III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : APPROUVER L'ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE PROPOSÉE ET RAPPELER LA NÉCESSITÉ DE RÉPONDRE AUX DÉFIS DU RÉTABLISSEMENT DE LA SÉCURITÉ ET DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Lors de son audition devant votre commission des Lois, M. Nicolas Sarkozy mettait en exergue les trois défis auxquels la Corse était confrontée : le rétablissement de la sécurité, le développement économique et l'évolution institutionnelle. Aucun ne doit être négligé.

A. APPROUVER LES ORIENTATIONS PROPOSÉES

Trois options s'offraient à la Corse en matière institutionnelle : conserver la collectivité territoriale de Corse et les deux départements en cherchant à améliorer les mécanismes de concertation, prévoir l'absorption pure et simple des deux départements par la collectivité territoriale de Corse ou, comme le souhaite le Gouvernement, créer une collectivité territoriale unique mais déconcentrée. Cette dernière solution recueille pleinement l'assentime nt de votre commission des Lois car elle permet de concilier la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique.

1. Mettre fin à une situation peu satisfaisante

Avec une collectivité régionale à statut particulier, deux départements, six offices, neuf compagnies consulaires départementales ou régionales, probablement plus d'une centaine de commissions consultatives de différents niveaux, et un paysage intercommunal encore très fragmenté, se pose inéluctablement la question de la simplification de l'administration d'un territoire de 260.000 habitants. De fait, aucune vision d'ensemble n'a présidé à cette organisation née de textes successifs, en 1975, 1982, 1991 et 2002.

Votre rapporteur n'ignore pas les arguments en faveur du maintien des départements , qui lui ont été présentés lors de son déplacement dans l'île.

Il est vrai que, dans une région où l'intercommunalité est encore très fragmentaire, les conseils généraux jouent un rôle fondamental d'interlocuteur des communes , notamment en raison du rôle de proximité du conseiller général, responsable public identifié, présent sur le terrain, accessible. De même, les services départementaux assurent une fonction de proximité déterminante, en particulier dans le domaine social.

L'institution régionale, encore très récente, vient de bénéficier d'importants transferts de compétence qu'elle n'a pas encore complètement pris en charge. D'aucuns jugent donc prématuré de modifier en profondeur l'organisation de la Corse, alors que la loi du 22 janvier 2002 n'est pas encore complètement appliquée.

Enfin, le département est solide de son enracinement historique dans le paysage institutionnel. Il pourrait sembler injustifié de remettre en cause son existence alors que les lois de décentralisation à venir vont le faire bénéficier de nouvelles compétences, en particulier dans le domaine social.

Pourtant, l'état des lieux dressé dans le cadre des assises des libertés locales, qui sera approfondi par l'audit des trois collectivités en cours, révèle que la coexistence d'une collectivité territoriale et de deux départements emporte plusieurs inconvénients majeurs :

- des doubles emplois considérables et une part croissante des charges de personnel qui pèsent sur les dépenses de fonctionnement des collectivités, avec des ratios supérieurs une fois et demie à deux fois supérieurs à ceux des collectivités métropolitaines de même dimension, et restreignent leurs capacités d'investissement ;

- des disparités dans les politiques publiques entre la Haute-Corse et la Corse-du-Sud, qu'il s'agisse de l'attribution des aides sociales ou de l'effort d'équipement, tout particulièrement dans le domaine de la voirie ;

- des domaines d'intervention communs de la collectivité territoriale de Corse et des deux départements (voirie, aide aux communes, équipement rural, environnement etc....) qui se traduisent par des chevauchements de compétences d'autant plus regrettables qu'ils représentent une part significative dans les budgets d'investissement ;

- la part minoritaire des ressources propres issues de la fiscalité, pour les départements (près de 30 %) et surtout pour la collectivité territoriale de Corse (20 %), alors que la réforme constitutionnelle cherche à affirmer l'autonomie financière locale ;

- une complexité certaine pour beaucoup de porteurs de projets (communes, associations, entreprises) dans leur demande d'un soutien financier public, faute de guichet unique et de règles communes d'intervention ;

- une dilution des responsabilités .

Les structures de concertation mises en place par la loi générale de décentralisation de 1982 (commission d'harmonisation des investissements) et la loi du 22 janvier 2002 (commission de coordination des collectivités territoriales) n'ont guère fonctionné , à en croire le rapport de M. José Rossi présenté au nom de la commission spéciale chargée du suivi des réformes relatives à la Corse et adopté le 28 février dernier par l'Assemblée de Corse.

Comme le soulignait le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales devant votre commission des Lois, « les compétences nouvelles de la collectivité territoriale ne pourront être assumées pleinement que si une cohérence de décisions se met en place. Ce qui implique de créer un endroit où les priorités, les stratégies se décident pour toute la Corse. Actuellement les clivages politiques se superposent aux clivages territoriaux, et ces priorités n'apparaissent pas, alors que le progrès en dépend. La nécessité absolue de faire des choix pour la Corse nécessite l'institution d'une collectivité représentant l'île dans son ensemble capable de définir une stratégie cohérente, ambitieuse et globale pour l'île . »

2. Concilier la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique

Les orientations proposées pour modifier l'organisation institutionnelle de la Corse s'inscrivent pleinement dans le cadre de la nouvelle architecture des pouvoirs bâtie par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Brisant le carcan de l'uniformisation imposé par une centralisation séculaire, la révision constitutionnelle reconnaît enfin l'existence de situations différentes selon les collectivités territoriales et permet à ces particularités de s'épanouir au sein de la République.

La création d'une collectivité unique et déconcentrée en deux conseils territoriaux, qui se substituerait à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, loin de constituer la première étape sur le chemin d'une indépendance que l'immense majorité des Corses ne souhaite pas, contribuerait à enraciner la Corse dans la République en prenant pleinement en compte sa spécificité .

Les modifications proposées pour l'organisation institutionnelle de la Corse sont extrêmement profondes . Inspirées du statut de Paris, Marseille et Lyon, qui a fait la preuve de son efficacité, elles permettent de concilier la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique, invoquée à maintes reprises par le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin.

Conformément à l' exigence de proximité , les conseils territoriaux inscriraient leur action dans les limites territoriales actuelles des départements, et en exerceraient la plupart des compétences. Les communes et les habitants de Corse conserveraient ainsi des interlocuteurs bien identifiés et accessibles.

Conformément à l' exigence de cohérence et d'efficacité de l'action publique, ils seraient uniquement chargés de la mise en oeuvre de politiques définies par l'Assemblée de Corse, qui en serait seule responsable. Privés de la personnalité morale, du pouvoir fiscal et du droit de recruter des personnels, ils agiraient pour le compte de la collectivité unique, avec les moyens financiers et humains que celle-ci leur déléguerait. Surtout, la cohérence de l'action publique serait confortée par la double appartenance des élus à l'Assemblée de Corse et aux conseils territoriaux.

Il n'appartient bien évidemment pas aux orientations soumises aux électeurs de Corse de détailler les règles régissant l'organisation et le fonctionnement de la collectivité territoriale unique , en particulier les relations entre l'Assemblée et le conseil exécutif de Corse, d'une part, les conseils territoriaux et leurs présidents, d'autre part. Celles-ci devraient être précisées dans le projet de loi statutaire que le Gouvernement présenterait au Parlement à l'automne si le résultat de la consultation s'avérait positif. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le document présenté aux électeurs doit être suffisamment précis pour éclairer leur avis mais ne doit pas se transformer en un véritable projet de loi, sous peine de transformer la consultation en un référendum.

Enfin, il convient de souligner que la création d'une collectivité unique, le choix d'un mode de scrutin à la représentation proportionnelle dans le cadre d'une circonscription correspondant à l'ensemble de la Corse et l'application stricte du principe de parité entre hommes et femmes conduiraient à un renouvellement profond du personnel politique corse , très peu féminisé actuellement, qui constituerait sans doute le principal facteur de changement en Corse.

Tout en souscrivant pleinement aux orientations proposées, votre commission des Lois vous propose d'en clarifier la rédaction et vous soumet, à cet effet, un amendement de réécriture complète de l'annexe ayant principalement pour objet :

- de regrouper les dispositions concernant les organes de la collectivité unique, ses compétences, ses moyens et son chef-lieu ;

- de rassembler les dispositions relatives à l'organisation de la collectivité unique en deux conseils territoriaux ;

- de clarifier les règles relatives au mode de scrutin ;

- de distinguer les compétences de la collectivité unique, qui seraient exercées par l'Assemblée de Corse et le conseil exécutif, de leur mise en oeuvre, qui pourrait être confiée aux conseils territoriaux, ces derniers devant alors agir pour le compte, selon les règles et avec les moyens de la collectivité unique ;

- de créer un chapitre consacré uniquement aux conséquences de la création de la collectivité unique sur l'organisation de l'Etat.

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