C. LE DÉFICIT DE L'ASSURANCE MALADIE, ÉCHEC DES LOIS DE FINANCEMENT ?

En 1996, confronté à un déficit important de l'ensemble des régimes de sécurité sociale, le gouvernement d'Alain Juppé a décidé la mise en oeuvre par ordonnance d'un plan visant à réformer profondément la gestion de la sécurité sociale.

Son volet institutionnel comprenait la création des lois de financement de sécurité sociale, lois financières votées annuellement par le Parlement et fixant les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de chacune des branches de la sécurité sociale (maladie, famille, vieillesse).

En matière d'assurance maladie, le dispositif repose sur l'ONDAM, Objectif national de dépenses d'assurance maladie, qui constitue en quelque sorte le budget alloué par la Nation à la prise en charge des soins de santé.

Dans son rapport, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a dressé un bilan sévère de l'apport des lois de financement :

«La loi de financement de la sécurité sociale et l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie ont été institués en 1996 dans l'objectif d'assurer un meilleur pilotage de l'équilibre financier en amont de l'ONDAM qui permettrait une approche réaliste et éclairerait le vote du Parlement. Des objectifs chiffrés pouvaient apparaître dès le vote comme irréalistes et aucun instrument de correction n'était prévu. Ces défauts ont progressivement discrédité le vote de la loi. »

Votre commission, qui a pris l'initiative dès 1999 de formuler des propositions visant à parfaire cet outil de pilotage des finances sociales, ne saurait souscrire entièrement au bilan formulé par le Haut conseil, ou tout du moins sans l'atténuer par trois séries de considérations :

- en premier lieu, elle estime que si les lois de financement n'ont pas permis à elles seules au régime d'assurance maladie d'atteindre l'équilibre, elles ont facilité, pour les deux autres branches de la sécurité sociale, le rétablissement d'une situation financière très compromise. Lois financières, les lois de financement interdisent désormais le vote de mesures significativement coûteuses en matière sociale sans que celles-ci trouvent leur contrepartie budgétaire ;

- en deuxième lieu, elle considère que l'échec des lois de financement à rétablir l'équilibre financier de l'assurance maladie et du régime général dans son ensemble, doit beaucoup aux traditions de pilotage budgétaire en vigueur dans notre pays ;

- en troisième lieu, elle rappelle qu'un budget ne saurait être respecté s'il n'est accompagné d'instruments de régulation. La gestion du budget de l'État en témoigne. Or, ces instruments de régulation ont fait gravement défaut au respect de l'ONDAM.

1. L'impossible autonomie des finances sociales

La création des lois financement de la sécurité sociale portait en elle-même le principe d'une autonomie des finances sociales par rapport aux finances de l'État.

Cette innovation devait autant au constat de l'incapacité du ministère du budget à assurer une tutelle effective des comptes sociaux qu'à la nécessité de répondre aux griefs persistants des partenaires sociaux tenant à l'existence de « charges indues » pesant sur ces comptes (c'est-à-dire des dépenses ne relevant pas de la sécurité sociale ou de pertes de recettes pour cette dernière décidées par l'État dans le cadre de sa politique fiscale).

Ce reproche avait déjà suscité une réponse du Gouvernement. Ainsi, lors du plan de redressement de l'assurance maladie décidé en 1993, le président de la CNAM avait estimé à 30 milliards de francs le montant de ces charges indues. La loi, votée à l'initiative de Simone Veil en juillet 1994, a alors posé la règle de la compensation intégrale par le budget général des exonérations de cotisations décidées par l'État .

En contrepartie de leur responsabilisation, les partenaires sociaux étaient de ce fait légalement assurés que les recettes et les missions dévolues à la sécurité sociale ne subiraient désormais plus les atteintes du budget.

Les lois de financement répondaient au même souci. Mais pour être efficaces, elles réclamaient une nouvelle pratique dans la construction budgétaire. Les prévisions de recettes et de dépenses des organismes sociaux devaient être établies indépendamment de la construction du budget de l'État, chacune des deux grandes masses financières devant trouver son équilibre indépendamment l'une de l'autre.

Les traditions séculaires de l'appareil d'État et les nécessités politiques de « calibrer » l'affichage des déficits budgétaires ont fait échouer cette réforme. Le budget de l'État ne pouvant à l'évidence se désintéresser de la situation des comptes sociaux lorsque celle-ci affiche des excédents, les gouvernements ont continué à puiser dans cette cagnotte accessible. Le financement des exonérations de charges liées aux 35 heures a participé de cette pratique. Au nom de la synthèse budgétaire, les excédents sociaux ont été « recyclés » pour permettre de minorer l'affichage du déficit de l'État.

Cette situation n'est pas anecdotique car elle explique que la majeure partie des excédents qui auraient dû être dégagés par les comptes sociaux en période de forte croissance a été captée. Or, si les régimes ne sont pas en mesure de constituer des réserves financières dans les phases hautes du cycle économique, ils ne peuvent en contrepartie financer les déficits conjoncturels dans les phases basses.

Ce phénomène procède d'un éternel recommencement. Le déficit du budget général est permanent depuis 1980. Les comptes sociaux, qui ne supportent pas la charge d'amortissement de leurs dettes, financent certaines dépenses de l'État de manière directe ou indirecte lorsqu'ils en ont les moyens. Lorsqu'eux-mêmes se trouvent en déficit, un plan d'économie est élaboré.

Ce phénomène est dénoncé par les partenaires sociaux. Il est nuisible car il masque les réformes nécessaires dans l'État - qui préserve son train de vie en recourant à des expédients - et sape la légitimité des réformes devant être entreprises dans le champ de la sécurité sociale. Pourquoi les acteurs, gestionnaires ou assurés consentiraient-ils des efforts s'ils ont le sentiment que les bénéfices leur sont soustraits ?

La notion de périmètre maastrichtien rend pourtant inutile cette méthode de pilotage budgétaire. Paradoxalement, la référence aux critères de Maastricht sert régulièrement d'alibi à la poursuite de ces pratiques, au nom d'une consolidation prétendument nécessaire des comptes. Cette consolidation n'a guère de sens : si les équilibres sont atteints sur chacun des budgets (État, organismes sociaux et collectivité locales), l'équilibre global des finances publiques sera nécessairement atteint aussi.

Pour l'heure, le projet de loi prévoit la reprise par la CADES d'un montant de dette cumulée pour les exercices 1998-2004 de 35 milliards d'euros. Or, une fraction significative de cette dette résulte de déficits en réalité imputables à l'État.


Comment évaluer le préjudice de la sécurité sociale ?

Depuis 1999, les finances sociales ont été victimes de perturbations qui expliquent une partie significative des déficits actuels (régime général en 2004 - 14 milliards d'euros) et de la dette cumulée (- 35 milliards d'euros). Ceux-ci sont partiellement dus à deux facteurs, le financement des 35 heures et les reclassements de recettes et de dépenses, visant à faire financer par la sécurité sociale des dépenses relevant du budget de l'État.

Quatre raisons expliquent la difficulté d'évaluer précisément le préjudice financier subi par la sécurité sociale :

- cette évaluation impliquerait un tri entre les opérations de débudgétisation classique et celles relevant du « recyclage des excédents » (débudgétisation de la dette de l'État à l'égard des régimes complémentaires AGIRC - ARRCO, débudgétisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire) ;

- certaines pertes de recettes ont donné lieu à des « compensations croisées » rendant le préjudice net de ces compensations difficiles à chiffrer en raison d'une déformation progressive au fil du temps, résultant du dynamisme variable des recettes respectivement affectées et retirées ;

- le schéma a été modifié dans chaque loi de financement - et parfois de manière rétroactive (comme le montant de droits sur les alcools affectés finalement au FOREC sur l'exercice 2000) ;

- des augmentations de prélèvements obligatoires ont été affectées à la sécurité sociale au cours des différents exercices - notamment les droits sur les tabacs à la CNAMTS ou la C3S au FSV - sans qu'on puisse estimer qu'il s'agit là d'une compensation des recettes précédemment distraites puisque l'État n'était pas le destinataire initial.

Par convention, on retiendra l'hypothèse d'un « chiffrage raisonnable » à partir des recettes appartenant à la sécurité sociale et transférées progressivement au FOREC, sans contrepartie (droits sur les alcools, taxe sur les véhicules terrestres à moteurs, taxe sur les contributions patronales au financement de la prévoyance), soit au total, pour la période 1999-2004, près de 17 milliards d'euros, et une perte de recettes annuelle pérenne de 4 milliards d'euros.

Du fait de la rétrocession de 1 milliard de droits de consommation sur les tabacs par l'État à la CNAM, ce préjudice sera réduit à 3 milliards annuels pour les exercices 2005 et 2006. En outre, il est revenu à la CADES la charge de rembourser la créance impayée au titre des exonérations 2000, que le FOREC aurait dû assumer (2,3 milliards d'euros).

Au total, environ la moitié de la dette qui sera reprise par la CADES ne relève en réalité pas de la sécurité sociale, mais du budget de l'État.

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