B. DEUX DÉFIS POUR L'AVENIR : LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ DES FAMILLES ET PROTÉGER LES ENFANTS SUR INTERNET

1. Lutter contre la pauvreté des familles : une exigence de solidarité

Initialement envisagé pour la Conférence de la famille de septembre 2005, le thème de la pauvreté des familles est certainement l'un des grands chantiers de la politique familiale de ces prochaines années.

Il paraît en effet indispensable, pour des raisons évidentes de justice sociale, de lutter plus particulièrement contre la pauvreté des enfants, dans la mesure où ces derniers en subissent les conséquences sans pouvoir modifier une situation qu'ils subissent. Cette exigence est d'autant plus forte que la pauvreté éprouvée durant l'enfance conduit le plus souvent, à l'âge adulte, à la pauvreté ou à l'exclusion sociale.

a) Un constat : deux millions d'enfants pauvres

Publié en janvier 2004, le rapport du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc) sur la pauvreté des enfants 3 ( * ) indiquait qu'environ un million d'enfants de moins de 18 ans, soit 8 % des mineurs, vivaient en dessous du seuil de pauvreté monétaire en 1999.

La pauvreté est toutefois un phénomène relatif : si l'on retient le seuil de pauvreté tel que défini par l'Union européenne (60 % du revenu médian et non 50 %, qui est le niveau retenu par l'Insee), ce chiffre monte à deux millions de mineurs pauvres, ce qui met en lumière la forte concentration des situations de pauvreté : 1,7 million d'enfants ont donc un niveau de vie compris entre 450 et 670 euros mensuels.

Si l'on considère les bénéficiaires de minima sociaux, on note que 600.000 enfants vivent dans des familles bénéficiaires du RMI et 295.000 dans des familles titulaires de l'API. La pauvreté est ensuite un phénomène persistant : la moitié environ des enfants de familles percevant le RMI fin 2002 est dans cette situation depuis au moins trois ans.

Par ailleurs, le taux de pauvreté des enfants (8 %) est supérieur au taux de pauvreté des adultes (6,5 %), attestant d'un risque accru de pauvreté des ménages avec enfant.

Le rapport du Cerc met en outre en lumière les conséquences de la pauvreté persistante pour l'avenir des enfants. On constate ainsi que l'échec scolaire touche particulièrement les enfants des familles à bas revenu : à 17 ans, 18 % des enfants du premier décile ont arrêté leurs études (dont 12 % sans aucun diplôme) contre 1 % seulement en moyenne pour les trois déciles les plus favorisés.

Des familles à risque : les familles monoparentales et les familles nombreuses

Le risque pour un enfant d'être pauvre se concentre dans deux types de familles : les familles monoparentales, quel que soit le nombre d'enfants, et les couples avec quatre enfants et plus. Les enfants issus de familles monoparentales représentent en effet 23 % du total des enfants pauvres et les familles nombreuses, 26 %. Mais si le risque de pauvreté est plus faible pour les couples avec un à trois enfants, la fréquence de ce type de familles conduit cependant à ce qu'elles rassemblent la majorité des enfants pauvres.

Répartition des enfants pauvres
par type de famille

Taux de pauvreté

Poids relatif au sein des familles pauvres

Familles monoparentales

- avec un seul enfant

10,2 %

5 %

- avec deux enfants ou plus

16,8 %

18 %

Couples

- avec un enfant

4,8 %

10 %

- avec deux enfants

5,0 %

24 %

- avec trois enfants

5,8 %

17 %

- avec quatre enfants ou plus

17,3 %

26 %

Source : Insee - DGI, enquêtes revenus fiscaux 1999 et 2000, Calculs CERC.

Les familles monoparentales pauvres se caractérisent principalement par un taux d'activité très faible et par un taux de chômage élevé, correspondant à près d'un tiers des chefs de familles monoparentales pauvres.

S'agissant des familles pauvres de quatre enfants et plus, de la même façon, dans près de la moitié des cas, aucun adulte n'a d'emploi. Par ailleurs, les trois quarts des chefs de familles nombreuses sont sans diplôme et près de la moitié est d'origine étrangère non européenne.

L'impact du système de prestations familiales sur la réduction de la pauvreté

Prises dans leur ensemble, les prestations familiales françaises présentent quatre caractéristiques principales :

- elles assurent une redistribution horizontale importante entre ménages sans enfants et ménages avec enfants. Elles évitent donc, pour un revenu primaire donné, que le niveau de vie monétaire des familles soit tiré vers le bas : le Cerc calcule ainsi que la présence d'un enfant apporte, en moyenne, à sa famille un montant de prestations de l'ordre de 200 euros par mois ;

- elles ont en revanche un rôle de redistribution verticale peu significatif : même si un nombre croissant de prestations est versé sous condition de ressources, le poids des allocations familiales - qui concernent toutes les familles de deux enfants et plus - a pour conséquence que le montant total des prestations familiales varie peu en fonction du revenu d'activité des familles. Pour autant, même si elles sont versées sans condition de ressources, les allocations familiales contribuent, pour une part importante, au niveau de vie des foyers d'allocataires de minima sociaux : elles représentent ainsi 23 % des transferts sociaux en faveur des ménages les plus pauvres, soit 12 % de leur revenu global.

- leur montant moyen par enfant est plus élevé pour les familles monoparentales que pour les couples , du fait notamment de l'allocation de soutien familial et de l'API. En tenant compte des allocations logement, les prestations sont trois fois plus élevées que celles dont bénéficient l'ensemble des ménages et deux fois plus élevées que celles des couples avec enfants ;

- les prestations sont particulièrement concentrées sur les familles avec des enfants de moins de trois ans : la Paje, accessible à 250.000 familles supplémentaires par rapport à l'ancienne APJE, accentue encore ce phénomène.

b) La problématique particulière des parents isolés

Depuis 1989, le législateur a pris en compte le phénomène particulier de la pauvreté des familles monoparentales, à travers la création de l'allocation de parent isolé (API). Celle-ci est servie aux personnes seules ayant un ou plusieurs enfants à charge, à condition que l'un d'entre eux ait moins de trois ans. Elle leur est versée jusqu'au troisième anniversaire de l'enfant le plus jeune, après quoi les personnes concernées retombent dans le droit commun du RMI. Elles peuvent également percevoir l'API de façon transitoire, pendant l'année qui suit leur divorce, leur séparation ou leur veuvage (API dite « courte »).

Or, contrairement à ce qui se passe pour le RMI, il n'existe aucun mécanisme d'accompagnement personnalisé des bénéficiaires de l'API pour les aider à se réinsérer sur le marché du travail. La perception de l'API est d'ailleurs souvent ressentie comme un droit au retrait temporaire du marché du travail par les jeunes femmes concernées ou comme une alternative au congé parental pour celles qui ne remplissent pas les conditions d'activité antérieure requises pour en bénéficier.

L'absence de démarche d'insertion organisée au profit des bénéficiaires de l'API a pour conséquence une moindre mobilisation des dispositifs d'aide au retour à l'emploi à leur profit, qu'il s'agisse de la formation ou des dispositifs d'emplois aidés, par rapport aux autres bénéficiaires de minima sociaux, notamment les titulaires du RMI.

Accès aux emplois aidés : comparaisons entre le RMI et l'API

Type de mesure

Part des bénéficiaires du RMI (en %)

Part des bénéficiaires de l'API (en %)

Contrat emploi-solidarité (CES)

37,2

1,8

Contrat emploi consolidé (CEC)

24,6

1,2

Contrat initiative-emploi (CIE)

19,5

0,5

Stage d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) collectif

31,0

n.c.

Stage d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) individuel

15,0

n.c.

Source : Dares

Les bénéficiaires de l'API relèvent donc, en matière d'accompagnement vers l'emploi, du dispositif de droit commun qu'est le plan d'aide au retour à l'emploi (Pare), dispositif qui reste trop peu ciblé sur les personnes les plus en difficulté et qui n'est pas à même d'accompagner les parents isolés dans la résolution des problèmes spécifiques que pose leur retour à l'emploi.

La reprise d'activité des bénéficiaires de l'API et, dans une moindre mesure, de ceux du RMI ayant des enfants à charge, se heurte en effet à la question de l'accès aux modes de garde et au coût de ces derniers : en 2000, seuls 3 % des enfants issus de familles bénéficiaires d'un minimum social étaient gardés en crèche et 80 % n'étaient confiés à aucun mode d'accueil et restaient à la garde de leurs parents.

Les difficultés d'accès à un mode de garde payant pour les bénéficiaires de l'API sont de plusieurs natures :

- dans un contexte qui reste encore celui de la pénurie de places en crèche, le règlement de la plupart des établissements prévoyait jusqu'à présent une priorité d'accès pour les enfants de couples bi-actifs. Les personnes en recherche d'emploi ne pouvait donc que très difficilement accéder à ce mode de garde, pourtant moins onéreux, et se trouvaient enfermées dans un cercle vicieux où l'absence d'emploi entraînait l'absence de système de garde qui lui même empêchait une recherche d'emploi efficace ;

- le coût d'accès aux autres modes de garde payants reste, malgré la mise en oeuvre de la Paje, trop élevé : bien que théoriquement suffisante pour rémunérer une assistante maternelle, l'aide versée ne permet de faire face à cette dépense qu'à la condition que celle-ci soit rémunérée au salaire minimum, ce qui est rarement le cas, notamment en région parisienne.

Des démarches ont toutefois été entreprises dans le but de lever ces obstacles à la reprise d'activité des bénéficiaires de l'API :

- la mise en oeuvre de la prestation de service unique s'est accompagnée d'une obligation pour les crèches de supprimer de leur règlement intérieur la condition de double activité professionnelle des parents ;

- la COG 2005-2008 de la CNAF a fait de l'accès des bénéficiaires de l'API aux modes de garde une priorité de son action sociale : à ce titre, la mise en place d'un accompagnement social spécifique de ces parents isolés est prévue.

Dans son allocution devant le Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE) le 16 septembre 2005, le Premier ministre a annoncé une série de mesures en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux. S'agissant de l'API, il a précisé que ses bénéficiaires se verraient reconnaître une priorité pour l'accès aux places de crèche, dans le cadre du quatrième plan de création de places dans ces structures lancé en 2006.

Il a également annoncé une réforme de l'intéressement à la reprise d'activité, dans le cadre du projet de loi relatif au retour à l'emploi qui devrait être présenté au Conseil des ministres du 9 novembre prochain, et la mise en place d'une démarche d'insertion au profit des titulaires de l'API. Il a enfin confié à Michel Mercier et Henri de Raincourt, sénateurs, une mission de réflexion sur l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux, et notamment des bénéficiaires de l'API.

Votre commission ne peut que se féliciter de cette prise de conscience des difficultés spécifiques du retour à l'emploi des parents isolés. Elle restera toutefois vigilante, conformément au constat qu'elle dressait en juin dernier 4 ( * ) , à la cohérence des mesures proposées entre les différents minima sociaux.

* 3 « Les enfants pauvres en France », La Documentation française, 2004.

* 4 « Minima sociaux : mieux concilier équité et reprise d'activité », rapport d'information n° 334 (2004-2005) de Valérie Létard, fait au nom de la commission des affaires sociales, 11 mai 2005.

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