Annexe 47 - L'ATRAZINE

L'atrazine est un herbicide. Il agit en bloquant la photosynthèse des végétaux (production de glucides à partir de gaz carbonique présent dans l'air, en employant la lumière solaire comme source d'énergie).

L'atrazine fait partie de la famille des triazines, produits de synthèse organique parmi lesquels on trouve aussi la simazine et le therbuthylazine, désherbants utilisés en agriculture. L'atrazine est le nom générique d'une molécule. Les produits sont commercialisés sous différentes appellations. On compte plus de 30 produits à base d'atrazine (Buldozer, Iroquois, Belleter...).

L'atrazine est utilisé principalement comme désherbant du maïs et plus modestement, en arboriculture. Le maïs est gros consommateur d'herbicides. Tandis que la plupart des céréales ont besoin d'une protection au départ, au moment de la pousse, le maïs a besoin d'être désherbé au départ mais aussi pendant les 90 jours de la végétation. C'est pourquoi les consommations ont été très importantes. On estimait la consommation annuelle en France à plus de 5.000 tonnes.

L'atrazine présentait pour l'exploitant beaucoup d'avantages : facile à utiliser, efficace (la molécule conserve son efficacité dans le sol de 2 à 6 mois) et d'un faible coût. L'atrazine a donc été très couramment utilisé pendant quarante ans, entre son introduction en 1960 jusqu'à son interdiction, décidée en 2001.

1. La contamination des eaux brutes à l'atrazine

L'interdiction fait suite à l'inquiétude provoquée par la fréquence et l'importance de la contamination des eaux par l'atrazine. Cette contamination touche à la fois les cours d'eau, par ruissellement, et les eaux souterraines, par infiltration. Comme tous les pesticides de synthèse, l'atrazine n'existe pas dans la nature. Sa seule présence est un indicateur de contamination des eaux.

Les premières alertes remontent à la fin des années 80 lorsque les DDASS et DRASS -directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales- ont constaté des dépassements de seuils d'atrazine dans les prélèvements d'eau potable.

Ces analyses ont été suivies de campagnes de mesures à la fois plus précises, puisque dédiées aux pesticides, voire même à la seule atrazine, et plus larges, puisque les analyses ne portaient plus seulement sur les eaux de captage d'eau potable, mais sur les eaux brutes, rivières et eaux souterraines (campagne de mesures de l'atrazine dans les eaux souterraines du Bassin Seine Normandie, par exemple). Ces différentes analyses ont révélé un certain nombre de faits majeurs :

- la fréquence des détections et des dépassements du seuil de 0,1 ug/l, seuil requis pour l'aptitude d'une eau à la production d'eau potable: La contamination des eaux à l'atrazine est très répandue en France au moins dans le voisinage des lieux des grandes cultures;

- la fréquence des détections et des dépassements du seuil de 0,1 ug/l dans les eaux souterraines : Si le ruissellement des pesticides ou rivières peut être compris, sinon toléré dans la mesure où la contamination est supposée momentanée, les infiltrations des pesticides dans les nappes sont les signes d'une pollution profonde et durable ;

- l'importance des dépassements : Les concentrations maximales observées peuvent être très élevées. Dans les années récentes, on relèvera par exemple une concentration de 29 ug/l dans les rivières de la Flume, en Ille-et-Vilaine, soit 290 fois le seuil de 0,1 ug/l et une concentration de 2 ug/l dans les nappes souterraines de Craie (Yonne), soit 20 fois le seuil ;

- la fréquence de la distribution d'une eau non conforme au regard du paramètre atrazine : La non conformité aux pesticides est souvent le premier élément de non conformité d'une eau aux normes de distribution. Sur les dix départements du Grand Ouest (départements des régions Bretagne - Pays-de-Loire et département des Deux-Sèvres, 2,7 millions de personnes ont été alimentées en 1997 par une eau non conforme) ;

- le faible effet des mesures de restriction d'usage. Les contaminations à l'atrazine subsistent plusieurs années après l'arrêt d'épandage. L'effet retard est important.

2. Métabolite et dégradation de l'atrazine

La molécule reste active assez longtemps (2 à 6 mois) mais se modifie avec le temps. Le processus de dégradation dans le sol commence une à deux semaines après l'application. La molécule se transforme et génère une nouvelle molécule sous l'action des micro-organismes. Cette nouvelle molécule, dite aussi métabolite, est le déséthylatrazine ou « DEA ».

Le rapport D-déséthyl/A-atrazine permet de mesurer la vitesse des transferts. En cas de pollution rapide (ruissellement en rivière ou une infiltration rapide dans une nappe), le rapport D/A est inférieur à 0,4 : l'atrazine n'a pas eu le temps de se transformer. En cas de pollution diffuse dans une nappe souterraine, le rapport D/A est voisin ou supérieur 1 : la molécule de base s'est transformée.

Ainsi, les pollutions dans les eaux de surface sont plutôt mesurées par la concentration d'atrazine (c'est le cas en Bretagne où les cours d'eau sont pollués à l'atrazine) tandis que les pollutions dans les eaux souterraines doivent plutôt être suivies par le métabolite. Dans le bassin Seine-Normandie, un tiers des captages en eaux souterraines a une teneur en DEA double des teneurs en atrazine. Tandis que les teneurs maximales en atrazine diminuent, celles en DEA augmentent. En 2000, plus de captages sont concernés par des valeurs supérieures à 0,1 ug/l en DEA qu'en atrazine (respectivement 32 % et 27 %).


3. La toxicité

La toxicité est avérée sur le milieu aquatique. La molécule a un effet inhibiteur sur les plantes aquatiques, et la toxicité aigue -entraînant la mort- apparaît à faibles doses (invertébrés : 0,2 à 7 mg/litre d'eau pendant deux jours d'exposition ; poissons : 5 à 15 mg/litre d'eau pendant quatorze jours d'exposition).

La dote létale (dose nécessaire pour tuer 50 % d'animaux témoins) est très élevée : entre 750 et 4.000 mg d'atrazine par kilo de poids d'animal ou d'oiseau (lapin : 750 mg, faisan : 2.000 mg, rat ou souris : 1.700 -4.000 mg).

Pour l'homme, l'atrazine est classé comme « produit nocif ». Cette nocivité se manifeste après inhalation ou contact dermique. Les risques d'effets graves apparaissent en cas d'exposition prolongée par ingestion. La dose journalière acceptable est de 40 ug/kilo de poids corporel. Les effets à long terme sur la reproduction sont suspectés. En revanche, l'atrazine a été classé non cancérigène par le Centre international de recherches sur le cancer en 1998.

Les limites de concentrations fixées par l'Union européenne pour l'eau potable (soit 0,1 ug de substance par litre d'eau) sont vingt fois plus sévères que le taux fixé par l'Organisation Mondiale de la Santé (2 ug/l) et deux cents fois plus sévères que le taux fixé en Australie. Aujourd'hui, les inquiétudes viennent moins de la molécule que de son métabolite, le DEA, considéré comme plus toxique que la molécule mère.


4. L'interdiction de l'atrazine

Le produit a été homologué en 1959, mais les restrictions d'usage se sont multipliées au cours des années 90 tant en raison des inquiétudes sur ses effets à long terme sur la santé (voir toxicité) qu'en raison de sa présence généralisée et parfois massive, dans les cours d'eau et les eaux souterraines voisines des lieux d'épandage.

En 1997, le Ministère de l'Agriculture et de la Pêche a restreint les usages, à la fois par une diminution des doses d'emploi (la dose homologuée en 1959 qui était fixée à 2,5 kg/ha/an a été successivement baissée à 1,5 en 1990, puis en 1997 à 1 kg/ha/an -avis JO du 15 février 1997), et par une restriction des usages (interdiction des épandages sur les zones non agricoles telles que jardins, fossés, bordures des voies... avis JO du 4 juillet 1997).

Des interdictions locales ont été décidées en 1998. Ce fut notamment le cas en Bretagne. Les préfets des quatre départements de la région Bretagne ont pris des arrêtés d'interdictions temporaires d'utilisation de l'atrazine à proximité des cours d'eau et des points de captage.

L'interdiction totale a été décidée fin 2001. Après le choix politique, annoncé en octobre 2001, l'interdiction a pris la forme d'un avis aux opérateurs par produit (avis du 27 novembre 2001). La date limite de distribution a été fixée au 30 septembre 2002. La date limite d'utilisation a été fixée au 30 septembre 2003.

On regrettera que cette décision importante ne figure ni sur le site Internet du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation, ni sur celui du Ministère de l'écologie et du développement durable.

Même si la France suivait l'exemple allemand qui avait également banni l'utilisation des triazines quelques mois auparavant, cette mesure d'interdiction a pu être contestée par de nombreux professionnels qui privilégiaient des mesures de restriction d'usage (en limitant les quantités épandues), plutôt que des mesures radicales d'interdiction. La profession relève en effet que l'atrazine reste homologuée dans la plupart des pays de l'Union européenne et en Amérique du Nord.

Il est clair que la décision est avant tout politique. Le fondement scientifique est ténu, dans la mesure où l'atrazine n'a que très peu d'impact avéré sur la santé et que les normes internationales n'imposaient nullement l'interdiction. Le produit reste d'ailleurs utilisé dans de nombreux pays. La décision se justifie néanmoins pleinement, tant à titre rétrospectif que prospectif.

D'une part, les précédentes mesures de restrictions d'usage n'ont pratiquement eu aucun effet sur les concentrations observées dans les eaux. L'atrazine est présent pratiquement partout. Les limitations étant sans effet, il a donc été décidé un arrêt total.

D'autre part, cette décision est clairement un signal politique fort d'appel aux changements de pratiques agricoles. L'interdiction de l'atrazine a rendu possible les mesures de restriction d'usage des autres principales molécules (la diuron et l'isoproturon).

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