Rapport n° 139 (2002-2003) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 janvier 2003

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N° 139

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 22 janvier 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché, Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 e législ.) : 350 , 452 et T.A. 44

Sénat : 90 (2002-2003)

Droit pénal.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 22 janvier 2003, sous la présidence de M. René Garrec, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, la proposition de loi (n° 90) adoptée par l'Assemblée nationale visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe .

Le rapporteur a souligné que les dernières années avaient été marquées par une recrudescence dans notre pays de violences racistes, antisémites ou xénophobes, souvent liées à un contexte international troublé. De tels comportements bafouent gravement les principes républicains et doivent être réprimés de manière exemplaire.

Or, le droit français, s'il réprime les discriminations, la provocation à la haine raciale, les diffamations et injures raciales, ne prévoit aucune disposition pour sanctionner spécifiquement les infractions de droit commun lorsqu'elles revêtent un caractère raciste.

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale à l'initiative de MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot tend à combler cette lacune en punissant de peines aggravées certaines infractions (meurtre, tortures et actes de barbarie, violences, destructions, dégradations et détériorations) lorsqu'elles ont un caractère raciste.

D'autres évolutions devront probablement être envisagées dans l'avenir. Ainsi, les règles de prescription prévues par la loi du 29 juillet 1881 rendent difficiles la répression des diffamations et injures raciales. Le champ d'application de la proposition de loi pourrait en outre être plus large et concerner d'autres infractions (menaces, vol, extorsion...).

Toutefois, afin de permettre l'application sans délai d'un texte nécessaire et de marquer la volonté du législateur de réprimer sans faiblesse des comportements incompatibles avec les valeurs républicaines, la commission a adopté sans modification la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, dans le cadre de son ordre du jour réservé, une proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 décembre 2002.

Racisme, antisémitisme ou xénophobie sont des comportements radicalement contraires aux principes qui fondent la République. Il suffit à cet égard de rappeler les premières lignes du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

Les dernières années, les derniers mois ont pourtant été marqués dans notre pays par de trop nombreuses violences racistes ou antisémites, souvent liées à un contexte international troublé. Face à ces comportements, le dispositif législatif apparaît insuffisant. Si notre droit réprime certaines infractions racistes par nature (provocation à la haine raciale, diffamation ou injures raciales), il ne prévoit aucune règle particulière lorsque des infractions de droit commun ont un caractère raciste.

La présente proposition de loi vient modifier cette situation en aggravant les peines encourues pour certaines infractions lorsqu'elles revêtent un caractère raciste.

Votre commission vous proposera d'adopter définitivement un texte malheureusement nécessaire, afin que le législateur marque son refus de comportements qui bafouent les principes républicains.

I. LE CONTEXTE : LA PERSISTANCE DU RACISME ET DE L'ANTISÉMITISME EN FRANCE

La violence raciste, xénophobe et antisémite demeure importante dans notre pays, comme le montre le tableau suivant.

Actions violentes
racistes et xénophobes

Actions violentes
antisémites

Total

1991

86

24

110

1992

57

20

77

1993

69

14

83

1994

57

11

68

1995

39

2

41

1996

31

1

32

1997

33

3

36

1998

26

1

27

1999

31

9

40

2000

30

119

149

2001

38

29

67

Source : commission nationale consultative des droits de l'homme

Les dernières années ont été marquées par une recrudescence de l'antisémitisme dans notre pays. Ainsi, l'année 2000 a connu une inflation sans précédent de la violence antisémite puisque 119 actions ont été comptabilisées, essentiellement recensées au cours d'un dernier trimestre marqué par la reprise des affrontements israélo-palestiniens.

Comme l'indique le rapport pour 2001 de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur le racisme, « L'année 2001 a suivi le même schéma mais dans de moindres proportions. Les huit premiers mois ont enregistré un niveau similaire de violence : douze actions à connotation raciste et un nombre égal d'actions antisémites. Une hausse, induite par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et l'intensification du conflit israélo-palestinien - vingt-six actions racistes ou xénophobes et dix-sept antisémites pour le dernier trimestre -, a été observée sur les derniers mois de l'année ».

En 2001, les violences de nature raciste, xénophobe ou antisémite ont amené l'interpellation et la présentation à la justice de 35 auteurs ou suspects - 47 en 2000 -, essentiellement pour des faits à connotation raciste, parmi lesquels cinq militants d'extrême droite et quinze militants antisionistes.

En ce qui concerne la localisation géographique de la violence relevée en 2001, les deux régions les plus touchées par les actions graves demeurent l'Ile de France pour les actions antisémites et la Corse pour les actions à caractère raciste ou xénophobe.

Les manifestations de moindre gravité, regroupées sous le vocable de « menaces » demeurent elles aussi à un niveau élevé.

« Menaces »
racistes et xénophobes

« Menaces »
antisémites

Total

1991

318

143

461

1992

141

94

235

1993

134

156

290

1994

178

120

298

1995

487

86

573

1996

206

90

296

1997

121

85

206

1998

91

74

165

1999

89

60

149

2000

129

624

753

2001

163

171

334

Source : commission nationale consultative des droits de l'homme

Comme le précise le rapport de la CNCDH, « Traditionnellement, la violence raciste, xénophobe et antisémite résulte, en grande part, de phénomènes réactionnels liés à l'actualité française et internationale qui développent un processus de contagion contribuant à amplifier le nombre et la gravité de ces actes. Tel fut le cas lors du procès Barbie (juin-juillet 1987), de la profanation du cimetière de Carpentras (9 mai 1990), ou, pour ce qui est de l'international, de la guerre du Golfe (janvier 1991), de la crise algérienne (1995), du conflit israélo-palestinien (début de la deuxième Intifada le 28 septembre 2000) ou des attentats aux Etats-Unis (11 septembre 2001) ».

Les données chiffrées concernant l'année 2002 ne sont pas encore connues. Le printemps 2002 a cependant été marqué par une vague de violence antisémite. En quelques semaines seulement, au cours des mois de mars et avril, la police a recensé plus de 300 actes antisémites : inscriptions antisémites, mais aussi atteintes directes aux personnes, incendies de lieux de culte, profanation d'un cimetière juif...Cette situation, constatée dans d'autres pays européens a d'ailleurs conduit cinq ministres de l'Intérieur de l'Union européenne à demander une action d'ensemble au niveau européen.

Face à cette situation, les condamnations pénales demeurent relativement peu nombreuses. La proportion de classements sans suite reste élevée en raison de la carence du plaignant ou de l'insuffisance de preuves (absence de précision dans le témoignage, absence d'infraction caractérisée) ou encore de la brièveté de la prescription pour les infractions d'injures racistes.

Toutefois, au cours de l'année écoulée, plusieurs peines de prison ferme ont été prononcées pour des actes racistes ou antisémites, parmi lesquelles :

- une peine de trois mois de prison avec mandat de dépôt prononcée par le tribunal correctionnel de Créteil en avril 2002 à l'encontre d'un individu qui avait dégradé la synagogue du Kremlin-Bicêtre ;

- des peines de deux à quatre mois d'emprisonnement avec maintien en détention prononcées le 24 septembre 2002 par le tribunal correctionnel de Montpellier à l'encontre de trois personnes qui avaient tenté d'incendier un local jouxtant la synagogue de Montpellier.

*

Le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie n'ont pas disparu dans notre pays. Face à ces comportements, le dispositif législatif demeure incomplet. Les infractions de droit commun commises pour des motifs racistes, antisémites ou xénophobes, ne sont pas, sauf exception, prises en compte en tant que telles par le code pénal.

II. LES INSUFFISANCES DU DROIT ACTUEL

La lutte contre le racisme et la xénophobie constitue une préoccupation déjà ancienne, tant en droit international qu'en droit communautaire et en droit français. Notre dispositif législatif demeure néanmoins incomplet.

A. LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

De nombreux textes de droit international ont pour objet de lutter contre le racisme et la xénophobie, parmi lesquelles la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale et la convention sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid.

La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit dans son article 14 que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

En ce qui concerne l'Union européenne, l'article 29 du traité sur l'Union européenne fait de la lutte contre le racisme et la xénophobie l'un des objectifs de l'Union . Par ailleurs, l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne autorise le Conseil de l'Union à prendre les « mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ».

Deux directives communautaires concernent la lutte contre les discriminations :

- la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique a défini un cadre minimal en vue d'interdire la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique et de fixer un niveau minimum de protection juridique dans l'Union européenne pour les personnes victimes d'une telle discrimination. La directive prévoit que les personnes qui s'estiment victimes d'une discrimination doivent avoir la possibilité d'avoir recours à une procédure administrative et judiciaire pour faire valoir leur droit à l'égalité de traitement. L'article 8 de cette directive prévoit que la charge de la preuve incombe au défendeur lorsque le plaignant « établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte » ;

- la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail . Cette directive tend à interdire les discriminations directes et indirectes sur le lieu de travail.

Par ailleurs, le 28 novembre 2001, la Commission européenne a présenté une proposition de décision-cadre concernant la lutte contre le racisme et la xénophobie . Cette proposition de décision-cadre définit le racisme et la xénophobie comme « la croyance dans la race, la couleur, l'ascendance, la religion ou les convictions, l'origine nationale ou l'origine ethnique en tant que facteur déterminant de l'aversion envers des individus ou des groupes ». Elle tend à imposer aux Etats membres d'ériger en infractions pénales une série de comportements intentionnels, tels que l'incitation publique à la violence ou à la haine, les insultes ou menaces à caractère raciste ou xénophobe, l'apologie publique de crimes contre l'humanité, le négationnisme, ainsi que la diffusion ou la distribution de tout contenu comportant des propos racistes ou xénophobes, y compris sur Internet.

Ce texte est encore en cours de discussion au sein de l'Union européenne.

En juin 1997, un observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes a été créé à Vienne, qui doit permettre l'échange d'informations et d'expériences dans ce domaine.

B. LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE CONTRE LE RACISME

Le dispositif français de lutte contre le racisme et la xénophobie repose essentiellement sur les dispositions de la loi sur la liberté de la presse et sur celles relatives aux discriminations.

1. Les dispositions de la loi sur la liberté de la presse

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse contient plusieurs dispositions sanctionnant notamment la provocation à la haine raciale, les injures et les diffamations à caractère raciste. La rédaction de ces infractions résulte, pour l'essentiel, de la loi n° 72-546 du 1 er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme.

L'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'article 24 bis de cette loi, qui résulte de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe loi adoptée à l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot), punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende ceux qui auront contesté l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg.

La Cour de cassation 1 ( * ) a estimé que cet article n'était pas contraire au principe de la liberté d'expression inscrit dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il sanctionne des comportements attentatoires à l'ordre public et aux droits des

individus et entre en conséquence dans le champ des exceptions prévues par l'article 10 de la Convention européenne 2 ( * ) .

Les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionnent la diffamation et l'injure publique commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'article 32 de la loi de 1881 a donné lieu à de nombreuses procédures, généralement à l'initiative d'associations habilitées à exercer les droits de la partie civile. La Cour de cassation a par exemple considéré que l'imputation faite aux juifs américains d'« exploiter la légende de l'Holocauste » entrait dans les prévisions de cet article 3 ( * ) . Elle a fait de même à propos d'imputations visant les communautés chrétiennes des pays de l'Est, en raison de leur obédience catholique et du comportement prêté à leurs membres.

Les délits prévus par les articles 24, 24 bis, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont constitués que s'ils sont commis « soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle ».

Les diffamations ou injures non publiques commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe par les articles 624-3 et 624-4 du code pénal.

L'article 48-1 de la loi de 1881 permet aux associations de lutte contre le racisme d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales, de diffamation et d'injures publiques à caractère racial. Lorsque l'infraction est commise envers des personnes considérées individuellement, l'association n'est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes.

L'article 48-2 permet pour sa part aux associations défendant les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés d'exercer les droits reconnus à la partie civile, notamment en ce qui concerne l'infraction de contestation de l'existence d'un crime contre l'humanité.

Le tableau suivant retrace l'évolution des condamnations prononcées au cours des dernières années sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

1997

1998

1999

2000

2001*

Provocation à la discrimination nationale, sociale, religieuse par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 24)

3

7

15

7

15

Contestation de l'existence du crime contre l'humanité par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 24 bis)

1

3

2

3

2

Diffamation en raison de la race, la religion ou l'origine par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 32)

2

1

3

3

9

Injure publique en raison de la race, la religion ou l'origine par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 33)

83

83

82

98

106

* Provisoire

Source : Casier judiciaire.

En 1996, M. Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, avait proposé dans un projet de loi 4 ( * ) de retirer de la loi de 1881 les infractions de provocation, de diffamation et d'injure raciales pour les insérer dans le code pénal.

L'exposé des motifs du projet de loi apportait notamment les précisions suivantes pour justifier cette évolution : « (...) l'exceptio veritatis, qui est normalement prévue en matière de diffamation, n'a aucun sens lorsque des imputations diffamatoires sont formulées à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur ethnie, de leur race ou de leur religion .

« (...) cette insertion des délits en matière de racisme dans la loi sur la presse impose le respect des règles de procédure extrêmement complexes que prévoit cette législation spécifique. Les contraintes procédurales qui en résultent ont pour effet d'amoindrir grandement l'efficacité de la répression .

« Il en va notamment ainsi du délai de prescription de trois mois (alors que la prescription de droit commun est de trois ans pour les délits) qui a souvent pour conséquence, lorsque des écrits racistes ou xénophobes ont été diffusés publiquement mais en faible nombre d'exemplaires, d'empêcher le parquet ou les associations habilitées de réagir en temps utile pour engager des poursuites ».

Ce projet de loi n'a jamais été discuté. Peut-être conviendra-t-il à l'avenir de réexaminer l'opportunité d'exclure de la loi sur la presse les provocations, diffamations et injures raciales afin d'assurer une pleine efficacité de la répression dans cette matière.

2. Les dispositions du code pénal relatives aux discriminations

Plusieurs articles du code pénal sanctionnent les discriminations. L'article 225-1 définit la discrimination comme une distinction opérée entre les personnes « à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

L'article 225-2 du code pénal punit la discrimination de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende lorsqu'elle consiste à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne, à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à refuser d'accepter une personne à certains stages.

L'article 432-7 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende la discrimination commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public , dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, lorsqu'elle consiste à refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ou à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque.

Le code du travail contient également des dispositions spécifiques destinées à sanctionner les comportements discriminatoires lors d'un recrutement, dans le cadre du pouvoir disciplinaire de l'employeur ou encore dans le cadre du règlement intérieur de l'entreprise ou d'une convention collective . En cas de litige, « le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (article L. 122-45 du code du travail).

Le tableau suivant retrace les condamnations prononcées au cours des dernières années sur le fondement de l'article 225-2 du code pénal.

1997

1998

1999

2000

2001*

Discrimination dans l'offre ou la fourniture d'un bien ou d'un service à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

2

2

4

Discrimination dans l'offre ou la fourniture d'un bien ou d'un service à raison de la race

2

9

0

5

1

Discrimination dans une offre d'emploi à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

0

1

1

Discrimination dans une offre d'emploi à raison de la race

1

1

1

7

1

Refus d'embauche à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

2

2

0

2

Refus d'embauche à raison de la race

0

0

1

1

0

Licenciement à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

1

0

0

0

0

Entrave à l'exercice d'une activité économique à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

1

0

0

Entrave à `l'exercice d'une activité économique à raison de la race

0

0

0

0

1

* Provisoire

Source : Casier judiciaire

Le dispositif de lutte contre les discriminations a été complété par la mise en place de structures spécifiques de lutte contre le racisme et de soutien aux victimes de discrimination raciales :

- le GELD (Groupement d'études et de lutte contre les discriminations) est un lieu de concertation et de réflexion entre les différents acteurs de la lutte contre le racisme. Sa principale mission est de conduire et de centraliser les études et les données statistiques afin de mieux identifier les phénomènes racistes et d'en combattre les causes. Le GELD s'est également vu confier la gestion du numéro d'appel 114, qui permet aux victimes ou aux témoins de discrimination de signaler des cas ou des pratiques qui leur semblent discriminatoires ;

- les CODAC (commissions départementales d'accès la citoyenneté) ont été créées en janvier 1999. Elles constituent un lieu d'écoute, de conseil et de mise en oeuvre de la politique de soutien des victimes de discriminations ; elles ont pour objectif la mise en place d'un programme départemental de lutte contre les discriminations et l'exclusion.

3. Les autres dispositions pénales

Quelques infractions du code pénal visent explicitement les comportements racistes ou xénophobes.

Le génocide , qui figure parmi les crimes contre l'humanité, est défini comme un « plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

L'article 225-18 punit la profanation de sépultures et l'atteinte à l'intégrité du cadavre . Il s'agit de la seule infraction du code pénal en vigueur pour laquelle une circonstance aggravante est prévue lorsque le délit est commis « à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

L'article R. 645-1 du code pénal punit de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le port ou l'exhibition en public d'un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant ceux portés par les membres d'une organisation déclarée criminelle par le tribunal de Nuremberg ou par toute autre personne reconnue coupable de crime contre l'humanité.

Par ailleurs, comme en matière de délits de presse, les associations de lutte contre le racisme peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour certaines infractions : discriminations, atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne (meurtre, tortures et actes de barbarie, violences, menaces), ainsi que les destructions ou dégradations de biens.

*

Ainsi, certaines infractions de notre droit ont, par nature, un caractère raciste (injures et diffamations publiques à caractère racial, provocation à la haine raciale, discriminations fondées sur la race, l'origine, la nationalité...). En revanche, le droit positif ne prend pas en compte le caractère raciste ou antisémite d'un acte comme élément constitutif d'une infraction de droit commun ou comme une circonstance aggravante de l'infraction commise (sauf en ce qui concerne la profanation de sépulture et l'atteinte à l'intégrité du cadavre). La proposition de loi soumise au Sénat vise à combler cette lacune.

III. LA PROPOSITION DE LOI SOUMISE AU SÉNAT : AGGRAVER LES PEINES ENCOURUES POUR LES INFRACTIONS À CARACTÈRE RACISTE

La proposition de loi soumise au Sénat, déposée par MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 décembre 2002. Elle a pour objet de permettre de réprimer plus sévèrement certaines infractions lorsqu'elles revêtent un caractère raciste.

A. LA PROPOSITION DE LOI INITIALE

La proposition de loi initiale faisait de la commission de certaines infractions « à raison de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » une circonstance aggravante.

Cette définition de la circonstance aggravante est la reprise de celle qui figure déjà dans l'article 225-18 du code pénal consacré à la profanation de sépulture et à l'atteinte à l'intégrité du cadavre.

Les infractions concernées étaient les suivantes :

- tortures et actes de barbarie (peine encourue portée de quinze à trente ans de réclusion criminelle) ;

- violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (peine portée de quinze à trente ans de réclusion criminelle) ;

- violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (peine encourue portée de dix ans d'emprisonnement à vingt ans de réclusion criminelle) ;

- violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours (peine portée de trois à dix ans d'emprisonnement) ;

- violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité (cette infraction est punie de peines d'amende lorsqu'elle n'est accompagnée d'aucune circonstance aggravante et d'une peine de trois ans d'emprisonnement lorsqu'elle est accompagnée de circonstances aggravantes ; la proposition de loi prévoyait une peine de cinq ans d'emprisonnement en cas d'infraction raciste) ;

- destructions ou dégradations ne présentant pas de danger pour les personnes (peine portée de deux ans à trois ou cinq ans d'emprisonnement selon les cas) ;

- destructions ou dégradations dangereuses pour les personnes (peine portée de dix ans d'emprisonnement à vingt ou trente ans de réclusion criminelle selon les cas).

La proposition de loi tendait également à étendre la procédure de comparution immédiate , prévue par l'article 397-6 du code pénal, aux mineurs de plus de quinze ans poursuivis pour des délits à caractère raciste.

Il convient de rappeler que la procédure de comparution immédiate est actuellement réservée aux majeurs. La loi n°2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a mis en place une procédure de jugement à délai rapproché, qui permet de juger les mineurs dans un délai compris entre dix jours et un mois.

B. LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a apporté d'importantes modifications à la proposition de loi sans toutefois remettre en cause son économie générale. Elle a ainsi précisé la définition du caractère raciste d'une infraction, modifié les peines prévues afin qu'elles correspondent à l'échelle des peines prévue par le code pénal et supprimé la possibilité d'appliquer aux mineurs la procédure de comparution immédiate.

- L' article premier insère un article 132-76 dans le chapitre du code pénal consacré à la définition de certaines circonstances aggravantes. Le texte proposé précise que les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il prévoit que cette circonstance aggravante est constituée « lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

En insérant cet article, l'Assemblée nationale a souhaité définir de manière objective et précise la circonstance aggravante relative au caractère raciste d'une infraction, observant qu'elle s'appliquerait désormais en matière criminelle et ferait donc l'objet de débats devant les cours d'assises.

- Les articles 2 à 10 aggravent les peines encourues pour certaines infractions lorsqu'elles sont commises « à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Les infractions concernées sont les suivantes :

- meurtre (article 221-4 du code pénal) ;

- tortures et actes de barbarie (article 222-3 du code pénal) ;

- violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-8 du code pénal) ;

- violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10 du code pénal) ;

- violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours (article 222-12 du code pénal) ;

- violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de huit jours ou n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail (article 222-13 du code pénal) ;

- destructions, dégradations ou détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes (articles 322-2 et 322-3 du code pénal) ;

- destructions, dégradations ou détériorations par explosion, incendie ou tout autre moyen de nature à causer un danger pour les personnes (article 322-8 du code pénal).

Les peines encourues ont été alignées par l'Assemblée nationale sur celles prévues pour les autres circonstances aggravantes des infractions concernées par la proposition de loi.

IV. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ADOPTER SANS DÉLAI UN TEXTE NÉCESSAIRE

Le texte soumis au Sénat vient combler une lacune de notre droit. Il doit désormais être adopté sans délai afin de marquer l'importance que le législateur accorde à cette question.

A. PERMETTRE UNE ENTRÉE EN VIGUEUR IMMÉDIATE DE LA PROPOSITION DE LOI

Votre commission des lois souscrit pleinement aux objectifs de la proposition de loi et partage l'inquiétude de notre collègue M. Pierre Lellouche, auteur et rapporteur de la proposition de loi, pour qui cette proposition « répond malheureusement à une situation très préoccupante dans notre pays. Elle vient compléter notre droit en lui adjoignant des dispositions déjà en vigueur chez la plupart de nos voisins européens. La mobilisation de l'ensemble de la représentation nationale constituera un signal fort en direction de ceux qui commettent de tels actes ».

Les améliorations apportées par l'Assemblée nationale à la proposition de loi devraient lui donner une pleine efficacité. Ainsi, les précisions apportées à la définition du caractère raciste de l'infraction, si elles peuvent sembler réduire le champ d'application du texte, devraient en revanche faciliter l'appréciation des juridictions et éviter ainsi des classements sans suite.

La présente proposition de loi comporte certaines imperfections. Ainsi, l'Assemblée nationale a omis d'étendre son application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna . En outre, le champ d'application de la proposition de loi aurait pu être étendu à d'autres infractions, en particulier les menaces , le vol et l' extorsion , infractions qui revêtent parfois un caractère raciste.

Néanmoins, votre commission a décidé d'adopter sans modification la proposition de loi . Les imperfections qui viennent d'être mentionnées pourront aisément être surmontées dans le cadre d'un texte législatif ultérieur.

Comme l'a montré votre rapporteur, l'intensité des violences racistes ou antisémites est souvent liée à l'actualité, notamment internationale. Dans un contexte marqué par la persistance du conflit israélo-palestinien et le risque d'une guerre en Irak, il est nécessaire que la présente proposition de loi soit adoptée dès à présent, afin que le législateur marque son refus de comportements qui bafouent tous les principes républicains, et rappelle solennellement que « Tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » (préambule de la Constitution du 27 octobre 1946).

B. CONSTATER QUE LA PROPOSITION DE LOI N'ÉPUISE PAS LE CHAMP DE LA RÉFLEXION

La présente proposition de loi n'est probablement qu'une étape dans l'aménagement des dispositions législatives permettant de combattre les comportements racistes, antisémites et xénophobes. D'autres évolutions mériteraient en effet d'être envisagées :

- l'aggravation des peines encourues pour certaines infractions lorsqu'elles revêtent un caractère raciste pourrait justifier également une aggravation des peines prévues en matière de discriminations ; il serait en outre opportun de prévoir des peines aggravées lorsque des discriminations sont commises par des établissements accueillant du public . Les opérations de « testing » conduites ces dernières années par certaines associations, qui ont été admises comme mode de preuve par la Cour de cassation, ont montré que les comportements discriminatoires n'étaient pas rares dans les établissements accueillant du public ;

- la France n'a pas encore intégralement transposé les directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations , en particulier la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de race ou d'origine ethnique . Cette directive, qui impose un aménagement de la charge de la preuve, couvre un champ d'application très vaste puisqu'elle vise les discriminations à raison de la race et de l'origine ethnique, non seulement dans le domaine de l'emploi, mais également dans les domaines de la protection sociale, des avantages sociaux, de l'éducation et de l'accès aux biens et services. La pleine application de cette directive impliquera des modifications de notre législation ;

- enfin, l'application des règles de la loi du 29 juillet 1881 aux délits de provocation, diffamation et injures raciales soulève des difficultés qui pourraient justifier certaines évolutions. Votre rapporteur a rappelé qu'en 1996, M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait déposé un projet de loi tendant à transférer de la loi de 1881 au code pénal les dispositions punissant des comportements racistes. A tout le moins, conviendrait-il de modifier, pour ces délits, les règles de prescription de la loi sur la liberté de la presse. Le délai de prescription de trois mois empêche à l'évidence de réprimer efficacement des comportements inacceptables.

Un débat pourrait être organisé au Sénat dans le cadre d'une question orale afin d'évoquer de manière approfondie l'ensemble des moyens de combattre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des lois vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
(art. 132-76 nouveau du code pénal)
Définition de la circonstance aggravante relative au
caractère raciste d'une infraction

Actuellement, seules la profanation de sépultures et l'atteinte à l'intégrité du cadavre, réprimées par l'article 225-18 du code pénal, font l'objet de peines aggravées lorsqu'elles sont commises « à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

La circulaire du 14 mai 1993 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal précise que la preuve du mobile raciste de l'infraction devra résulter d'éléments de fait, tels que l'existence d'inscriptions racistes sur les tombes et les monuments profanés. Elle indique également que, sous réserve de l'appréciation des juridictions, la seule appartenance de la personne décédée à une race ou une religion déterminée ne saurait en elle-même conférer à l'infraction un caractère raciste, sauf dans des hypothèses de profanations de grande ampleur dirigées contre des sépultures de personnes appartenant à une même communauté.

La proposition de loi soumise au Sénat reprenait, dans sa version initiale, les termes mêmes de la circonstance aggravante prévue par l'article 225-18 du code pénal pour appliquer cette circonstance aggravante à de nouvelles infractions.

L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, a cependant souhaité que la circonstance aggravante permettant de sanctionner des comportements racistes soit définie de manière plus précise et objective afin de faciliter les appréciations des juridictions.

Dans ces conditions, le présent article tend à introduire dans le code pénal un article 132-76 définissant la circonstance aggravante relative au caractère raciste d'une infraction. Une section du livre premier du code pénal (dispositions générales) est en effet consacrée à la définition de certaines circonstances aggravantes. Elle contient des définitions de la bande organisée, de la préméditation, de l'effraction, de l'arme et de l'escalade.

Le texte proposé pour l'article 132-76 prévoit dans un premier alinéa que « Les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Il aurait été préférable de préciser que cette aggravation n'existait que « dans les cas prévus par la loi ». La rédaction choisie laisse en effet penser que toutes les infractions sont punies de peines aggravées lorsqu'elles revêtent un caractère raciste. Néanmoins, cette lacune ne devrait pas susciter trop de difficultés d'appréciation dès lors qu'en l'absence de précision supplémentaire, il ne sera pas possible de déterminer des peines applicables aux infractions pour lesquelles la circonstance aggravante ne sera pas explicitement visée dans le texte définissant l'infraction.

Le second alinéa du texte proposé pour l'article 132-76 du code pénal précise que « La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Ainsi, la circonstance aggravante ne serait constituée qu'en présence d'éléments objectifs : propos, écrits, images, objets, actes de toute nature. Si cette définition peut paraître réduire le champ d'application de la circonstance aggravante, elle permettra probablement une plus grande efficacité de la répression en évitant des classements sans suite ou des relaxes au motif que l'infraction est insuffisamment caractérisée .

La rédaction proposée pourrait être améliorée. S'il est en effet aisé de comprendre ce qu'est une infraction précédée, accompagnée ou suivie de propos ou d'écrits, il est plus difficile de savoir ce que recouvre la notion d'infraction précédée, accompagnée ou suivie d'objets ou d'images. Il aurait été préférable de viser l'utilisation d'objets ou d'images.

Surtout, le choix effectué par l'Assemblée nationale pose un problème de principe. Les éléments constitutifs de la circonstance aggravante ne figureront qu'à l'article 132-76, dans la partie générale du code pénal et ne seront pas reproduits dans chaque article du code concerné par cette aggravation. Les articles concernés préciseront simplement, sans renvoyer à l'article 132-76, que les peines sont aggravées « lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

N'aurait-il pas été préférable de définir de manière exhaustive la circonstance aggravante dans chacune des infractions auxquelles elle s'appliquera ? Les juridictions se reporteront-elles systématiquement au nouvel article 132-76 pour apprécier si la circonstance aggravante est constituée ?

Il conviendra que le Gouvernement veille à informer les juridictions que la circonstance aggravante relative au caractère raciste d'une infraction devra être appréciée au regard de l'article 132-76 du code pénal.

Votre commission vous propose d' adopter l'article premier sans modification .

Articles 2 à 10
(art.221-4, 222-3, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 322-2,
322-3et 322-8 du code pénal)
Aggravation des peines encourues pour certaines infractions

Les articles 2 à 10 de la proposition de loi tendent à aggraver les peines encourues pour certaines infractions lorsqu'elles sont commises « à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Cette circonstance aggravante n'est actuellement prévue qu'en matière de profanation de sépultures et d'atteinte à l'intégrité du cadavre.

- L' article 2 tend à appliquer la circonstance aggravante au meurtre. L'article 221-2 du code pénal punit cette infraction de trente ans de réclusion criminelle. L'article 221-4 du même code punit le meurtre de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu'il est commis dans certaines circonstances (notamment sur un mineur de quinze ans, sur une personne vulnérable, sur certaines personnes chargées d'une mission de service public...).

L'article 2 tend à compléter la liste des circonstances aggravantes pour y ajouter le caractère raciste de l'infraction.

- L' article 3 tend à appliquer la circonstance aggravante aux tortures et actes de barbarie. L'article 222-2 du code pénal punit cette infraction de quinze ans de réclusion criminelle. L'article 222-3 énumère onze circonstances aggravantes justifiant l'application de peines de vingt ans de réclusion criminelle.

L'article 3 tend à insérer dans l'article 222-3 un 5° bis afin d'ajouter le caractère raciste de l'infraction aux autres circonstances aggravantes.

- L' article 4 tend à appliquer la circonstance aggravante aux violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L'article 222-7 du code pénal punit cette infraction de quinze ans de réclusion criminelle.

L'article 222-8 énumère dix circonstances aggravantes justifiant l'application de peines de vingt ans de réclusion criminelle. Il prévoit en outre une peine de trente ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est commise sur un mineur de quinze ans par une personne ayant autorité sur ce mineur.

L'article 4 tend à insérer dans l'article 222-8 un nouvel alinéa afin d'ajouter le caractère raciste de l'infraction aux circonstances aggravantes impliquant une peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle.

- L' article 5 tend à appliquer la circonstance aggravante aux violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. L'article 222-9 du code pénal punit cette infraction de dix ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende.

L'article 222-10 énumère dix circonstances aggravantes justifiant l'application d'une peine maximale de quinze ans de réclusion criminelle. Il prévoit en outre une peine de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est commise sur un mineur de quinze ans par une personne ayant autorité sur ce mineur.

L'article 5 tend à insérer dans l'article 222-10 un nouvel alinéa afin d'ajouter le caractère raciste de l'infraction aux circonstances aggravantes impliquant une peine maximale de quinze ans de réclusion criminelle.

- L' article 6 tend à appliquer la circonstance aggravante aux violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours. L'article 222-11 du code pénal punit cette infraction de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

L'article 222-12 énumère douze circonstances aggravantes justifiant l'application de peines maximales de cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende. Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende lorsque deux circonstances aggravantes sont réunies ; elles sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende lorsque trois circonstances aggravantes sont réunies. L'article 222-12 prévoit également des peines maximales de dix ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise sur un mineur de quinze ans par une personne ayant autorité sur ce mineur.

L'article 6 tend à insérer dans l'article 222-12 un nouvel alinéa afin d'ajouter le caractère raciste de l'infraction aux circonstances aggravantes impliquant des peines maximales de cinq ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

- L' article 7 tend à appliquer la circonstance aggravante aux violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail. Ces violences constituent une contravention de cinquième classe.

Toutefois, l'article 222-13 du code pénal énumère douze circonstances dans lesquelles ces violences constituent un délit puni de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. Les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende lorsque deux circonstances aggravantes sont réunies ; elles sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende lorsque trois circonstances aggravantes sont réunies. Les peines encourues sont également portées à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise sur un mineur de quinze ans par une personne ayant autorité sur ce mineur.

L'article 7 tend à insérer dans l'article 222-13 un nouvel alinéa afin de faire figurer le caractère raciste de l'infraction parmi les circonstances justifiant que les violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de huit jours ou n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail deviennent un délit puni de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

- Les articles 8 et 9 tendent à appliquer la circonstance aggravante aux destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes. L'article 322-1 du code pénal punit ces destructions et dégradations de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. Il punit par ailleurs de 3.750 euros d'amende le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger.

L'article 322-2 prévoit des peines aggravées (trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende) lorsque les destructions, détériorations et dégradations portent sur certains biens : bien destiné à l'utilité ou à la décoration publique, registre, minute ou acte original de l'autorité publique, immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit...

L' article 8 de la proposition de loi vise à compléter cet article pour prévoir que les peines sont également aggravées lorsque l'infraction revêt un caractère raciste. Le choix d'insérer dans cet article la circonstance aggravante liée au caractère raciste de l'infraction n'est pas le plus heureux. L'article 322-2 ne définit en effet pas des circonstances justifiant l'aggravation des peines, mais des catégories de biens dégradés. Il aurait donc été préférable de compléter cet article pour viser, par exemple, les lieux de culte. Le caractère raciste de l'infraction pouvait quant à lui être mentionné dans l'article 322-3 qui, contrairement à l'article 322-2, énumère des circonstances justifiant l'aggravation des peines.

L' article 9 de la proposition de loi vise précisément à compléter l'article 322-3 du code pénal. Dans sa rédaction actuelle, cet article énumère cinq circonstances (infraction commise en réunion, commise à l'encontre d'un magistrat, d'un juré, d'un avocat...) justifiant l'application de peines aggravées (cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende) en cas de destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes. La proposition de loi tend à compléter cet article par un nouvel alinéa ainsi rédigé : « Lorsque l'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est commise à l'encontre d'un lieu de culte, d'un établissement scolaire, éducatif ou de loisirs ou d'un véhicule transportant des enfants, les peines encourues sont également portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 euros d'amende . »

Dans un souci de rigueur juridique, cet alinéa aurait pu être intégré dans l'article 322-2 du code pénal qui punit de peines aggravées les destructions, dégradations et détériorations commises contre certaines catégories de biens.

Il est vrai cependant que l'article 322-3 prévoit déjà des peines aggravées lorsque l'infraction concerne des locaux d'habitation . Par ailleurs, les peines prévues par les articles 322-2 et 322-3 ne sont pas identiques. L'Assemblée nationale a probablement privilégié l'échelle des peines plutôt que la nature des circonstances figurant dans les articles 322-2 et 322-3.

- L' article 10 tend à appliquer la circonstance aggravante aux destructions, détériorations et dégradations commises par l'effet d'une substance explosive, d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes. L'article 322-6 du code pénal punit cette infraction de dix ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende.

L'article 322-8 du code pénal prévoit l'application de peines aggravées (vingt ans de réclusion criminelle et 150.000 euros d'amende) lorsque l'infraction est commise en bande organisée ou qu'elle a entraîné pour autrui une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours. L'article 10 de la proposition de loi tend à compléter cet article pour ajouter le caractère raciste de l'infraction parmi les circonstances justifiant l'application de peines aggravées.

*

La proposition de loi ne prévoit pas sa propre application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. Il conviendra que cette omission soit réparée le plus rapidement possible, dès lors qu'il n'existe aucune raison de ne pas appliquer ce texte outre-mer.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des lois vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi.

* 1 Cass crim, 23 février 1993.

* 2 Article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

« 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

* 3 Cass crim, 8 octobre 1991.

* 4 Projet de loi n° 3045 (dixième législature) relatif à la lutte contre le racisme.

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