II. LE CONTENU DU PROJET DE LOI ET LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION SPÉCIALE

Le projet de loi est articulé en six titres, qui traitent successivement de la simplification de la création d'entreprise , de la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur , du financement de l'initiative économique , de l' accompagnement social des projets , et du développement et de la transmission de l'entreprise , le dernier titre étant consacré aux dispositions diverses .

A. SIMPLIFICATION DE LA CRÉATION D'ENTREPRISE (TITRE IER)

Initialement constitué de six articles, le titre Ier du projet de loi pour l'initiative économique en compte douze après son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, les deux derniers, relatifs respectivement au guichet social unique et au chèque-emploi entreprises, relevant du volet social.

Les dispositions de ce titre ont pour objet de contribuer à simplifier la création d'entreprise, non seulement en facilitant le démarrage de l'activité mais également en créant un climat de confiance et en sécurisant la situation de l'entrepreneur et de ses proches. Les mesures prévues bénéficient tantôt aux entrepreneurs individuels, tantôt aux créateurs d'entreprise ayant fait le choix de la forme sociétaire, parfois aux deux. Rappelons qu'en 2002, sur les 2,5 millions d'entreprises de l'industrie, du commerce et des services, 842.000 sont des SARL, soit 33,7 %, dont 82.000 entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL), et 1,38 million sont des entreprises individuelles, soit 55,6 %. On observe une forte augmentation de la proportion des SARL au cours des dix dernières années (elle n'était que de 27 % en 1994), cette évolution indiquant la préférence de plus en plus grande des entrepreneurs pour la forme sociétaire.

1) Les mesures bénéficiant à la création d'entreprise, que le choix du créateur se soit porté sur la forme individuelle de l'exercice de l'activité ou sur la forme sociétaire

- le récépissé de création d'entreprise (RCE) ( article 2 ) :

Délivré dès qu'un dossier complet de demande d'immatriculation aura été déposé, le RCE, qui comportera la mention d'un numéro délivré par l'INSEE, devrait faciliter le démarrage de l'activité en permettant, grâce à l'identification qu'il procure à l'entreprise en création, de procéder aux premières démarches indispensables telles que l'ouverture d'une ligne téléphonique ou l'obtention d'une boîte postale, actuellement fréquemment retardées par les délais d'obtention de l'extrait Kbis. Le projet de loi initial prévoyait que ce document serait délivré par le greffe du tribunal de commerce pour les personnes assujetties à l'inscription au registre du commerce et des sociétés et par la chambre des métiers pour les personnes assujetties à l'inscription au répertoire des métiers.

Bien que le répertoire des entreprises agricoles n'ait pas encore été créé, l'Assemblée nationale a souhaité prévoir la compétence des chambres d'agriculture pour délivrer le RCE aux créateurs d'entreprises agricoles. Elle a également, contre l'avis du Gouvernement, étendu la faculté de délivrer ce document aux centres de formalités des entreprises (CFE) en cas de création d'une société.

Considérant que seuls les greffes ont la capacité et sont légalement investis de la mission de vérifier la régularité juridique du dossier, même si celle-ci est sommaire à ce stade de la procédure (capacité du créateur, licéité de l'objet de la société), votre commission spéciale estime que la garantie d'une sécurité juridique impose sur ce point de revenir au projet de loi initial, les CFE conservant leur rôle de conseil et de guichet pour les multiples formalités à accomplir auprès des organismes administratifs et sociaux ;

- la possibilité d'effectuer une déclaration de création d'entreprise par voie électronique ( article 3 ) ;

- l' assouplissement des conditions de domiciliation des entreprises , au domicile de l'entrepreneur s'il s'agit d'une entreprise individuelle ou au domicile du représentant légal s'il s'agit d'une société ( article 4 ), et l'extension aux représentants légaux des personnes morales de la possibilité d'exercer une activité professionnelle dans une partie d'un local à usage d'habitation ( article 5 ) :

L'interprétation qui est faite des textes en vigueur limite aujourd'hui à deux années la durée de domiciliation possible. Dorénavant, cette durée sera illimitée pour l'entrepreneur individuel ne disposant pas d'un établissement lui permettant de nouer des relations avec sa clientèle, ce qui est fréquemment le cas des artisans qui exercent leur activité chez le client et disposent par ailleurs d'un simple atelier ou d'un local de stockage. La durée serait portée de deux à cinq ans pour les personnes morales afin d'éviter d'imposer à l'entreprise un déménagement à un moment où elle doit franchir un cap du fait la cessation des mécanismes d'aide à la création.

Sous réserve de la suppression d'une mention prêtant à confusion, dans la mesure où elle pourrait laisser croire que seuls les entrepreneurs individuels exerçant une activité itinérante pourraient bénéficier de l'extension des possibilités de domiciliation, votre commission spéciale souscrit pleinement au dispositif proposé ;

- le renforcement des garanties accordées à la caution envers un créancier professionnel ( article 6 ter ) :

Avec le souci de renforcer la sécurité juridique des personnes qui témoignent leur confiance au créateur d'entreprise en se portant caution de ses dettes professionnelles, l'Assemblée nationale a prévu, contre une interprétation restrictive de la jurisprudence, de généraliser le bénéfice de la procédure de surendettement à l'ensemble des dettes professionnelles dont une personne s'est portée caution. Cette mesure est en particulier de nature à protéger le conjoint de l'entrepreneur. Le dispositif prévoit en outre d'améliorer l'information de la caution envers un créancier professionnel en rendant obligatoires des mentions manuscrites destinées à lui faire prendre connaissance de l'étendue des engagements auxquels elle souscrit.

Dans le prolongement de ces dispositions et tout en estimant nécessaire d'éviter qu'un encadrement excessif du cautionnement n'aboutisse à un tarissement du crédit, votre commission spéciale vous propose de compléter ce dispositif de sécurisation de la caution personne physique envers un créancier professionnel en lui étendant des mécanismes actuellement réservés à des cas particuliers : l'exigence que le cautionnement d'une personne physique soit, à peine de déchéance, proportionné à ses biens et revenus (mesure en vigueur pour les cautions des opérations de crédit immobilier et de crédit à la consommation) ; l'exigence de limiter contractuellement la caution à un montant maximal lorsque la personne physique s'engage solidairement et renonce au bénéfice de la discussion (mesure en vigueur pour les seules personnes physiques garantes d'une dette professionnelle d'un entrepreneur individuel) ; l'obligation faite au créancier professionnel de délivrer à la caution une information annuelle sur le montant de la dette et le terme de l'engagement, et sur la faculté de révocation de l'engagement lorsque celui-ci est à durée indéterminée (cautionnement d'un concours financier accordé à une entreprise) ;

- la simplification de la procédure de mainlevée d'un nantissement de fonds de commerce ( article 2 bis ) :

L'Assemblée nationale a prévu d'alléger la procédure de radiation de l'inscription d'un nantissement de fond de commerce en autorisant qu'il y soit désormais procédé par un simple acte sous seing privé, dûment enregistré afin de lui conférer date certaine, et non plus par acte authentique.

2) Les mesures prévues en faveur des entreprises créées sous forme de sociétés

- la libre fixation par les statuts du montant du capital social ( article 1 er ) :

Partant de l'observation selon laquelle le seuil légal requis de 7.500 € pour créer une SARL ne remplit plus sa fonction de gage pour les créanciers, du fait de la faiblesse de son montant, et revêt un caractère arbitraire puisqu'il ne correspond à aucune nécessité économique, le projet de loi renvoie désormais aux statuts le soin de définir le capital social.

Votre commission spéciale approuve cette évolution qui conduit à son terme la logique d'un processus amorcé dans la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques prévoyant la faculté d'une libération du capital social échelonnée sur cinq ans. Elle tient cependant à souligner le danger de la formule de « la société à un euro », qui risque de conduire les créateurs « en herbe » à d'amères désillusions s'ils la prennent à la lettre, et rappelle qu'une des faiblesses caractérisant les entreprises françaises est l'insuffisance de leurs fonds propres, dont le capital constitue une des composantes ;

- l' exonération de droits fixes pour les opérations d'apports en capital effectuées dans les sociétés dotées d'un capital inférieur à 7.500 € ( article 1 er bis ) :

Cette mesure, adoptée par l'Assemblée nationale avec un avis de sagesse du Gouvernement, a pour objet d'encourager les augmentations de capital lorsque la société a été créée avec un capital initial inférieur à 7.500 €. Votre commission spéciale observe que, du fait de sa modicité, l'économie résultant de l'exonération des droits fixes de 230 € ne peut constituer une réelle incitation à un renforcement du capital et risque tout au plus de créer un effet d'aubaine en conduisant des entrepreneurs ayant la capacité de constituer une société avec un capital plus important à faire le choix d'un capital de départ à 7.499 € pour se réserver le bénéfice ultérieur de l'exonération le jour où ils effectueront une augmentation de capital. En outre, la disposition proposée fait référence au seuil de 7.500 € dont il a été démontré qu'il ne correspondait à aucune logique économique. Pour ces raisons, votre commission spéciale vous propose la suppression de l'article 1 er bis .

3) Les mesures prévues en faveur des entrepreneurs individuels

- la protection de la résidence principale par la déclaration d'insaisissabilité ( article 6 ) :

Le projet de loi permet à l'entrepreneur individuel de mettre à l'abri sa résidence principale en procédant devant notaire à une déclaration d'insaisissabilité des droits qu'il détient sur l'immeuble. Cette déclaration sera opposable aux créances nées à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant postérieurement à la publication de la déclaration à la conservation des hypothèques. Cette mesure protectrice diffère par son objet bien circonscrit de celle qui consisterait à créer un patrimoine professionnel d'affectation dont le Sénat, et en particulier votre commission des Lois au début de l'année 2000 ( ( * )1), ont estimé à l'occasion de l'examen de la proposition de loi n° 254 (1998-1999), présentée par M. Jean-Pierre Raffarin et plusieurs de ses collègues, que sa mise en oeuvre se heurterait à de trop importantes difficultés.

Sur cette disposition, l'Assemblée nationale a précisé que l'établissement de la déclaration donnerait lieu au versement aux notaires d'émoluments fixes et plafonnés et a prévu une information obligatoire du conjoint lors de la demande d'immatriculation de l'entreprise. Votre commission spéciale vous propose à son tour de modifier le dispositif pour en combler une lacune et garantir l'efficience de la protection du déclarant dans l'hypothèse d'une vente de la résidence principale et d'un remploi des sommes tirées de la vente ;

- l' extension aux entreprises individuelles du champ d'action des groupements de prévention agréés créés par la loi du 1 er mars 1984 sur la prévention et le règlement amiable des difficultés des entreprises ( article 6 bis ) :

Votre commission spéciale souscrit à cette disposition, introduite par l'Assemblée nationale, faisant bénéficier les entreprises individuelles de la possibilité, jusque-là réservée aux seules entreprises constituées sous forme de personne morale, d'adhérer à un groupement de prévention agréé qui, moyennant la fourniture d'informations comptables et financières, procède à un dépistage des difficultés et alerte le chef d'entreprise.

Outre ces observations et ces propositions de modifications, votre commission spéciale vous soumet un amendement qui insère un article additionnel après l'article 3 ayant pour objet d'améliorer l'efficacité des contrôles sur l'exercice de certaines activités artisanales en conformité avec les exigences légales relatives à la qualification . Les chambres de métiers seraient ainsi investies d'une mission d'alerte de l'autorité publique pour les anomalies qu'elles constateraient en la matière.

4) Les mesures visant à faciliter le recouvrement des cotisations sociales versées par les employeurs pour le compte de certains salariés

Les nombreuses déclarations sociales et fiscales auxquelles sont assujettis les entrepreneurs qui embauchent des salariés, ainsi que la multiplicité des caisses, des assiettes, des taux et des échéances qui caractérisent le dispositif actuel des assurances sociales, sont autant de complications qui découragent l'embauche, nuisent à l'emploi et favorisent le travail au noir (notamment dans le cas d'activité temporaire). Ces écueils sont particulièrement importants pour les travailleurs indépendants, les créateurs d'entreprises et les petites entreprises, et pénalisent notamment très fortement le recrutement du premier salarié. La simplification du système de déclarations et de recouvrement des cotisations sociales apparaît donc comme une véritable nécessité, ainsi que l'ont au demeurant reconnu le Premier ministre et le Gouvernement en prévoyant d'y procéder par voie d'ordonnances.

L'Assemblée nationale a toutefois voulu anticiper une telle réforme de quelques semaines en adoptant deux articles additionnels au présent projet de loi visant, respectivement :

- à la création d'un chèque-emploi entreprises ( article 6 quinquies ) : à la fois contrat de travail, bulletin de paie et déclaration sociale, ce document, inspiré du chèque-emplois services, vise à aider les petites entreprises à accomplir les formalités sociales liées à l'embauche et à l'emploi de leurs salariés. Il pourrait être utilisé au titre des salariés dont l'activité n'excède pas cent jours (consécutifs ou non) par an, ou des salariés relevant d'entreprises employant au plus trois équivalent temps plein ;

- à l' organisation , au profit des petites entreprises recourant à ce chèque-emploi entreprises, d'un service d'aide procédant notamment au calcul de l'ensemble des cotisations et contributions sociales et à leur recouvrement ( article 6 quater ) : ce service libérerait l'employeur des contraintes liées au calcul des cotisations et à l'établissement des déclarations sociales, et lui masquerait une partie de la complexité de l'organisation de notre système de protection sociale en lui permettant de disposer d'un interlocuteur unique.

Ces deux articles additionnels, qui sont intimement liés, ont été adoptés par l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission spéciale, malgré l'avis défavorable du Gouvernement qui en avait demandé le retrait. Rappelant en effet que le principe d'une telle mesure va figurer dans le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de simplification et de codification du droit, M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, avait souligné que « le recours à un amendement pour une mesure aussi importante a l'inconvénient d'empêcher toute consultation officielle des partenaires sociaux » , ajoutant que « le Gouvernement a une méthode qui prévoit un temps pour la concertation avec les partenaires sociaux et tous ceux qui peuvent être intéressés par telle ou telle mesure de simplification » .

L'analyse technique des articles 6 quater et 6 quinquies démontre que de nombreuses difficultés pratiques doivent encore être résolues pour permettre la mise en oeuvre générale, dans toutes les branches d'activités, de leurs dispositifs. En outre, les très nombreuses auditions auxquelles a procédé votre commission spéciale ont révélé qu'aucun dialogue préalable formel et précis n'avait été entrepris, ni avec les syndicats de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs, ni avec les divers organismes de sécurité sociale, sur ce nouveau mécanisme.

Il a donc semblé à votre commission spéciale que ce temps de la concertation était absolument nécessaire pour parvenir à réformer et simplifier de manière utile, c'est-à-dire efficace et pérenne. Aussi a-t-elle jugé opportun d'en revenir au moyen législatif et au calendrier initialement prévus par le Gouvernement, la voie des ordonnances paraissant être à la fois la plus sûre et la plus rapide pour instituer un dispositif technique pertinent qui allège effectivement les contraintes des petits entrepreneurs en matière de formalités liées aux assurances sociales. C'est pour ces raisons de procédure qu'elle vous propose donc de supprimer les articles 6 quater et 6 quinquies .

* (1) Rapport pour avis n° 201 (1999-2000) fait, au nom de la commission des Lois, par M. Paul Girod, sur la proposition de loi n° 254 (1998-1999) tendant à favoriser la création et le développement des entreprises sur le territoire ( v. pp. 33 et suivantes).

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