N° 106

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 décembre 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi organique, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances ,

Par M. Jean ARTHUIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM.Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jegou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1833 , 1926 et T.A. 343

Sénat : 69 (2004-2005)

Lois de finances.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames,

Messieurs,

A compter du 1 er janvier 2005, l'ensemble des dispositions de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) sera pleinement applicable 1 ( * ) .

Ainsi, le prochain projet de loi de finances (pour 2006), sera présenté, examiné et voté selon les nouvelles dispositions, dont l'objectif principal consiste à remplacer une culture de moyens (« un bon budget est un budget qui augmente ») par une culture de résultat (« un bon budget est celui qui permet d'atteindre, au meilleur coût, des objectifs préalablement définis »).

Le projet de loi organique qui nous est soumis n'a pas pour objet de remettre en cause la nouvelle « Constitution financière » de la France avant même son entrée en application.

Il s'agit de prévoir que la loi de finances de l'année devra arrêter les modalités d'utilisation des éventuels surplus, par rapport à ses évaluations, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat . Tel était, d'ailleurs, l'unique disposition du texte initial.

L'Assemblée nationale y a ajouté cinq articles additionnels destinés à apporter des précisions ponctuelles à quelques dispositions de la LOLF, concernant l'information du Parlement et le contrôle budgétaire , qui selon l'heureuse formule du président Christian Poncelet doit devenir la « seconde nature du Parlement ».

I. PRÉVOIR À L'AVANCE L'AFFECTATION D'ÉVENTUELS SURPLUS DE RECETTES NON ANTICIPÉS

M. Nicolas Sarkozy, alors ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie avait annoncé, au début du mois de mai 2004, qu'il prendrait une initiative tendant à définir une norme de comportement budgétaire vertueuse en cas de surplus non anticipés de recettes , ce qui a été fait avec le dépôt, le 5 octobre 2004, du présent projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Ce projet de loi organique a ensuite été adopté par l'Assemblée nationale, le 19 novembre 2004.

Votre commission des finances ne peut qu'approuver le principe d'une initiative qui tend à poser de façon solennelle des principes de bonne gestion budgétaire à partir du constat très juste de l'asymétrie de la politique budgétaire : lorsque les recettes fiscales sont inférieures aux prévisions, il est effectivement rare qu'une loi de finances cherche à compenser les moindres rentrées par de nouvelles économies ou une hausse des prélèvements obligatoires ; en revanche, il est vrai qu'en cas de recettes imprévues, des allègements fiscaux de grande ampleur ou des ouvertures de crédits sont fréquemment adoptés .

Dans la situation d'urgence financière dans laquelle se trouve notre pays malgré une embellie économique, au demeurant fragile, il est important de faire de la maîtrise des déficits et de la réduction de la dette une priorité et d'en tirer les conséquences au niveau de la procédure de discussion et de présentation du budget .

A. LES OBJECTIFS VISÉS PAR LE GOUVERNEMENT

Le présent projet de loi organique vise à inscrire en loi de finances initiale une règle d'affectation des surplus temporaires de recettes fiscales pour, d'après l'exposé des motifs du projet de loi organique, « permettre un meilleur pilotage budgétaire, tout en assurant une meilleure information du Parlement ». Il ne s'agit donc pas de revenir sur l'architecture de la LOLF , dont l'ensemble des dispositions entre en vigueur au 1 er janvier 2005 2 ( * ) , mais bien de la compléter, sur un point particulier , l'affectation des surplus de recettes fiscales.

Le dispositif proposé par le présent projet de loi organique 3 ( * ) complète par un nouvel alinéa (10°) le I de l'article 34 de la LOLF, qui détaille le contenu de la première partie de la loi de finances de l'année. Il prévoit ainsi que celle-ci « arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat ».

L'exposé des motifs rappelle que « l'évaluation des recettes fiscales dans la loi de finances initiale est incertaine par nature. (...) Depuis plusieurs décennies, la politique budgétaire française, comme celle d'autres pays, réagit de manière asymétrique à ces inévitables erreurs d'anticipation : lorsque les recettes fiscales sont inférieures aux prévisions, il est rare que de nouvelles économies ou une hausse des prélèvements obligatoires cherchent à compenser cette mauvaise surprise. En effet, cette situation se produit généralement en période de faible croissance ; des mesures de redressement sont alors écartées car elles pourraient nuire à la reprise.

« En revanche, lorsque les recettes fiscales sont plus élevées qu'anticipé en loi de finances initiale, des allègements fiscaux de grande ampleur sont plus fréquemment adoptés, de telle sorte que la part du surcroît des recettes fiscales affectée à la réduction du déficit est faible. Les périodes de forte croissance ne comportent souvent que des efforts limités de consolidation budgétaire et même amplifient la dégradation du bas de cycle suivant ».

B. UN PROJET EN LIGNE AVEC LES POSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Les questions relatives à l'affectation des surplus de recettes sont familières à votre commission des finances. Elle avait, à l'automne 1999, affirmé qu'existait un surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 1999, ce que le gouvernement avait longtemps contesté, avant de déposer, lors de la discussion de l'article d'équilibre du projet de loi de finances rectificative pour 1999, le 20 décembre 1999, un amendement qui, selon les termes du ministre, tendait à « corriger l'équilibre de ce collectif budgétaire » et, en particulier, « relever le niveau des recettes de 11,3 milliards de francs (1,7 milliard d'euros), soit 0,7 % des recettes fiscales nettes, ce afin de tenir compte des informations les plus récentes ». Cet épisode, qui avait été qualifié indûment « d'affaire de la cagnotte budgétaire » par la presse, laissant ainsi penser qu'existaient des excédents alors que le budget connaissait alors un important déficit , avait constitué un moment de tension entre le Sénat et le gouvernement.

Quelques mois plus tard, le 29 mars 2000, le Sénat avait décidé, à l'unanimité, de conférer à votre commission des finances les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances. Un rapport d'information avait été publié six mois plus tard 4 ( * ) . Il soulignait que « pendant près de six mois, le gouvernement a non seulement nié l'ampleur de l'amélioration de la situation budgétaire mais également son principe même, au mépris de la nécessaire et légitime information de la représentation nationale » 5 ( * ) .

En conclusion du rapport d'information précité, votre commission des finances rappelait que l'enquête qu'elle avait menée avait « d'ores et déjà contribué à faire mûrir le débat sur les finances publiques de notre pays. La presse s'intéresse à l'évolution de la situation mensuelle budgétaire. Le gouvernement n'hésite plus à revoir régulièrement ses prévisions et à tenir informée la représentation nationale sur l'exécution budgétaire. Les commissions des finances des deux assemblées sont maintenant destinataires chaque semaine des situations hebdomadaires budgétaires de l'Etat, leur permettant de suivre de très près la situation des recettes et des dépenses » 6 ( * ) .

II. MIEUX ENCADRER LES DEMANDES CATÉGORIELLES

A. EVITER LES TENTATIONS DE DÉRAPAGE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE POUR FAVORISER LE DÉSENDETTEMENT DE L'ETAT

Votre commission des finances avait donc contraint le gouvernement à être davantage transparent, vis-à-vis de la représentation nationale et des citoyens, quant à l'évolution des recettes de l'Etat.

Le présent projet de loi organique vise à franchir une nouvelle étape, en définissant chaque année, à l'avance, l'usage pouvant être fait des surplus de recettes fiscales. Cette initiative tend, en limitant voire en supprimant les chances d'aboutir des demandes qui sont inévitablement amenées à s'exprimer en cas de recettes fiscales excédentaires par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, à prémunir le gouvernement contre les risques de dérapage des dépenses de l'Etat . Chacun sait que des recettes imprévues suscitent toujours l'expression de revendications particulières, auxquelles il n'est pas toujours facile pour le gouvernement de s'opposer, s'agissant notamment de mesures dont il ne conteste pas le bien-fondé, mais dont il estime ne pas disposer des moyens financiers nécessaires à leur mise en oeuvre . Des recettes non prévues en loi de finances apparaissent, aux yeux des défenseurs d'intérêts catégoriels, comme une manne qui ne saurait être soumise aux mêmes contraintes que le budget initial, dès lors que leur affectation ne dégrade pas les prévisions de solde budgétaire initialement affichées par l'Etat .

Le dispositif proposé confère, compte tenu de ces observations, une plus grande crédibilité à la stratégie de maîtrise des finances publiques. Selon l'exposé des motifs, le présent projet de loi organique devrait « éviter le report excessif de charges sur les générations futures pour financer les dépenses d'aujourd'hui ».

Sur le fond, le présent projet de loi organique rejoint la position constante de votre commission des finances, pour laquelle le remboursement de la dette est une priorité compte tenu du niveau actuel d'endettement de notre pays , comme elle l'avait d'ailleurs rappelé à la fin de l'année 1999.

Votre commission des finances considère que, aussi longtemps que subsistera un déficit de fonctionnement, l'intégralité des surplus devront être affecté à la réduction du déficit. En revanche, lorsque le déficit de fonctionnement aura disparu, les deux tiers des surplus de recettes devront être affectés à la réduction de la dette, le complément ne pouvant être affecté qu'à des dépenses ou à des diminutions de recettes à caractère exceptionnel. En effet, elle estime que, malgré leurs évidentes limites, les critères de Maastricht restent, sur le moyen terme, des références raisonnables.

En tout état de cause, un déficit public représentant 3 % du PIB ne peut être considéré comme « normal ». En effet, les budgets publics se doivent d'être proches de l'équilibre ou en excédent...

B. PRÉSERVER UNE CAPACITÉ DE PILOTAGE « MANUEL » DU SOLDE BUDGÉTAIRE

Il reviendra chaque année au législateur de fixer la part des surplus de recettes fiscales pouvant donner lieu à des ouvertures de crédits : le présent projet de loi organique ne fixe pas de règle permanente en la matière, ce qui favorisera le débat au Parlement sur les évaluations de recettes fiscales et l'affectation des éventuels surplus constatés au cours de l'exercice .

On rappellera toutefois, s'agissant des prévisions de recettes, que la LOLF dispose, dans son article 32, que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».

La compétence du gouvernement pour prévoir et piloter le solde budgétaire ne sera pas limitée par les dispositions du présent projet de loi organique. En effet, le choix de la prévision des recettes fiscales détermine pour partie l'ampleur des éventuels surplus de recettes fiscales . Selon que l'on aura été optimiste, voire volontariste ou prudent dans le choix d'un taux de croissance de référence, indépendamment des questions plus techniques liées aux hypothèses d'élasticité 7 ( * ) , l'on se retrouvera avec un surplus plus ou moins substantiel. Une prévision trop optimiste rend très improbable l'apparition de surplus de recettes . On notera ainsi que, pour l'exercice budgétaire en cours, des surplus de recettes importants pourraient être constatés par rapport aux prévisions, car le budget 2004 a été assis sur une prévision de croissance « pessimiste » de 1,7 %, alors que la croissance constatée devrait s'approcher de 2,5 %. Pour l'année 2005, le gouvernement semble en revanche plutôt « optimiste » aux yeux des économistes, avec une prévision de croissance de 2,5 %. On relève d'ailleurs que ce taux de croissance prévisionnel est déjà contesté, compte tenu de l'impact attendu de la hausse des cours du pétrole 8 ( * ) .

Le gouvernement , s'il tient compte des prévisions de croissance du « consensus des économistes », a aujourd'hui une latitude complète pour estimer le taux de croissance de référence, et donc, pour favoriser l'apparition d'un éventuel surplus ou l'éviter. Seule la fixation d'une règle objective de détermination de ce taux de croissance , par exemple en le faisant relever d'un collège d'économistes ad hoc , ou en le fixant au niveau de celui du consensus à la fin du premier semestre de l'année N-1, permettrait d'éviter cet arbitraire et d'éliminer toute possibilité de manipulation .

Le présent projet de loi organique ne conduira pas le gouvernement à affecter ex ante les excédents au niveau de la loi de finances initiale, comme le prévoyait la « norme Zalm » appliquée par les Pays-Bas jusqu'à la fin des années 1990 9 ( * ) .

On notera toutefois que le choix d'un taux de croissance systématiquement inférieur à celui du consensus des économistes ainsi que la fixation de règles strictes pour l'utilisation des surplus de recettes reviendrait à appliquer une sorte de principe de précaution budgétaire, comme c'était le cas aux Pays-Bas dans le cadre de l'application de la « norme Zalm » précitée.

Enfin, le projet de loi organique ne traite que des recettes fiscales, et ne prend pas en compte les recettes non fiscales , dont votre commission soulignait dans son rapport précité que leurs règles de perception « sont pour le moins « fantaisistes » (...). Le caractère volatil des recettes non fiscales n'est dû qu'à la volonté politique d'en faire une variable d'ajustement du budget de l'Etat. (...) Conséquence de règles de perception à géométrie variable, les prévisions de recettes non fiscales n'ont cessé de fluctuer au cours de l'année 1999 » 10 ( * ) .

Votre commission des finances constate donc que seule une partie des surplus de recettes est concernée par les dispositions du projet de loi organique, ce qui n'empêchera pas le gouvernement de piloter le solde budgétaire de fin d'année.

Ce texte est un outil pédagogique utile, quelles que soient ses ambiguïtés ou ses insuffisances. Toutefois, un tel outil ne saurait se substituer à une volonté politique défaillante .

* 1 Toutefois, les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances demeurent applicables aux lois de finances afférentes à l'année 2005 et à celles des années antérieure (article 67 de la LOLF).

* 2 Toutefois, l'article 67 de la LOLF prévoit que les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 « demeurent applicables aux lois de finances afférentes à l'année 2005 et aux années antérieures ».

* 3 Article unique du texte initial, devenu article 1 er après son examen par l'Assemblée nationale.

* 4 « En finir avec le mensonge budgétaire - enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat ». Alain Lambert, président, et Philippe Marini, rapporteur général, Sénat, rapport n° 485 (1999-2000).

* 5 Op. cit., p. 73.

* 6 Op. cit., p. 153.

* 7 L'écart peut résulter d'une mauvaise évaluation de l'impact de la croissance sur chaque catégorie de recettes et sur des hypothèses d'élasticité erronées, étant noté que la fiabilité de celles-ci est fréquemment mise en doute à l'occasion de l'examen des lois de finances.

* 8 On rappellera que le gouvernement a retenu l'hypothèse d'un prix moyen du baril de 36,5 dollars sur l'ensemble de l'année 2005, alors que ce prix évolue actuellement autour de 50 dollars.

* 9 Selon celle-ci, si le déficit budgétaire est supérieur à 0,75 % du PIB, les trois-quarts des recettes budgétaires complémentaires seront affectées à la réduction du déficit budgétaire et le solde à un allégement d'impositions. Si le déficit est inférieur à 0,75 % du PIB, les recettes supplémentaires seront affectées pour moitié à la réduction du déficit et pour moitié à un allégement d'impositions.

* 10 In rapport d'information précité, page 99.

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