3. Une insécurité juridique

Les modalités actuelles d'insertion du droit européen dans notre droit interne constituent une source d'insécurité juridique.

Selon les juridictions nationales , les engagements internationaux priment sur les lois et règlements nationaux mais doivent céder le pas devant la Constitution , dans la mesure où ils tiennent précisément leur autorité de l'article 55 de cette dernière.

La Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont ainsi décidé, tardivement pour ce qui concerne le second, d'écarter l'application des dispositions d'une loi, même postérieure, contraires à un engagement international, y compris un règlement ou une directive 5 ( * ) .

En revanche, saisi d'un recours contre le décret du 20 août 1998 organisant le gel du corps électoral restreint appelé à se prononcer sur le statut de la Nouvelle Calédonie, le Conseil d'Etat a indiqué que « la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'appliqu[ait] pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » et refusé d'examiner le moyen d'annulation tiré de la contrariété du décret à diverses conventions internationales 6 ( * ) . Par la suite, il a expressément indiqué que le principe de primauté du droit communautaire ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution 7 ( * ) .

Dans des décisions récentes, le Conseil constitutionnel a toutefois précisé que la transposition en droit interne d'une directive communautaire résultait d'une exigence constitutionnelle posée par l'article 88-1 de la loi fondamentale, à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition, expresse et spécifique, contraire de la Constitution 8 ( * ) .

L'institution d'un contrôle de constitutionnalité du droit européen dérivé serait de nature à prévenir de tels conflits .

Ces conflits sont d'autant plus préjudiciables que la Cour de justice des Communautés européennes a considéré, jusqu'à présent, qu'un Etat membre ne pouvait se prévaloir de son droit interne, même constitutionnel, pour faire obstacle à la mise en oeuvre du droit de l'Union 9 ( * ) . Le non respect par la France d'un acte européen l'exposerait ainsi à une condamnation pour manquement à ses obligations résultant des traités constitutifs.

La spécificité du droit européen par rapport aux règles classiques du droit international public a été clairement exposée par la Cour de justice dans un arrêt Flaminio Costa contre E.N.E.L rendu le 15 juillet 1964 :

« Attendu qu'à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la C.E.E. a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions ;

« Qu'en effet, en instituant une communauté de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ;

« Attendu que cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les Etats de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable ;

« Que la force exécutive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un Etat à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité visée à l'article 5 (2), ni provoquer une discrimination interdite par l'article 7 ;

« Que les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient être mises en cause par les actes législatifs futurs des signataires . »

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe maintient cette spécificité, tout en faisant une place plus importante au respect des compétences des Etats membres.

* 5 Cour de cassation, 24 mai 1975, société des Cafés Jacques Vabre. Conseil d'Etat : 20 octobre 1989, Nicolo - 24 septembre 1990, Boisdet - 28 février 1992, Sa Rothmans International France.

* 6 Conseil d'Etat, 30 octobre 1998, Sarran et Levacher. Le 11 janvier 2005, dans un arrêt Py c/ France, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que ce gel n'était pas contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

* 7 Conseil d'Etat, 3 décembre 2001, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique et autres.

* 8 Décisions n°s 2004-496 DC du 10 juin 2004, 2004-497 DC du 1 er juillet 2004 et 2004-498 DC du 29 juillet 2004.

* 9 Cour de justice des Communautés européennes, 11 avril 1978 Commission c/ Italie et 11 janvier 2000, Kreil.

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