Article 3 -

Limites de la brevetabilité en matière animale et végétale

L'article 3 du projet de loi n°55 prévoyait l'insertion, après l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle, d'un nouvel article L. 611-18 délimitant le champ de la brevetabilité en matière végétale et animale.

L'intervention de la loi bioéthique entre la date de dépôt du projet de loi et son inscription à l'ordre du jour du Parlement vient encore compliquer l'examen de cet article 3. En effet, la loi bioéthique a déjà créé un article L. 611-18, ci-dessus exposé, consacré à la brevetabilité du corps humain et de ses éléments. De surcroît, elle a dédié un nouvel article L. 611-19 à la question de la brevetabilité en matière animale et un nouvel article L. 611-20 à celle de la brevetabilité en matière végétale.

Ces deux nouveaux articles méritent toutefois d'être revus : d'une part, ils ont été élaborés à droit constant -puisqu'ils reproduisent les dispositions figurant antérieurement aux b) et c) de l'ancien article L. 611-17 du code 41 ( * ) -, et n'opèrent donc pas une transposition complète de la directive 98/44/CE sur ces sujets ; d'autre part, il paraît difficile, voire impossible, de ne pas les fusionner en un seul article, dans la mesure où l'animal et le végétal font l'objet de dispositions juridiques communes.

C'est pourquoi, à la place de l'insertion prévue d'un article L. 611-18, ce numéro d'article étant désormais consacré à l'humain, votre rapporteur vous proposera le remplacement des articles L. 611-19 et L. 611-20 par un seul et nouvel article L. 611-19.

Cet article reprendrait les termes de celui dont le présent article 3 prévoyait l'insertion : conformément à l'article 4 de la directive qu'il transpose fidèlement, il a pour objet d'écarter du champ de la brevetabilité quatre produits ou procédés, dont on pourrait dire que la caractéristique commune est de représenter des expressions naturelles des règnes animal et végétal.

Sont ainsi déclarés non brevetables :

- les races animales , concept dont la définition ne figure d'ailleurs dans aucun texte juridique en raison des difficultés d'ordre scientifique que soulève son établissement, mais dont l'avocat général M.F.G. Jacobs, dans ses conclusions présentées devant la Cour de justice des Communautés européennes 42 ( * ) , a proposé l'interprétation suivante : « un ensemble taxinomique prenant rang juste après la sous-espèce (lorsqu'elle existe) ou l'espèce, dont les membres diffèrent d'autres représentants de la même espèce ou sous-espèce par des caractéristiques mineures mais permanentes ou héréditaires » ;

- les variétés végétales , dont la définition figure à l'article 5 du règlement CE n°2100/94 du 27 juillet 1994 43 ( * ) : « on entend par « variété » un ensemble végétal d'un seul taxon botanique du rang le plus bas connu qui, qu'il réponde ou non pleinement aux conditions d'octroi d'une protection des obtentions végétales, peut être défini par l'expression des caractères résultant d'un certain génotype ou d'une certaine combinaison de génotypes, être distingué de tout autre ensemble végétal par l'expression d'au moins un desdits caractères et être considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit sans changement. »

En renvoyant à cette définition qui englobe aussi les ensembles végétaux ne répondant pas pleinement aux « conditions d'octroi d'une protection des obtentions végétales » , l'exclusion de brevetabilité des variétés végétales couvre un champ plus grand que l'exclusion qui figurait auparavant au c) de l'article L. 611-17 du code et visait les seules obtentions végétales, protégées par les « dispositions du chapitre III du titre II du présent livre », chapitre débutant par un article L. 623-1, aux termes duquel est appelée « obtention végétale » la « variété nouvelle, créée ou découverte :

1° qui se différencie des variétés analogues déjà connues par un caractère important, précis et peu fluctuant, ou par plusieurs caractères dont la combinaison est de nature à lui donner la qualité de variété nouvelle ;

2° qui est homogène pour l'ensemble de ses caractères ;

3° qui demeure stable, c'est-à-dire identique à sa définition initiale à la fin de chaque cycle de multiplication ».

La non brevetabilité des variétés végétales s'entend quelque soit la manière dont a été produite cette variété végétale : en conséquence, les variétés végétales contenant des gènes introduits par recombinaison génétique sont exclues de la brevetabilité en tant que telles. Toutefois, elles peuvent être couvertes par le brevet éventuellement associé aux gènes qu'elle abrite : en effet, dans ce cas, conformément au droit commun des brevets 44 ( * ) , la protection conférée par brevet au gène s'étend au produit qui l'incorpore, en l'occurrence la plante, qui peut être une variété si elle répond aux trois critères présentés ci-dessus.

A l'inverse, une invention dans laquelle une variété végétale spécifique n'est pas individuellement revendiquée n'est pas exclue de la brevetabilité, même si elle peut couvrir des variétés végétales. Ceci résulte de la jurisprudence de l'Office européen des brevets, mais se trouve désormais confirmé par l'article 4.2 de la directive 98/44/CE, que transpose en ces termes le point 2° du nouvel article du code créé par le présent article 3 45 ( * ) : « les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si l'application de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée ».

Le présent texte retient comme condition de brevetabilité le fait que « l'application» déborde une seule variété végétale ou race animale, alors que la directive vise la « faisabilité technique ». Votre rapporteur souligne la nuance qui distingue la faisabilité technique d'une invention de son application, le texte communautaire posant une condition relative au procédé, à la façon de faire, alors que le texte national conditionne la brevetabilité au champ d'application, en aval du procédé. Si le texte national impose que l'application plutôt que la seule faisabilité de l'invention ne se limite pas à une seule variété ou race, il devient sans doute plus exigeant en termes de brevetabilité. Afin d'éviter tout conflit d'interprétation sur ce point entre le texte national et le texte communautaire, votre rapporteur vous propose un amendement remplaçant le terme « application » par celui de « faisabilité technique » ;

- les procédés « essentiellement biologiques » pour l'obtention des animaux et des végétaux : il est précisé dans le présent texte, alors que cela ne l'était pas dans la loi bioéthique du 6 août 2004 46 ( * ) , qu'il s'agit de procédés « qui font exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ». En filigrane, dans l'exclusion de brevetabilité qui frappe de tels procédés, réapparaît le souci de préserver de toute brevetabilité les données ou procédés préexistant dans la nature, et donc relevant de la sphère des découvertes plutôt que de celle des inventions.

L'article 2.2 de la directive adopte une définition similaire du « procédé essentiellement biologique », mais pas tout à fait identique : selon le texte communautaire, il s'agit d'un procédé « qui consiste intégralement en des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection », alors que le texte national le définit comme faisant « exclusivement appel à » ces mêmes phénomènes naturels. Sur ce point, votre rapporteur soutient le texte du projet de loi qui lui paraît mieux rédigé : en effet, il serait absurde d'identifier un procédé à des phénomènes, la nature du procédé étant d'être une construction de l'esprit. Le procédé consiste en une succession organisée d'étapes, lesquelles, seules, sont susceptibles de faire exclusivement appel à des phénomènes naturels ;

- les « procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés » : alors que tout procédé de modification génétique de l'identité germinale de l'être humain est écarté, sans condition, de la brevetabilité en vertu de l'article L. 611-18 du code créé par la loi bioéthique 47 ( * ) , il s'agit ici d'un arbitrage plus délicat entre les avantages thérapeutiques attendus -pour l'homme ou l'animal- du procédé ou de l'animal « inventé » et les atteintes au bien-être animal que cette invention provoque.

Cet arbitrage a déjà guidé plusieurs décisions des offices de brevets. Ainsi, un brevet sur une souris oncogène a pu être accordé 48 ( * ) en raison des avancées qu'elle était susceptible de permettre dans la connaissance de la carcinogenèse, tandis que le caractère d'invention brevetable a été dénié à une autre souris transgénique ayant reçu un gène stimulant la pousse des poils qui aurait pu contribuer à lutter contre la calvitie 49 ( * ) .

L'article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle, dans la nouvelle rédaction issue du présent article 3 du texte, prévoit donc quatre exclusions de brevetabilité, dont celle des procédés essentiellement biologiques, au c) du 1. Cette exclusion se trouve contrebalancée par l'affirmation, au 3° de l'article L. 611-19, de la brevetabilité des inventions « ayant pour objet des procédés techniques, notamment un procédé microbiologique, ou un produit obtenu par ces procédés » . Il s'agit de la transposition fidèle du point 3 de l'article 4 de la directive, qui confirme que l'intervention humaine c'est-à-dire « technique » sur la nature fait nécessairement basculer dans la sphère de l'invention, donc du brevetable. Votre rapporteur vous proposera un simple amendement rédactionnel afin de clarifier ce point, notamment en précisant -conformément au texte communautaire- qu'un brevet peut être octroyé pour un seul procédé technique et non nécessairement pour plusieurs d'entre eux.

Ce 3° précise ensuite quelle est la définition d'un procédé microbiologique : « tout procédé utilisant ou produisant une matière biologique ou comportant une intervention sur une telle matière » . Cette définition est inspirée de celle qui figure au 1.b) de l'article 2 de la directive communautaire, même si celle-ci vise plus précisément la matière microbiologique et non la matière biologique. Votre rapporteur vous propose toutefois de conserver la définition proposée par le projet de loi, qui, se référant à la matière « biologique », est plus exacte scientifiquement. Il relève en outre que, même dans la directive, seule la matière biologique est définie -au a) du point 1 de l'article 2- alors que la matière microbiologique ne l'est pas.

Sur cette définition du procédé microbiologique, le seul amendement proposé par votre rapporteur est d'ordre rédactionnel.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 41 Découlant elles-mêmes des exceptions prévues à l'article 53 b) de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur le brevet européen, à leur tour fondées sur l'article 2 b) de la Convention de Strasbourg du 27 novembre 1963.

* 42 Le 14 juin 2001, dans l'affaire C-377/98 opposant le Royaume des Pays-Bas au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne.

* 43 Instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales.

* 44 Et à l'article 9 de la directive, que l'article 6 du présent texte transpose en créant un nouvel article L. 613-2-2 dans le code de la propriété intellectuelle.

* 45 Mais que ne transposait pas l'article L. 611-19 du code que créait l'article 17 de la loi bioéthique du 6 août 2004.

* 46 Qui se contentait de poser le principe de non brevetabilité de tels procédés à l'article L. 611-19 du code que créait son article 17.

* 47 L'alinéa de l'article en question transpose l'article 6 b) de la directive 98/44/CE.

* 48 En 1988 par l'Office des brevets américain et en 1992 par l'Office européen des brevets.

* 49 Exemple cité par M.  le député Alain Claeys, dans son rapport 2001-2002 n°160 (Sénat)  intitulé « La brevetabilité du vivant » fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page