétait les analyses et propositions de la Conférence nationale de santé.

M. Marc Brodin a recensé dans le rapport annexé au projet de loi les priorités de santé publique proposées par le Gouvernement qui pouvaient être reliées aux propositions de la Conférence nationale de santé, telles que le plan national de lutte contre le cancer, la lutte contre les pathologies chroniques, la lutte contre la démence, la santé des populations les plus fragiles, les infections nosocomiales, les accidents iatrogènes, le financement pérenne des réseaux.

Il a constaté que certaines de ces actions avaient parfois fait l'objet de recommandations de la Conférence plusieurs années auparavant et que d'autres apparaissaient très en retrait par rapport aux propositions détaillées de la Conférence. Il a souligné que certaines des propositions formulées par la Conférence cette année trouvaient leur traduction concrète dans le projet de loi relatif aux droits des malades.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est étonné du délai relativement long séparant souvent les propositions de la Conférence nationale de santé et leur traduction sous forme d'objectifs de santé publique par le Gouvernement.

M. Marc Brodin a estimé qu'un délai de trois ou quatre ans était souvent nécessaire à la construction d'un consensus sur un thème et que le rôle de la Conférence nationale de santé était précisément d'aider à construire ce consensus. Il a indiqué par exemple qu'entre le moment où une région choisissait un thème prioritaire et le moment où ce thème trouvait sa traduction dans un programme régional de santé, il s'écoulait parfois plusieurs années nécessaires à la mobilisation de l'ensemble des acteurs régionaux. Il a souhaité que le thème du panier de biens et services, sur lequel la Conférence avait insisté déjà à deux reprises, puisse déboucher rapidement sur des décisions politiques. Il a regretté que, dans certains domaines, tels que les dépistages du cancer, sur lesquels s'était formé un consensus immédiat, les décisions n'aient pas été prises plus tôt.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a relevé que l'article 24 du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 4 octobre, procédait à une refonte complète de la procédure d'élaboration de la politique de santé. Désormais, le Gouvernement préparerait chaque année, compte tenu de priorités pluriannuelles qu'il déterminerait, un rapport sur la politique de santé pour l'année suivante. Ce rapport serait élaboré, avec le concours d'une nouvelle structure - le Haut conseil de la santé - qui succède au Haut comité de la santé publique, au vu des bilans de l'application de la politique de santé dans les régions établis par les conseils régionaux de la santé et au vu des propositions qu'ils formuleraient. Ce rapport serait transmis, après avis de la Conférence nationale de santé, au Parlement au plus tard le 15 mai et y ferait l'objet d'un débat.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a demandé à M. Brodin quelles réflexions lui inspirait cette nouvelle architecture institutionnelle et quelle appréciation il portait sur la redéfinition des missions de la Conférence nationale de santé et la modification de sa composition.

M. Marc Brodin a considéré que le projet de loi traduisait une volonté d'introduire un séquençage, une linéarité dans la procédure d'élaboration de la politique de santé. Il a considéré que ce texte entendait séparer l'expertise du débat avec la société civile. Le futur Haut conseil jouerait un rôle d'expertise chargé de recueillir l'avis des conférences régionales de santé ; la Conférence nationale de santé, qui n'émettrait plus qu'un avis sur le rapport du Gouvernement, aurait pour mission d'exprimer le vécu des professionnels et des familles.

M. Marc Brodin a estimé qu'à l'avenir le Gouvernement aurait ainsi une maîtrise beaucoup plus grande du processus. Il a considéré que l'impact de cette réforme dépendrait pour une très large part des textes réglementaires d'application, lesquels détermineraient les moyens humains et financiers mis en place, la place réservée aux usagers au sein de la Conférence nationale de santé et l'implication éventuelle d'autres ministères que celui de la santé.

Après avoir rappelé qu'il siégeait au Haut comité de santé publique en tant que représentant du Sénat, M. Francis Giraud a estimé qu'il était nécessaire d'introduire davantage de cohérence dans la politique de santé de notre pays. Il a exprimé son septicisme face à l'utilité de multiplier les comités et les conseils et a souhaité la création d'un véritable ministère de la santé qui puisse précisément donner cette cohérence d'ensemble. Il a regretté l'absence, dans notre pays, d'une véritable politique de prévention et d'éducation à la santé. Il a enfin jugé que les médecins généralistes n'étaient pas assez rémunérés, ce qui conduisait à une multiplication des actes et à des gaspillages dangereux pour la santé.

M. Marc Brodin a souligné que la France avait récemment accompli un effort important en créant les agences sanitaires mais que notre pays n'avait pas encore entamé de véritable réflexion sur les liens qui devaient unir les problématiques de santé et l'organisation du système de santé. Il a indiqué que les recommandations communautaires conduisaient à analyser toute politique publique au regard de son impact sur la santé publique. Citant l'exemple de l'éducation à la santé, il a fait observer que celle-ci ne concernait pas uniquement les professionnels de santé mais l'ensemble des acteurs de la prévention. Il a mis en avant l'exemple des Pays-Bas qui parvenaient à concilier efficacité des politiques de santé publique et maintien d'une solidarité minimum entre les différentes composantes de la population.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour l'assurance vieillesse, s'est dit très inquiet de l'évolution démographique du monde médical. Evoquant la mauvaise répartition des praticiens sur le territoire, il a fait état d'une véritable pénurie de généralistes et de spécialistes dans l'Indre-et-Loire, alors même qu'une faculté de médecine était implantée à Tours. Il a jugé que l'on n'avait pas été assez attentif aux conséquences de l'évolution du mode d'exercice, de la féminisation et des débats relatifs à la réduction du temps de travail. Il a regretté que l'institution d'un numerus clausus trop restrictif ne conduise aujourd'hui à recruter des médecins à diplôme étranger.

M. Marc Brodin a souligné qu'il était frappant de constater que l'on n'avait procédé, jusqu'à une date récente, à aucune analyse de l'évolution démographique des professions de santé. Evoquant la création annoncée par le Gouvernement d'un observatoire de la démographie des professions de santé, il a considéré que celui-ci devrait également étudier les évolutions technologiques et leur impact sur l'évolution des métiers. Il a estimé que la notion de pénurie de médecins avait, avant tout, été générée par nos processus organisationnels et parce que l'on avait, en quelque sorte, cassé la motivation des intéressés. Il a cité à cet égard, l'exemple des jeunes médecins qui ne voulaient plus travailler 48 heures par semaine. Il a souligné que si l'on passait de 45 heures à 35 heures la durée du travail hebdomadaire des médecins, on susciterait très rapidement un véritable phénomène de pénurie. Il a jugé que les aspects organisationnels et psychologiques étaient redoutables : on avait ainsi remplacé la culture de la responsabilité individuelle par le suivi de la qualité d'un process.

S'agissant des médecins à diplôme étranger, il a indiqué que l'on avait intégré un effectif d'environ 5.000 personnes, âgées généralement d'une cinquantaine d'années, qui n'allaient vraisemblablement pas s'installer en exercice libéral mais qui connaîtraient un problème aigu de retraite dans les prochaines années.

M. Gilbert Chabroux a dit tout l'intérêt qu'il portait aux réflexions de la Conférence nationale de santé. Il a souligné que l'inertie caractérisant la prise de décision en la matière ne tenait pas uniquement au Gouvernement, mais au délai nécessaire à l'élaboration de certaines propositions. Relevant que le suicide des jeunes et la prévention des accidents les concernant figuraient déjà parmi les priorités définies depuis 1996, il s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles si peu de résultats avaient été obtenus.

M. Marc Brodin a souligné que le dossier de la santé des jeunes était essentiel aux yeux de la Conférence nationale de santé. Il a constaté que depuis 150 ans, notre pays abordait les questions de santé à l'entrée du système de soins et non en amont et se refusait dès lors à approcher les problèmes de santé par leurs déterminants. Il a regretté que l'on mélange trop souvent les enjeux industriels et les problèmes de santé, comme l'avait douloureusement illustré le drame du Sida. Il a jugé qu'en matière de santé publique il convenait d'avoir une vision du temps, à un horizon de quinze ou vingt ans, ce qui semblait difficilement compatible avec la volonté de récupérer tout de suite sa mise. A cet égard, il a invité les commissaires à lire avec attention le remarquable exposé de Mme Suzanne Rameix figurant dans le rapport de la Conférence nationale de santé.

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