CHAPITRE II
LE PATRIMOINE

Le présent chapitre organiserait la décentralisation des compétences en matière de patrimoine, en transférant la responsabilité de l'inventaire général du patrimoine culturel (article 72), la propriété de certains monuments protégés appartenant à l'Etat (article 73), et en permettant, à titre expérimental, le transfert de la gestion de crédits relatifs à la restauration et l'entretien de biens classés ou inscrits (article 74).

Article 72
Compétences en matière d'inventaire général du patrimoine culturel - Extension du « porter à connaissance » en matière d'urbanisme
aux études techniques relatives à l'inventaire général
du patrimoine culturel

Cet article tend à donner une base légale à l'inventaire général du patrimoine culturel, tout en transférant la réalisation à la région, sous la direction scientifique d'un organisme à caractère national .

1. Le droit en vigueur

L'inventaire général du patrimoine culturel, dénommé auparavant « inventaire général des richesses artistiques et monumentales de la France » a été créé en 1964, sous l'impulsion du Ministre de la culture de l'époque, André Malraux.

A cet effet, une commission nationale chargée de préparer l'établissement de l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France fut instituée par le décret n° 64-203 du 4 mars 1964. Pour autant, aucune définition légale de l'inventaire n'était donnée par ce texte.

Ce décret fut abrogé par le décret n° 85-410 du 3 avril 1985, actuellement en vigueur, relatif à la Commission nationale de l'Inventaire général de monuments et des richesses artistiques de la France. L'article premier de ce texte donne des indications indirectes sur la nature de l'Inventaire en énonçant en effet que la commission nouvellement instituée « émet des avis et formule des propositions sur l'organisation des travaux de recensement et d'étude concernant les biens culturels matériels ».

Le travail matériel d'inventaire est réalisé par les services déconcentrés du ministère de la culture . Dès 1964, le travail d'inventaire était ainsi conduit par des commissions régionales sous l'autorité du préfet. Il est actuellement exercé par les personnels des directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

Toutefois, les collectivités territoriales sont déjà associées au travail d'inventaire dans le cadre de conventions sous forme de fonds de concours, de mise à disposition de personnels, voire de création de services territoriaux de l'Inventaire.

L'avancement des travaux de l'inventaire est actuellement très inégal dans les différentes parties du territoire national. Si, dans certaines régions, l'inventaire est très avancé 116 ( * ) , dans d'autres il est encore parfois balbutiant. Ainsi, après près de 40 ans de fonctionnement, seules 9.181 communes ont été inventoriées de façon systématique et intégralement référencées dans les bases de données à caractère national que sont Mérimée, Palissy et Mémoire. A un tel rythme, il faudrait donc encore plusieurs dizaines d'années pour assurer l'inventaire exhaustif de tous les éléments du patrimoine français.

Conscient de cette situation, le législateur a, en 2002, institué un mécanisme d'expérimentation permettant aux collectivités territoriales qui le demandent d'assurer la conduite de l'inventaire sur leur territoire . L'article 111 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a ainsi autorisé ces collectivités à solliciter un transfert de compétence, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi et pour une durée maximum de trois ans.

La commission « Patrimoine et décentralisation », présidée par M. Jean-Pierre Bady, a néanmoins préconisé une décentralisation pure et simple, sans expérimentation, de l'inventaire général, l'Etat conservant toutefois une compétence en matière de contrôle scientifique et technique sur les opérations d'inventaire 117 ( * ) . Le présent article reprend, pour l'essentiel, ces orientations.

2. Le dispositif proposé par le projet de loi

a) La définition formelle de l'objet de l'Inventaire

? Le premier paragraphe (I) du présent article définirait pour la première fois dans un texte juridique le contenu de l'inventaire général du patrimoine culturel .

L'inventaire aurait désormais pour objet de « recenser, d'étudier et de faire connaître les éléments du patrimoine » qui présentent un intérêt « scientifique, culturel ou pour l'aménagement des territoires ».

Une telle définition correspondrait, en définitive, aux caractères et à l'objet actuels de l'inventaire. Ainsi, dans une notice de présentation de l'inventaire, publiée en 1964, celui-ci était défini comme consistant « dans un contexte de recherche scientifique pure, excluant toute préoccupation d'ordre administratif ou fiscal, à recenser, à étudier et à faire connaître toute oeuvre qui, du fait de son caractère artistique, historique ou archéologique constitue un élément du patrimoine national ». 118 ( * )

De fait, l'inventaire général du patrimoine culturel porte actuellement sur :

- des éléments immobiliers (édifices de tous ordre et objets réputés immeubles par destination, tels que portails sculptés, vitraux, retables, etc...) ;

- des éléments mobiliers (tableaux, collections, oeuvres précieuses, plans, pièces d'archives intéressant l'art français, etc...).

La nature de l'inventaire ne se trouverait donc pas véritablement modifiée par la définition donnée par le présent article. Mais ce dernier donnerait désormais une définition claire de la mission qui lui est dévolue par les pouvoirs publics.

b) La répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'Etat

? Le deuxième paragraphe (II) confierait à la région ou à la collectivité territoriale de Corse la responsabilité de la conduite de l'inventaire sur son territoire.

Qualifiée par la commission « patrimoine et décentralisation » de « facteur certain de dynamisme », 119 ( * ) la décentralisation de la conduite des travaux d'inventaire aux collectivités territoriales ne peut qu'être approuvée .

En revanche, votre commission s'interroge sur le choix de la région comme collectivité territoriale responsable .

- L'octroi de la compétence à la région

La commission Bady avait justifié le choix de la région, comme bénéficiaire du transfert de compétences, par des considérations à la fois juridiques et techniques.

D'une part, la région est d'ores et déjà responsable de l'aménagement du territoire 120 ( * ) et du tourisme. 121 ( * ) Or, dans une mesure importante, la conduite d'un inventaire patrimonial peut constituer un moyen réel de connaissance du territoire régional et le point de départ d'actions particulières en matière touristique ou d'aménagement du territoire.

En outre, la région a été chargée, par l'article 109 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 sur la solidarité et le renouvellement urbains d'effectuer l'inventaire des richesses naturelles.

D'autre part, au titre des considérations plus techniques, le cadre régional correspondrait mieux à l'actuelle répartition des effectifs chargés de conduire les travaux d'inventaire pour le compte de l'Etat. Ces personnels sont regroupés dans les directions régionales de l'action culturelle et leur caractère interdisciplinaire pourrait rendre complexe et inefficace leur répartition au niveau départemental.

Le choix de la région est retenu dans le présent projet de loi. Celle-ci serait responsable de l'inventaire sur son territoire. Dans ce cadre, elle serait tenue d'élaborer un rapport annuel recensant les opérations d'inventaire effectuées durant l'année écoulée.

Toutefois, l'Etat conserverait la possibilité de réaliser certaines opérations en la matière au plan national. En effet, plusieurs actions peuvent être conduites par l'Etat en matière d'inventaire des richesses culturelles de la France. Le ministère de la culture peut ainsi entreprendre, avec d'autres ministères, des opérations d'inventaires. 122 ( * ) Les unités mixtes de recherche du Centre national de la recherche scientifique peuvent également entamer certaines opérations. Enfin, l'Etat met en oeuvre certaines politiques de recensement programmées au niveau européen 123 ( * ) . Le transfert de compétence en matière d'inventaire général ne doit pas faire obstacle à l'exercice de telles actions.

Votre commission des Lois estime que la responsabilité de l'inventaire doit être donnée au niveau de collectivités territoriales le plus pertinent. Il convient, en effet, de déterminer si la région est la mieux à même d'assurer le développement des opérations d'inventaire sur l'ensemble du territoire national. Sur ce point, v otre commission estime préférable de transférer la charge en matière d'inventaire aux départements.

Cette position était déjà celle de la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par M. Pierre Mauroy, qui avait préconisé « le transfert de la compétence en matière d'inventaire aux départements avec transfert des personnels concernés » 124 ( * ) . Telle était également la position de la mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation, présidée par M. Jean-Paul Delevoye 125 ( * ) .

Votre commission souligne que les départements ont, lors des assises des libertés locales, sollicité l'octroi de cette compétence. Dans certains départements, les opérations d'inventaire sont ainsi largement avancées 126 ( * ) . En outre, certains départements ont d'ores et déjà créé, au sein de leurs services, des postes dans le domaine de l'inventaire. Ainsi, l'Isère a créé une équipe de onze personnes chargée d'assurer les opérations d'inventaire général du patrimoine, le Maine-et-Loire, quatre emplois, et le Cher trois emplois.

Il serait contre-productif d'enlever aux départements des responsabilités qu'ils ont jusqu'ici exercées avec maîtrise et pour lesquels ils revendiquent à juste titre une compétence.

Votre commission des Lois vous soumet, en conséquence, un amendement tendant à attribuer la compétence en matière d'inventaire aux départements.

- La délégation de l'exercice de la compétence à d'autres collectivités territoriales

Le texte proposé autoriserait la région ou la collectivité territoriale de Corse à confier aux collectivités territoriales qui lui en feraient la demande, la conduite des opérations d'inventaire sur leur territoire. A cet effet, les collectivités intéressées concluraient des conventions avec la région. Par cette délégation, la conduite effective des travaux d'inventaire serait contractuellement confiée aux départements ou aux communes qui le souhaiteraient.

L'amendement présenté par votre commission des Lois, tendant à octroyer aux départements la compétence en matière d'inventaire, prévoit, par coordination la suppression de la possibilité de leur déléguer l'exercice de cette compétence, ce dispositif étant devenu sans objet.

? Le troisième paragraphe (III) du présent article prévoirait un encadrement de l'Etat sur les conditions d'élaboration de l'inventaire ainsi que sur les conditions de diffusion et de conservation des données recueillies .

La commission « patrimoine et décentralisation » avait souligné l'intérêt d'un tel encadrement.

Il importe en effet qu'une coordination soit effectuée au niveau national afin que les différents travaux d'inventaire conduits dans chaque collectivité territoriale puissent être facilement rassemblés afin d'aboutir à une oeuvre de dimension nationale. Par ailleurs, il semble plus réaliste d'assurer la diffusion des résultats de l'inventaire au niveau national.

Dans ce contexte, le présent paragraphe prévoirait qu'un décret en Conseil d'Etat fixerait :

- les normes d'inventaire ;

- les conditions de diffusion et de conservation des informations recueillies.

Dans tous les cas, le texte préciserait que les informations recueillies lors des opérations d'inventaire seraient remises à l'Etat en vue de leur mise à disposition au public. Ainsi, ces informations permettraient d'alimenter les bases de données existantes telles que Mérimée ou Palissy. Cette remise n'entraînerait aucun droit, notamment au titre de la propriété intellectuelle, au profit des collectivités ayant recueillies ces données.

Le second alinéa du présent paragraphe prévoirait l'exercice d'un contrôle « scientifique et technique » de l'Etat sur les opérations d'inventaire. Un contrôle de la qualité de l'inventaire s'avère en effet nécessaire, et par souci de cohérence, il convient qu'il soit assuré par l'Etat. Les modalités de ce contrôle seraient fixées par décret en Conseil d'Etat.

c) L'institution de conseils scientifiques régionaux de l'inventaire général du patrimoine culturel

? Le quatrième paragraphe (IV) du présent paragraphe instaurerait, dans chaque région, un organisme à vocation scientifique ayant pour objet de délivrer des avis sur toute question relative à l'inventaire général du patrimoine.

Ce conseil serait compétent pour donner deux types d'avis :

- un avis sur le programme d'inventaire dans la région et l'évaluation de ses résultats, qui serait donné chaque année lors de l'établissement du programme d'action. A cet effet, il serait d'ailleurs rendu destinataire du rapport annuel élaboré par la région retraçant les opérations d'inventaire ayant eu lieu sur le territoire ;

- plus généralement, un avis sur toute question relative à l'inventaire du patrimoine à la demande du préfet de région, du président du conseil régional ou de l'exécutif d'une collectivité conduisant ou souhaitant conduire une opération d'inventaire sur son territoire.

Une délibération du conseil régional fixerait la composition et les modalités de désignation des membres de ce conseil.

Votre commission des Lois estime que la création de ce nouvel organe, dans chaque région, serait un facteur d'alourdissement de la procédure d'inventaire général du patrimoine. En outre, les régions devraient avoir, au niveau de l'administration centrale, les interlocuteurs -notamment au sein de la DAPA ou d'un conseil scientifique créé par décret au niveau national- susceptibles de répondre à leurs interrogations en matière scientifique.

Elle vous propose, en conséquence, de supprimer par amendement ces conseils scientifiques régionaux de l'inventaire général du patrimoine.

d) Direction des services chargés des opérations d'inventaire

Le cinquième paragraphe (V) du présent article imposerait des conditions de capacité professionnelle particulières pour la personne chargée de la direction des services des collectivités territoriales compétents en matière d'inventaire .

La direction des opérations d'inventaire sur le terrain implique en effet un savoir-faire particulier. Pour être totalement exhaustives et exploitables, les opérations de recensement doivent être conduites de manière scientifique.

En conséquence, le texte proposé prévoit que la direction des services chargés des opérations d'inventaire du patrimoine serait confiée :

- soit à un membre de l'un des corps ou cadres d'emplois de fonctionnaires ayant vocation à exercer des missions à caractère scientifique liées au patrimoine culturel. Il s'agirait, en particulier, du corps des conservateurs du patrimoine et d'attachés de conservation de la fonction publique territoriale, ainsi que du corps des conservateurs du patrimoine ou des architectes urbanistes de la fonction publique d'Etat.

- soit à une personne titulaire d'un diplôme figurant sur une liste définie par décret en Conseil d'Etat. Dans cette liste pourraient figurer le diplôme de fin d'études délivré par l'Ecole du Louvre et le diplôme d'architecte DPLG.

e) Transfert des droits et obligations des conventions passées avec l'Etat dans le domaine de l'inventaire

? Aux termes du sixième paragraphe (VI) du présent article, il y aurait transfert aux régions des droits et obligations résultant, pour l'Etat des conventions qu'il aurait conclu avec des collectivités territoriales ou leurs groupements afin d'assurer les travaux d'inventaire .

En effet, les services de l'Etat ont développé une politique contractuelle permettant d'associer et de faire participer les communes, les départements et leurs groupements aux travaux en matière d'inventaire du patrimoine culturel.

Une centaine de conventions -qui peuvent être des conventions spécifiques, des conventions de développement culturel ou d'agglomérations- ont, à ce jour, été conclues entre l'Etat et les collectivités territoriales pour la conduite des opérations d'inventaire. Elles lient l'Etat aux régions, départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale ou parcs naturels. 127 ( * )

Dans la mesure où, par un précédent amendement, votre commission a proposé de substituer la compétence du département à celle de la région en matière d'inventaire, elle vous propose, par coordination, un amendement tendant à prévoir le transfert des droits et obligations résultant de ces conventions au profit du département .

f) Extension du « porter à connaissance » en matière d'urbanisme aux études techniques en matière d'inventaire général du patrimoine culturel

? Le septième et dernier paragraphe (VII) du présent article modifierait l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme afin de prévoir que le préfet porterait désormais à la connaissance des communes et de leurs groupements les études techniques relatives à l'inventaire général du patrimoine culturel.

Cette disposition du code de l'urbanisme, résultant de la révision opérée par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 sur la solidarité et le renouvellement urbain, impose en effet au préfet de département de porter à la connaissance des autorités chargées de la délivrance des autorisations en matière d'urbanisme « les informations nécessaires à l'exercice de leurs compétences ».

Il s'agit, avant tout, des informations à caractère juridique qui sont susceptibles d'avoir des incidences sur l'occupation des sols. 128 ( * )

Toutefois, cette transmission d'informations assurée par le préfet s'étend également à des documents de nature purement technique. Le troisième alinéa de l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme dispose actuellement que le préfet porte « notamment » à la connaissance des communes et groupements les « études techniques dont dispose l'Etat en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement ».

L'objet du présent paragraphe serait donc d'assurer également la transmission par le préfet des études techniques effectuées en matière d'inventaire général du patrimoine et ce, conformément aux propositions présentées par la commission Bady. 129 ( * )

Les considérations en matière de patrimoine culturel peuvent en effet être prises en compte par les autorités compétentes en matière d'urbanisme lors de la détermination des plans locaux d'urbanisme, voire lors de la délivrance d'autorisations individuelles.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 72 ainsi modifié.

* 116 Tel est le cas, en particulier, en région Bretagne et en région Haute-Normandie.

* 117 « Pour une politique nationale du patrimoine », rapport de la Commission « Patrimoine et décentralisation », remis le 18 novembre 2002 au ministre de la culture.

* 118 L'inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Imprimerie nationale, 1964, p. 17.

* 119 Rapport précité, p. 17.

* 120 Voir le 2 ème alinéa de l'article L. 4221-3 du code général des collectivités territoriales.

* 121 Article 33 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.

* 122 Comme, par exemple, l'inventaire des phares et balise, conduit conjointement avec les services du ministère de l'équipement.

* 123 Comme, par exemple, l'inventaire du patrimoine industriel.

* 124 Proposition n° 29 du rapport au Premier ministre : « Refonder l'action publique locale ».

* 125 Proposition n° 33. Voir également le rapport précité, p. 529.

* 126 Tel est le cas : du Loir-et-Cher, de la Seine-Maritime, du Maine-et-Loire, des Yvelines, ou du Val-de-Marne

* 127 Ainsi, des conventions ont été conclues avec 8 régions, 35 départements, 35 communes, 9 établissements publics de coopération intercommunale et 8 parcs naturels.

* 128 Par exemple, existence d'un schéma de cohérence territorial (SCOT), d'un projet d'intérêt national ou d'une directive territoriale d'aménagement couvrant tout ou partie du territoire communal.

* 129 Rapport précité, p. 19.

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