II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE GESTICULATION SANS LENDEMAIN.

La proposition de loi portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales et les organismes d'assurance maladie, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 10 janvier, est la reprise presque à l'identique de l'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, annulé par le Conseil constitutionnel le 18 décembre 2001.

C'est dire que le Sénat est pour beaucoup dans le dépôt et l'examen de cette proposition de loi puisque le Conseil constitutionnel, pour annuler cette disposition, s'est appuyé sur l'argumentation des sénateurs auteurs de la saisine.

Ceux-ci avaient en effet estimé que l'article 18 avait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, qui n'avait tendu qu'à contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l'introduction de dispositions nouvelles après la réunion de la commission mixte paritaire.

Deux jours à peine après la décision du Conseil constitutionnel, MM. Jean Le Garrec, Jean-Marc Ayrault et Claude Evin ont déposé la présente proposition de loi, de sorte que ni sous la forme d'amendement, ni sous la forme de proposition de loi, ce texte n'a été délibéré en Conseil des ministres et soumis à l'examen du Conseil d'Etat.

Examiné par la commission le 9 janvier, le texte a été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour prioritaire dès le 10 janvier et adopté par l'Assemblée nationale. Que de célérité et de sollicitude de la part du Gouvernement pour une simple « proposition de loi » !

Au Sénat, le Gouvernement a d'ailleurs déployé toutes les prérogatives de l'ordre du jour prioritaire pour inscrire d'autorité un texte qu'il n'avait cependant pas souhaité signer. C'est dans ces conditions qu'en première lecture, votre rapporteur a dû présenter un rapport oral.

Le texte témoigne ainsi d'un curieux acharnement du Gouvernement et d'une conception pour le moins autoritaire des relations avec les professionnels de santé.

L'annulation de l'article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 aurait pu en effet donner au Gouvernement le temps nécessaire de procéder à une véritable concertation avec les professionnels de santé. Il n'en a rien été.

Cette concertation n'avait naturellement pas pu avoir lieu au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale puisque l'amendement avait été déposé le 20 novembre 2001, soit la veille de son adoption en séance publique à l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement avait certes fait valoir que la concertation se poursuivrait avec les professionnels de santé mais c'est une curieuse concertation que celle qui consiste à consulter sur une disposition déjà votée par l'Assemblée nationale !

Il s'agit à l'évidence, pour le Gouvernement, de passer en force avec ce texte, au mépris de toute concertation.

Outre qu'il révèle une méthode détestable, le dispositif proposé présente des faiblesses flagrantes.

S'il retient bien l'idée d'une architecture conventionnelle à trois niveaux, il ne tranche cependant ni la question du mode de régulation des dépenses ni celle des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie dans cette régulation.

Ainsi, et c'est le principal reproche que l'on puisse formuler à son égard, il laisse subsister, pour les professions non signataires d'une convention, le mécanisme pervers des lettres-clés flottantes, institué par le Gouvernement dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et auquel le Sénat s'est déjà opposé à de nombreuses reprises.

Ceci explique qu'à l'exception de MG-France, l'ensemble des syndicats de médecins se sont déclarés hostiles à cette réforme, certains jugeant que le maintien du mécanisme des sanctions collectives allait les forcer à négocier « avec un revolver sur la tempe ».

Aux yeux de votre commission, la suppression du dispositif de régulation par les lettres-clés flottantes constitue pourtant un préalable indispensable à la reprise du dialogue avec les professionnels de santé et à l'ouverture d'une véritable négociation sur une nouvelle architecture conventionnelle et un nouveau dispositif de régulation des dépenses.

En outre, la réforme proposée ne résout pas le problème récurrent des relations entre l'Etat et l'assurance maladie.

L'Etat conserve en effet la haute main sur le dispositif : c'est le Gouvernement qui devra approuver les conventions ; c'est encore lui qui pourra, dans certains cas, refuser les éventuelles revalorisations de tarifs proposées par les caisses, c'est-à-dire les partenaires sociaux ; c'est toujours lui qui, en l'absence de convention, définira la règle du jeu et les sanctions collectives.

Dans un avis adopté à l'unanimité le 20 novembre 2001, le conseil d'administration de la CNAMTS a d'ailleurs fait part des fortes réserves que lui inspirait ce texte. Ces réserves constituent autant de critiques sévères de la politique menée depuis cinq ans par le Gouvernement.

Enfin, le dispositif proposé ne modifie en rien le fait que la fixation annuelle de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ne repose sur aucune priorité sanitaire clairement affichée et ne se fonde sur aucune véritable évaluation des besoins en matière de soins.

On est dès lors amené à s'interroger sur la signification que peut revêtir un texte qui, s'il est adopté, sera vraisemblablement le dernier de la législature et qui semble ne pas recueillir l'adhésion des acteurs concernés. A l'évidence, cette réforme n'a pas vocation à être effectivement mise en oeuvre.

Dans le contexte de crise que connaît aujourd'hui notre système de santé, la proposition de loi apparaît en complet décalage avec les attentes des professionnels de santé et avec les défis auxquels ce système est confronté. Elle ne peut contribuer en rien à dissiper les inquiétudes légitimes qui se font jour chez les professionnels et chez les patients eux-mêmes.

Elle n'a au fond pour objet que de répondre au souhait du Gouvernement de pouvoir « afficher » une réforme des relations conventionnelles dont il sait pertinemment qu'elle ne sera pas appliquée avant les prochaines échéances électorales.

A l'évidence, cette proposition de loi relève de la gesticulation politique et vise avant tout à masquer les échecs et l'impuissance du Gouvernement en matière d'assurance maladie et de politique de la santé.

En annulant l'article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui était censé être « la » réponse apportée par le Gouvernement à l'inquiétude des professionnels de santé, le Conseil constitutionnel avait sanctionné une gesticulation introduite en dernière lecture de la dernière loi de financement de la sécurité sociale de la législature.

En rejetant solennellement ce texte par l'adoption d'une motion opposant la question préalable, le Sénat voudra bien sanctionner à son tour cette nouvelle gesticulation inscrite dans ce qui sera peut-être la dernière loi promulguée de la législature.

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