b) Les défis exogènes
(1) Le « marché mondial » de la recherche

La mobilité des étudiants de haut niveau et des chercheurs ont créé un véritable « marché mondial » de l'emploi scientifique.

Si peu d'enquêtes exhaustives ont été réalisées sur le sujet, une étude publiée en 2002 par l'ambassade de France aux Etats-Unis 21 ( * ) livre quelques chiffres qui permettent de prendre la mesure du phénomène dans le premier pays scientifique du monde. En 2002, 46 % des thèses en sciences et ingénierie soutenues aux Etats-Unis l'étaient par des étrangers et 55 % des post-doctorants en sciences et ingénierie étaient étrangers.

Cela montre à la fois que les Etats-Unis dépendent fortement de la venue sur leur sol d'une force de travail étrangère, mais aussi qu'ils réalisent des économies conséquentes en matière d'éducation en accueillant des jeunes déjà formés.

La même étude rapporte que, si 0,35 % des étudiants français s'inscrivent dans une université américaine pour des études de 1 er , 2 e ou 3 e cycle, 28 % des post-doctorants français partent aux Etats-Unis l'année qui suit leur thèse. Cette tendance à effectuer une partie des études supérieures à l'extérieur du pays d'origine est nécessaire pour la fonction réellement universelle des élites - d'ailleurs le système LMD est en principe destiné à cela.

Mais, tout l'enjeu pour les pays de départ (essentiellement asiatiques, mais également européens), consiste à pouvoir faire revenir ces jeunes cerveaux après quelques années d'expérience à l'étranger, en particulier aux Etats-Unis, ce qui pose la question de l'attractivité de l'emploi scientifique.

Avec une volonté complémentaire d'accueil de diplômés étrangers : si cela est relativement facile en termes de niveau de recherche compte tenu de la bonne répartition de nos laboratoires et de nos entreprises, des efforts restent à accomplir dans le domaine de l'accueil social et des rémunérations.

(2) L'avancée des partenaires étrangers

Ces nouveaux enjeux ont conduit la plupart des pays à réfléchir sur l'organisation de leur recherche nationale et sur les moyens qu'ils lui consacrent. Les développements qui suivent ne prétendent pas étudier en profondeur les différents systèmes de recherche, mais esquissent un panorama des réponses qui ont pu être apportées à ce défi par nos principaux partenaires et concurrents.

(a) Les Etats-Unis

Les Etats-Unis ont choisi de faire de leur rayonnement scientifique un instrument essentiel de leur politique de puissance. Ce choix s'est traduit par une hausse considérable de l'effort américain de recherche qui, à 291 milliards de dollars, s'élevait déjà à 2,79 % du PIB en 2002.

Dans le domaine civil, l'augmentation de l'effort public s'est accompagnée d'une hausse encore plus forte de l'effort de recherche du secteur privé, dont la part dans les dépenses nationales de recherche et développement est passée de 39,8 % en 1970 à 66,3 % en 2002 22 ( * ) . Toutefois, l'importance des aides publiques en faveur de l'investissement privé de recherche et développement aux Etats-Unis explique en partie l'évolution de cette répartition. Par ailleurs, la recherche militaire a également vu ses crédits augmenter de 16 % en 2003, à 11,5 milliards de dollars ; traditionnellement, cette recherche présente un fort caractère « dual », ce qui signifie qu'elle a des retombées non négligeables sur la recherche civile.

En termes d'organisation, l'Office of science and technology policy , directement rattaché au Président des Etats-Unis, coordonne l'action du gouvernement et aide à préparer le budget proposé par le Président. Les programmes fédéraux sont exécutés par des agences indépendantes (NASA, National science foundation...) ou placées sous la responsabilité d'un ministère. La recherche académique se déroule au sein des universités, publiques ou privées. Bien que le système soit très individuel, le gouvernement peut orienter les thématiques de recherche, par exemple en créant des centres d'excellence ou des programmes interdisciplinaires. Enfin, les entreprises, principal moteur de la recherche nationale, en tant qu'acteur et que source de financement, consacrent principalement leurs efforts à la recherche appliquée.

(b) Le Japon

Les dépenses de recherche et de développement du Japon représentaient 3,2 % du PIB de ce pays, ce qui est proportionnellement supérieur à l'effort américain. Cet effort est particulièrement sensible depuis 1995, date de lancement d'un plan-cadre qui devait permettre d'atteindre en 5 ans un niveau de dépenses double par rapport à l'année 1992. Un deuxième plan a été lancé en 2001, qui prévoit un budget de 209 milliards d'euros sur 5 ans. 23 ( * )

Le développement de cet effort s'est accompagné d'une importante réforme de la politique de recherche et d'enseignement supérieur du pays. Les principaux axes de cette réforme consistent en une indépendance accrue des laboratoires et des universités, leur orientation vers l'international, ainsi que la constitution de grands pôles régionaux « recherche - université - industrie ». Cette politique a aussi donné naissance à de grandes infrastructures à la pointe de la technologie comme l'Earth simulator , l'ordinateur le plus puissant du monde, ou encore le centre de génomique de Yokohama.

(c) La Russie

L'investissement dans la recherche et le développement a connu une grave crise en Russie dans les années 1990, à la suite de la disparition de l'Union soviétique : d'un peu plus de 2 % du PIB en 1990, il est passé à un peu plus de 1 % en 1999. Le pays, qui disposait de nombreux scientifiques de tout premier plan, a alors dû faire face à un double type de « fuite des cerveaux » : d'une part, en direction de l'étranger (environ 2.200 personnels scientifiques russes ont émigré chaque année entre 1992 et 1996), d'autre part en interne, les meilleurs étudiants privilégiant des filières telles que l'économie ou la gestion.

Le gouvernement a réagi, en érigeant la recherche et l'éducation au rang des priorités nationales en 1999. Depuis lors, de plus en plus de chercheurs sont davantage associés à la définition des orientations de la politique publique. Si, du fait de fortes contraintes budgétaires, la situation matérielle de la recherche russe reste précaire, l'émigration des chercheurs est désormais moins forte (900 départs en 2001).

La politique nationale en matière scientifique et technologique relève du ministère de l'éducation et des sciences, qui est chargé de coordonner l'ensemble du processus décisionnel. La diminution des fonds publics pour la recherche a rendu nécessaire la détermination des domaines prioritaires, revus tous les 2 ou 3 ans et soumis à l'approbation du président de la Fédération de Russie, après avis de la Commission gouvernementale pour la politique scientifique et technologique. D'une façon générale, la recherche russe a été réorientée en privilégiant fortement la recherche appliquée par rapport à la recherche fondamentale, très développée à l'époque soviétique.

La recherche nationale est principalement opérée par des Académies, en particulier par l'Académie des sciences de Russie, organisée en 9 départements regroupant les principaux champs du savoir, qui absorbe à elle seule 38 % du budget de la recherche et développement. De plus, les activités et projets de recherche bénéficient de subventions accordées par des fondations, presque exclusivement publiques, puisqu'il n'y a pas de système d'incitation fiscale en faveur des fondations privées de soutien à la recherche. Mais la réglementation russe, qui dispose que les recherches financées par les fondations publiques sont propriété nationale, constitue un frein sérieux à l'émergence d'un réseau d'entreprises innovantes.

(d) L'Allemagne

Premier pays européen à la fois pour le nombre de chercheurs et pour les crédits consacrés à la recherche et au développement, l'Allemagne consacre 2,5 % de son PIB à ce type de dépenses.

Le système allemand procède très largement à des appels d'offres pour le financement de projets de recherche. D'autre part, les instituts de recherche sont soumis à une évaluation régulière, conduite par des comités de visite au sein desquels les chercheurs étrangers sont majoritaires, et suivie de conséquences financières importantes. Un tel système entretient un esprit de compétition et de continuelle remise en cause.

Il est à noter que la définition des priorités de la recherche et leur financement ne dépendent pas entièrement du gouvernement fédéral : d'une part, les Länder apportent leur contribution, d'autre part la mise en oeuvre concrète de cette politique relève essentiellement d'entités autonomes, comme la Deutsche Forschunggemeinschaft (DFG) et la société Max Planck pour la recherche fondamentale, et la société Fraunhofer pour la recherche appliquée.

(e) Le Royaume-Uni

Le Royaume-Uni, qui a connu une certaine atonie de ses dépenses en recherche et en développement au cours des années 80 et 90, s'est lancé dans un effort de rattrapage depuis la fin de la dernière décennie, effort qui est appelé à se poursuivre : le ministère des finances a présenté en 2004 un « plan d'investissement pour la recherche et l'innovation » fixant comme objectif de faire passer les dépenses de recherche et développement de 1,9 % à 2,5 % du PIB d'ici à 2014 (de 0,66 % à 0,8 % pour la part du secteur public).

Le financement de la recherche britannique, assez complexe, se divise en deux grands ensembles :

- un financement des infrastructures et des personnels permanents par les « Higher education funding councils » ;

- un financement des dépenses de recherche par des « grants », c'est-à-dire des subventions attribuées à une équipe et pour un projet d'une durée de 2 à 5 ans.

L'essentiel de la recherche britannique s'effectue dans les universités. Les liens entre la recherche et l'industrie sont étroits, à travers notamment des centres de transferts de technologies mis en place par les universités et les centres de recherche, ou des parcs scientifiques fondés sur un partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur, les centres de recherche et l'industrie.

(f) La Suède

La Suède est le pays du monde dont l'effort relatif en matière de recherche et développement est le plus important : en 2002, les investissements du royaume représentaient 4,3 % de son PIB. A cette date, elle comptait également plus de 10 chercheurs pour 1.000 emplois, n'étant devancée que par la Finlande dans ce domaine 24 ( * ) .

Le pilotage de la recherche est effectué par le ministère de l'éducation et des sciences, conseillé par un organe consultatif composé de chercheurs et de représentants des milieux économiques, la Commission de recherche. Les moyens publics comportent une part fixe, constituée des crédits alloués aux établissements d'enseignement supérieur, et une part variable, constituée des crédits que les chercheurs demandent sur une base concurrentielle à des conseils de recherche, des organismes sectoriels et des fondations de recherche.

La recherche financée par l'Etat se fait pour l'essentiel dans les universités et les autres établissements d'enseignement supérieur. La recherche privée (72 % du total des dépenses de recherche et développement) est très concentrée dans les plus grandes entreprises suédoises. L'Etat et les entreprises coopèrent dans le cadre des instituts de recherche industrielle financés conjointement. Bien qu'indépendants du système d'enseignement supérieur, ces instituts travaillent souvent en étroite collaboration avec les universités et écoles supérieures.

(g) L'Italie

Les dépenses de l'Italie en matière de recherche et de développement figurent parmi les plus basses des pays industrialisés, à peine supérieures à 1 % du PIB en 2000, dont un peu plus de la moitié correspondent à des dépenses publiques. Ce chiffre correspond à une nette diminution par rapport aux années antérieures, puisqu'en 1992, l'Italie investissait l'équivalent de 1,32 % de son PIB en recherche et développement.

De plus, l'Italie souffre de plusieurs carences structurelles :

- un cloisonnement très fort entre la recherche menée par les universités, les organismes de recherche et les entreprises, qui gêne la diffusion des résultats obtenus ;

- le manque de grands groupes dans les secteurs industriels de pointe, qui explique la faiblesse de l'investissement privé ;

- la désaffection des jeunes à l'égard des carrières scientifiques.

Pour faire face à cette situation, le gouvernement a lancé un programme national pour la recherche pour les années 2003 à 2006. L'objectif est de doubler en 3 ans le budget de la recherche, la hausse des crédits publics devant entraîner une augmentation des financements privés. En pratique, le manque de moyens réellement dégagés fait douter des chances de l'Italie d'atteindre son objectif en 2006.

(h) La Chine

Dans le cadre d'une économie en forte croissance, la recherche et le développement constituent une priorité de premier plan pour le gouvernement chinois. Les dépenses chinoises en la matière sont évaluées à environ 1,3 % du PIB, avec une orientation très forte en direction de la recherche appliquée et du développement. Selon l'ambassade de France en Chine, le volume chinois de publications scientifiques a été multiplié par 5 entre 1988 et 2001, ce pays arrivant à cette date au 3 e rang mondial pour les travaux cités dans l'Engineering Index .

Au niveau central, le ministère de la science et de la technologie est la plus grande agence de financement du pays. Agissant comme une agence d'objectifs de la recherche appliquée, il définit et met en oeuvre les priorités de la politique scientifique chinoise et détermine la stratégie et les grandes orientations scientifiques. Cependant, d'autres acteurs importants ne dépendent pas de ce ministère, en particulier l'Académie des sciences, qui dispose de ses propres laboratoires et qui est directement rattachée au Conseil des affaires d'Etat. Enfin, les provinces disposent de compétences propres en matière de recherche et de développement, et gèrent leurs propres instituts de recherche.

(i) L'Inde

Le gouvernement indien a annoncé une nouvelle politique pour la science et la technologie en janvier 2003 25 ( * ) .

D'un point de vue financier, l'accent sera mis sur les dépenses de recherche et de développement, qui devraient dépasser 2 % du PIB en 2007.

Cet effort s'accompagnera de réformes structurelles, avec une volonté marquée d'associer étroitement les secteurs public et privé : ainsi, la mobilité des chercheurs sera encouragée, une réforme du régime de la propriété intellectuelle devrait favoriser l'innovation et un soutien particulier sera accordé aux chercheurs qui transféreraient les résultats de leur recherche aux entreprises. Par ailleurs, le gouvernement indien compte accorder une plus large autonomie aux établissements publics de recherche, alléger leurs procédures et rendre les carrières scientifiques plus attrayantes. Des pôles d'excellence seront créés dans les secteurs prioritaires et bénéficieront d'un soutien public pendant au moins 10 ans.

* 21 « Le marché international de la formation et de l'emploi scientifique, vu des Etats-Unis », Mission pour la science et la technologie de l'Ambassade de France aux Etats-Unis, septembre 2002

* 22 Source : National Science Foundation

* 23 Source : rapport d'information de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale n° 1.095, « Recherche européenne : l'urgence du réveil », par M. Daniel Garrigue

* 24 Source : Ambassade de France en Suède

* 25 Source : rapport d'information de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale n° 1.095, « Recherche européenne : l'urgence du réveil », par M. Daniel Garrigue.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page