EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La recherche d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples d'Europe, fondement originel de la construction européenne, appelle pour la cinquième fois une révision de la Constitution de la V ème République.

En décembre 2001, à Laeken, le Conseil européen convoquait une « convention sur l'avenir de l'Europe » rassemblant 105 représentants des gouvernements des quinze Etats membres de l'Union et des treize pays candidats, de leurs parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission européenne, afin de jeter les fondements d'une Constitution pour les citoyens européens.

Réunie de février 2002 à juillet 2003 sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, la convention a arrêté de façon consensuelle un projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe. Ce projet a servi de base de travail à une conférence intergouvernementale qui, après un constat d'échec initial en décembre 2003, s'est accordée le 18 juin 2004, à Bruxelles, sur un texte finalement assez proche de celui de la convention.

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004, est appelé à se substituer au traité instituant la Communauté européenne et au traité sur l'Union européenne, ainsi qu'à l'ensemble de ceux qui les ont complétés ou modifiés lors de réformes institutionnelles ou à l'occasion de l'adhésion de nouveaux Etats membres. En dépit de son intitulé, il conserve les caractéristiques d'un engagement international.

Saisi par le Président de la République le jour même de sa signature, le Conseil constitutionnel a considéré, le 19 novembre 2004, que la ratification de ce texte nécessitait une révision préalable de la Constitution.

Le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 1 er février 2005, a pour premier objet de lever les obstacles constitutionnels à cette ratification, dont le Président de la République a annoncé qu'il comptait la soumettre au référendum.

La décision prise par le Conseil européen le 17 décembre 2004, peu après la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe, d'engager des négociations avec la Turquie en vue de l'adhésion de cet Etat à l'Union européenne a ouvert un second débat sur les frontières de l'Union.

Pour éviter toute interférence entre ces deux questions, le projet de loi constitutionnelle tend, en second lieu, à rendre obligatoire l'adoption par la voie référendaire de tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne.

Après avoir rappelé la place originale du droit européen dans notre ordre juridique et les principales clauses du traité établissant une Constitution pour l'Europe, votre rapporteur s'attachera à examiner si les dispositions du projet de loi constitutionnelle permettent bien de lever l'ensemble des obstacles à la ratification de ce texte.

I. LE TRAITÉ ÉTABLISSANT UNE CONSTITUTION POUR L'EUROPE MAINTIENT LA SPÉCIFICITÉ DU DROIT EUROPÉEN

La construction européenne s'est traduite, selon le constat dressé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004, par la création d'un ordre juridique « intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ». Le traité établissant une Constitution pour l'Europe maintient cette spécificité.

A. LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D'UN « ORDRE JURIDIQUE PROPRE »

Si les traités constitutifs des Communautés européennes et de l'Union européenne obéissent aux règles classiques du droit international public, tel n'est pas le cas des actes adoptés par les institutions européennes sur leur fondement.

1. Des conditions satisfaisantes d'intégration des traités européens dans le droit interne

La Constitution de la V ème République accorde une place prééminente au Président de la République, garant des traités, et au Gouvernement, chargé de déterminer et de conduire la politique de la Nation, dans le domaine des relations internationales.

Aux termes de l'article 52, le Président de la République négocie, signe et ratifie les traités , le Gouvernement détenant les mêmes compétences à l'égard des accords internationaux en forme simplifiée. Les actes du Président doivent être contresignés par le Premier ministre et les ministres responsables.

Les traités les plus importants ne peuvent toutefois, en application de l'article 53, être ratifiés qu'en vertu d'une loi . Sont ainsi concernés, selon la liste limitative dressée par ce même article, non seulement les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale mais également les traités de paix, les traités de commerce, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes ainsi que ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire. L'omission de cette formalité peut être sanctionnée par le Conseil d'Etat 1 ( * ) .

La loi consiste en une simple autorisation dont le Président de la République et le Gouvernement sont libres de faire usage. En revanche, ils ne peuvent s'en passer. Ainsi, le traité instituant la Communauté européenne de défense n'a jamais pu entrer en vigueur après le rejet du projet de loi tendant à autoriser sa ratification par l'Assemblée nationale française en juin 1954.

Cette loi peut être adoptée par la voie parlementaire ou par la voie référendaire . L'article 11 dispose en effet que : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre à référendum tout projet de loi [...] tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions . »

Les électeurs français autorisèrent ainsi, en 1972, la ratification du traité d'adhésion aux Communautés européennes du Royaume-Uni, de l'Irlande, du Danemark et de la Norvège puis, en 1992, celle du traité sur l'Union européenne signé à Maastricht.

La ratification d'un engagement international nécessite une révision préalable de la Constitution lorsqu'il comporte des clauses qui sont contraires à la loi fondamentale, mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale 2 ( * ) . Encore faut-il qu'il soit soumis au Conseil constitutionnel, soit directement au titre de l'article 54, soit à l'occasion de l'examen de la loi autorisant sa ratification ou son approbation en application de l'article 61.

Le Conseil examine alors chacune des stipulations du traité. Il ne s'estime tenu de motiver que les déclarations de contrariété à la Constitution. Les réserves d'interprétation sont exclues dans la mesure où un engagement international doit faire l'objet d'une application uniforme par les parties. Enfin, pour des raisons de sécurité juridique et en application de la règle pacta sunt servanda consacrée par le préambule de la Constitution de 1946, la constitutionnalité d'un traité ratifié ne peut plus être mise en cause, même à l'occasion d'un traité modificatif 3 ( * ) . La jurisprudence du 24 juillet 1985 4 ( * ) permettant le contrôle de constitutionnalité d'une loi à l'occasion du contrôle de celle qui en affecte le domaine d'application n'est pas transposable aux engagements internationaux. Pour autant, le principe d'immunité constitutionnelle des traités ratifiés n'interdit pas l'examen de la constitutionnalité d'un texte modificatif compte tenu des engagements déjà souscrits.

La Constitution française a ainsi déjà été révisée à trois reprises, le 25 juin 1992, le 25 novembre 1993 et le 25 janvier 1999, afin de permettre la ratification du traité de Maastricht, des accords de Schengen et du traité d'Amsterdam .

Enfin, pour produire des effets en droit interne, un traité doit être publié .

Ces règles permettent d'intégrer dans des conditions satisfaisantes les traités européens dans notre ordre juridique .

* 1 Conseil d'Etat, 18 décembre 1998, Blotzheim.

* 2 Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 sur le traité portant statut de la Cour pénale internationale.

* 3 Décision n° 92-308 du 9 avril 1992 sur le traité de Maastricht.

* 4 Décision n° 85-140 L du 24 juillet 1985.

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