ANNEXE 2

AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
DU 16 OCTOBRE 2002

M. Dominique Perben, garde des sceaux,
ministre de la justice

M. Patrick devedjian,
ministre délégué aux libertés locales

Mme Brigitte girardin,
ministre de l'outre-mer

AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
DU 17 OCTOBRE 2002

M. Jean-Claude Etienne,
président du conseil régional de Champagne-Ardenne,
représentant de l'Association des régions de France (ARF)

M. Philippe Leroy, président du conseil général de la Moselle,
vice-président de l'Association des départements de France,
et M. François Fortassin, président du conseil général des Hautes-Pyrénées

M. Daniel Hoeffel,
président de l'Association des maires de France

M. Pierre Mauroy,
président de la Commission pour l'avenir de la décentralisation

M. Francesco Merloni,
professeur à l'université de Pérouse,
département Institutions et société

M. André Roux,
professeur à l'université de Marseille III

M. Olivier Gohin,
professeur à l'université de Paris II

M. Jean-Bernard Auby,
professeur à l'université de Paris II,
président de l'Association française de droit des collectivités locales

Mercredi 16 octobre 2002

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a rappelé que, conformément aux orientations prévues par le Président de la République et aux engagements du discours de politique générale prononcé au Parlement en juillet dernier, le Gouvernement avait l'ambition de promouvoir une étape innovante de la décentralisation.

Après avoir affirmé que le projet de loi constitutionnelle constituait le socle de cette réforme, il a estimé que la décentralisation ne reposait pas sur un fondement constitutionnel suffisant, la place accordée aux collectivités territoriales par la Constitution restant limitée dans la tradition républicaine française. Il a également rappelé que les dispositions de la Constitution de la V e République s'inscrivaient dans la continuité de celles de la IV e République, la proclamation du principe de libre administration des collectivités territoriales semblant épuiser le sujet. Il a estimé que ce principe ne suffisait plus aujourd'hui à définir un cadre cohérent et moderne des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Il a rappelé que le législateur avait initié un mouvement de décentralisation au cours des années soixante-dix, que les lois de 1982 et 1983 avaient inscrit dans la réalité française. Il a toutefois constaté que si les collectivités territoriales apparaissaient aujourd'hui comme des acteurs incontournables de la démocratie de proximité, le mouvement avait aujourd'hui atteint ses limites, ce qui rendait nécessaire sa refondation.

M. Dominique Perben a considéré que depuis 1969 et la tentative de réforme constitutionnelle avortée du général de Gaulle, les régions attendaient depuis trop longtemps une consécration constitutionnelle de leur existence et de leur rôle.

Après avoir observé que les sénateurs avaient eux-mêmes très utilement contribué à ce débat en déposant plusieurs propositions de loi ayant directement inspiré les réflexions du Gouvernement, M. Dominique Perben a déclaré que le projet de loi avait pour objet de fonder une véritable République unitaire décentralisée, afin de favoriser le développement d'une démocratie locale au service des citoyens, dans le respect de l'unité et de l'indivisibilité de la République.

Il a ensuite souligné que l'inscription dans la Constitution de « l'organisation décentralisée de la République » était à la fois un aboutissement, consacrant un demi-siècle d'évolution institutionnelle, et un point de départ.

M. Dominique Perben a assuré que de ce nouveau fondement constitutionnel, complété en tant que de besoin par la loi, résulterait une nouvelle architecture de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, nourrie par le dialogue avec les élus locaux.

Il a précisé que des Assises des libertés locales se tiendraient dans toutes les régions dès la fin du mois et jusqu'en janvier. Il a indiqué que, sur la base de ces travaux, le Gouvernement élaborerait, au printemps 2003, un projet de loi organisant de nouveaux transferts de compétences. Il a réaffirmé toute l'importance que le Gouvernement attachait à la concertation et à l'écoute des propositions formulées par les praticiens du terrain.

Il a déclaré que les transferts les plus consensuels pourraient être mis en oeuvre et généralisés rapidement et que l'expérimentation permettrait aux collectivités les plus audacieuses d'être les précurseurs de réformes qui pourraient profiter à tous ultérieurement.

Il a souligné la volonté du Gouvernement de promouvoir un meilleur équilibre entre le principe d'égalité, n'impliquant pas l'uniformité, et le respect des libertés locales. Il a également rappelé que la République française s'était construite autour des principes d'unité et d'égalité qui avaient permis à la France de forger son identité.

M. Dominique Perben a ensuite présenté l'économie du projet de loi constitutionnelle.

Il a indiqué qu'il comportait quatre volets principaux : l'organisation décentralisée de la République, la démocratie locale directe, l'autonomie financière des collectivités territoriales et le statut des collectivités d'outre-mer. Il a précisé que, si dans leur grande majorité, ces dispositions rénovaient le titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales, deux d'entre elles intéressaient plus directement le fonctionnement de l'Etat.

Concernant l'organisation décentralisée de la République, M. Dominique Perben a en premier lieu indiqué que la mention de l'organisation décentralisée de la République serait inscrite à l'article premier de la Constitution qui précisait les caractères de la République française. Il a ajouté que ce principe était décliné dans la nouvelle rédaction de l'article 72 de la Constitution, la région figurant désormais au nombre des collectivités territoriales reconnues par la Constitution au même titre que la commune et le département. Il a également signalé qu'était en outre reconnue à la loi la faculté de créer une collectivité « à statut particulier », en lieu et place des collectivités de droit commun.

M. Dominique Perben a déclaré que la dévolution de nouvelles compétences à l'ensemble de ces collectivités devrait répondre à un objectif inspiré du principe de subsidiarité et se fonder sur la recherche du niveau le plus approprié.

Après avoir remarqué que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales était désormais explicitement consacré, il a souligné l'ambition du projet d'ouvrir aux collectivités territoriales une capacité d'expérimentation leur permettant, dans le cadre de leurs compétences et sur une habilitation ad hoc, de déroger aux dispositions législatives ou réglementaires existantes. Il a expliqué qu'il s'agissait d'offrir aux collectivités territoriales la possibilité d'éprouver, pendant une durée déterminée, soit de nouvelles règles d'exercice de leurs compétences, soit le transfert de nouvelles compétences, afin que le législateur soit en mesure, au terme de l'expérience, d'apprécier si celles-ci ont vocation à être généralisées sur l'ensemble du territoire. Il a observé que, par leur volume et leur ambition, les réponses des élus locaux à l'appel à propositions lancé par le Premier ministre auguraient bien de la place de ce dispositif de l'expérimentation dans la nouvelle politique visant à garantir l'exercice des libertés locales.

Il a indiqué que le projet de loi reconnaissait la possibilité, pour une collectivité territoriale, d'être désignée comme « chef de file » afin d'assurer la coordination de l'action d'autres collectivités, tout en précisant que le terme de « chef de file » n'avait pas été repris en tant que tel dans le texte du projet de loi constitutionnelle.

Sur le second volet de la réforme, M. Dominique Perben a affirmé que la décentralisation devait s'accompagner d'un véritable essor de la démocratie locale directe, ce qui avait conduit à l'inscription de trois nouveaux instruments d'expression des citoyens dans le projet de loi constitutionnelle : le droit de pétition, qui permettrait à un ensemble d'électeurs d'obtenir l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'une question relevant de sa compétence ; le référendum local offrant aux électeurs d'une collectivité territoriale, à l'initiative de celle-ci, la faculté de décider eux-mêmes de l'adoption de mesures relevant de sa compétence ; la possibilité d'une consultation locale, décidée par la loi, sur les questions tenant à l'organisation institutionnelle des collectivités territoriales.

Concernant l'autonomie financière des collectivités territoriales, M. Dominique Perben a tout d'abord observé qu'aucune disposition ne consacrait explicitement dans la Constitution l'autonomie financière des collectivités territoriales. Il a estimé que, si le Conseil constitutionnel avait certes développé une jurisprudence en ce sens fondée sur le principe de libre administration, celle-ci demeurait nécessairement limitée en l'absence de fondement constitutionnel.

Il a ensuite souligné le caractère unanime du constat selon lequel la décentralisation ne pouvait être effective si les collectivités territoriales ne disposaient pas des moyens nécessaires à l'exercice de leurs compétences, ce qui nécessitait de corriger les inégalités entre elles.

Il a indiqué que l'autonomie financière des collectivités territoriales serait désormais constitutionnellement garantie, le projet de loi leur reconnaissant la capacité de fixer, dans les limites prévues par la loi, le taux et l'assiette des impôts locaux et consacrant le principe selon lequel les ressources propres des collectivités territoriales constituent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. Il a précisé qu'était également érigé au rang constitutionnel le principe de compensation des transferts de charges correspondant aux transferts de compétences, selon une évaluation sur la base du montant que l'Etat leur consacrait effectivement.

M. Dominique Perben a enfin indiqué que le projet de loi refondait le statut des collectivités situées outre-mer, à l'exception de celui de la Nouvelle Calédonie qui demeurait régi par les dispositions figurant au titre XIII.

Il a précisé que le projet de loi confirmait la différence de régime juridique entre les départements d'outre-mer, soumis au principe d'assimilation législative, et les collectivités territoriales d'outre-mer, soumises au principe de spécialité législative. Il a ajouté que le régime des départements d'outre-mer était assoupli, en considération de leurs caractéristiques et contraintes particulières, pour leur permettre de fixer eux-mêmes des adaptations aux lois et règlements, et a observé, s'agissant des collectivités d'outre-mer, que chacune d'entre elles bénéficierait d'un statut défini par la loi organique reflétant ses intérêts propres, qui leur reconnaîtrait des compétences susceptibles de relever du domaine de la loi et, pour certaines d'entre elles, consacrerait une véritable autonomie.

Il a indiqué que des passerelles entre l'un et l'autre de ces régimes juridiques seraient possibles, sous réserve du consentement des populations intéressées.

M. Dominique Perben a signalé qu'un mécanisme d'habilitation permanente était proposé pour permettre au Gouvernement d'assurer, par voie d'ordonnances, une actualisation régulière du droit applicable aux collectivités d'outre-mer.

Enfin, le garde des sceaux a évoqué les deux dispositions du projet de loi constitutionnelle intéressant l'Etat.

Il a signalé que le projet, d'une part, renforçait le rôle spécifique du Sénat dans la représentation des collectivités territoriales, en prévoyant que les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources seraient soumis en premier lieu à la Haute assemblée, d'autre part, conférait une capacité d'expérimentation à l'Etat.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a rappelé que plusieurs travaux relatifs à la décentralisation avaient été menés au Sénat : la proposition de loi constitutionnelle adoptée le 26 octobre 2000 et les réflexions du groupe de travail présidé par le Président Christian Poncelet, qui avait formulé de nombreuses propositions.

M. Patrick Devedjian a annoncé que le projet de loi constitutionnelle serait examiné par le Sénat dès le 29 octobre et, en principe, le 16 novembre par l'Assemblée nationale.

Il a indiqué que les Assises des collectivités locales avaient commencé à se tenir à Nantes, avec pour but de faire émerger les souhaits des collectivités territoriales en matière de décentralisation.

Il a annoncé que des Assises nationales établiraient ensuite une synthèse des Assises régionales.

M. Patrick Devedjian a confirmé qu'à l'issue de ce processus de concertation, un projet de loi organique serait présenté en priorité devant le Sénat et qu'il serait suivi de projets de loi relatifs aux transferts de compétences.

Il a souligné que ce processus de décentralisation serait accompagné d'une réorganisation de l'Etat.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a estimé que cette réforme de la décentralisation présentait plusieurs différences par rapport aux « lois Defferre », qui avaient constitué une étape déterminante de la décentralisation avec la dévolution du pouvoir exécutif aux présidents des conseils généraux et régionaux, le transfert de compétences nouvelles aux collectivités territoriales et le remplacement de la tutelle préfectorale par un contrôle de légalité.

Il a souligné que la décentralisation voulue par le présent Gouvernement serait laissée à l'initiative des collectivités locales alors qu'en 1982, elle leur avait été octroyée. Il a indiqué que le projet de loi donnait un fondement constitutionnel à la décentralisation alors que la réforme des années 1980 avait été simplement législative. Il a observé que le mouvement de décentralisation s'était progressivement essoufflé, avant de marquer le pas face aux forces centralisatrices, alors que la réforme envisagée par le Gouvernement avait pour ambition de s'inscrire dans la durée. Il a précisé que l'évaluation des expérimentations offrirait chaque année au Parlement l'occasion de dresser un bilan de la décentralisation.

M. Patrick Devedjian a précisé que les expérimentations devraient être engagées par les collectivités territoriales elles-mêmes, le Gouvernement décidant des suites à leur donner. Il a souligné le caractère permanent et facultatif du processus et le fait qu'il s'inscrivait dans la durée.

Enfin, le ministre a estimé que la réforme fournissait des garanties, notamment en matière financière, avec le principe de l'attribution de ressources correspondant au transfert de compétences et celui de la péréquation des ressources.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a ensuite indiqué que la réforme de la fiscalité locale interviendrait rapidement. Il a conclu son propos en rappelant que la décentralisation était un processus continu qui méritait toute l'attention du Parlement.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer , a souligné les deux grands axes de la réforme constitutionnelle en ce qui concerne l'outre-mer : inscrire dans la Constitution un certain nombre de garanties n'y figurant pas ; assouplir et clarifier un cadre institutionnel devenu inadapté aux réalités locales et aux demandes des élus en faveur de davantage d'initiative et de responsabilité. Elle a ajouté que le projet de loi tendait également à corriger certaines imperfections de la Constitution, s'agissant des modalités de l'organisation de l'élection présidentielle et de l'extension des textes nationaux aux collectivités soumises au principe de spécialité.

Rappelant qu'aujourd'hui, une simple loi pouvait imposer des évolutions institutionnelles contre la volonté des populations concernées, elle a insisté sur la possibilité donnée aux départements et collectivités d'outre-mer de choisir désormais leur avenir institutionnel au sein de la République.

Elle a précisé que l'assentiment des électeurs constituait une nécessité démocratique pour mettre en oeuvre des évolutions institutionnelles aussi importantes que le passage du régime de l'article 73 à celui de l'article 74 de la Constitution ou la concentration dans une seule assemblée, et donc dans un seul exécutif, des compétences régionales et départementales. Elle a reconnu que cette exigence allait au-delà de celles prévues en métropole mais a souligné qu'en métropole, nul ne pouvait se voir imposer le passage à la spécialité législative.

Mme Brigitte Girardin a précisé que, dans tous les cas, la consultation serait organisée par le chef de l'Etat, le Parlement restant libre, ensuite, d'adopter la loi déterminant le contenu de la réforme dont le principe aurait été approuvé par la population -une loi allant à l'encontre de la décision clairement exprimée par les électeurs étant inconstitutionnelle.

Mme Brigitte Girardin a souligné qu'en outre le passage du régime de l'article 73 vers celui de l'article 74, ou l'inverse, nécessiterait l'adoption d'une loi organique, ce qui constituait une garantie supplémentaire.

Elle a enfin indiqué que l'inscription dans la Constitution de telles garanties n'aurait pas, et ne saurait avoir pour effet, de remettre en cause les statuts existants des collectivités d'outre-mer.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a ensuite souligné que le projet de loi constitutionnelle consacrait solennellement l'appartenance de l'outre-mer à la République, en inscrivant dans le texte même de la Constitution le nom de chacune des collectivités : inscrites dans la Constitution, elles n'en pourraient plus sortir que par la volonté du Constituant, ce qui constituait la garantie la plus forte contre une évolution non souhaitée vers la sortie de la République. Elle a souligné l'importance d'une telle disposition pour Mayotte, dont le nom apparaît toujours dans la Constitution de l'Etat étranger qui la revendique. Elle a observé que serait ainsi mis fin au paradoxe selon lequel seule la Nouvelle-Calédonie, avec son statut si dérogatoire au droit commun, figurait dans la Constitution.

Puis Mme Brigitte Girardin a observé que le projet constituait un assouplissement et une clarification des régimes existants outre-mer. Elle a ainsi souligné que l'article 73, qui concerne les collectivités soumises au principe d'assimilation législative, c'est-à-dire les départements et les régions d'outre-mer, serait réécrit afin de mieux faciliter l'adaptation des lois et décrets aux réalités locales. Elle a rappelé que le Président de la République s'était engagé à adopter une rédaction très proche de celle de l'article 299-2 du traité de Rome issu du traité d'Amsterdam afin de mettre fin au paradoxe en vertu duquel le droit communautaire offrait plus de possibilités d'adaptation à la réalité des départements d'outre-mer que le droit constitutionnel national.

Pour les départements et les régions d'outre-mer régis par l'article 73 de la Constitution, elle a indiqué que les adaptations locales seraient facilitées par la « décentralisation » aux assemblées délibérantes concernées de cette possibilité s'agissant de leur domaine de compétence, dans les conditions prévues par une loi organique.

Elle a en outre indiqué qu'il était envisagé de permettre à ces collectivités de prendre des actes réglementaires dans des matières de la compétence des pouvoirs législatif et réglementaire nationaux, tout en soulignant que cette habilitation ne devrait pas dénaturer le statut départemental, toujours soumis au principe de l'assimilation. Elle a ainsi précisé que les matières susceptibles d'être transférées seraient celles ayant des incidences directes sur la vie et le développement économique, afin de donner aux élus une plus grande liberté d'action. Elle a à cet égard cité le droit de l'environnement, ainsi que le droit des transports. Elle a par ailleurs indiqué que ces transferts devaient se limiter à quelques matières, les départements d'outre-mer ne devant pas être transformés en territoires d'outre-mer.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a noté que la réécriture de l'article 74 de la Constitution devait permettre de mieux prendre en compte les spécificités de chacune des collectivités d'outre-mer concernées (territoires d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte), soumises au principe de spécialité législative.

Elle a enfin précisé qu'afin de mieux répondre aux demandes de la Polynésie, un statut d'autonomie renforcée pourrait être prévu par la loi organique, qui se traduirait par un contrôle spécifique sur les actes de son assemblée délibérante intervenant dans le domaine de la loi et par une protection accrue de ses compétences.

Un large débat s'est alors engagé, au cours duquel M. Jean-Claude Peyronnet a indiqué que la logique du projet de loi constitutionnelle pouvait amener un transfert de compétences à des collectivités territoriales qui ne les demandaient pas. Il a ensuite insisté sur la nécessité d'une réforme rapide des finances locales et s'est interrogé sur la possibilité de laisser les collectivités territoriales fixer l'assiette et le taux des impositions de toute nature dans des conditions prévues par la loi.

Enfin, il a souligné que le droit à l'expérimentation donné aux collectivités territoriales comportait un risque de démantèlement de l'organisation administrative française et a insisté sur la nécessité d'encadrer ce droit.

M. Paul Girod s'est d'abord interrogé sur la portée exacte de la notion de « droit constitutionnellement garanti » inscrite au cinquième alinéa de l'article 4 du projet de loi constitutionnelle. Il a demandé des précisions sur le principe de dérogations expérimentales aux dispositions législatives.

Après avoir rappelé la nécessité de réaffirmer le principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, il a déploré que les transferts de compétences issus des lois de décentralisation de 1982 n'aient souvent été qu'un moyen pour l'Etat de régler ses difficultés financières.

M. Michel Charasse a d'abord affirmé que, seule, l'organisation administrative française pouvait être décentralisée. Il a ensuite souligné que le droit à l'expérimentation devrait être concilié avec le principe d'égalité ayant valeur constitutionnelle.

Il a souscrit aux observations de M. Paul Girod sur le principe d'interdiction de la tutelle et s'est interrogé sur la valeur, consultative ou décisionnelle, des consultations locales prévues en cas de création d'une collectivité à statut particulier, de modification de son organisation ou en cas de modification des limites des collectivités territoriales.

Il a estimé que la garantie donnée aux collectivités territoriales selon laquelle les recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales, représentent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources n'avait pas de réelle portée contraignante pour l'Etat et a demandé que les transferts de compétences futurs ne soient pas un moyen, pour l'Etat, de se débarrasser de politiques coûteuses.

M. Michel Charasse a observé que la consultation prévue en outre-mer en cas de création d'une nouvelle collectivité territoriale se substituant à un département et à une région d'outre-mer ou d'une assemblée unique constituait un mandat impératif pour le Parlement. Il s'est étonné que des matières telles que la fiscalité, le régime de la propriété ou le droit du travail, soient susceptibles d'être transférées aux collectivités d'outre-mer.

Il a enfin dénoncé le dessaisissement du Parlement résultant de l'habilitation permanente donnée au Gouvernement à l'article 10 du projet pour actualiser, par ordonnances, le droit applicable aux collectivités d'outre-mer.

Mme Nicole Borvo a estimé que l'objectif de la décentralisation devait être de rapprocher les lieux de décision des citoyens. Insistant sur la complexité du projet de loi constitutionnelle, elle a observé qu'il aurait mérité un grand débat public associant les électeurs et les assemblées délibérantes des collectivités territoriales.

Mme Nicole Borvo a estimé que l'affirmation du caractère décentralisé de l'organisation française ne constituait pas un principe fondamental de la République et ne devait pas figurer à l'article premier de la Constitution. Elle s'est inquiétée des dangers de différenciation de la législation applicable sur l'ensemble du territoire ouverts par le droit à l'expérimentation locale. Elle a considéré que la désignation de collectivités chefs de file pour l'exercice de compétences croisées ne devait pas conduire à la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Elle a considéré que les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives à l'autonomie financière des collectivités territoriales étaient vagues et qu'il eût été préférable de réformer la fiscalité locale, afin de garantir l'égalité des citoyens devant les contributions publiques, plutôt que de réviser la Constitution.

Mme Nicole Borvo s'est enfin associée aux remarques de M. Michel Charasse sur la réforme du droit constitutionnel de l'outre-mer.

M. Daniel Hoeffel , tout en saluant le projet de loi constitutionnelle, s'est inquiété de l'absence de toute référence aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Evoquant l'instauration d'un droit de pétition et d'un référendum local décisionnel, il a souhaité rappeler que de tels dispositifs ne devaient pas porter atteinte à l'autorité des élus, ceux-ci étant eux-mêmes soumis au choix des électeurs tous les six ans. Il a estimé que les conseils municipaux devaient conserver la maîtrise de leur ordre du jour.

Pour sa part, M. Bernard Frimat a regretté que les dotations que les collectivités locales reçoivent d'autres collectivités soient prises en compte dans le calcul de la part déterminante de leurs ressources. Il a en effet considéré qu'il s'agissait là de créditer à deux collectivités différentes une même ressource. Par ailleurs, il a observé que si le projet constitutionnalisait les dispositions de la loi de 1982 en prévoyant que tout transfert de compétences devait s'accompagner du transfert de ressources équivalentes à celles que l'Etat consacrait à leur exercice, vingt ans d'expérience avaient démontré que les collectivités avaient dû faire face à des charges supérieures. Il s'est d'ailleurs inquiété de savoir si une telle constitutionnalisation interdirait à l'avenir d'aller au-delà.

M. Nicolas Alfonsi s'est ensuite interrogé sur la compatibilité de l'inscription simultanée à l'article 72 des régions et de collectivités à statut particulier créées par la loi. Il a suggéré une autre rédaction prévoyant que « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier sont des collectivités territoriales. Celles-ci sont créées par la loi ». Il a déploré que coexistent ainsi des régions particulières, dans lesquelles les départements pourraient être supprimés, et des régions « normales ». Il a souhaité savoir quelles étaient les collectivités territoriales susceptibles d'être concernées par la création d'une collectivité à statut particulier, en dehors de la collectivité territoriale et des départements de Corse.

Par ailleurs, s'agissant de la consultation des électeurs de collectivités concernées par des modifications de leur organisation ou par une fusion, il a observé que politiquement, une telle consultation ne pourrait qu'avoir un caractère décisionnel.

M. Jacques Larché s'est félicité que l'Etat déclare vouloir simplifier ses structures, mais a regretté que le projet de loi constitutionnelle ne fasse aucune référence aux pays et aux établissements publics de coopération intercommunale.

En outre, il a salué la pertinence des remarques de M. Michel Charasse et souhaité que le transfert de compétences s'accompagne de la dévolution d'un pouvoir normatif, estimant que tant que la réglementation concernant une compétence transférée demeurerait de la responsabilité des autorités nationales, la décentralisation resterait vouée à l'échec.

S'agissant de l'outre-mer, M. Jacques Larché a regretté la timidité du texte, rappelant que la départementalisation y était « à bout de souffle », et s'est étonné que la révision constitutionnelle concernant la Polynésie française, pourtant précédemment votée par les deux assemblées, n'ait pas été reprise par le présent projet de loi.

Enfin, observant que l'adoption d'un tel projet de révision constitutionnelle entraînerait par la suite un énorme travail normatif, de surveillance et de conseil de la part du Sénat, il a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à une adaptation des structures, notamment des commissions, et des méthodes de travail.

M. Patrice Gélard a également salué la pertinence des remarques de MM. Daniel Hoeffel et Michel Charasse. Toutefois, contrairement à ce dernier, il a jugé très utile l'habilitation permanente donnée au Gouvernement pour prendre des ordonnances d'extension de la législation métropolitaine dans les collectivités d'outre-mer.

Par ailleurs, il a souhaité que soit posée l'exigence d'un taux de participation minimum de 50 % des électeurs inscrits en matière de référendums locaux, à l'instar des dispositions suisses et italiennes, afin d'éviter que des lobbies non représentatifs n'imposent leurs choix aux collectivités territoriales.

De plus, M. Patrice Gélard a regretté que le texte présenté soit en retrait par rapport à la loi constitutionnelle relative à la Polynésie, ainsi qu'à la proposition de loi constitutionnelle déposée par le président du Sénat, M. Christian Poncelet, et à celle qu'avait votée le Sénat le 26 octobre 2000 aux termes desquelles les recettes fiscales des collectivités territoriales doivent représenter la moitié au moins de leurs recettes de fonctionnement. Il a déploré l'absence de dispositions précises quant à la durée et à l'étendue de l'engagement de l'Etat à compenser les transferts de charges.

Il s'est enfin inquiété de rédactions ambiguës.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances , s'est pour sa part interrogé sur la signification du premier alinéa du texte proposé pour insérer un article 72-2 dans la Constitution, observant qu'il semblait affirmer l'autonomie de dépenses des collectivités territoriales, et faire de la libre disposition de ressources la seule garantie de leur libre administration. Il a donc appelé à une clarification.

En outre, il s'est associé à l'interrogation de M. Bernard Frimat concernant l'interprétation des notions d'autonomie financière et de part déterminante des ressources propres. Il a en effet refusé que des ressources provenant d'une autre collectivité territoriale puissent être considérées comme des ressources propres.

S'agissant de la péréquation, il a estimé nécessaire de ne pas seulement mentionner les inégalités de ressources, mais également les inégalités de charges.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a salué l'hommage rendu par M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à la loi Defferre de 1982. Il a cependant contesté l'affirmation du ministre, selon laquelle constitutionnaliser le principe de la libre administration serait forcément positif, rappelant que la Constitution du 27 octobre 1946 comportait des dispositions relatives à la déconcentration et à la décentralisation, qui n'avaient cependant connu aucune suite.

S'agissant de la péréquation, il a estimé nécessaire de prévoir une obligation et non une simple faculté, afin que soit clairement défini un objectif.

Il a en outre souhaité pouvoir disposer des avant-projets des lois organiques prévues avant la discussion en séance publique.

Il a enfin estimé nécessaire de donner plus de pouvoirs aux bureaux des collectivités territoriales, estimant que les chefs d'exécutif outrepassaient actuellement largement les leurs.

M. Jean-Pierre Sueur a constaté l'absence de mention, dans le projet de révision constitutionnelle, des compétences réservées à l'Etat. Relevant la possibilité offerte aux collectivités territoriales d'être habilitées à déroger à titre expérimental aux dispositions législatives et réglementaires, il a redouté, d'une part, que ces compétences étatiques ne deviennent résiduelles, d'autre part, que le droit ne soit plus le même sur l'ensemble du territoire national.

M. Jean-Claude Frécon s'est associé, d'une part, aux observations de MM. Bernard Frimat et Jean Arthuis, président de la commission des finances, sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, d'autre part, à la question de M. Daniel Hoeffel sur l'absence des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de la Constitution.

Evoquant l'article 11 du projet de loi constitutionnelle et la modification de la date du second tour du scrutin présidentiel, il a souhaité savoir s'il était également envisagé de tenir compte du décalage horaire entre la métropole et l'outre-mer pour l'organisation du premier tour. Il a souligné que le vote des électeurs d'outre-mer était actuellement privé de sens en raison de l'obligation constitutionnelle d'organiser le scrutin présidentiel le dimanche.

Observant que les dépenses obligatoires représentaient désormais une part considérable des budgets locaux, M. Michel Mercier a souhaité savoir si le premier alinéa du texte proposé par l'article 6 du projet de loi constitutionnelle pour insérer un article 72-2 nouveau dans la Constitution visait à consacrer une liberté de dépenses des collectivités territoriales. Il s'est demandé si l'adoption d'une telle disposition rendrait inconstitutionnel tout transfert de charges comparable à celui supporté par les départements avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Michel Mercier a également souhaité que les dispositifs de péréquation tiennent compte des ressources propres des collectivités territoriales.

M. Jean-Paul Virapoullé a salué la disposition du projet de loi constitutionnelle prévoyant de soumettre aux électeurs la transformation d'un département d'outre-mer en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74, actuellement dénommée territoire d'outre-mer.

Il a toutefois souhaité que cette consultation revête la valeur d'un simple avis, afin que soient respectés les principes énoncés par l'article 3 de la Constitution, aux termes duquel la souveraineté nationale appartient au peuple et aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice, et son article 27 selon lequel tout mandat impératif est nul.

Rappelant que la loi d'orientation pour l'outre-mer avait confié aux Congrès des départements et régions d'outre-mer le soin de soumettre au Gouvernement des propositions d'évolution statutaire, il s'est inquiété de la possibilité offerte au Gouvernement de proposer au Président de la République d'organiser une telle consultation sans que soient précisées les raisons susceptibles de motiver une telle initiative. Il a souligné que certains départements d'outre-mer ne souhaitaient pas d'évolution statutaire.

M. Jean-Paul Virapoullé s'est par ailleurs déclaré favorable à l'assouplissement des possibilités d'adaptation de la législation dans les départements d'outre-mer, tout en marquant son attachement au principe de l'assimilation législative, synonyme d'égalité sociale. Il a souhaité que ces adaptations continuent à relever de la seule compétence du Parlement et ne puissent donc pas être confiées aux départements ni aux régions.

M. Yves Fréville a observé que l'article 6 du projet de loi constitutionnelle tendait à consacrer l'autonomie de ressources des collectivités territoriales « dans les conditions », mais pas « sous les réserves », prévues par une loi organique, alors que cette expression figurait dans d'autres articles. Il s'est interrogé sur les conséquences de cette omission sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois de finances.

M. Yves Fréville a proposé d'affirmer le principe selon lequel devraient représenter une part déterminante de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales les ressources autres que les dotations de l'Etat plutôt que les recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales. Il a également souhaité que seules les ressources définitives des collectivités, et non des ressources temporaires comme les emprunts, soient prises en compte dans ce calcul.

Enfin, M. Yves Fréville a émis le voeu que les dispositifs de péréquation tiennent compte également des inégalités de besoins des collectivités territoriales, et pas seulement de leurs inégalités de ressources.

M. Georges Othily a souhaité savoir si les collectivités à statut particulier se substituant à un département et une région d'outre-mer ou les assemblées délibérantes uniques pour ces deux collectivités, créées en application de l'article 73 de la Constitution, resteraient régies par cet article ou relèveraient de l'article 74.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a indiqué qu'il répondrait, article par article, aux questions posées.

S'agissant de l'article premier, il a affirmé que l'inscription à l'article premier de la Constitution du principe selon lequel la France a une organisation décentralisée constituait un choix politique, destiné tout à la fois à consacrer la décentralisation et à affirmer le caractère unitaire et indivisible de la République. Il a souligné que la Constitution comportait déjà nombre d'objectifs politiques et que celui-ci, après avoir été affirmé à l'article premier, était explicité dans le titre XII.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a complété ces explications en mettant en exergue le fait que le principe énoncé à l'article premier n'était pas seulement un principe d'organisation administrative mais un principe d'organisation politique, la décentralisation consistant dans le transfert de compétences de l'Etat à des assemblées locales élues au suffrage universel.

M. Michel Charasse a proposé de modifier la rédaction du texte proposé pour compléter l'article premier de la Constitution en posant le principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée « dans les conditions fixées au titre XII. »

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a estimé qu'un tel ajout affaiblirait la portée d'un principe destiné à guider la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a indiqué qu'il convenait de poser un principe à l'article premier et de l'expliciter dans les autres dispositions de la Constitution.

S'agissant de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle, il a souhaité préciser que les dispositions proposées visaient notamment à permettre au ministère de la justice de conduire des expérimentations, qui encouraient actuellement la censure du Conseil constitutionnel au regard de sa jurisprudence sur l'application du principe d'égalité. Il a rappelé que les débats au Sénat lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, en juillet 2002, avaient mis en exergue la nécessité de procéder à une révision de la Constitution pour pouvoir mettre en oeuvre des expérimentations portant notamment sur la carte judiciaire.

Evoquant les questions posées sur l'article 4 du projet de loi constitutionnelle, M. Dominique Perben a répondu à M. Daniel Hoeffel qu'il serait prématuré de mentionner les établissements publics de coopération intercommunale dans la Constitution.

Il a estimé qu'il appartiendrait au législateur de mettre en oeuvre le principe de subsidiarité.

Il a indiqué que l'inscription dans la Constitution de la possibilité de désigner des collectivités chefs de file apporterait une utile clarification à l'enchevêtrement des compétences des collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Sueur s'est interrogé sur la nécessité de réviser la Constitution pour désigner des collectivités chefs de file.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , lui a répondu que le principe de l'interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales imposait de modifier la Constitution.

M. Michel Charasse s'est demandé s'il n'était pas préférable de poser également dans la Constitution le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.

Il a rappelé que les collectivités territoriales disposaient d'une clause générale de compétence leur permettant d'intervenir dans de nombreux domaines au nom de l'intérêt local.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a réaffirmé que la disposition proposée n'avait pas pour objet d'introduire une tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.

S'agissant de l'article 5 du projet de loi constitutionnelle, il a précisé que les modalités d'exercice du droit de pétition reconnu aux électeurs des collectivités territoriales seraient encadrées par la loi, en fonction des observations recueillies au cours des Assises des libertés locales. Il a estimé que les référendums décisionnels locaux permettraient de renforcer l'attrait de l'action publique pour les électeurs, à la condition de choisir avec soin l'objet des consultations. Il a également indiqué que des seuils seraient prévus pour apprécier la validité des référendums et encadrer le droit de pétition.

En réponse à M. Nicolas Alfonsi, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a reconnu l'importance politique des consultations organisées sur la création d'une collectivité territoriale à statut particulier se substituant à des collectivités existantes, tout en rappelant qu'en raison de l'indivisibilité de la République, elles ne pourraient acquérir une valeur juridique et remettre en cause la liberté de décision du Parlement. A titre d'exemple, il a fait remarquer que le législateur ne se sentirait probablement pas lié par le résultat d'une consultation marquée par une très faible participation des électeurs. En conclusion, il a mis en exergue l'intérêt de ces consultations pour faire avancer un grand nombre de dossiers.

M. Michel Charasse a estimé que la possibilité d'organiser des consultations locales sur la modification des limites des collectivités territoriales risquait d'être source de confusions, rappelant que les limites de deux communes pouvaient actuellement être modifiées par arrêté préfectoral, sauf en cas de modification des limites cantonales, un décret en Conseil d'Etat étant alors nécessaire. Il a souligné les difficultés que pourrait engendrer un référendum local si la modification des limites cantonales affectait celles de circonscriptions législatives.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , lui a répondu que de telles consultations seraient facultatives.

Abordant l'article 6 du projet de loi constitutionnelle, il a tout d'abord souligné que la liberté de dépenses consacrée par le premier alinéa du texte proposé pour insérer un article 72-2 dans la Constitution serait encadrée par la loi.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que l'autonomie financière des collectivités territoriales serait garantie par l'inscription dans la Constitution de deux principes selon lesquels, d'une part, les ressources propres des collectivités territoriales et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités doivent représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources, d'autre part, tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Il a estimé que la révision de la Constitution rendrait nécessaire une réforme rapide de la fiscalité locale.

Rappelant que la solidarité nationale s'exerçait également par l'intermédiaire des dépenses de l'Etat, en particulier dans le cadre des contrats de plan Etat-régions, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que les dispositifs permettant de corriger les inégalités de ressources entre collectivités territoriales ne faisaient pas tous appel à la péréquation, ce qui expliquait la rédaction du projet de loi constitutionnelle. Il est convenu de la nécessité de prendre en compte les inégalités de charges entre collectivités territoriales.

En réponse à M. Jean-Pierre Sueur, M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a déclaré que l'inscription dans la Constitution d'une liste limitative des compétences réservées à l'Etat conduirait à une organisation de type fédéral et affaiblirait la capacité de l'Etat à exercer son rôle de garant de la solidarité nationale.

En réponse à M. Nicolas Alfonsi, il a indiqué qu'outre la collectivité territoriale et les départements de Corse, la commune et le département de Paris pourraient souhaiter créer une collectivité territoriale à statut particulier se substituant à des collectivités existantes.

Evoquant la compensation des charges imposées aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat, M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, s'est opposé à tout dispositif permettant aux collectivités territoriales de mettre à la charge de l'Etat des dépenses dont elles décideraient librement l'augmentation. Soulignant que les transferts de compétences impliquaient également des transferts de responsabilité, il a estimé, à titre d'exemple, que l'Etat n'avait pas à financer la politique des collectivités territoriales en matière d'équipement des écoles, collèges et lycées.

M. Paul Girod a estimé que les collectivités territoriales devaient effectivement assumer les conséquences financières de leurs choix d'investissement en matière d'équipement des écoles, collèges et lycées, mais n'avaient pas à supporter des transferts de charges imposés par des décisions de l'Etat, par exemple avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a pris note des propositions visant à attribuer aux collectivités territoriales les ressources nécessaires à l'exercice des compétences transférées et non pas les ressources qui étaient consacrées par l'Etat à la date du transfert.

Il a estimé que l'inscription dans la Constitution des deux principes de la libre disposition de leurs ressources par les collectivités territoriales et de l'attribution de ressources correspondant aux compétences transférées par l'Etat offriraient aux collectivités locales une garantie suffisante, à l'avenir, contre des transferts de charges indus. Il a estimé que les conditions de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie auraient été contraires à la Constitution si le principe de la libre disposition de leurs ressources par les collectivités territoriales y avait figuré.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a également souligné que les dispositifs permettant de corriger les inégalités de ressources entre collectivités territoriales ne faisaient pas tous appel à la péréquation.

M. Jean-Pierre Sueur s'est interrogé sur la nécessité de réviser la Constitution pour instituer des dispositifs de péréquation.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , lui a répondu que l'importance de la révision de la Constitution tenait à la consécration de la nécessité d'une intervention de l'Etat pour corriger les inégalités de ressources entre collectivités territoriales, notamment au moyen de la péréquation.

Mme Hélène Luc a estimé qu'il importait avant tout de réformer les finances locales.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales , a déclaré que la réforme des finances locales serait réalisée en deux temps, d'abord l'affirmation du principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales, ensuite la définition des modalités de sa mise en oeuvre.

Il a fait observer que les parlementaires auraient sans doute, et à juste titre, estimé leur droit d'amendement remis en cause si le Gouvernement avait déposé simultanément un projet de révision constitutionnelle et un projet de loi organique chargé d'en décliner les dispositions avant même qu'elles soient entrées en vigueur.

En réponse à M. Michel Charasse, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer , a estimé qu'il n'était pas choquant de subordonner un changement institutionnel fondamental au consentement de la population concernée, qu'une telle procédure existait depuis 1971 en matière de fusion de communes et qu'il existait un précédent, celui de la Nouvelle-Calédonie. Elle a souligné que cette procédure se justifiait également par la spécificité du projet consistant à créer une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou à instituer une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités.

Concernant la liste des matières régaliennes insusceptibles de transfert figurant à l'article 74, elle a indiqué qu'elle reprenait celle figurant dans le projet de loi constitutionnelle de 1999 adopté en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, non soumis au Congrès, et a confirmé que l'énumération comprenait bien la référence à la nationalité.

Récusant l'objection selon laquelle une habilitation permanente à actualiser par ordonnances le droit applicable outre-mer opérait un dessaisissement du Parlement, elle a rappelé qu'il s'agissait seulement de rendre applicables outre-mer des dispositions législatives en vigueur en métropole, et donc sur lesquelles le Parlement s'était prononcé. Elle a estimé que le retard considérable enregistré en ce domaine, créant une situation juridique à double vitesse au détriment de l'outre-mer, nécessitait d'alléger les procédures pour effectuer la mise à niveau réclamée par l'outre-mer.

En réponse à l'observation de M. Jacques Larché qualifiant de timide la réforme constitutionnelle relative à l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a objecté que le projet de loi assouplissait sur trois points le cadre constitutionnel applicable aux départements d'outre-mer avec des possibilités d'adaptation plus étendues, la faculté pour les collectivités de décider elles-mêmes des adaptations dans les matières de leur compétence et la possibilité de les habiliter à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans certaines matières relevant en métropole du domaine de la loi. Sur ce dernier point, elle a évoqué les difficultés posées par l'application du droit métropolitain aux transports scolaires en Guyane et la question de l'application de la loi Sapin aux Antilles dans le domaine des transports.

Concernant la Polynésie française, elle a affirmé que le projet de loi reprenait sur le fond les dispositions figurant dans le texte adopté en termes identiques par les deux assemblées en 1999. Elle a observé que la différence consistait aujourd'hui à intégrer les dispositions applicables à la Polynésie française au sein du titre XII, la création d'un titre distinct comme cela avait été fait pour la Nouvelle-Calédonie n'étant ni justifié ni souhaitable. Elle a en effet rappelé que le titre XIII consacré à la Nouvelle-Calédonie avait établi, pour cette collectivité, un cadre à la fois dérogatoire et transitoire. Elle a observé que, sans avoir recours à la même terminologie, le dispositif du projet de loi offrait à la Polynésie française les mêmes possibilités que le texte de 1999, qu'il s'agisse de l'organisation d'un contrôle juridictionnel spécifique sur certains actes de l'assemblée délibérante ou de l'adoption de mesures préférentielles en faveur de la population autochtone en matière d'emploi ou de droit d'établissement. Elle a estimé inopportun de faire référence à la notion de citoyenneté, cette notion fondant la restriction du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, et a rappelé que les dispositions relatives à cette restriction du corps électoral faisaient actuellement l'objet de recours pour discrimination devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a ajouté que, loin de pouvoir être qualifié de timide, le dispositif proposé réalisait une avancée supplémentaire par rapport à celui de 1999 en ce qu'il prévoyait la possibilité pour l'Etat d'associer la collectivité d'outre-mer à l'exercice de compétences régaliennes, ce qui permettrait par exemple à la Polynésie française d'être associée aux procédures de contrôle des réglementations édictées par elles.

En réponse à M. Jean-Claude Frécon, elle a indiqué que l'article 11 du projet de loi ne modifiait que les dispositions relatives au second tour de l'élection présidentielle car le régime du premier tour était fixé par la loi organique.

Concernant la procédure de passage entre les régimes de l'article 73 et de l'article 74, elle a précisé à l'attention de M. Jean-Paul Virapoullé qu'étaient reproduites les conditions posées par l'article 11 de la Constitution en matière référendaire. Elle a estimé que les deux seules hypothèses susceptibles de conduire le Président de la République à consulter les électeurs seraient l'intervention d'un grave problème d'ordre public ou l'existence d'un consensus local en faveur du changement statutaire comme cela avait été récemment le cas pour Mayotte.

En réponse à M. Georges Othily, elle a confirmé que la collectivité qui serait créée par substitution à un département et une région en application du dernier alinéa de l'article 73 demeurerait régie par l'article 73.

M. Jean-Paul Virapoullé a estimé que le consentement requis pour passer du régime de l'article 73 à celui de l'article 74 ne pouvait être considéré comme une garantie car, soit le consentement ou le refus constituait un mandat impératif pour le législateur, ce qui était impossible, soit il était considéré comme un simple avis et ne pouvait alors représenter une garantie. Il a vigoureusement affirmé que la Réunion n'aspirait à aucune évolution statutaire semblable à celle souhaitée par les départements d'outre-mer qui avaient lancé l'appel de Basse-Terre.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer , a estimé qu'un avis négatif constituait non seulement un verrou politique mais également un verrou juridique et a souligné qu'il était exclu d'imposer quelque évolution statutaire que ce soit à une collectivité qui n'y aspirait pas.

Jeudi 17 octobre 2002

M. Jean-Claude Etienne,
président du conseil régional de Champagne-Ardenne,
représentant de l'Association des régions de France (ARF)

M. Jean-Claude Etienne, au nom de l'Association des régions de France (ARF), a tout d'abord porté une appréciation positive sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, se félicitant tout particulièrement de l'inscription de la région dans la Constitution.

Il a ensuite fait état de la position de l'ARF sur chaque article du texte. A l'article premier, tendant à énumérer les principes fondateurs de la République, M. Jean-Claude Etienne s'est félicité de la rédaction retenue par le Gouvernement consacrant l'organisation décentralisée de la République.

A propos de l'article 2, habilitant la loi et le règlement à procéder à des expérimentations, il a fait part des discussions soulevées par le dispositif. Sans en contester l'utilité, il a craint qu'il ne conduise à retarder des transferts de compétences nouveaux. Il a rappelé que les régions avaient déjà mené de nombreuses expérimentations dont il convenait désormais de tirer les conséquences. En matière d'attribution des crédits européens, il a mis en exergue l'exemple de la région Champagne-Ardenne qui, ayant reçu 10 % des crédits du document unique de programmation européen (DOCUP) soit 22 millions d'euros, avait consommé 90 % de ce montant, la réalisation des crédits transitant par l'Etat n'ayant pas dépassé 30 %. Relevant que les autres régions de France avaient témoigné d'un dynamisme comparable, il a insisté sur la nécessité de généraliser au niveau national les expérimentations réussies.

M. Jean-Claude Etienne a fait état d'un satisfecit largement partagé au sein de l'ARF à propos de l'article 3 tendant à confier au Sénat le soin d'examiner en premier lieu les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources. Il a ajouté que l'article 4 faisait également l'objet d'un consensus, l'ARF ayant, d'une part, favorablement accueilli l'inscription de la région dans la Constitution, d'autre part, salué la consécration du principe de subsidiarité, moyen de rechercher l'efficacité par la proximité. Il a noté avec satisfaction l'absence de toute référence à la notion de « collectivité chef de file », conformément aux souhaits de l'ARF soucieuse d'éviter la création d'une hiérarchie entre les collectivités territoriales.

M. Jean-Claude Etienne, souscrivant à la démarche du Gouvernement de promouvoir l'expression directe des citoyens a approuvé l'article 5 du projet de loi consacrant le droit de pétition. Il a néanmoins fait valoir la nécessité de moduler les seuils, dans la loi organique, en fonction de chaque échelon territorial.

Il a fait observer que la Constitution italienne exigeait 50.000 signatures pour la prise en compte des pétitions par le Parlement (article 47) et laissait chaque région libre de définir son seuil en fonction de la densité de sa population (article 123). Il s'est déclaré favorable à la possibilité de consulter les électeurs sur la modification des limites de leurs collectivités, prévue par le projet de loi constitutionnelle.

En revanche, il s'est déclaré plus réservé sur l'article 6 du projet de loi, relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, qu'il a jugé trop timide. M. Jean-Claude Etienne a jugé indispensable d'inscrire dans la Constitution le principe selon lequel les transferts de ressources devraient accompagner les transferts de compétences. Il a relevé les limites du dispositif du Gouvernement pour assurer une péréquation efficace et permettre des transferts de compétences nouveaux.

Jugeant opportun de sortir de l'épure du projet de loi, M. Jean-Claude Etienne a donc proposé de réécrire le troisième alinéa de l'article 72-2 nouveau inséré dans la Constitution par l'article 6, afin de préciser que les recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales pourront être augmentées de tout ou partie d'un impôt national réparti en fonction de critères de solidarité pour représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. Estimant insuffisantes les ressources issues de la fiscalité locale, réduites à « peau de chagrin », il a fait valoir la nécessité d'affecter aux collectivités territoriales des impôts nationaux.

M. Jean-Claude Etienne a approuvé l'article 9 du projet de loi constitutionnelle destiné à prendre en compte les spécificités des collectivités d'outre-mer, mettant en exergue l'utilité de cette innovation dans le domaine des transports. A propos de l'article 10 instituant une habilitation permanente au profit du Gouvernement afin de lui permettre d'assurer une actualisation régulière du droit applicable à ces collectivités dans les matières restant de la compétence de la loi ordinaire, il a noté qu'il s'agissait d'une simple extension de la législation en vigueur en métropole.

M. Jean-Claude Peyronnet n'a pas contesté la pertinence de la proposition de l'ARF, tendant à prévoir une imposition nationale de solidarité. Il s'est davantage inquiété de l'attribution des ressources nécessaires à l'exercice de nouvelles politiques par les collectivités territoriales. Il s'est également demandé si les dotations de l'Etat ne pourraient pas financer la péréquation.

M. Jean-Claude Etienne a mis l'accent sur la nécessité de compenser les disparités entre les collectivités territoriales d'une même région, précisant que la réflexion de l'ARF se limitait à la définition de critères de solidarité au niveau régional. Il a expliqué que sa proposition d'amendement répondait à l'objectif de solidarité affiché dans l'exposé des motifs.

M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est demandé si la rédaction de l'article 6 ne conduisait pas à consacrer dans la Constitution le principe de la tutelle. Il s'est également déclaré dubitatif à l'égard de l'amendement proposé par l'ARF, estimant qu'il s'apparentait à un voeu pieu.

M. Robert Bret s'est associé à cette double interrogation.

M. Bernard Frimat a relevé la difficulté soulevée par le dispositif proposé par l'ARF s'agissant des dotations que les collectivités territoriales reçoivent d'autres collectivités territoriales. Il a souligné le risque de doubles comptes et d'un jeu à somme nulle. En outre, il a relevé une incohérence dans le dispositif du projet, les dotations des autres collectivités territoriales ne constituant pas une ressource propre.

M. Jean-Claude Etienne a reconnu que la question de l'autonomie fiscale avait été vivement débattue au sein de l'ARF. Il a indiqué que les financements croisés perdureraient sans pour autant aboutir à des tutelles. Après avoir rappelé son souci d'accompagner les transferts de compétences par des ressources nouvelles, il est revenu sur la principale faiblesse du projet de loi constitutionnelle, selon l'ARF : l'absence d'outils suffisants pour assurer une véritable péréquation.

M. Jean-Claude Peyronnet a fait observer que la notion de tutelle était sous-jacente dans le projet, l'article 4 évoquant la notion de « chef de file » en matière de compétences, sans toutefois l'afficher clairement.

M. Bernard Frimat a fait observer que la proposition de l'ARF conduisait à transférer l'impôt et non son produit.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souscrit à cette analyse.

M. René Garrec, président , a expliqué qu'il s'agissait de redistribuer une part de l'impôt national sans possibilité pour les régions de la moduler, l'assimilant ainsi à une dotation de l'Etat financée par une ressource existante.

M. Jean-René Lecerf s'est interrogé sur la pertinence du cinquième alinéa de l'article 72 proposé par l'article 4 du projet de loi constitutionnelle permettant au législateur d'organiser des collaborations entre des collectivités territoriales, se déclarant convaincu de la difficulté de créer des blocs de compétences et de l'inéluctabilité des compétences croisées, par exemple en matière d'éducation.

Souscrivant à ces observations, M. Jean-Jacques Hyest a salué les avancées permises grâce aux initiatives menées avec succès par certains départements, preuves de l'originalité de la vie locale, citant le cas des services départementaux d'incendie et de secours pris en charge à titre expérimental par 37 conseils généraux bien avant que la loi, en 1996, ne consacre leur départementalisation. Il a craint que l'affirmation du droit à l'expérimentation dans la Constitution ne conduise paradoxalement à freiner les initiatives locales. Après avoir jugé inutile de définir précisément les modalités de l'autonomie fiscale au stade du projet de loi constitutionnelle, il a toutefois déploré la complexité des mécanismes actuels de péréquation, les différentes dotations de solidarité constituant un véritable maquis appelant une nécessaire remise à plat et une clarification. Plaidant pour une réduction des inégalités par le biais de la péréquation, M. Jean-Jacques Hyest a jugé essentielle l'inscription dans la Constitution du principe d'un financement de ce mécanisme par des dotations de l'Etat, sur la base de critères objectifs.

M. Bernard Frimat a relevé le paradoxe selon lequel la péréquation se heurtait au principe de l'autonomie fiscale, observant d'ailleurs que la proposition d'amendement de l'ARF révélait une contradiction en fondant l'autonomie des collectivités territoriales sur des ressources provenant de l'extérieur.

M. Jean-Claude Etienne a précisé que si l'absence de référence dans la Constitution à une dotation globale de l'Etat était acceptable, il paraissait néanmoins nécessaire d'y faire figurer l'objectif de solidarité entre les collectivités territoriales.

M. René Garrec, président , s'est interrogé sur la possibilité de mentionner cet objectif dans la loi organique plutôt que dans la Constitution.

M. Jean-Claude Peyronnet s'est inquiété des conséquences de l'expérimentation s'agissant des compétences des collectivités territoriales au regard des disparités régionales. Il a observé que les présidents des petites régions ne partageaient pas systématiquement le point de vue des présidents des régions les plus importantes, notamment dans le cas où ces derniers souhaiteraient généraliser une expérimentation menée avec succès.

M. Jean-Claude Etienne a précisé que les expérimentations s'effectueraient sur la base du volontariat, ajoutant qu'à cette phase succèderaient des discussions puis une habilitation par le Parlement. Il s'est toutefois enquis des moyens alloués aux collectivités territoriales ayant choisi de s'engager dans cette voie, faisant observer que rien n'était prévu en cas d'échec.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a dénoncé le calendrier retenu par le Gouvernement jugeant plus logique de réformer la fiscalité locale avant d'inscrire l'autonomie fiscale des collectivités territoriales dans la Constitution.

Après avoir expliqué que le Premier ministre avait choisi d'engager la réforme fiscale après la révision de la Constitution afin d'éviter un échec prévisible, M. René Garrec, président, a souhaité connaître la position de l'ARF sur le droit de pétition et le référendum local.

M. Jean-Claude Etienne a indiqué que la faculté d'expression directe des citoyens au niveau local ouverte par le projet de loi constitutionnelle avait soulevé des interrogations au sein de l'ARF, sans aller jusqu'à redouter les travers de la Constitution montagnarde de 1793. Sans remettre en cause le bien-fondé d'une telle innovation, susceptible d'impliquer davantage le citoyen dans la vie politique, il a rappelé son attachement à la question de la définition des seuils de recevabilité des pétitions, les considérant comme les garants du bon fonctionnement des institutions. Présentant l'Italie comme un modèle pertinent, il a rappelé que ce pays distinguait deux niveaux de pétitions : national et régional.

M. Jean-Claude Etienne a conclu en indiquant que la position de l'ARF était largement partagée à la fois par l'Association des maires de France et par l'Association des départements de France.

MM. Philippe Leroy, président du conseil général de la Moselle,
vice-président de l'Association des départements de France,
et François Fortassin, président du conseil général des Hautes-Pyrénées

M. Philippe Leroy a tout d'abord souligné que les présidents des conseils généraux avaient examiné les orientations définies par le président de la République et le Gouvernement en matière de décentralisation lors d'un congrès tenu à la Réunion en septembre et que l'ensemble des conseillers généraux seraient appelés à examiner le projet de loi constitutionnelle proprement dit lors de leur prochain congrès à Strasbourg. Il a souligné que l'Association des départements de France était naturellement favorable à la mise en oeuvre d'une nouvelle étape dans la décentralisation.

Evoquant les principes posés par le projet de loi constitutionnelle, M. Philippe Leroy a souligné que l'Association des départements de France était favorable à l'existence de trois niveaux de collectivités de plein exercice et donc à la reconnaissance dans la Constitution de la région comme collectivité de plein exercice. Il a indiqué que les présidents de conseils généraux étaient attachés à l'existence d'un Etat unitaire et souhaitaient que certains principes soient pleinement pris en compte dans le cadre de la révision constitutionnelle :

- le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, qui ne figure pas explicitement dans le projet de loi constitutionnelle ;

- l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, qui implique d'être très vigilant sur la part de la fiscalité locale et des ressources propres dans les ressources des collectivités. A cet égard, la proposition de loi constitutionnelle déposée au Sénat, qui prévoit que les recettes fiscales propres des collectivités territoriales doivent représenter « la moitié au moins » de l'ensemble de leurs ressources paraît préférable au texte du projet de loi constitutionnelle qui n'évoque qu'une part « déterminante » de ces ressources ;

- la compensation intégrale des charges correspondant aux compétences transférées aux collectivités ;

- la péréquation nationale et territoriale ;

- le principe de subsidiarité, qui doit permettre de rechercher sans cesse l'efficacité et le contact le plus proche avec le citoyen ;

- la priorité à la démocratie représentative par rapport à la démocratie participative.

M. Philippe Leroy a ensuite souligné que l'Association des départements de France n'était pas opposée au dépôt en premier lieu au Sénat des projets de loi relatifs aux collectivités territoriales. Il a estimé préférable que les transferts de compétences soient la règle générale et les expérimentations, l'exception. Il a souhaité que les transferts de compétences et les expérimentations soient effectués à un niveau homogène de collectivité sans toutefois interdire à des collectivités, dans le cadre d'une expérimentation, de s'entendre pour désigner un chef de file.

M. Philippe Leroy a précisé que les présidents de conseils généraux souhaitaient que les collectivités disposent en matière fiscale d'une diversité de ressources pour éviter les effets de conjoncture et qu'ils n'excluaient pas des transferts d'impôts et de taxes d'Etat. Il a estimé préférable d'éviter une spécialisation des impôts qui ne serait pas garante de la pérennité des ressources. Il a jugé indispensable que les transferts de ressources destinés à compenser les transferts de compétences soient permanents. Il a enfin souligné l'intérêt de reconnaître la péréquation, qui doit permettre une décentralisation solidaire.

En concluant, M. Philippe Leroy a indiqué que les spécificités des départements d'outre-mer devraient être pleinement prises en compte et que l'ensemble des présidents de conseils généraux étaient solidaires des départements d'outre-mer dans leur souhait de voir les populations associées aux décisions concernant l'évolution des territoires dans lesquels elles vivent.

M. François Fortassin a tout d'abord exprimé la crainte que les dispositions du projet de loi constitutionnelle sur l'expérimentation mettent à mal le principe d'indivisibilité du territoire. Il a estimé que les dispositions relatives à l'expérimentation demeuraient floues et difficiles à apprécier pour les élus de terrain, notamment en ce qui concerne les matières qui pourront faire l'objet d'expérimentations. Il s'est déclaré opposé à un système similaire à celui qui prévaut en Espagne. Il a souligné que l'expérimentation pouvait conduire à renforcer les inégalités entre collectivités, observant que les départements riches pourraient plus facilement entreprendre des expérimentations que les départements les plus pauvres, qui risquaient de devoir se contenter de leurs compétences obligatoires.

M. François Fortassin a fait valoir que la reconnaissance de la péréquation était importante, mais qu'il restait à savoir les conditions dans lesquelles elle serait mise en oeuvre. Il a rappelé que la dotation globale de fonctionnement donnait lieu à une péréquation le plus souvent jugée peu satisfaisante.

M. Jean-Claude Peyronnet s'est inquiété du risque de tutelle d'une collectivité sur une autre. Il a observé que l'article 4 du projet de loi constitutionnelle prévoyait que lorsque l'exercice d'une compétence nécessitait le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi pourrait confier à l'une d'elles le pouvoir de fixer les modalités de leur action commune. Il a en outre rappelé que l'article 6 du projet, consacré à l'autonomie financière des collectivités territoriales, mentionnait parmi les recettes des collectivités devant représenter « une part déterminante » de leurs ressources non seulement les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités, mais aussi les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales. Il s'est demandé si ces deux dispositions ne risquaient pas d'accroître les risques de tutelle d'une collectivité sur une autre. Il a observé qu'un tel système pourrait par exemple permettre d'impliquer les communes dans le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et conduire à un retour des contingents communaux d'aide sociale pourtant supprimés. Il a estimé que certaines ambiguïtés devaient être levées.

M. Philippe Leroy a alors souligné que l'Association des départements de France n'avait pas encore pu examiner de manière détaillée chacun des articles du projet de loi constitutionnelle. Plaidant pour des transferts de compétences clairs et lisibles, il s'est déclaré opposé à des transferts de compétences vers une catégorie de collectivités qui s'accompagneraient d'un partage des charges correspondant à cette compétence entre les différentes catégories de collectivités. Il a cependant observé que le financement des expérimentations dans des matières non transférées était une question spécifique qui devrait être approfondie.

M. Robert Bret , relevant que les présidents de conseils généraux déclaraient privilégier la démocratie représentative sur la démocratie participative, a souligné que la crise du politique et la faiblesse de la participation à certaines élections imposaient pourtant de rechercher le contact avec le citoyen. Il a observé que si rien n'était fait pour remédier à cette coupure entre les décideurs et les citoyens, des réactions hostiles et violentes risquaient de se développer.

M. Philippe Leroy s'est déclaré très favorable au renforcement des contacts entre élus et citoyens. Néanmoins, évoquant sa participation à la Commission nationale du débat public, il a fait observer que les débats publics relatifs à la construction d'infrastructures ne mobilisaient pas prioritairement les citoyens, mais surtout les adversaires de tout projet.

M. François Fortassin a exprimé ses doutes quant à la possibilité d'améliorer la participation aux élections par un renforcement de la démocratie participative. Il a rappelé que la première étape de la décentralisation avait eu pour objet de rapprocher les décideurs de leurs concitoyens, mais que cet objectif restait largement théorique, compte tenu de l'incapacité des décideurs et des administrations à employer un langage compréhensible par tous. Il a exprimé la crainte que le développement de la démocratie participative ne conduise à certaines dérives, en particulier à une appropriation du débat par des personnes ayant échoué à se faire élire par leurs concitoyens. Il a estimé que l'intérêt général n'était pas la somme des intérêts particuliers et que la démocratie participative risquait surtout de mobiliser des intérêts particuliers.

M. Lucien Lanier s'est demandé quels critères pourraient permettre de réaliser la péréquation sans favoriser les antagonismes entre collectivités.

M. Jean-René Lecerf , soulignant que l'autonomie financière des collectivités territoriales et singulièrement des départements avait été mise à mal au cours des dernières années, s'est déclaré inquiet quant à la capacité des départements à maintenir le niveau de leurs recettes.

M. Philippe Leroy a rappelé que la péréquation faisait l'objet de débats au sein du Comité des finances locales depuis de nombreuses années et qu'il n'existait pas de consensus sur cette question. Soulignant que chaque collectivité devait disposer des ressources nécessaires pour financer ses compétences, il a constaté que l'allocation personnalisée d'autonomie avait été mise à la charge des départements sans que rien ne soit prévu pour aider les plus pauvres d'entre eux, alors que ces départements accueillent en proportion le plus grand nombre de personnes dépendantes. Il a estimé que la péréquation devait être appréhendée dans sa globalité, en prenant en considération la péréquation nationale et les péréquations locales.

M. François Fortassin a estimé que la péréquation consistait à apporter un peu plus à ceux qui ont moins. Il a observé qu'en pratique, cette règle n'était pas appliquée. Il s'est ainsi étonné que les collectivités locales rurales les plus défavorisées doivent participer à l'implantation des réseaux de téléphonie mobile alors que tel n'était pas le cas dans les zones urbanisées. Il a fait valoir que des situations analogues pouvaient être observées en matière culturelle ou universitaire.

M. Daniel Hoeffel,
président de l'Association des maires de France

M. Daniel Hoeffel, président de l'Association des maires de France , s'est félicité de voir le projet de loi constitutionnelle relatif à la décentralisation déposé en premier lieu au Sénat. Il a rappelé l'attachement de l'Association des maires de France à la décentralisation et au principe de libre administration des collectivités territoriales, qui impliquent l'établissement de relations équilibrées entre celles-ci et l'Etat. Il a également souligné la nécessité de renforcer l'identité des communes, tout en prenant en compte la nouvelle donne territoriale engendrée par l'intercommunalité.

S'agissant de l'autonomie financière des collectivités territoriales, M. Daniel Hoeffel a déploré la diminution de la part des recettes fiscales et des autres ressources propres des collectivités dans l'ensemble de leurs ressources. Il a estimé que la rénovation des bases des quatre grands impôts locaux devait constituer le premier chantier de la réforme fiscale et un préalable à toute réflexion sur la spécialisation des impôts par niveau de collectivité.

Il a également appelé de ses voeux la mise en place d'un contrat de croissance et de solidarité permettant aux collectivités territoriales de bénéficier de concours de l'Etat prenant en compte la moitié et non le tiers de la croissance du produit intérieur brut, tout en reconnaissant que l'indexation prévue dans le projet de loi de finances pour 2003 était acceptable dans le contexte budgétaire actuel.

S'agissant des compétences des collectivités territoriales, M. Daniel Hoeffel a insisté sur la nécessité d'affirmer l'interdiction de toute tutelle d'une collectivité sur une autre.

Il a observé que l'intercommunalité ne portait pas atteinte à l'identité des communes mais leur permettait de continuer à exercer, en commun, des compétences qu'elles ne pouvaient assumer seules et, ainsi, d'éviter de les transférer à d'autres collectivités telles que les départements. Il a toutefois rappelé que la création d'établissements publics de coopération intercommunale devait reposer sur la libre adhésion des communes, la définition de projets communs et un partage clair des responsabilités.

M. Daniel Hoeffel a souscrit à l'objectif d'une plus grande participation des citoyens aux décisions locales, mais souligné que la mise en oeuvre de cet objectif ne devait pas conduire à une remise en cause des pouvoirs que les assemblées locales tiennent de la loi et du suffrage universel.

Il a souhaité que la fonction publique territoriale soit réformée afin d'offrir à ses agents des perspectives de carrière attrayantes, d'assouplir les règles statutaires, de favoriser les passerelles vers la fonction publique d'Etat et la fonction publique intercommunale.

Enfin, rappelant que la décentralisation allait de pair avec la déconcentration, il a souligné la nécessité d'un redéploiement des services de l'Etat sous l'autorité du préfet, afin de permettre aux élus locaux de disposer d'un interlocuteur unique.

Evoquant les dispositions du projet de loi constitutionnelle, M. Daniel Hoeffel a estimé que la notion d'organisation décentralisée de la République méritait d'être précisée.

Il a jugé séduisante la possibilité de prévoir des expérimentations par la loi ou le règlement, citant en exemple la réussite du transfert aux régions des transports ferroviaires régionaux de voyageurs et de la gestion des fonds structurels européens. Il a rappelé que les expérimentations permettaient de tester une réforme avant de la généraliser. Il a toutefois souhaité que le cadre des futures expérimentations soit précisément défini afin d'éviter que la décentralisation soit inégale selon les parties du territoire.

M. Daniel Hoeffel a approuvé les dispositions de l'article 3 du projet de loi constitutionnelle prévoyant le dépôt en premier lieu au Sénat des projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources, dans la mesure où elles n'avaient ni pour objet ni pour effet de remettre en cause la vocation législative du Sénat, à laquelle le groupe de travail constitué à l'initiative du Président Christian Poncelet s'était déclaré attaché. Il a toutefois relevé qu'il serait difficile de définir cette catégorie de lois.

Evoquant l'article 4 du projet de loi constitutionnelle, M. Daniel Hoeffel a approuvé l'inscription des régions dans la Constitution, jugeant que ces collectivités territoriales jouaient un rôle positif depuis vingt ans. Il a salué l'absence de mention des pays dans la liste des collectivités territoriales de la République, expliquant qu'ils devaient demeurer des espaces de solidarité destinés à favoriser l'éclosion de projets et non se muer en un nouvel échelon de collectivités territoriales.

M. Daniel Hoeffel s'est interrogé sur les raisons de la non-inscription dans la Constitution des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, rappelant que M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, avait jugé une telle disposition prématurée. Insistant sur la nécessité de préserver le lien de confiance entre les communes et les structures intercommunales, il a admis que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne pourraient obtenir une reconnaissance constitutionnelle qu'en cas d'élection au suffrage universel direct de leurs organes délibérants. Compte tenu des vifs débats au Sénat lors de l'examen de la loi relative à la démocratie de proximité, cette réforme lui est apparue prématurée.

M. Daniel Hoeffel s'est interrogé sur l'opportunité de prévoir dans la Constitution des dispositions relatives à la désignation de collectivités chef de file pour l'exercice de compétences croisées, estimant préférable de laisser aux collectivités territoriales le soin de s'entendre entre elles pour la réalisation de leurs projets communs.

S'agissant du référendum local et du droit de pétition, prévus à l'article 5 du projet de loi constitutionnelle, M. Daniel Hoeffel a déclaré qu'il importait de ne pas donner le sentiment aux citoyens que la décentralisation était réalisée par et pour les élus locaux. Il a toutefois mis en garde contre les risques de paralysie de l'action des assemblées locales et de remise en cause de leur autorité, insistant sur la nécessité de laisser l'initiative des référendums locaux aux élus.

M. Daniel Hoeffel a relevé les ambiguïtés de certaines dispositions de l'article 6 du projet de loi constitutionnelle, relatif à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Il a préféré la rédaction de la proposition de loi constitutionnelle élaborée par le groupe de travail du Sénat aux termes de laquelle les recettes fiscales des collectivités territoriales doivent représenter, pour chaque catégorie d'entre elles, la moitié au moins de leurs recettes de fonctionnement. Il a appelé le Sénat à reprendre cette rédaction. Il s'est par ailleurs interrogé sur le point de savoir si les recettes provenant des fonds structurels européens étaient considérées comme des ressources propres des collectivités territoriales.

S'il a approuvé la disposition selon laquelle la libre administration des collectivités territoriales est garantie par des ressources dont elles disposent librement, M. Daniel Hoeffel s'est en revanche interrogé sur la signification du quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72-2 de la Constitution, prévoyant que tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales doit être compensé par l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Il a redouté que cette disposition ne soit source de déconvenues comparables à celles rencontrées par les départements et les régions lorsqu'ils se virent transférer l'équipement des collèges et des lycées.

M. Daniel Hoeffel a considéré que le transfert aux collectivités territoriales de compétences de l'Etat devait s'accompagner des ressources nécessaires à leur exercice, et non des ressources que l'Etat y consacrait à la date du transfert, celles-ci étant souvent insuffisantes. Il a toutefois exprimé la crainte que le contexte budgétaire ne permette pas à l'Association des maires de France d'obtenir satisfaction. Il a par ailleurs insisté sur le fait que la décentralisation ne devait pas se traduire par une augmentation des impôts locaux.

M. Daniel Hoeffel a souhaité que la définition de la péréquation soit précisée, rappelant la rédaction qui avait été retenue à l'initiative du Sénat dans la loi d'orientation relative à l'aménagement du territoire du 4 février 1995, aux termes de laquelle l'ensemble des ressources de toutes les collectivités territoriales d'une région ne devraient être, dans un délai de quinze ans, ni inférieures à 80 % de la moyenne nationale, ni supérieures à 120 % de cette moyenne. Il a observé que la définition de la péréquation entre les Länder allemands était similaire.

En conclusion, M. Daniel Hoeffel a indiqué que l'Association des maires de France n'avait pas pris position sur l'évolution institutionnelle des collectivités d'outre-mer et qu'à titre personnel, il s'interrogeait sur les interférences entre l'outre-mer et la métropole, s'agissant des régions monodépartementales ou des collectivités territoriales à statut particulier se substituant à des collectivités existantes dans un but de rationalisation de l'administration territoriale.

M. Jean-Claude Peyronnet s'est interrogé sur la signification et la portée des expérimentations permettant aux collectivités territoriales de déroger à des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Il a estimé que les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives à la désignation de collectivités chefs de file et aux dotations entre collectivités territoriales risquaient d'ouvrir la voie à des tutelles entre collectivités. Enfin, il a souhaité savoir si le projet de loi prévoyait une péréquation de l'Etat vers les collectivités territoriales ou simplement une péréquation entre collectivités.

M. Robert Bret a estimé que la question de l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne pourrait être longtemps éludée en raison des transferts importants de compétences consentis en leur faveur par les communes. Il s'est également inquiété du développement d'une intercommunalité d'aubaine au détriment de l'intercommunalité de projet.

M. Lucien Lanier a estimé que le grand nombre d'échelons territoriaux engendrait des dépenses inutiles. Il a regretté que les réflexions sur la décentralisation en France ne tiennent pas suffisamment compte de l'émergence d'une Europe des régions à la place de l'Europe des nations. Il a salué le développement de l'intercommunalité, tout en soulignant le rôle essentiel de la commune pour préserver les solidarités humaines face à la mondialisation. Enfin, considérant que les élections demeuraient le premier instrument de la participation des citoyens à l'action publique, il a appelé à la prudence dans le recours au référendum local et la reconnaissance d'un droit de pétition aux électeurs.

M. Daniel Hoeffel a estimé qu'il convenait de préciser les domaines et les conditions dans lesquels les expérimentations locales pourraient être conduites, afin d'éviter de porter atteinte à l'indivisibilité de la République. Il a toutefois souhaité dissiper toute crainte excessive, en rappelant que certains départements français étaient, en certaines matières, soumis depuis plus d'un siècle à un droit différent de celui de l'ensemble du territoire national et que la coopération transfrontalière, après avoir suscité des inquiétudes en 1992, était désormais considérée comme indispensable.

M. Daniel Hoeffel a réaffirmé son opposition à toute possibilité de tutelle d'une collectivité sur une autre et estimé que la péréquation constituait une mission relevant de l'Etat, au même titre que l'aménagement du territoire.

En réponse à M. Robert Bret, il a rappelé qu'à la suite de l'échec des tentatives de fusion de communes dans les années 1970, le développement de l'intercommunalité était fondé sur le respect de l'identité, de l'âme des communes et leur volonté de réaliser ensemble des projets communs.

En réponse à M. Lucien Lanier, M. Daniel Hoeffel a souligné l'attachement des Français au département et à la région. Il a déclaré que les régions constituaient un échelon pertinent pour les politiques d'aménagement du territoire, tout en observant que leur taille était sensiblement différente d'un Etat européen à l'autre et au sein même de chaque Etat. Il a considéré qu'une modification des limites régionales constituerait une erreur, dans la mesure où un esprit régional commençait véritablement à émerger.

Evoquant le projet de fusion de la commune et du département de Paris, M. Lucien Lanier s'est inquiété d'une éventuelle suppression des départements.

M. Daniel Hoeffel lui a répondu que les projets de création de collectivité territoriale à statut particulier concernaient pour l'instant, outre Paris, la Corse, avec la fusion de la collectivité territoriale et des deux départements, et l'Alsace, où l'idée d'une région monodépartementale était évoquée.

M. Patrice Gélard a fait observer que l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale conduirait à un renforcement de l'influence des départements plutôt que des régions.

M. Pierre Mauroy,
président de la Commission pour l'avenir de la décentralisation

M. Pierre Mauroy a noté que deux années s'étaient écoulées depuis la remise du rapport de la commission qu'il avait présidée au Premier ministre de l'époque, M. Lionel Jospin. Il s'est félicité des 154 propositions, consensuelles pour les trois quarts d'entre elles, qui y étaient formulées.

M. Pierre Mauroy a souligné la difficulté de porter une appréciation sur le projet de loi constitutionnelle sans avoir pu prendre connaissance du contenu du projet de loi organique. Il a relevé le décalage entre l'approche de l'actuel Gouvernement tendant à présenter la réforme constitutionnelle comme la clé de voûte de l'architecture des pouvoirs et celle de la Commission pour l'avenir de la décentralisation qui avait été guidée essentiellement par le souci d'apporter une souplesse au droit existant et de s'inscrire dans la ligne des principes fondateurs de la République. Il a marqué son attachement aux deux principes essentiels d'indivisibilité et d'égalité, ajoutant que convaincue de la nécessité de passer à une nouvelle étape de la décentralisation, la Commission pour l'avenir de la décentralisation avait préconisé le transfert d'un plus grand nombre de compétences, dans le cadre de la libre administration des collectivités locales, préférant une adaptation du cadre juridique français à une réforme constitutionnelle, non souhaitée par les Français.

M. Pierre Mauroy n'a pas caché son inquiétude devant les imprécisions du texte. Il a craint que la réforme s'achemine vers une forme de fédéralisme étrangère à la culture française.

Il a regretté que l'avancée notable permise par l'intercommunalité n'ait pas été prise en compte dans le projet de loi constitutionnelle, celui-ci ne faisant aucune mention des établissements publics de coopération intercommunale. Il a salué les progrès accomplis en la matière, une vingtaine de communautés urbaines, 2.300 communautés de communes et 140 communautés d'agglomération ayant été créées ou étant en voie de création.

M. Pierre Mauroy s'est déclaré attaché aux départements, estimant que l'augmentation sensible de leurs dépenses, observée au cours des dernières années, témoignait de leur vitalité.

Reprenant à son compte une grande partie des observations du Conseil d'Etat sur le projet de loi constitutionnelle, il a souscrit aux critiques formulées par ce dernier, s'étonnant que le Gouvernement n'ait pas suivi son avis.

A propos de l'article premier du projet de loi, relatif aux principes fondateurs de la République, il n'a pas jugé opportune la mention dans la Constitution du caractère décentralisé de l'organisation de la République, estimant qu'elle n'avait pas sa place parmi l'énumération des principes fondateurs énoncés à l'article premier de la loi fondamentale, alors que d'autres notions contenues dans le projet de loi étaient susceptibles de porter atteinte à l'unité de la République.

A l'instar du Conseil d'Etat, il a critiqué l'imprécision de l'article 2 consacrant le droit à l'expérimentation. Il a regretté l'absence des structures intercommunales de la liste des collectivités territoriales énumérées à l'article 4. Attaché au principe selon lequel chaque collectivité règle par ses délibérations les affaires de sa compétence, il a jugé inopportune la consécration constitutionnelle du principe de subsidiarité, d'inspiration fédérale, susceptible de détruire l'architecture actuelle des pouvoirs.

Il a indiqué que la Commission pour l'avenir de la décentralisation avait accepté le principe de l'expérimentation locale, sous réserve d'un strict encadrement quant à son objet et à sa durée. Alors que la Commission avait envisagé la possibilité de généraliser d'éventuelles expérimentations, il a mis en exergue les lacunes du projet de loi constitutionnelle, muet sur les conséquences à tirer des expérimentations déjà mises en oeuvre.

Il a souligné que l'absence de toute référence à la notion de « collectivité chef de file » dans la Constitution ne signifiait pas pour autant qu'elle n'était pas sous-jacente au texte. Il a rappelé le choix de la Commission pour l'avenir de la décentralisation de ne désigner des collectivités chefs de file que pour la réalisation d'opérations communes, relevant la différence avec l'option défendue par le Gouvernement tendant à inscrire cette notion dans un registre plus large. Il a évoqué les risques de subordination d'une collectivité territoriale à une autre, craignant que, paradoxalement, la décentralisation conduise un échelon territorial -la région- à monopoliser une grande partie des compétences.

Concernant l'article 5, relatif au droit de pétition et aux référendums locaux, il a relevé l'absence d'encadrement de ces dispositifs.

S'agissant de l'article 6 relatif à l'autonomie fiscale, il n'a pas jugé souhaitable d'allouer un impôt national aux collectivités territoriales, se déclarant convaincu de la nécessité de confier aux élus locaux la responsabilité de voter l'impôt, élément essentiel de la libre administration des collectivités locales.

Rappelant le consensus obtenu sur ce point, il a fait valoir la nécessité de confier à l'Etat, et non aux collectivités territoriales, le soin de corriger les inégalités et de garantir la solidarité entre les territoires.

Il s'est demandé ce que pouvait représenter une part déterminante des ressources des collectivités territoriales, regrettant l'imprécision de cette expression.

En conclusion, il a marqué sa surprise devant le cheminement de la réflexion sur la décentralisation, observant que le consensus qui s'était dégagé autour de l'idée de demeurer dans le cadre du droit en vigueur avait disparu pour céder la place à un texte imprécis et flou, teinté de fédéralisme. Il a noté la difficulté soulevée par la consécration du droit à l'expérimentation, susceptible d'accroître encore la complexité de la répartition des compétences.

M. René Garrec, président , a précisé les avancées autorisées par l'article 2 du projet de loi constitutionnelle en indiquant qu'il permettait d'ouvrir des possibilités d'expérimentation dans le domaine de la justice. Il a rappelé que M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, avait fait état de l'impossibilité de procéder à des expérimentations s'agissant de la distribution des affaires dans les juridictions de proximité.

M. Pierre Mauroy a jugé indispensable de prévoir un dispositif relatif à l'expérimentation suffisamment souple, expliquant que les expérimentations devaient être réversibles en cas d'échec. Il s'est déclaré favorable aux expérimentations relatives aux transferts de compétences mais a jugé dangereuses les expérimentations destinées à permettre aux collectivités territoriales de déroger à la loi et au règlement.

M. René Garrec, président , a fait remarquer que la loi relative à la Corse adoptée à l'initiative du Gouvernement de M. Lionel Jospin, avait prévu d'autoriser également la collectivité territoriale de Corse à déroger aux règlements en vigueur, le Conseil constitutionnel ayant censuré les possibilités d'adaptation législative.

M. Pierre Mauroy a fait valoir que la démarche du Gouvernement de M. Lionel Jospin s'expliquait par la spécificité du problème corse.

M. Nicolas Alfonsi s'est interrogé sur l'objet et le champ des expérimentations autorisées par la loi organique et a redouté que la répartition des compétences perde en lisibilité. Il a signalé le risque d'une différenciation du droit applicable sur le territoire.

M. Jean-René Lecerf a demandé à M. Pierre Mauroy s'il était favorable à l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, s'interrogeant par ailleurs sur l'avenir des communes dont les compétences s'amenuisent à mesure qu'elles les transfèrent aux établissements publics de coopération intercommunale. Il s'est déclaré défavorable à toute tutelle entre collectivités territoriales.

M. Pierre Mauroy a regretté le silence du projet de loi constitutionnelle sur l'intercommunalité, craignant qu'un coup d'arrêt ne soit ainsi porté au mouvement lancé en 1999. Il a fait observer que le Président de la République lui-même s'était prononcé en faveur de l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, s'étonnant que cette perspective inéluctable suscite autant de débats.

M. Pierre Mauroy n'a pas formulé d'observation particulière à propos du dépôt en premier lieu au Sénat des projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources, mais a appelé de ses voeux une réforme du mode de scrutin sénatorial rendant possible l'alternance.

En réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt qui s'interrogeait sur l'ordre chronologique de l'examen des textes, M. Pierre Mauroy , relevant la pertinence de la question, a jugé qu'il eût été effectivement plus logique de réformer les finances locales avant de réviser la Constitution. Il a rappelé que la Commission pour l'avenir de la décentralisation avait formulé plusieurs propositions sérieuses, notamment le transfert aux collectivités territoriales de l'actualisation des valeurs locatives.

A titre personnel, il a jugé envisageable qu'une part des impôts nationaux tels que la contribution sociale généralisée ou la taxe intérieure sur les produits pétroliers puisse être affectée aux collectivités territoriales.

M. Francesco Merloni,
professeur à l'université de Pérouse, département Institutions et société

M. Francesco Merloni a tout d'abord présenté la réforme constitutionnelle intervenue en Italie en 2001.

Il a indiqué que la Constitution de 1948 prévoyait déjà des compétences législatives pour cinq régions à statut spécial, ce régime ayant ensuite été étendu aux quinze autres régions. Néanmoins, il a précisé que la réforme de 2001 était allée beaucoup plus loin, puisqu'elle avait abouti à la réécriture complète du titre V de la deuxième partie de la Constitution. Ainsi, il a rappelé que l'article 114 de la Constitution prévoyait désormais que la République « se compose des communes, des provinces, des villes métropolitaines, des régions et de l'Etat », l'Etat étant traité comme tous les autres niveaux, ce qui constituait un changement très important.

Il a présenté l'article 117, qui organise une nouvelle répartition des compétences législatives, en soulignant que, si les régions ne disposaient auparavant de pouvoirs législatifs que dans des matières limitées, la réforme avait introduit un bouleversement, l'Etat central ne disposant désormais plus que de compétences limitativement énoncées.

M. Francesco Merloni a indiqué qu'une deuxième liste fixait les matières de législation concurrente, ce terme devant être compris comme permettant à l'Etat de ne fixer que des principes fondamentaux.

Il a en outre fait valoir l'existence d'une « clause générale de résidualité » prévoyant que toutes les matières n'appartenant pas à cette liste relèvent de la compétence législative exclusive des régions.

Il a par ailleurs précisé que le principe de subsidiarité prévoyait que les compétences doivent d'abord être exercées par la commune, puis la province, la région, voire l'Etat.

De plus, M. Francesco Merloni a indiqué qu'en vertu du principe de différenciation, les collectivités locales d'une même catégorie ne devaient pas nécessairement avoir toutes le même régime, le troisième principe évoqué étant celui d'adéquation par rapport à la capacité effective d'exercice de compétences de la collectivité locale.

Il a alors évoqué l'autonomie normative des régions et des collectivités locales (les régions n'étant pas formellement considérées comme des collectivités locales) quant à leur organisation interne. Il a ainsi indiqué que les régions disposaient d'un pouvoir législatif, tandis que les communes et les provinces n'exerçaient qu'un pouvoir réglementaire. Il a souligné que l'Etat ne pouvait fixer de règles relatives à l'organisation interne que pour les seuls ministères et établissements publics.

Citant l'article 119 consacré à l'autonomie financière, il a indiqué que les collectivités devaient bénéficier d'une couverture financière intégrale pour l'ensemble des compétences exercées, l'Etat exerçant un pouvoir de péréquation entre collectivités ainsi qu'un pouvoir « extraordinaire » lui permettant de distribuer ressources additionnelles et subventions spéciales.

M. Francesco Merloni a cependant précisé que les intérêts nationaux étaient sauvegardés à travers la législation sur les matières exclusives : même si l'Etat n'a pas la compétence de principe, ses compétences concernent des domaines très importants (droit civil, droit pénal), ainsi que la « fixation des niveaux essentiels de prestation se rapportant aux droits civils et sociaux garantis sur l'ensemble du territoire national ».

En conséquence, il a indiqué que les collectivités locales n'avaient pas de régime uniforme, à part certains traits communs fixés par l'Etat (régime électoral, règles de fonctionnement de l'organe élu des collectivités et compétences fondamentales des collectivités locales), le reste relevant soit de la législation régionale, soit de l'autonomie réglementaire des collectivités locales.

M. Francesco Merloni a considéré que, du fait de cette réforme et des nouveaux pouvoirs dévolus aux régions, notamment en termes de différenciation de leurs statuts (une région pouvant ainsi décider de son mode de gouvernement, plus ou moins présidentiel), la distinction opérée par la Constitution de 1948 avec les régions à statut particulier allait perdre de sa pertinence, même si elle était toujours reconnue par l'article 116 de la Constitution.

Néanmoins, il a regretté l'absence de dispositif clair organisant la coopération entre les différents niveaux de législation. Il a également indiqué que la doctrine avait appelé de ses voeux la création d'une véritable « chambre des régions », comparable au Bundesrat allemand, réellement différente dans sa composition de l'Assemblée des députés, et représentative des régions, voire le cas échéant des collectivités locales.

En réponse à M. Jean-Claude Peyronnet , qui avait souhaité connaître la répartition des compétences en matière de protection civile ainsi qu'en matière de code de la route, M. Francesco Merloni a indiqué que la protection civile relevait précédemment de la compétence de l'Etat, mais qu'elle devait désormais revenir aux régions, l'Etat pouvant encore fixer les principes fondamentaux. M. Jean-Claude Peyronnet l'ayant interrogé sur l'organe compétent en cas de défaillance de ce niveau, il a indiqué que la Constitution prévoyait, au deuxième alinéa de l'article 120, un pouvoir de substitution en cas d'inertie d'une collectivité, dont la mise en oeuvre devait cependant rester exceptionnelle. S'agissant du code de la route, il a indiqué qu'il s'agissait auparavant d'une compétence d'Etat, et que celui-ci resterait compétent pour en fixer les principes fondamentaux.

M. Daniel Hoeffel ayant observé qu'étaient distinguées les communes et les villes métropolitaines, M. Francesco Merloni lui a indiqué que cette question, si elle avait soulevé un long débat, demeurait théorique, aucune ville métropolitaine n'existant pour l'instant. Il a néanmoins précisé que des projets de transformation de départements en villes métropolitaines ou de regroupements de communes en villes métropolitaines avaient été évoqués.

M. René Garrec, président , s'est interrogé sur la portée normative des principes de subsidiarité, de différenciation et d'adéquation.

M. Francesco Merloni lui a indiqué que la subsidiarité était un principe procédural et qu'en l'absence de réels critères définis par la Constitution, la Cour constitutionnelle serait amenée à trancher d'éventuels recours introduits par les régions. Il a d'ailleurs précisé à cet égard que les autres collectivités locales ne pouvaient exercer de recours direct auprès de la Cour constitutionnelle, seules des questions préjudicielles dans le cadre d'une exception d'inconstitutionnalité étant prévues. Il a d'ailleurs observé qu'aucune jurisprudence n'était encore intervenue à ce sujet.

S'agissant de la tutelle d'une collectivité sur une autre, il a indiqué que les contrôles externes de l'Etat ou des régions avaient été supprimés, seuls subsistant des contrôles exercés par les citoyens devant le juge administratif.

Il a par ailleurs relevé que le pouvoir d'utilisation des ressources financières demeurait encore à déterminer et que les régions, et non plus l'Etat, devraient désormais devenir l'interlocuteur privilégié des collectivités locales.

M. Jean-René Lecerf s'est interrogé sur la dimension des régions, observant que s'il était question actuellement en Allemagne de supprimer des Länder, certaines régions italiennes étaient de taille modeste.

M. Francesco Merloni lui a répondu que la Constitution interdisait de créer de nouvelles régions de moins d'un million d'habitants, mais que les régions existantes pouvaient néanmoins subsister. Il a par ailleurs fait valoir que la question de la délimitation des régions était politiquement explosive, du fait des propositions de la Ligue du Nord de fusion de différentes régions, et qu'une grande prudence était par conséquent requise.

En réponse à M. Patrice Gélard , M. Francesco Merloni a précisé que seul le Val d'Aoste comportait une seule province et que le débat sur la disparition des provinces, très vif jusqu'au début des années 90, s'était apaisé, des lois récentes leur ayant conféré des compétences nouvelles. Un système de financement fondé sur des ressources propres devant prochainement être adopté, il a considéré qu'il s'agissait d'une véritable renaissance des provinces.

M. Patrice Gélard s'est félicité du rôle de l'Italie, précurseur en matière de décentralisation constitutionnalisée, et a regretté que la France se tienne en retrait en omettant notamment de prévoir une liste des compétences des régions. Il a considéré que la France pourrait s'en inspirer, ainsi que l'avait fait l'Espagne, afin d'éviter des transferts répétés et ponctuels de compétences.

En réponse à M. René Garrec, président, M. Francesco Merloni a indiqué que l'Italie comptait 21 régions, 103 provinces et environ 8.000 communes.

Il a en outre évoqué l'idée d'administration régionale indirecte sous-tendue par la Constitution de 1948, qui se traduit désormais par le principe de subsidiarité, l'administration devant se concentrer dans les communes ou les provinces, les régions exerçant plutôt un rôle législatif et de planification.

En réponse à M. Laurent Béteille qui s'interrogeait sur les risques d'enchevêtrement des compétences et de financements croisés, M. Francesco Merloni a indiqué que le système constitutionnel cherchait à éviter toute superposition, notamment grâce au principe de subsidiarité et de différenciation, et qu'un nouveau critère, certes non constitutionnel, d'unicité et de responsabilité prévoyait une concentration organique à un seul niveau.

Il a en outre considéré que le système de financement devrait suivre cette répartition des compétences, tout en reconnaissant que tel n'était actuellement pas le cas, la majorité des ressources des communes provenant, en effet, des impôts locaux sur les immeubles. Il a également évoqué la possibilité de donner aux provinces des ressources liées à l'automobile.

M. André Roux,
professeur à l'université de Marseille III

M. André Roux a observé que les dispositions de la Constitution relatives aux collectivités territoriales étaient très lapidaires et que le Conseil constitutionnel avait joué un rôle décisif dans l'élaboration d'un droit constitutionnel local en donnant une portée réelle au principe de libre administration des collectivités territoriales et en le conciliant avec le principe d'indivisibilité de la République.

Il a estimé que le projet de loi constitutionnelle représentait une évolution sensible, intéressante et utile, mais pas une révolution de l'organisation administrative française.

Il a affirmé que le texte proposé constituait un changement quant à la répartition du pouvoir normatif en observant que notre pays était, à la différence de l'Italie ou de l'Espagne, marqué par un centralisme normatif.

Puis il a souligné que le projet de loi constitutionnelle consacrait le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Il s'est interrogé sur la possibilité de modifier l'article 21 de la Constitution en vue d'énoncer clairement que le pouvoir réglementaire du Premier ministre est exercé sous réserve de celui des collectivités territoriales.

M. André Roux a souligné que le droit à l'expérimentation et la possibilité de déroger aux dispositions législatives et réglementaires constituaient également une petite révolution normative.

Il a toutefois observé que ces dispositions se heurteraient probablement au principe d'égalité, qui limiterait les adaptations possibles.

Sur les articles du projet consacrés à l'outre-mer, M. André Roux a insisté sur la volonté de conférer une plus grande autonomie aux collectivités concernées. Il a ajouté qu'une certaine territorialisation du droit pourrait résulter du projet de loi constitutionnelle.

Il a émis de fortes réserves sur le texte proposé pour l'article 74 de la Constitution, qui, en permettant aux collectivités d'outre-mer d'adopter des mesures justifiées par leur situation particulière, comportait un risque de remise en cause des principes fondamentaux de la République. Il s'est également interrogé sur la compatibilité de ces dispositions avec les libertés publiques.

M. André Roux a ensuite souligné que le projet de loi constitutionnelle comportait des innovations quant à la définition des compétences des collectivités territoriales. Il a salué l'inscription de la région à l'article 72 de la Constitution.

Il s'est en revanche inquiété du contentieux constitutionnel abondant qui allait probablement résulter de la formulation ambiguë du principe de subsidiarité. Il a ajouté que le Conseil constitutionnel aurait ainsi désormais un fondement textuel pour préciser les compétences relevant du niveau national et celles relevant de chaque niveau de collectivités territoriales.

Il s'est ensuite interrogé sur la nature du contrôle du juge administratif sur les décisions adoptées par référendum local, rappelant que le Conseil constitutionnel refusait d'opérer un contrôle sur les lois référendaires, dans la mesure où elles constituaient l'expression directe de la souveraineté.

M. André Roux a estimé restrictive la notion « d'organisation décentralisée » de la République, lui préférant celle, reconnue par la Constitution, de « libre administration » des collectivités territoriales. Il a rappelé, citant Carré de Malberg, que « la décentralisation était une concession de l'Etat faite aux collectivités territoriales ».

M. André Roux a indiqué que la mention de l'autonomie financière des collectivités territoriales dans la Constitution était utile. A ce titre, il a précisé que, faute de fondement textuel, le Conseil constitutionnel s'était pour le moment toujours refusé à sanctionner des mesures législatives privant les collectivités territoriales des ressources nécessaires à leur libre administration. Il a ajouté, en se référant à l'exemple des Länder allemands, que l'autonomie financière pouvait aussi être comprise comme une liberté de dépenses des collectivités territoriales.

Il a insisté sur la nécessité de la réaffirmation du principe d'absence de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre pour éviter sa remise en cause par la disposition du cinquième alinéa du texte prévu pour l'article 72 de la Constitution, tendant à permettre la désignation de collectivités « chefs de file ».

Pour conclure son propos, M. André Roux a souligné que les dispositions permettant l'évolution des départements et régions d'outre-mer vers le statut de collectivité d'outre-mer allaient paradoxalement nécessiter une procédure plus lourde qu'aujourd'hui où une simple loi suffit, en faisant appel au consentement des électeurs intéressés et à une loi organique.

M. Patrice Gélard a souligné le manque de clarté de certaines dispositions du projet de loi constitutionnelle, estimant par exemple que la notion de pouvoir réglementaire des collectivités territoriales était inappropriée. Il a également noté qu'il était difficile de donner une définition satisfaisante du principe de subsidiarité et du référendum local.

Il a indiqué que l'autonomie de dépenses des collectivités territoriales était contrariée par le contrôle des chambres régionales des comptes. Il a ajouté que la notion de libre administration des collectivités territoriales était en droit plus correcte que celle d'organisation décentralisée de la République.

M. Jean-Pierre Sueur a indiqué qu'il était lui aussi frappé par la dérive sémantique et l'ambiguïté des dispositions du projet de loi constitutionnelle et s'est interrogé sur la portée juridique de quelques expressions du texte, comme celles de « vocation  à exercer le mieux certaines de leurs compétences» et de « part déterminante » des ressources des collectivités territoriales.

Il a invité le Sénat à inscrire le principe de libre administration des collectivités territoriales à l'article premier de la Constitution.

M. Jean-Pierre Sueur a également insisté sur la contradiction existant entre le principe d'absence de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre et la notion de collectivité chef de file.

M. Jean-René Lecerf a observé qu'une Constitution se devait d'être aussi brève que possible, afin d'être accessible à tous. Puis, prenant l'exemple du droit de pétition, il s'est interrogé sur la pertinence de l'inscription de certaines dispositions dans la Constitution.

M. André Roux , en réponse aux différents intervenants, a indiqué que la notion de pouvoir réglementaire des collectivités territoriales avait une réalité juridique mais a convenu qu'elle pouvait prêter à confusion. Il a en revanche insisté sur la nécessité de remplacer l'expression de libertés publiques, employée par le projet de loi constitutionnelle mais traditionnellement réservée au droit administratif, par celle de libertés fondamentales, utilisée par la doctrine.

Il a ajouté que le projet était trop long et évoquait une loi organique plutôt qu'un texte constitutionnel. Il a souligné que l'ambiguïté de la rédaction allait augmenter le pouvoir d'interprétation du Conseil constitutionnel.

M. Nicolas Alfonsi a déploré l'imprécision croissante des dispositions de la Constitution.

M. André Roux a estimé que le projet de loi constitutionnelle posait nombre de problèmes de formulation.

M. Olivier Gohin,
professeur à l'université de Paris II

Après avoir observé que le projet de loi constitutionnelle faisait disparaître la catégorie juridique des territoires d'outre-mer qui existait depuis 1946 au profit de celle des collectivités d'outre-mer régie par l'article 74 et ajoutait à l'article 73 la référence aux régions d'outre-mer, M. Olivier Gohin a souligné que le cadre constitutionnel applicable aux départements et régions d'outre-mer d'une part, aux collectivités d'outre-mer d'autre part, était substantiellement modifié.

M. Olivier Gohin a indiqué que les nouvelles possibilités d'adaptation normative accordées aux départements et régions d'outre-mer au titre de l'article 73 s'inspiraient du dispositif de l'article 299 paragraphe 2 du traité d'Amsterdam. Il a souligné une imprécision au deuxième alinéa de l'article 73 en s'interrogeant sur la possibilité pour les collectivités intéressées d'intervenir, sur le fondement de cet alinéa, dans le domaine de la loi, comme cela résultait par ailleurs expressément du troisième alinéa du même article. Il a estimé qu'une telle possibilité de procéder à des adaptations dans des matières relevant du domaine de la loi créait la confusion avec le régime juridique de l'article 74 qui s'appliquait aux collectivités soumises au principe de la spécialité législative. Il a enfin considéré qu'en dépit du renvoi à une loi organique pour définir les conditions d'habilitation des départements et régions d'outre-mer pour procéder à ces adaptations, les garanties entourant ces procédures restaient insuffisantes.

M. Olivier Gohin a constaté que le cadre constitutionnel prévu par l'article 74 concernait deux types de collectivités d'outre-mer : celles dotées de l'autonomie, c'est-à-dire aujourd'hui la Polynésie française, et celles qui ne jouissaient pas d'un tel statut, soit actuellement les îles Wallis-et-Futuna, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Il a observé que ce cadre permettrait d'élaborer des statuts sur mesure.

Après avoir souligné que l'énumération des collectivités situées outre-mer figurant au premier alinéa de l'article 72-3 ne comprenait pas la Nouvelle-Calédonie, il a estimé que cette dernière constituait pourtant bien une collectivité territoriale de la République représentée au Sénat et que cela résultait en filigrane de la rédaction de l'article 74-1 relatif à l'habilitation permanente consentie au Gouvernement pour actualiser par ordonnances le droit applicable dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie.

Souscrivant aux propos de M. Patrice Gélard critiquant la rédaction du quatrième alinéa de l'article 74, M. Olivier Gohin a observé que la liste des matières régaliennes insusceptibles d'être transférées aux collectivités n'était pas semblable à celle figurant à l'article 34 de la Constitution, ce qui pouvait être préjudiciable aux libertés publiques.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la compatibilité de ce nouveau cadre constitutionnel avec le statut de Mayotte adopté récemment.

En réponse à M. René Garrec, président, M. Olivier Gohin a exposé que le terme de « passage » figurant à l'article 72-3 provenait de la Constitution de 1946. Il a estimé que la procédure de changement de régime juridique était bien encadrée puisque le consentement des électeurs de la collectivité était requis. Il a précisé qu'un refus de ces électeurs liait le législateur organique, la notion de consentement ayant la même portée qu'au troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution.

M. Olivier Gohin a précisé à l'attention de M. Patrice Gélard que les actes des collectivités d'outre-mer intervenant dans des matières relevant en métropole du domaine de la loi n'avaient pas valeur législative et pouvaient être déférés au juge administratif. Approuvé par celui-ci, il a estimé qu'il serait opportun d'organiser pour ces actes un recours en premier et dernier ressort devant le Conseil d'Etat et que la procédure de contrôle a priori par le Conseil constitutionnel retenue pour les lois calédoniennes devait être écartée, laissant planer une ambiguïté sur la nature des actes.

M. René Garrec, président , a considéré qu'un recours en premier et dernier ressort devant le Conseil d'Etat présentait l'intérêt de la rapidité et de l'homogénéité des solutions contentieuses.

M. Olivier Gohin a ajouté que le contrôle exercé par le juge administratif offrait l'avantage d'intégrer le contrôle de conventionnalité, que cela importait pour la protection des libertés publiques et que la rédaction de l'ante-pénultième alinéa de l'article 74, se référant à la notion de « nécessités locales », s'inspirait de l'article 56 de la convention européenne des droits de l'homme.

Souscrivant à une observation de M. Patrice Gélard, M. Olivier Gohin a souligné la confusion résultant de la référence à la même notion de « statut particulier » aux articles 72, 72-1 et 74 sans que cette notion recouvre chaque fois la même signification. Il a estimé opportun de supprimer l'adjectif « particulier » au premier alinéa de l'article 74. Il a par ailleurs considéré qu'il serait nécessaire de modifier la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte pour mettre en conformité le statut de cette collectivité avec le nouveau cadre constitutionnel.

Evoquant la mémoire de Michel Debré et son rôle essentiel dans la rédaction de la Constitution de la Ve République, M. Jean-Paul Virapoullé a proclamé le profond attachement des Réunionnais au statut de département d'outre-mer et au principe de l'assimilation législative. Il a exprimé son inquiétude que les nouvelles possibilités de passage au régime de l'article 74 et les aménagements du pouvoir d'adaptation à l'article 73 ne viennent compromettre le décollage économique de la Réunion en effrayant les investisseurs. Il a souligné le caractère incomplet de la liste des matières régaliennes dans lesquelles une habilitation de la collectivité en vue de décider d'adaptations ne pourrait être accordée et les risques corrélatifs pour l'Etat de droit. Il a précisé qu'il présenterait un amendement pour exclure la Réunion de ce dispositif jugé dangereux.

M. Olivier Gohin a rappelé que ces dispositions trouvaient leur origine dans des souhaits exprimés par la Guyane et les collectivités antillaises dans la déclaration de Basse-Terre.

M. Jean-Paul Virapoullé s'étant interrogé sur le risque d'être exclu du bénéfice des fonds structurels européens en n'étant plus considéré comme une région ultra-périphérique , M. Olivier Gohin a estimé que le critère d'éligibilité à ce régime était le respect par la collectivité du droit communautaire, non son statut constitutionnel.

M. Jean-Bernard Auby,
professeur de droit public à l'université de Paris II,
président de l'association française de droit des collectivités locales

M. Jean-Bernard Auby a tout d'abord annoncé qu'après s'être interrogé sur le modèle de décentralisation proposé par le projet de loi constitutionnelle, il évoquerait certains sujets qui, bien qu'absents du texte, lui paraissaient essentiels, avant d'exprimer plusieurs réserves sur la rédaction du texte et quelques regrets. Il a précisé qu'il conclurait son propos par une comparaison entre les dispositions du projet de loi constitutionnelle et celles de la proposition de loi constitutionnelle déposée par le Président Christian Poncelet et plusieurs de ses collègues.

M. Jean-Bernard Auby a affirmé que la réforme de la décentralisation conduirait à une très grande diversité des collectivités constituant l'Etat, en mentionnant trois éléments lui paraissant aller dans ce sens : la subsidiarité qui, sans être explicitement inscrite dans le texte, était formulée dans le projet de loi constitutionnelle ; le pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités territoriales, pouvant même parfois empiéter sur le domaine de la loi ; l'autonomie financière qui se manifestait notamment par l'octroi d'un pouvoir fiscal aux collectivités territoriales.

Il a insisté sur la pluralité des situations offertes par le projet de loi constitutionnelle et l'institution d'une décentralisation dissymétrique, en citant les exemples des collectivités d'outre-mer qui disposeraient chacune d'un statut différent et des collectivités à statut particulier pouvant être créées en métropole.

Il a indiqué qu'en Espagne les statuts des collectivités territoriales pouvaient être très distincts d'après la Constitution, mais tendaient, en réalité, à être de plus en plus similaires.

Il a ajouté que les expérimentations, auxquelles il s'est déclaré favorable, permettraient également cette différenciation entre collectivités territoriales. Il a rappelé qu'elles risquaient de se heurter au principe d'égalité, ajoutant que la principale difficulté technique serait liée à la nécessaire réversibilité des expérimentations.

M. Jean-Bernard Auby a ensuite souligné que certaines questions n'étaient pas réglées par le projet de loi constitutionnelle, supposant qu'elles étaient renvoyées à une réforme ultérieure ou considérées comme pouvant se résoudre d'elles-mêmes.

Il a tout d'abord indiqué que la réforme de la décentralisation n'abordait pas le problème des relations entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. Il a regretté l'absence de projet de réforme de la fiscalité locale, pourtant obsolète, alors qu'allait être consacrée l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Il a également signalé que le rôle de l'Etat aurait dû être défini, afin d'affirmer ses compétences face à celles reconnues aux autres collectivités.

M. Jean-Bernard Auby a mis l'accent sur différentes ambiguïtés relevées dans certaines dispositions du projet de loi constitutionnelle.

Après avoir souligné que le pouvoir réglementaire local demeurait, malgré sa consécration constitutionnelle, subordonné au pouvoir réglementaire national, il a suggéré que soit modifié l'article 21 de la Constitution afin que le pouvoir réglementaire du Premier Ministre ne puisse plus empiéter sur celui des collectivités territoriales.

Il a ensuite fait remarquer que la disposition relative à la désignation d'une collectivité « chef de file » autorisait la loi à lui conférer des attributions importantes, sans préciser dans quels domaines cela s'appliquerait.

M. Jean-Bernard Auby a regretté que le rôle des collectivités territoriales, dans la mise en oeuvre des politiques publiques nationales et communautaires, ne soit pas précisé dans le projet de loi constitutionnelle.

Ayant approuvé le fait que les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources, soient déposés en premier lieu au Sénat, il a souhaité que d'autres garanties soient apportées à l'autonomie des collectivités territoriales. Il a notamment proposé qu'un groupe de collectivités territoriales puisse, comme en Espagne, saisir le Conseil constitutionnel lorsqu'elles estiment qu'une loi méconnaît un de leurs droits protégés par la Constitution.

Il a suggéré de compléter l'alinéa de l'article 72 de la Constitution relatif au rôle du représentant de l'Etat par une disposition rappelant que les collectivités territoriales doivent respecter le droit et sont soumises à un contrôle de légalité.

M. Lucien Lanier a déclaré que le préfet était à la fois le représentant de l'Etat et le défenseur des intérêts locaux.

M. Jean-Bernard Auby a indiqué qu'il comprenait la position de M. Lanier, sans toutefois la partager.

Comparant les dispositions du projet de loi constitutionnelle à celles de la proposition de loi constitutionnelle présentée par le Président Christian Poncelet, il a déclaré que la différence majeure concernait l'autonomie financière des collectivités territoriales, le projet de loi ne la faisant pas reposer sur l'autonomie fiscale, à la différence de la proposition de loi. Il a précisé que l'autonomie financière pouvait être assurée tant par des transferts de ressources stables et garanties, provenant du budget de l'Etat, ou bien par un véritable pouvoir fiscal local, le choix devant être effectué en fonction des rapports que le constituant souhaiterait instaurer entre les citoyens et les collectivités territoriales.

Il a regretté que, prévu dans la proposition de loi constitutionnelle présentée par le Président Christian Poncelet, le principe d'interdiction de la tutelle soit absent du projet de loi constitutionnelle, tout en indiquant qu'il serait difficilement compatible avec l'idée de « chef de file » et pourrait être une source de rigidités.

Enfin, M. Jean-Bernard Auby a souligné l'importance accordée aux instruments de la démocratie locale directe. Il s'est interrogé sur leur mise en oeuvre, en faisant observer que le référendum communal actuel, institué par la loi, ne semblait ni désiré par les collectivités territoriales, ni utilisé par les électeurs qui peuvent pourtant en avoir l'initiative.

M. Jean-René Lecerf a relevé que M. Jean-Bernard Auby considérait cette réforme comme essentielle et novatrice. Il a indiqué que les expérimentations devaient aboutir, non à une différenciation des collectivités territoriales, mais à la généralisation sur l'ensemble du territoire des initiatives couronnées de succès.

Il a déclaré que les établissements publics de coopération intercommunale ne remplissaient pas les conditions pour être reconnus comme des collectivités territoriales de la République : la clause générale de compétence et l'élection au suffrage universel direct.

Il a estimé que la gestion de la concurrence des pouvoirs réglementaires national et local pouvait être réglée par la voie législative et jurisprudentielle, comme cela avait été le cas pour les concours de police.

S'agissant de l'autonomie financière des collectivités territoriales, il s'est déclaré partisan d'une autonomie fiscale, plutôt que de ressources garanties par l'Etat.

M. Jean-Bernard Auby a approuvé la plupart des remarques formulées par M. Jean-René Lecerf, en ajoutant que la question de la place de l'intercommunalité ne pourrait longtemps être éludée.

M. Lucien Lanier a marqué son attachement à la commune, échelon qui constitue la véritable proximité.

Il a estimé que la multiplication des niveaux de collectivités territoriales était source de lourdeurs et de lenteurs administratives.

Il a craint que le rôle du préfet tende à se limiter à un simple pouvoir de police, sa fonction de représentant de l'Etat dans les collectivités territoriales étant perçue, par ces dernières, comme attentatoire à leur liberté d'action.

Enfin, il a estimé que le projet de loi constitutionnelle comportait trop de dispositions imprécises et trop de renvois à la loi organique et à la loi ordinaire.

M. Jean-Bernard Auby a exprimé la crainte que l'approfondissement de la décentralisation ne profite qu'aux départements et aux régions.

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