EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une séance tenue dans la matinée du 16 octobre 2003, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a examiné les crédits des affaires européennes (article 41), sur le rapport de M. Denis Badré, rapporteur spécial.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a introduit son propos en indiquant que l'ordre de grandeur du prélèvement sur recettes au profit du budget européen était aisément mémorisable, puisqu'il s'élevait à l'équivalent d'environ 100 milliards de francs (16,4 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2004), pour un budget communautaire de 100 milliards d'euros. Ce prélèvement représentait 6,5 % des recettes fiscales nettes, ce qui en faisait un enjeu budgétaire non négligeable.

Il a précisé que le prélèvement européen avait été chroniquement surestimé de 1989 à 2002, mais qu'une rupture de tendance s'était amorcée en 2003 avec une sous-estimation de la prévision du prélèvement par rapport à l'exécution, ce qui contribuait à accroître encore la pression sur le budget français dans une phase conjoncturelle difficile. La surestimation des besoins avait été notamment due à la sous-exécution de certains programmes communautaires, en particulier des fonds structurels, dont l'insuffisant niveau d'exécution depuis de nombreuses années constituait un vrai sujet de préoccupation. Il a ainsi considéré que les modalités d'attribution de ces fonds devaient être recentrées et redéfinies au profit des régions manifestant un réel retard de développement. Il a ajouté qu'à long terme, du point de vue de l'intérêt strictement budgétaire de la France, cela impliquerait de renoncer aux fonds structurels plutôt qu'à la politique agricole commune (PAC), dans la mesure où les retours nets étaient négatifs pour les premiers et largement positifs, d'environ 3 milliards d'euros, pour la seconde ; mais qu'avant tout l'intérêt de l'Europe consisterait à se focaliser sur de grands projets structurants plutôt que sur des programmes d'intérêt local.

Il a constaté que le mécanisme de correction britannique prenait des proportions « démesurées », voyait ses justifications originelles perdre de leur actualité, et se révélait de surcroît « contagieux » puisque d'autres pays avaient obtenu un dispositif semblable, ce qui allait à l'encontre de la solidarité européenne. Evoquant la proposition de la Commission portant sur un mécanisme de correction généralisé, il a estimé que cette solution était vraisemblablement la moins mauvaise mais ne saurait être pérennisée. Il a ensuite rappelé que le mécanisme du prélèvement sur recettes, qui n'était pas prévu par l'ordonnance organique de 1959, s'était imposé de manière empirique et avait fait l'objet d'une validation a posteriori par le Conseil constitutionnel en 1982, mais était aujourd'hui clairement prévu et encadré par l'article 6 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Après avoir fait part de sa satisfaction sur la réelle modération dont faisait preuve le projet de budget européen pour 2004 en dépit de l'élargissement à dix nouveaux pays, avec une hausse des crédits de paiement et des crédits d'engagement limitée respectivement à 2,7 % et 12,3 %, M. Denis Badré, rapporteur spécial , a insisté sur la nécessité de définir un cadre financier précis pour les prochaines perspectives pluri-annuelles à compter de 2007, et sur le fait qu'on ne pourrait plus longtemps éluder la nécessité de vraies ressources propres européennes, d'un gouvernement économique efficace et d'une harmonisation fiscale. Il a en outre considéré que la réforme de la PAC décidée en juin de cette année n'était pas appropriée, que la politique européenne de recherche était peu efficace, et que le financement des réseaux transeuropéens de transport devait être considérablement accru, en particulier pour développer des projets structurants tels que les percées alpines, qui contribuaient à rapprocher le nord et le sud de l'Europe, dimension au moins aussi importante que l'élargissement à l'est.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Maurice Blin , se référant au cas d'un projet interrégional impliquant la Belgique et le nord de la France, s'est en premier lieu interrogé sur le niveau réel de consommation des fonds structurels en France, qui serait d'après lui passé d'un stade de sous-consommation à un sur-engagement des crédits jusqu'en fin de période de programmation, soit 2006, estimant au cas d'espèce que les actions de mobilisation des projets conduites par les préfectures régionales avaient, en effet, permis un véritable « appel d'air ». Il a néanmoins déploré que les paiements européens fussent particulièrement tardifs. Il s'est en outre demandé si les dispositions financières du projet de Constitution européenne allaient exercer une incidence sur les pouvoirs budgétaires du Parlement européen. Il a enfin considéré que l'élargissement conduirait nécessairement à « raboter » l'éligibilité des régions de l'Europe des Quinze aux fonds structurels, et que les perspectives de cette évolution majeure demeuraient aujourd'hui particulièrement floues.

M. François Marc , partageant certaines remarques formulées par M. Maurice Blin , a estimé que les élus locaux s'étaient largement laisser « convaincre » par les préfectures, de telle sorte que le trop grand nombre de projets désormais validés provoquait un « goulot d'étranglement » sur les nouvelles propositions de financement. Evoquant l'initiative franco-allemande de développement de grandes infrastructures européennes et les projets de la Commission dans ce domaine, il s'est interrogé sur les sources de financement et les marges de manoeuvre disponibles pour un programme de cette ampleur. Il a enfin constaté que les services bruxellois recelaient un nombre « pléthorique » de collaborateurs, et s'est demandé s'il existait au sein de la Commission une démarche de modernisation publique analogue à celle induite par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, de nature à permettre de juger la cohérence et la nécessité de ces nombreux postes.

M. Aymeri de Montesquiou a, pour sa part, relevé la permanence de la sous-consommation des crédits européens dans son département, celui du Gers, et a souhaité connaître l'état de la réflexion sur la mise en place d'un impôt européen.

M. Jean Arthuis, président , a indiqué qu'une récente réunion avec le Président du Parlement européen et plusieurs députés de cette institution chargés des questions budgétaires, lui avait donné le sentiment que ces derniers montraient un « sens perfectible de la responsabilité budgétaire », dans la mesure où ils avaient à cette occasion semblé se soucier avant tout de relever le plus possible le montant des crédits versés pour la reconstruction de l'Irak, sans se préoccuper de l'existence des moyens financiers disponibles à cette fin. Il s'est également demandé si les fonds structurels étaient réellement conformes à la vocation de l'Union européenne, qui se révélait par ailleurs incapable de relancer la croissance, et ne constituaient pas une forme parfois absurde d' « antisubsidiarité », dans la mesure où ils constituaient des subventions à des opérations d'envergure réduite, assorties de mécanismes de redistribution trop complexes. Il a en outre considéré que le niveau de rémunération et d'imposition des fonctionnaires européens méritait un examen attentif, et a estimé que l'élargissement allait probablement conduire à des dérives budgétaires à moyen terme.

En réponse à M. Jean Arthuis, président, M. Denis Badré, rapporteur spécial, a rappelé que le mode d'élection des députés européens dans certains pays, et en particulier en France, les dispensait de manifester un attachement prononcé à des projets locaux, et que le Parlement européen ne votant pas les recettes était donc naturellement incliné à accroître les dépenses. Il a estimé que l'Europe n'aurait pas de réelle existence politique tant que ce cadre perdurerait, et que les dépenses et recettes devaient, par conséquent, être votées à un même niveau institutionnel. Puis, évoquant sa participation à la Conférence des organismes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) du 7 octobre 2003, il a souligné le consensus qui s'y était manifesté quant à la nécessité de ne pas modifier substantiellement le projet de Constitution, et il a appelé de ses voeux la mise en place d'une véritable gouvernance économique européenne. Il a ensuite confirmé que le « principe d'additionnalité » des fonds structurels tendait à s'opposer au « principe de subsidiarité », et que la présence de divers niveaux décisionnels investis des mêmes tâches induisait une perte de temps dans le traitement des dossiers. Il a, à cet égard, regretté que la France demeure trop attachée à la présence de ses ressortissants aux échelons les plus élevés de la hiérarchie, et se soucie moins de la faible implantation française aux niveaux plus opérationnels.

Répondant à M. Maurice Blin , il a estimé que les dispositions budgétaires du projet de Constitution demeuraient d'un impact limité, mais qu'on ne pourrait sans doute pas aller plus loin dans ce domaine.

Reprenant les propos de M. François Marc sur les effectifs de fonctionnaires européens, il a indiqué, à titre d'exemple, que l'élargissement impliquait des traductions simultanées en dix-sept langues et occasionnerait donc des coûts administratifs élevés, en dépit, dans certains cas, de traductions intermédiaires en anglais ou en français.

S'adressant à MM. Maurice Blin et François Marc, M. Denis Badré, rapporteur spécial , a ensuite souligné qu'une distinction devait être opérée entre engagement et paiement des crédits d'actions structurelles, la situation française actuelle consistant en effet à « saturer » les crédits d'engagement pour des paiements devant intervenir ultérieurement. Il a estimé que l'intérêt budgétaire de la France aurait été de « renationaliser » la politique structurelle il y a quelques années, d'autant que les versements en France allaient diminuer en raison de l'intégration des nouveaux Etats membres. Les enjeux de la PAC étaient selon lui différents et ne justifiaient pas une renationalisation, dans la mesure où l'agriculture relevait d'un choix de société opéré dès les origines de la construction européenne, et où l'échelon pertinent de gestion des complexes mécanismes de cette politique devait rester communautaire.

En réponse à M. Aymeri de Montesquiou , il a rappelé que le financement du budget communautaire était désormais très majoritairement assis sur les cotisations des Etats membres au titre des ressources PNB et TVA, et non plus sur de réelles ressources propres, prévues dès l'origine pour être déconnectées du poids économique relatif de chaque pays. La prépondérance de la ressource PNB avait selon lui conduit à focaliser l'attention des gouvernements sur la problématique des « retours nets », et partant, à multiplier les demandes de mécanismes correcteurs. Il a considéré que ce contexte pouvait justifier la création d'un véritable impôt européen, dont l'assiette - TVA, taxe sur les produits pétroliers ou impôt sur les bénéfices des sociétés par exemple - devrait néanmoins faire l'objet de débats. Un tel impôt n'était cependant, selon lui, concevable qu'en substitution d'un impôt national, et pour autant que soit préalablement bien identifiée la nouvelle compétence communautaire qu'il contribuerait à financer.

M. Jean Arthuis, président , s'est alors demandé si les cultures fiscales des Etats membres étaient suffisamment homogènes et propices à l'égalité des citoyens européens devant l'impôt. Il a également considéré qu'un impôt européen devrait être assis sur la consommation, ce qui permettrait, notamment, de compenser la sous évaluation de la livre sterling.

Mme Marie-Claude Beaudeau a exprimé son opposition à une telle assiette.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a alors conclu que, du fait des différences d'assiette et de taux qui perduraient en Europe, une harmonisation fiscale constituait un préalable nécessaire à toute tentative d'établissement d'un impôt européen.

La commission a alors adopté l'article 41 sans modification.

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