EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER -

DISPOSITIONS RELATIVES À LA TRANSPOSITION
DE LA DIRECTIVE 98/44/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN
ET DU CONSEIL DU 6 JUILLET 1998

Article 1er -

Brevetabilité de la matière biologique

L'article premier du texte complète l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle afin d'étendre explicitement aux inventions biotechnologiques le champ de la brevetabilité qui, en droit national, recouvre aujourd'hui « les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle », aux termes du paragraphe 1 dudit article.

Les paragraphes 2 et 3 de l'article L. 611-10 précisent que ne sont notamment pas considérées comme des inventions, et donc pas brevetables en tant que tels :

a) les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;

b) les créations esthétiques ;

c) les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateurs ;

d) les présentations d'informations.

L'article 1 er du présent texte vise à adjoindre à ces paragraphes un quatrième paragraphe dont le premier alinéa inclut, dans les inventions brevetables, celles portant sur un produit constitué de matière biologique ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser une telle matière. Cet alinéa reprend mot pour mot le point 1 de l'article 3 de la directive 98/44 ; toutefois, il introduit d'emblée une référence aux réserves d'ordre public 26 ( * ) que la directive a également prévues en son article 6.1 mais auxquelles son article 3.1 ne se soumet pas explicitement.

Le deuxième alinéa de l'article 1 er introduit, dans des termes presque identiques à ceux retenus au point a) de l'article 2.1 de la directive, une définition de la matière biologique comme une matière « qui contient des informations génétiques et se reproduit ou peut être reproduite dans un système biologique. » La directive parle, pour sa part, de matière « autoreproductible ou reproductible ». L'autoreproduction, comme la reproduction par un tiers, doit donc être une possibilité pour cette matière, non sa caractéristique de fait. Mise à part cette nuance que votre rapporteur vous proposera de résorber par amendement pour éviter toute incertitude juridique, ces définitions similaires mettent l'accent sur le caractère distinctif du vivant, qui fonctionne par « lignées » et dont le résultat de sa possible reproduction présente des caractéristiques communes désignées comme « informations génétiques » .

En confirmant la brevetabilité sur les procédés mais aussi sur les produits en matière biologique, l'article 1 er prend acte d'une évolution de la brevetabilité qui a débuté il y a plus de vingt ans, même si certains ont pu s'en émouvoir dans les années les plus récentes, parfois même après l'adoption par le Parlement européen et le Conseil de la directive 98/44 du 6 juillet 1998.

Le point de départ de cette évolution, ainsi que cela a été souligné précédemment, peut être situé en 1980, année où la Cour Suprême américaine a rendu un arrêt décisif, dit « Chakrabarty » 27 ( * ) , par lequel elle reconnaissait comme objet brevetable « un microorganisme vivant de création humaine » . La décision prise aux Etats-Unis sur les microorganismes sera suivie dès l'année suivante en Europe. De même, comme le rappelait Mme Marie-Angèle Hermitte, directeur d'études à l'EHESS, entendue l'an passé par la mission d'information sur les OGM 28 ( * ) dont votre rapporteur fut le président, « la décision en 1985 de breveter les végétaux aux Etats-Unis a son symétrique en Europe en 1988. » Une troisième étape a été franchie par l'Office européen des brevets qui, en 1990, octroya aux Américains un brevet sur une souris génétiquement modifiée (afin d'augmenter sa prédisposition au cancer) 29 ( * ) , donc conçue pour comprendre les mécanismes de carcinogenèse, en considérant que l'exception à la brevetabilité prévue à l'article 53 b) de la convention de Munich 30 ( * ) visait les races animales et les procédés essentiellement biologiques d'obtention d'animaux mais ne s'appliquait pas aux « animaux en tant que tels ».

Les accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC), annexés à l'accord de Marrakech du 15 avril 1994 instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), laissent aux Etats membres de l'OMC la possibilité d'exclure de la brevetabilité « les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes », aux termes du 3.b) de l'article 27 de ces accords.

La solution retenue par la directive 98/44 et, avant elle, par les décisions successives des organes judiciaires et des offices de brevets, répond donc, non pas à une obligation internationale à laquelle seraient tenus les Etats membres de l'Union européenne, mais à une volonté politique européenne de doter l'industrie des biotechnologies de la possibilité de recourir aux brevets comme instruments de valorisation de ses recherches assurant un retour sur investissement suffisant.

Il s'agit donc d'un choix de politique industrielle, dont l'objectif est de rattraper le retard pris par l'industrie européenne des biotechnologies sur ses concurrentes, notamment américaine, alors même que l'Europe a été à l'avant-garde de la recherche scientifique en ce domaine.

Votre rapporteur souscrit à ce choix, dont l'urgence lui apparaît depuis déjà longtemps, comme le suggérait déjà le titre que le rapporteur de la mission d'information et lui-même, alors en sa qualité de président de cette mission, avaient retenu pour le rapport : « Quelle politique des biotechnologies pour la France ? » 31 ( * ) .

Il souligne que l'extension au domaine biologique du champ de la brevetabilité soumet naturellement ce domaine aux exigences classiques de la brevetabilité, que l'on retrouve dans les mêmes termes au point 1 de l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, à l'article 52 (1) de la convention sur le brevet européen et à l'article 27 (1) des accords ADPIC : un brevet peut être obtenu pour une invention à condition qu'elle soit « nouvelle », qu'elle « implique une activité inventive » et qu'elle soit « susceptible d'application industrielle » :

- la nouveauté est entendue -en droit national- de façon absolue, une publicité donnée à l'invention antérieurement au dépôt de la demande de brevet rendant celle-ci irrecevable ; l'invention nouvelle, dont la caractéristique est de « ne pas être comprise dans la technique » (article L. 611-10 du code), peut porter aussi bien sur des produits, sur des moyens, sur leurs combinaisons ou sur des applications de moyens déjà connus ;

- le caractère inventif de l'activité impliquée par l'invention est avéré si, pour un homme de métier, « l'invention ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique » (article L. 611-14 du code) ;

- l'application industrielle est la troisième exigence de fond pour l'octroi d'un brevet : est considérée comme susceptible d'application industrielle une invention « dont l'objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris l'agriculture » (article L. 611-15 du code).

Sous réserve de présenter les trois caractéristiques énumérées ci-dessus, les inventions sont brevetables. En revanche, les découvertes ne le sont pas, ce qui signifie qu'un produit naturel, quelque utilité qu'il puisse avoir pour l'industrie, ne saurait, en dehors de toutes méthodes industrielles d'application de procédés nouveaux, faire l'objet d'un brevet.

Ceci reprend la traditionnelle distinction entre découverte et invention, déjà présente en ces termes 32 ( * ) sous la plume d'Emmanuel Kant : « Découvrir quelque chose, c'est percevoir le premier ce qui était déjà là, par exemple l'Amérique, la force magnétique qui se dirige vers le pôle, l'électricité atmosphérique. Inventer quelque chose, c'est faire venir à la réalité ce qui n'était pas encore là, par exemple l'aérostat. » 33 ( * ) Comme le résume M. Michel Vivant, auditionné par votre rapporteur, « la découverte enrichit les connaissances, l'invention transforme le monde. »

Or la distinction traditionnelle en droit des brevets entre découverte et invention est particulièrement délicate à établir en matière de biotechnologie, technologie dont la matière première, voire le produit, est souvent un élément naturel.

Selon M. Jean-Marc Mousseron, dans son Traité des brevets cité par le rapporteur de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le député Alain Claeys, « la découverte se distingue en ce qu'elle est la perception par voie d'observation d'un phénomène naturel préexistant à toute intervention de l'homme, alors que l'invention se caractérise en ce qu'elle est la coordination volontaire par l'homme de moyens matériels. L'aspect naturel d'un objet distingue la découverte de l'invention industrielle nécessairement marquée par une intervention artificielle de l'homme».

La ligne de démarcation entre l'invention et la découverte prête à débat. Certains tracent cette ligne entre les gènes à l'état naturel -« en tant que tels »- et les gènes isolés, copiés voire interprétés grâce à l'intervention humaine. Ce faisant, l'homme permet au phénomène naturel de se manifester dans une application industrielle alors qu'il n'était pas en état de le faire dans son expression naturelle.

D'autres font valoir, à l'inverse, que la sphère de la découverte engloberait les gènes à l'état naturel aussi bien que ceux isolés de leur contexte pour être copiés à l'identique, alors que les procédés d'obtention ou d'application de ces gènes, les méthodes de tests génétiques bien définies ou encore les produits thérapeutiques dérivés relèveraient des inventions techniquement brevetables.

La difficulté à tracer une frontière incontestable entre le domaine des découvertes et celui des inventions en matière biotechnologique s'est accrue à la faveur de l'évolution récente de cette science, qui met en oeuvre des capacités informatiques croissantes permettant une forme d'automatisation de la recherche. Ainsi, l'inventivité en matière d'isolement de gènes va diminuant tandis que s'accroît la contribution de l'informatique à la biologie : c'est la bio-informatique, par sa capacité à traiter un volume considérable de données, qui aura permis le séquençage du génome humain. L'informatique permet de reconstituer et d'identifier les gènes codant pour une protéine, voire de prédire la localisation des parties d'une séquence génique codant pour une protéine, et, en comparant automatiquement les séquences géniques identifiées, de déduire la fonction probable d'un gène. Le processus de recherche s'en trouve banalisé et l'invention réduite au minimum.

Le titre de la directive « pour la protection des inventions biotechnologiques » tend à qualifier d'inventions les avancées en matière de biotechnologie, malgré le flou de la frontière qui sépare l'invention de la découverte, ce qui atteste du fait que cette frontière s'apparente à une convention que l'on se donne pour séparer ce qui est du domaine du brevet et ce que l'on veut soustraire à ce domaine.

L'objectif de la directive étant de protéger la propriété intellectuelle afin d'encourager le développement de l'industrie biotechnologique, elle repose sur une acception plutôt large de l'invention 34 ( * ) en incluant la matière biologique dans le champ de la brevetabilité, dès lors qu'elle est isolée de son environnement naturel ou produite par un procédé technique, « même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel », aux termes de l'article 3.2. Votre rapporteur relève que ce point 2 de l'article 3 ne fait pas l'objet d'une transposition en droit national ; toutefois, il fait observer que cette transposition est en fin de compte tacite, puisqu'elle est sous-jacente à l'ensemble des autres dispositions du texte. Ceci ne peut donc pas être considéré comme une lacune.

Parallèlement, la directive pose toutefois des limites à la brevetabilité de la matière biologique : c'est l'objet des deux articles suivants du projet de loi, relatifs aux articles L. 611-17 et L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle. Il est à noter que c'est sous réserve de leurs dispositions que le présent article rend brevetables les inventions biotechnologiques.

En raison des réaménagements intervenus depuis dans le code de la propriété intellectuelle, la référence aux articles L. 611-17 et L. 611-18 doit être revue. C'est pourquoi votre rapporteur vous proposera à cet article un amendement de coordination, afin de soumettre la brevetabilité de la matière biologique aux réserves qui figureront désormais aux articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19 du code.

En outre, il propose un amendement visant à assurer la transposition la plus fidèle possible avec la directive, afin d'éviter toute insécurité juridique. La définition de la matière biologique dans la directive vise la matière « autoreproductible ou reproductible ». Il n'est sans doute pas souhaitable d'introduire en droit national ces néologismes.

Cependant, il convient de veiller à garder leur sens dans la rédaction française. Aussi la notion de capacité de reproduction -spontanée ou non- doit être mise en avant : cet amendement met donc le verbe "peut" en facteur commun des deux modes de reproduction de la matière biologique : spontané ou provoqué.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 26 Ainsi qu'aux exclusions, par principe, de la brevetabilité.

* 27 Arrêt Diamond/ Chakrabarty, 447 US 303(1980) concernant l'invention d'une bactérie de création humaine, génétiquement manipulée, capable de décomposer le pétrole brut.

* 28 Rapport sénatorial 2002-2003 n° 301 « Quelle politique des biotechnologies pour la France ? », de M. Jean Bizet, président, et M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, au nom de la Commission des Affaires économiques et de la mission d'information sur les enjeux économiques et environnementaux des organismes génétiquement modifiés, page 384.

* 29 Brevet sur une souris oncogène « Myc Mouse », sollicité par l'université de Harvard.

* 30 Convention sur le brevet européen du 5 octobre 1973.

* 31 Rapport 2002-2003 n°301 « Quelle politique des biotechnologies pour la France ? » de M. Jean Bizet, président, et M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, au nom de la commission des Affaires économiques du Sénat et de la mission d'information sur les enjeux économiques et environnementaux des organismes génétiquement modifiés.

* 32 Cité par M. Michel Vivant dans un article de doctrine « Réinventer l'invention ? », paru en juillet 2003 dans la revue Propriétés intellectuelles n°8.

* 33 In Anthropologie du point de vue pragmatique .

* 34 Quoique moins large que l'acception initialement retenue par l'Office américain des brevets en matière biologique.

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