C. UNE MÉTHODE AUJOURD'HUI CONSIDÉREE COMME INSUFFISAMMENT STRUCTURÉE

Le bilan à mi-parcours approuvé par le Conseil européen est aussi très critique sur la méthode définie en 2000 pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Eu égard au niveau des ambitions affichées, la stratégie aurait exigé une démarche forte permettant la mobilisation générale de tous les acteurs, comme ce fut le cas pour l'avènement du marché unique en 1993 ou la mise en place de l'euro. Or, la mobilisation a ici laissé la place à la dispersion et à la confusion.

a) Des objectifs imprécis, trop nombreux et mal adaptés

Beaucoup considèrent que dès l'origine, la stratégie a inclus trop d'objectifs, à savoir 28 objectifs principaux, eux-mêmes décomposés en 120 objectifs secondaires affectés de 117 indicateurs 11 ( * ) .

Certains de ces objectifs étaient d'entrée trop imprécis pour que les Etats-membres s'y sentent vraiment tenus. Par exemple, il était prévu de « favoriser une meilleure compréhension de l'exclusion sociale par la poursuite du dialogue et des échanges d'informations ».

Quant aux objectifs intermédiaires plus concrets (brevet européen, marché des services, progrès dans divers indicateurs économiques et sociaux, etc.), force est de constater qu'ils se sont révélés trop nombreux et trop dispersés pour pouvoir être appréciés comme les marques d'un succès ou d'un échec significatif au plan politique. Aucun d'entre eux ne se détachait comme un grand projet apte à donner une visibilité politique satisfaisante aux avancées réalisées.

La stratégie n'a pas pu jouer son rôle d'aiguillon sur les responsables nationaux. A titre d'exemple, il est probable que le Gouvernement français aurait réalisé sa réforme des retraites en 2003 et sa relance de la recherche en 2005 de la même façon si la stratégie de Lisbonne n'avait jamais existé.

De plus, la plupart des objectifs et indicateurs ont été fixés de façon identique pour l'ensemble des Etats membres, quelle que soit leur situation de départ et leur potentialité. Cette inadaptation des objectifs aux disparités nationales a été renforcée par l'élargissement dont on estime habituellement qu'il a fait chuter le taux d'emploi de l'Union de 1,5 %.

Les défauts de départ des objectifs ont été d'autant plus sensibles qu'il n'existait pas de pilote susceptible de hiérarchiser ces derniers. En effet, la méthode de travail retenue a rendu très difficile l'identification des compétences et des niveaux de responsabilité.

b) L'absence d'un pilotage réel

Aucune des institutions européennes n'a pu s'ériger en véritable pilote de la stratégie puisque la plupart des éléments clés de la stratégie de Lisbonne -recherche, éducation, emploi, formation, réformes structurelles de la protection sociale- relevaient peu de la compétence communautaire mais plutôt de celle des Etats-membres. Il en a découlé trois conséquences :


• lorsque les institutions communautaires ont été appelées à intervenir, elles l'ont toujours été dans des termes vagues ;


• aucun chantier législatif communautaire véritablement nouveau n'a été programmé, les conclusions de Lisbonne se réfèrant pour l'essentiel à des chantiers déjà engagés 12 ( * ) ;


• les interventions de la Commission européenne destinées à pallier cet état de fait n'ont pu se faire que sur des micro-sujets ou dans des domaines situés à la marge de ses compétences et pour lesquels son « effet de levier » 13 ( * ) était très faible.

La stratégie a en fait été conduite selon une méthode nouvelle, dite de « coordination ouverte », qui se limite à un échange de bonnes pratiques entre les Etats-membres et à la production de rapports d'évaluation 14 ( * ) par la Commission européenne qui en fait une fois par an la synthèse au Conseil européen.

Cette organisation n'a pas été de nature à assurer l'émergence d'un véritable pilote comparable à la Commission européenne de Jacques Delors, lors de la préparation du marché unique ou au Conseil européen, lors de la mise en place de l'euro.

c) Le manque de moyens spécifiques

Insuffisamment structurée pour stimuler véritablement l'effort des Etats-membres, la stratégie de Lisbonne n'a pas pu non bénéficier d'un réel engagement de moyens au niveau communautaire. En effet, les conclusions du Conseil de Lisbonne indiquaient clairement que la réalisation du nouvel objectif stratégique devait reposer « essentiellement sur le secteur privé et sur des partenariats entre les secteurs public et privé » et sur « une mobilisation des ressources disponibles sur les marchés et des efforts consentis par les États-membres », le rôle de l'Union étant seulement de « servir de catalyseur à ce processus (...) ».

Ainsi, les moyens communautaires se limitaient à une « utilisation optimale des programmes communautaires existants 15 ( * ) ». Il était dès lors impossible de savoir quelle dépense, nouvelle ou redéployée, était affectée à la stratégie de Lisbonne, ce qui compliquait toute évaluation coûts/résultats et toute réelle responsabilisation des décideurs des politiques communautaires.

Le bilan à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne fait ressortir que ses limites étaient inscrites dans sa conception même.

Le Conseil européen a toutefois estimé en 2005 que les objectifs de Lisbonne étaient plus que jamais d'actualité, tant l'Europe a un besoin collectif de se mobiliser et de faire renforcer ses atouts.

* 11 Il est tout à fait symptomatique que ces chiffres eux-mêmes soient discutés entre les lecteurs des conclusions des Conseils européens et des rapports de la Commission.

* 12 Achèvement du marché intérieur, concurrence, modernisation des règles relatives aux marchés publics, paquet fiscal, règles relatives aux offres publiques d'achat etc.

* 13 Dans les conclusions de Lisbonne, il est par exemple demandé à la Commission «de présenter sous peu une communication sur une Europe ouverte, novatrice et entrepreneuriale, ainsi que le programme pluriannuel en faveur de l'entreprise et de l'esprit d'entreprise pour 2001-2005» (...) «d'élaborer une charte européenne pour les petites entreprises» ou de «mettre au point un modèle européen de curriculum vitae, qui sera utilisé sur une base volontaire pour favoriser la mobilité».

* 14 Plus de 300 à ce jour.

* 15 Essentiellement les Fonds structurels et le programme-cadre de recherche et de développement technologique.

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