Article 2 -

Principes limitant le champ de la brevetabilité de la matière biologique

L'article 2 du projet de loi n° 55, tel que déposé sur le bureau du Sénat en novembre 2001, prévoyait d'abroger deux des trois points composant l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle, dont l'objet est de déterminer ce qui n'est pas brevetable, son article 3 prévoyant, quant à lui, la création d'un nouvel article L. 611-18 qui aurait réintégré, dans une liste allongée, les deux exclusions de brevetabilité figurant auparavant à l'article L. 611-17.

Jusqu'à l'adoption de la loi n°2004-800 du 6 août 2004 sur la bioéthique, l'article L. 611-17 excluait du champ de la brevetabilité trois éléments :

- les inventions « dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs », cette contrariété ne pouvant résulter du seul fait que cette mise en oeuvre est interdite par une disposition législative ou réglementaire ; à ce titre, « le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets » ;

- les obtentions végétales d'un genre ou d'une espèce protégés par un certificat d'obtention végétale (dont le régime juridique est défini au chapitre III du titre II du livre VI du code de la propriété intellectuelle) ;

- les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, cette disposition ne s'appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés.

L'objet de l'article 2 du présent texte était de réaménager le code de la propriété intellectuelle en cantonnant l'article L. 611-17 à l'exclusion de brevetabilité pour cause de contrariété avec « l'ordre public ou les bonnes moeurs », qui constitue une raison de principe d'opposition à l'octroi d'un brevet.

Le projet était de regrouper dans un autre article -l'article L. 611-18-, que l'article 3 visait à créer, les inventions qui, par leur nature et non du fait de leur « illicéité » 35 ( * ) , ne pouvaient être brevetées. Dans la liste limitative de ces inventions non brevetables, auraient donc notamment figuré les obtentions végétales et les races animales, d'ores et déjà exclues du champ de la brevetabilité, mais au titre de l'ancien article L. 611-17.

Or la loi « bioéthique » d'août 2004 a déjà procédé à un réaménagement du code s'agissant des exclusions du champ de la brevetabilité.

Comme le prévoyait l'article 2 du présent texte, l'article 17 de cette loi « bioéthique » a isolé, dans l'article L. 611-17 rédigé sous une nouvelle forme, la non brevetabilité pour contrariété avec l'ordre public et les bonnes moeurs. Ceci rend donc caduque l'article 2, dont votre rapporteur vous proposera en conséquence la suppression.

En revanche, l'énumération limitative des « inventions » non brevetables en raison de leur nature, auquel le présent texte prévoyait de consacrer un nouvel article L. 611-18, a été « éclatée » par la loi bioéthique dans trois nouveaux articles :

- un article L. 611-18 consacré à l'humain ;

- un article L. 611-19 dédié à l'animal ;

- un article L. 611-20 traitant du végétal.

Alors que les articles 2 et 3 du projet de loi n°55 n'ambitionnaient de transposer que les articles 4 et 6 36 ( * ) de la directive 98/44/CE, la loi bioéthique a ainsi opéré la transposition quasi complète des articles 4, 5 et 6.

Les controverses multiples occasionnées par l'article 5 depuis son adoption -et même dès avant celle-ci- avaient en effet conduit le gouvernement de M. Lionel Jospin à déposer en novembre 2001 sur le bureau du Sénat un projet de loi transposant la directive communautaire 98/44 mis à part son article 5, qui traite de la brevetabilité du corps humain et des gènes et dont d'aucuns ont demandé la renégociation à l'échelon communautaire.

La loi bioéthique d'août 2004 est finalement parvenue à la transposition de cet article 5 plus de six ans après son adoption, au terme d'un débat fructueux entre les deux chambres du Parlement sur l'interprétation à donner à la directive communautaire sur ce point délicat.

On relèvera que l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi « bioéthique » n'est pas strictement identique au a) de l'ancien article L. 611-17, ce qui aurait été lé résultat mécanique de la stricte application de l'article 2 du présent texte.

En effet, la loi « bioéthique », comme évoqué plus haut, a adopté une nouvelle rédaction de la phrase qui constituait auparavant le a) de l'article L. 611-17 : le principe est désormais posé d'exclure de la brevetabilité les inventions dont « l'exploitation commerciale », et non plus « la publication ou la mise en oeuvre », serait contraire aux bonnes moeurs et à l'ordre public, mais aussi -nouveauté- contraire à « la dignité de la personne humaine ».

Viser l'exploitation commerciale plutôt que la publication ou la mise en oeuvre comme action dérivée de l'invention et susceptible de contrarier les bonnes moeurs ou l'ordre public ne change pas fondamentalement la donne. Ce glissement sémantique prend sa source dans la directive communautaire elle-même, dont l'article 6.1 pose le même principe de non brevetabilité pour contrariété avec l'ordre public ou les bonnes moeurs en visant aussi « l'exploitation commerciale ». Sans doute la directive elle-même a-t-elle repris les termes utilisés à l'article 27.2 des accords ADPIC, qui ouvre aux Etats membres la possibilité d'écarter de la brevetabilité les inventions « dont il est nécessaire d'empêcher l'exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l'ordre public ou la moralité. » Cette référence à l'exploitation commerciale apparaît d'autant plus fondée que la substance même du brevet est d'octroyer à son détenteur le droit d'empêcher l'exploitation commerciale de son invention par un tiers non autorisé, durant la période couverte par le brevet 37 ( * ) .

La notion d'ordre public et de bonnes moeurs, classique en droit des brevets, doit être entendue largement, l'article L. 611-17, comme d'ailleurs l'article 6.1 de la directive communautaire ou l'article 27.2 des accords ADPIC, précisant explicitement que cette notion dépasse la simple légalité : l'exploitation commerciale d'une invention pourrait être contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs quand bien même elle ne serait pas interdite par une disposition législative ou réglementaire en vigueur.

La loi « bioéthique » a ajouté une nouvelle condition de brevetabilité : ne sont pas non plus brevetables les inventions dont l'exploitation commerciale « serait contraire à la dignité de la personne humaine ». Il s'agit d'une garantie supplémentaire que le législateur national a légitimement souhaité introduire afin de mieux circonscrire encore le champ de la brevetabilité et qui constitue une forme de transposition du considérant 16 de la directive 98/44/CE, lequel rappelle notamment que « le droit des brevets doit s'exercer dans le respect des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme ».

Alors que l'article L. 611-17, dans sa rédaction antérieure à la loi bioéthique, n'exigeait pas explicitement le respect de la dignité humaine, il interdisait toutefois, au titre du respect de l'ordre public et des bonnes moeurs, la brevetabilité « en tant que tels » du corps humain, de ses éléments et de ses produits ainsi que de la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain.

C'est désormais un nouvel article L. 611-18 qui pose cette interdiction de breveter le corps humain : « Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d'un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables. »

Si la nouvelle formulation de cette interdiction a le mérite de clarifier les termes de la précédente -et de mettre notamment fin aux débats interprétatifs autour de l'expression « en tant que tels »-, on peut relever que les « produits du corps humain » (sueur, urine, larmes...) ne figurent plus expressément dans le champ du non brevetable. L'exclusion de brevetabilité qui frappe les « éléments » du corps humain doit en fait s'interpréter comme emportant également l'exclusion de brevetabilité des produits du corps humain, qui en sont, d'une certaine manière, des éléments d'un type particulier. Ainsi n'est pas fragilisée la protection dont doivent impérativement bénéficier les produits du corps humain afin de ne pas entrer dans le champ commercial, conformément au principe de non commercialisation du corps humain, consacré par le code civil en ses articles 16-1et 16-5 38 ( * ) et rappelé avec force par le Comité consultatif national d'éthique dans l'avis 39 ( * ) qu'il a rendu sur l'avant-projet de loi portant transposition de la directive 98/44/CE.

Il convient de souligner également que le nouvel article L. 611-18 ne se contente pas de reformuler l'interdiction de breveter le corps humain ou ses éléments.

Il complète et enrichit ce principe de deux manières.

D'une part, il circonscrit avec soin le champ du brevetable :

- en destinant la protection du brevet aux seules inventions (la distinction entre la découverte, non brevetable par principe, et invention est ainsi réaffirmée), et, parmi les inventions, à celles « constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain » ;

- en limitant le champ des revendications associées à un tel brevet au seul aspect de l'élément du corps humain « nécessaire à la réalisation et à l'exploitation de cette application particulière » ;

- en exigeant la description concrète et précise de l'application dans la demande de brevet.

D'autre part, il établit, à titre indicatif, une liste de quatre procédés ou produits non brevetables : les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l'identité génétique de l'être humain, les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales et les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles.

Celle liste non exhaustive permet ainsi au législateur d'expliciter notamment l'interdiction de breveter les procédés qui sont notoirement attentatoires à la dignité humaine, aux bonnes moeurs et à l'ordre public, ou les éléments du corps humain qui représentent des découvertes et non des inventions (les séquences de gène « en tant que telles »). Ce faisant, et conformément au considérant 38 de la directive 98/44, le législateur donne aux juges et aux offices de brevets des orientations générales sur l'interprétation de la référence à l'ordre public et aux bonnes moeurs prévue à l'article 6.1 de la directive communautaire.

La liste retenue par le législateur national reprend d'ailleurs celle figurant à l'article 6.2 tout en la complétant par une interdiction explicite de breveter une séquence de gène en tant que telle, interdiction qui ne figure pas expressément dans la directive -dont l'ambiguïté de l'article 5 a été abondamment soulevée 40 ( * ) - mais qui en constitue une interprétation française.

Votre rapporteur fait observer que la transposition en droit national de la directive 98/44/CE n'a donc pas pour effet de rendre brevetable une séquence de gène en tant que telle mais n'autorise la délivrance de brevet que sur l'application technique d'une fonction spécifique assurée par une telle séquence. Cette interprétation est d'ailleurs directement inspirée du considérant 23 de la directive qui dispose qu'une « simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique ; qu'elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable. »

Votre commission vous propose de supprimer cet article.

* 35 Entendue comme contrariété à « l'ordre public et aux bonnes moeurs ».

* 36 Et, s'agissant de l'article 6, seulement ses dispositions non relatives à l'être humain, soit les points 1 et 2 d) de cet article.

* 37 Généralement vingt ans à compter de la date de dépôt.

* 38 Les articles 16-1 du Code civil : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial » et 16-5 du même code : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » y ont été insérés par la loi bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994.

* 39 Avis n°64 du 8 juin 2000 sur l'avant-projet de loi portant transposition, dans le code de la propriété intellectuelle, de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

* 40 Pour plus de détails, cf. les travaux parlementaires sur la loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique : rapport Sénat 2002-2003 n°128 de M. Francis Giraud au nom de la Commission des Affaires sociales, commentant l'article 12 bis introduit en première lecture à l'Assemblée nationale ; Journal officiel des débats du Sénat du 29 janvier 2003 p. 429 à 438; rapports Assemblée nationale 2002-2003 n°761 de M. Pierre-Louis Fagniez au nom de la Commission des affaires culturelles, commentant les articles 12 bis et 12 ter , et n°709 de Mme Valérie Pécresse au nom de la Commission des lois saisie pour avis ; Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale du 11 décembre 2003 p. 12119 à 12131.

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