Article additionnel après l'article 3 (art. L. 116-4 du code du travail)
Discriminations à l'occasion du recrutement des apprentis

Objet : Cet article additionnel tend à créer une évaluation spécifique de la mise en application des dispositions du code du travail interdisant les discriminations lors du recrutement ou de l'accès aux stages.

Les auditions organisées dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi ont montré l'existence, dans les centres de formation des apprentis, de phénomènes de discrimination ethnique résultant de la passivité des responsables à l'égard d'exigences illégales de certains employeurs. Il est important de manifester le caractère inacceptable de cette situation et d'appeler les autorités de contrôle à s'investir dans la lutte contre les discriminations. L'article L. 116-4 du code du travail, qui régit le contrôle pédagogique des CFA et réprime les manquements aux obligations résultant du code du travail, est un cadre approprié pour instituer une évaluation spécifique des manquements au premier alinéa de l'article L. 122-45, qui interdit les discriminations lors du recrutement ou de l'accès aux stages.

Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel dans la rédaction qu'elle vous soumet.

Article 3 bis - Contrat première embauche

Objet : Cet article, ajouté par l'Assemblée nationale, institue un contrat de travail dénommé « contrat première embauche » et fixe son champ d'application ainsi que son régime juridique.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

Cet article a été inséré dans le projet de loi à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par le Gouvernement. Il institue une nouvelle catégorie de contrat de travail à durée indéterminée, dénommé « contrat première embauche » (CPE), en précisant successivement son champ d'application, son régime juridique et le régime des indemnités de rupture spécifiques qui lui sont associées. Ce dispositif est assez étroitement inspiré du contrat nouvelles embauches (CNE), créé par l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005. On relèvera dès à présent qu'à l'instar du CNE, le CPE n'est pas inséré dans le code du travail.

Le champ d'application du contrat première embauche

Le paragraphe I précise que les employeurs entrant dans le champ du premier alinéa de l'article L. 131-2 du code du travail peuvent conclure un contrat première embauche. Cet article fixe le champ d'application des dispositions du code relatives aux conventions et accords collectifs de travail. Son premier alinéa couvre une vaste gamme d'activités, depuis les professions industrielles et commerciales jusqu'au personnel des associations. Sont exclus les particuliers employeurs, les employeurs publics (entreprises publiques, établissements publics à caractère industriel et commercial), les entreprises adaptées et les centres de distribution de travail à domicile.

L'effectif de l'entreprise souhaitant embaucher sous le régime du CPE doit être supérieur à vingt salariés (les entreprises comptant jusqu'à vingt salariés peuvent passer un CNE). Ce seuil est apprécié en fonction des règles de décompte figurant à l'article L. 620-10 du code du travail :

- sont intégralement compris dans l'effectif les travailleurs en contrat à durée indéterminée (CDI) et les travailleurs à domicile ;

- les travailleurs titulaires d'un contrat à durée déterminée (CDD), d'un contrat de travail intermittent, les travailleurs mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, y compris les travailleurs temporaires, sont pris en compte au prorata de leur temps de présence au cours des douze mois précédents, à moins que, remplaçant un salarié absent ou un salarié dont le contrat de travail est suspendu, ils ne soient pas décomptés ;

- les travailleurs à temps partiel sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leur contrat par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail ;

- à titre transitoire, les salariés embauchés à compter du 22 juin 2005 et âgés de moins de vingt-six ans sont exclus du décompte des effectifs, quelle que soit la nature du contrat qui les lie à l'entreprise.

Ces dispositions, ainsi que celles concernant la qualité des employeurs, sont identiques à celles instituées pour le CNE.

A la différence du CNE, intergénérationnel bien qu'il ait servi de support juridique au recrutement de nombreux jeunes depuis sa mise en place, le CPE est exclusivement dédié à l'embauche de jeunes âgés de moins de vingt-six ans. Il s'agit clairement d'un dispositif tourné vers la résolution des problèmes d'insertion dans l'emploi salarié que connaissent les jeunes, et plus spécialement ceux d'entre eux les moins formés .

Le texte précise que ce contrat ne peut s'appliquer qu'à de nouvelles embauches, ce qui marque le fait que le CPE n'est pas destiné à absorber les CDI de droit commun existants, mais à offrir une alternative aux jeunes pris dans le processus cumulatif des CDD, des intérims et du temps partiel : on reviendra sur ce point essentiel. On notera accessoirement que le projet de loi n'institue aucune présomption de conclusion d'un CPE : l'employeur qui désire recourir à cette formule plutôt qu'à un CDI de droit commun devra le mentionner expressément dans le contrat écrit dont le II de l'article rend obligatoire la rédaction.

Enfin, le texte précise que le CPE ne peut pas servir à pourvoir des emplois à caractère saisonnier : il convient pour eux de recourir au CDD.

Le régime juridique du contrat première embauche

Le paragraphe II précise d'abord que le CPE est conclu sans détermination de durée. Il s'agit ainsi d'un CDI, qui diffère du droit commun en ce qu'un certain nombre de règles sont aménagées pendant une durée de deux ans, au terme de laquelle le CPE est transformé en CDI de droit commun. Il est précisé que doivent être décomptées, au titre de ces deux années de « consolidation » du CPE, la période de stage ou toute autre période de travail ou de formation accomplie par le jeune dans l'entreprise avec laquelle le CPE est conclu . Cette dernière disposition n'existe pas dans le cas du CNE.

En fonction de ce schéma général, le deuxième alinéa du paragraphe II dispose que le CPE est soumis aux dispositions du code du travail à l'exception, pendant les deux premières années d'exécution du contrat, des dispositions expressément énumérées :

- les articles L. 122-4 à L. 122-14-13 qui régissent la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée. Demeurent toutefois applicables au CPE les articles L. 122-12 et L. 122-12-1, relatifs respectivement aux conséquences, sur les contrats de travail, des modifications de la situation juridique de l'employeur (succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société) et aux obligations auxquelles le nouvel employeur est tenu à l'égard des salariés dont le contrat de travail subsiste. L'une des principales conséquences de l'inapplicabilité des articles L. 122-4 à L. 122-14-13 au CPE est l' abandon de la procédure prévoyant à l'article L. 122-14 un entretien préalable au licenciement, au cours duquel l'employeur indique les motifs de sa décision et recueille les explications du salarié ;

- on notera qu' est applicable au CPE l'article L. 122-45 du code du travail, qui prohibe les licenciements fondés sur des causes discriminatoires : « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié [...] en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap ». Par ailleurs, le dispositif de protection des salariées en état de grossesse et le dispositif de protection des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, figurant aux articles L. 122-25 et suivants sont applicables au CPE ;

- on notera aussi que les articles L. 122-40 et suivants du code du travail relatifs à la procédure disciplinaire en cas de faute du salarié s'appliquent aux CPE . La procédure disciplinaire doit donc être respectée avant d'infliger une sanction au salarié. Dans la mesure où l'article L. 122-40 dispose que « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif , que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise , sa fonction, sa carrière ou sa rémunération », il reviendra à la jurisprudence d'éclairer l'articulation entre la procédure disciplinaire obligatoire et les dispositions allégeant les conditions de rupture du contrat à l'initiative de l'employeur. Il semble alors que la rupture non motivée du CPE ne devra pas être liée à une faute susceptible d'être sanctionnée en application de l'article L. 122-40 ;

- l'article L. 122-14-14, dont l'application est exclue dans le cas du CPE, fixe les droits du salarié investi de la mission de conseiller du salarié. Le titulaire d'un CPE ne pourra donc pas être conseiller du salarié ;

- les articles L. 321-1 à L. 321-17, exclus aussi, fixent le régime juridique du licenciement économique. Ces dispositions ne sont donc globalement pas applicables au CPE. Cependant, comme le précise le neuvième alinéa du paragraphe II, les ruptures du contrat de travail envisagées à l'initiative de l'employeur seront prises en compte pour la mise en oeuvre des procédures d'information et de consultation régissant les procédures de licenciement économique collectif.

En conséquence de ces spécificités, le paragraphe II fixe ainsi les conditions de rupture du CPE par l'employeur ou par le salarié :

- la rupture doit être notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;

- quand l'employeur est à l'origine de la rupture (sauf en cas de faute grave ou de force majeure) et si le salarié a travaillé au moins un mois, un préavis de deux semaines est obligatoire quand la durée entre la conclusion du contrat et la présentation de la lettre de rupture est inférieure à six mois ; le préavis est d'un mois quand cette durée est au moins égale à six mois. Au cours du premier mois, le contrat peut donc être rompu sans préavis, sauf éventuelle disposition conventionnelle contraire ;

- quand l'employeur est à l'origine de la rupture (sauf en cas de faute grave), il doit verser au salarié une indemnité égale à 8 % de la rémunération brute (ce qui couvre le salaire brut, les primes et accessoires dus en exécution de la prestation de travail, l'indemnité compensatrice de congé, le salaire versé durant le préavis ou l'indemnité compensatrice de préavis) acquise depuis la conclusion du contrat. En application de l'article L. 122-9 du code du travail, cette indemnité n'est soumise ni à l'impôt sur le revenu ni à cotisations sociales ;

- à l'indemnité de rupture s'ajoute une contribution de l'employeur égale à 2 % du montant de la rémunération brute versée depuis le début du contrat, recouvrée par les Assedic et destinée à financer les actions d'accompagnement renforcé du salarié par le service public de l'emploi en faveur de son retour à l'emploi ;

- le régime de protection des salariés titulaires d'un mandat syndical ou représentatif s'applique aux salariés en CPE. L'employeur devra ainsi demander l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail avant de rompre le CPE d'un travailleur protégé ;

- afin de prévenir le recours abusif du CPE, il est interdit à un employeur d'en conclure un nouveau avec le même salarié avant l'écoulement d'un délai de trois mois depuis la rupture du précédent.

Le paragraphe II fixe enfin certains droits reconnus au travailleur titulaire d'un CPE et destinés à faciliter son insertion dans le monde du travail :

- le droit individuel à la formation (Dif) institué à l'article L. 933-1 du code du travail lui est ouvert au prorata temporis après un délai d'un mois à compter de la date d'effet du contrat de travail. La situation est donc plus favorable dans le cadre du CNE où ce droit n'est acquis qu'à l'issue d'une période de travail de quatre mois. Il convient de rappeler que le Dif permet à tout salarié de se constituer un crédit d'heures de formation de vingt heures par an, cumulable sur six ans dans la limite de cent vingt heures. Le Dif est un droit reconnu au salarié, que celui-ci est libre d'utiliser ou non. L'initiative d'utiliser les droits à formation acquis appartient donc au salarié, mais la mise en oeuvre du Dif requiert l'accord de l'employeur sur le choix de l'action de formation. Celle-ci a lieu hors du temps de travail sauf disposition conventionnelle contraire ; elle est prise en charge par l'employeur selon des modalités particulières ;

- le jeune titulaire d'un CPE doit être informé, lors de la signature du contrat, des dispositifs auxquels il peut avoir accès au titre du 1 % logement , afin de faciliter son accès à un logement autonome.

Les conditions de la recherche d'un emploi à la suite de la cessation du contrat première embauche

Le paragraphe III accorde au travailleur sortant d'un CPE d'une durée minimale de quatre mois et ne bénéficiant pas de l'assurance chômage au titre de l'article L. 351-3 du code du travail, ce qui peut être souvent le cas compte tenu des conditions d'activité professionnelle antérieure posées, le bénéfice d'une allocation forfaitaire versée pendant deux mois . Cette allocation, financée par l'Etat par le biais du fonds de solidarité créé par la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi, sera fixée à 16,40 euros par jour. Il convient de noter que le salarié embauché sous le régime du CNE ne bénéficie actuellement de l'allocation que pendant un mois (durée fixée par décret).

Enfin, le salarié sortant d'un CPE pourra prétendre au bénéfice de la convention de reclassement personnalisé instituée par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale en faveur des salariés qui ont fait l'objet d'un licenciement économique dans les entreprises de moins de 1.000 salariés, dans des conditions définies par les partenaires sociaux en application des dispositions du code du travail régissant les accords relatifs aux allocations d'assurance des travailleurs privés d'emploi, ou à défaut par décret en Conseil d'Etat.

L'Assemblée nationale a modifié par trois sous-amendements l'amendement du Gouvernement créant le CPE :

- le premier est rédactionnel, il dissipe l'apparente confusion que la rédaction de l'amendement semblait établir entre les contrats de travail passés éventuellement entre l'entreprise et le salarié avant la conclusion d'un CPE et les missions de travail temporaire éventuellement effectuées par le salarié dans l'entreprise : le travailleur en mission temporaire est en effet salarié de l'entreprise de travail temporaire qui l'emploie ;

- le deuxième précise que le droit individuel à la formation prévu à l'article L. 933-1 du code du travail s'exercera, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signature du CPE, dans les conditions réservées aux titulaires d'un CDI de droit commun ;

- le troisième insère à la fin de l'article un paragraphe V qui prévoit l'évaluation du CPE et de ses effets sur l'emploi selon des modalités identiques à celles que l'ordonnance du 2 août 2005 a retenues pour le CNE : évaluation au plus tard le 31 décembre 2008 et par une commission associant les organisations d'employeurs et de salariés représentatives sur le plan national et interprofessionnel.

II - La position de votre commission

Il existe deux façons de mettre le CPE en perspective pour en approuver ou en rejeter le dispositif :

- il est loisible d'estimer que l'entrée des jeunes dans le monde du travail suit un cours harmonieux grâce aux politiques publiques mises en place depuis une trentaine d'années par l'ensemble des gouvernements, que les jeunes en général accèdent ainsi aux responsabilités de l'âge adulte dans des conditions favorables et que la période de deux ans pendant laquelle l'employeur aura la possibilité de rompre un CPE sans motiver sa décision introduit le poison de la précarité dans un environnement idyllique ;

- il est aussi possible de se fonder sur la réalité des choses, de reconnaître que toute une partie, mais une partie seulement, de la jeunesse est installée dans la précarité dès le départ de la vie professionnelle et pour de longues années, d'admettre la spécificité de cette situation que n'ont pu corriger trente années de politiques ciblées, de s'inquiéter de la césure entre les générations qu'elle implique, de s'inquiéter de la marginalisation pratiquement institutionnalisée de cette jeunesse, de constater la nécessité pour l'Etat de se remettre en question à ce propos, d' explorer de nouvelles voies dans le respect des équilibres majeurs de notre droit du travail .

Le CPE participe de cette seconde approche, à laquelle votre commission adhère. Ce nouvel instrument tend à consolider l'insertion des jeunes dans la société française et le rôle des jeunes dans l'économie française. C'est ainsi qu'il manifeste la réactivité et l'ambition de l'Etat à l'égard de phénomènes d'exclusion rampante dont la société ne peut s'accommoder longtemps sans nier sa raison d'être.

Le CPE et la précarité

Les études disponibles sur l'emploi des jeunes et sur les modalités de leur insertion sur le marché du travail 4 ( * ) , montrent qu'une frange importante de la jeunesse se trouve de plus en plus enfermée dans la précarité, cantonnée plus ou moins longtemps dans une marginalité à laquelle il est difficile d'imaginer une issue, quand on a vingt ans et que l'on sait, en regardant autour de soi, que s'écouleront de nombreuses années avant d'accéder au CDI salvateur grâce auquel il deviendra possible de bâtir, sur des fondations à peu près solides, son parcours d'adulte.

Alors que le CDI à temps plein conclu avec un employeur unique reste la norme à laquelle on compare inéluctablement toutes les autres formes d'emploi, l'emploi précaire se développe depuis le début des années 1980 avec le recours étendu, légal ou de fait, au CDD, le développement de l'intérim, celui du temps partiel ; et la norme devient en réalité exception, d'abord en ce qui concerne les jeunes. Les salariés disposant d'une faible ancienneté sur le marché du travail sont en effet ceux pour lesquels l'emploi stable est le moins développé, n'atteignant que 50 % à certaines périodes des deux décennies précédentes. Ce n'est qu'à partir de cinq ans d'ancienneté sur le marché du travail que l'emploi stable devient dominant, jusqu'à atteindre 80 % depuis 1990. Autre statistique convergente : en 2004, 21 % des jeunes actifs entre quinze et vingt-neuf ans occupaient un emploi temporaire, contre 7,2 % pour la tranche de trente à quarante-neuf ans et 4 % pour la tranche de cinquante à soixante-quatre ans. Il est aussi instructif de noter que 28 % des jeunes actifs en 2003 ont traversé au moins une période sans emploi cette année-là, contre 17 % pour l'ensemble des actifs. Autre indice de l'état de précarité dans lequel le fonctionnement actuel du marché du travail tend à installer une partie de la jeunesse : 10 % des jeunes actifs de quinze à vingt-neuf ans ayant un emploi en 2003 ont occupé un emploi temporaire quatre trimestres successifs, contre 5 % pour l'ensemble des actifs occupés. Par ailleurs, 4 % des jeunes actifs employés la même année ont alterné emplois temporaires et emplois à durée indéterminée pendant l'année. Le début de carrière d'une fraction significative de la jeunesse se trouve ainsi profondément insécurisé, alors que le CDI demeure pour 71,3 % de la population active, toutes tranches d'âges confondues.

La jeunesse, dans ses composantes les plus fragiles, apparaît ainsi comme la principale variable d'ajustement du marché de l'emploi et le vecteur des transformations actuelles des normes d'emploi. C'est à cette jeunesse que le CPE apporte une perspective de rompre avec l'enchaînement cumulatif des CDD, des stages sans lendemain et des « petits boulots », qui conduisent trop souvent à la marginalité sociale, et de réintégrer le coeur de notre droit du travail en accédant à ce que le texte conçoit comme l'antichambre du CDI traditionnel. Face à la réalité, la flexibilité de deux ans proposée en échange de cette possibilité de stabiliser les parcours professionnels ne peut guère être considérée comme un prix exorbitant.

Est-il besoin de noter que le CPE ne va pas apporter la précarité aux 58 % de jeunes actifs entre quinze et vingt-neuf ans qui ont disposé en 2004 d'une capacité de négociation assez forte pour travailler sous le régime du CDI ? La possession d'un diplôme recherché - faut-il le rappeler ? - continue de protéger contre les aléas de l'emploi. Les actifs les plus ou les mieux diplômés visent souvent des postes pour lesquels les procédures et les coûts d'embauche et de rupture, ainsi que l'impact sur l'organisation de la production, pour ne pas parler des coûts de formation que les employeurs engagent en cours d'emploi, écartent tout risque de précarisation. Le CPE, conçu comme le moyen de contrer une tendance perverse du marché de l'emploi, ne modifiera en rien les situations plus favorables permises par le marché de l'emploi.

Le CPE et le chômage des jeunes

L'autre aspect de la position spécifique des jeunes sur le marché de l'emploi est bien entendu le chômage, intimement lié à la précarité : pour les intérimaires et les titulaires de CDD, le risque d'être au chômage trois mois plus tard a augmenté de plus de deux points entre 2002 et 2004 et touche 16,1 % de la population active, toutes tranches d'âges confondues, en 2004. On a évoqué ci-dessus les conséquences de cette réalité globale pour les jeunes actifs soumis à la précarité. De fait, le taux d'emploi des jeunes (actifs et non actifs) de quinze à vingt-neuf ans a diminué de quatorze points entre 1975 et 2002, passant de 55 % à 41 %. Si ces chiffres sont fortement influencés par la progression du taux de scolarisation (de 29 % en 1975 à 46 % en 2002), ce qui retient ici l'attention est la sensibilité particulière du taux d'emploi des jeunes à la conjoncture , qu'illustre le graphique suivant 5 ( * ) :

PIB et taux d'emploi par tranche d'âge : écarts à la tendance de 1978 à 2002

Cette sensibilité des jeunes aux cycles conjoncturels est expliquée par le fait que, surreprésentés parmi les candidats à l'embauche, ils absorbent plus que les autres tranches d'âge les variations du marché du travail : les actifs récents, ceux qui ont terminé leurs études initiales depuis un à quatre ans, ont représenté, entre 1993 et 2002, 9 % de la population active, 8,3 % de l'emploi salarié et 19,3 % des chômeurs, tout en fournissant 26,7 % des embauches.

A nouveau, il convient de corriger l'approche globale en signalant que de larges fractions de la jeunesse active abordent le marché du travail dans des conditions parfaitement favorables. Les études montrent que les plus diplômés sont mieux protégés contre les variations de la conjoncture, les jeunes peu ou non diplômés y étant en revanche surexposés .

Face à cette situation, le CPE tend à favoriser le développement de l'emploi des jeunes les plus fragiles en offrant aux employeurs la flexibilité de deux ans susceptible de les inciter à sauter le pas de l'embauche. Cette flexibilité est-elle plus intolérable que l'enchaînement des CDD et des périodes de chômage dont on ne voit pas la fin ? Accompagnée de solides garanties sur l'indemnisation de la rupture éventuelle, sur l'octroi d'une allocation de chômage pendant deux mois, sur l'accès à la formation, est-elle plus choquante que l'enfermement des plus vulnérables dans des formules ad hoc qui stigmatisent plus qu'elles ne favorisent, qui ont de longue date montré leurs limites et auxquelles votre commission conçoit mal que l'on puisse imaginer de recourir avant d'avoir expérimenté la solution d'un retour vers le tronc commun du droit du travail.

Le CPE et la concurrence des générations sur le marché du travail

L'argument selon lequel le CPE introduirait des différences, un clivage, peut-être même une concurrence entre les jeunes et leurs aînés, si ce n'est une discrimination patente, ne tient pas un instant devant l'évidente réalité de la concurrence qui s'exerce depuis des décennies entre les générations au détriment de la jeunesse. L'objectif du CPE est de corriger les aspects les plus déstabilisants de cette situation, et c'est en cela qu'il est particulièrement légitime.

Le CPE et le code du travail

On a pu lire et entendre que le CPE était, avec le CNE, une oeuvre de destruction du code du travail. Outre le fait qu'il s'agirait à proprement parler de télédestruction dans la mesure où le CPE ne figure pas plus que le CNE dans le code du travail, on répétera simplement à cet égard que le CPE, destiné aux jeunes de moins de vingt-six ans connaissant des difficultés d'insertion dans le monde du travail et n'entrant actuellement dans le champ du code du travail que par le biais des CDD, intérims et stages plus ou moins factices a été conçu pour être, sera de fait, une voie vers le CDI. Il confortera le coeur du droit du travail en faisant reculer la précarité.

Le CPE et la responsabilité de l'Etat à l'égard des jeunes

Depuis trente ans, les politiques publiques en faveur de l'emploi des jeunes ont été essentiellement inspirées par l'idée qu'ajuster le coût du travail des jeunes à leur productivité encore faible susciterait l'embauche. Ces politiques n'ont pas profondément modifié la donne , on vient de le montrer. Il est vrai, par construction, que les jeunes manquent d'expérience au sortir de la formation initiale ; il est vrai que leur formation peut ne pas être à la hauteur des besoins des employeurs ; il est aussi vrai que les salaires fixés par les minimums légaux et conventionnels peuvent être un temps en décalage avec la productivité de ces débutants. C'est pourquoi la politique d'aide à l'emploi des jeunes a été axée sur la création de formes d'emploi spécifiques destinées à favoriser l'insertion professionnelle en abaissant le coût du travail, l'alternative à ce schéma étant l'emploi public.

C'est ainsi qu'ont été institués depuis trente ans :

- les pactes pour l'emploi des jeunes, en 1977, combinant des exonérations de cotisations patronales et des dispositifs de formation ;

- la mise en place, en 1982, d'une série de stages pour les jeunes de seize à dix-huit ans et de dix-huit à vingt et un ans, alternant formation théorique et formation pratique en entreprise ;

- le contrat de qualification, le contrat d'adaptation et les stages d'initiation à la vie professionnelle, en 1983 ;

- les travaux d'utilité collective (Tuc) dans les collectivités locales, le milieu associatif et les établissements publics, en 1984 ;

- un plan d'urgence comportant des allégements et exonérations de charges patronales, en 1986 ;

- les contrats emploi-solidarité (CES), en 1989, à l'intention des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, avec une rémunération sur la base du Smic et un emploi à mi-temps dans les collectivités locales, les associations et les personnes morales de droit public ;

- le plan exo-jeunes, en 1991, échangeant des exonérations de charges sociales contre l'embauche de jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans dans les entreprises ;

- l'aide au premier emploi des jeunes, en 1994 ;

- les emplois-jeunes, en 1997, pour les moins de vingt-six ans, dans le secteur public et associatif ;

- le contrat-jeune en entreprise (CJE), en 2002, CDI destiné aux jeunes de seize à vingt-deux ans ayant un niveau de diplôme inférieur au bac, et comprenant des aides financières pour les employeurs.

L'ensemble de ces mécanismes traduit l'engagement constant et fidèle de l'Etat en faveur de l'emploi des jeunes . Les résultats de cette politique sont loin d'être négligeables, dans la mesure où 35 à 40 % des jeunes de moins de vingt-six ans bénéficient du système d'insertion des jeunes depuis le milieu des années 1990, contre 5 % au milieu des années 1970 (on peut aussi s'inquiéter de cette tendance...).

Il est intéressant de situer ces données dans leur contexte en citant les indications d'une étude très récente du Centre d'études pour l'emploi, intitulée « Dix ans d'évaluation des exonérations sur les bas salaires » , selon laquelle les allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires auraient créé ou sauvegardé entre 125.000 et 560.000 emplois non qualifiés. Ces résultats montrent d'une part qu'il existe des marges de recrutement autorisées par la croissance et par l'évolution des besoins sociaux, d'autre part que les viscosités du marché du travail, dues pour l'essentiel à deux facteurs majeurs, les insuffisances de formation et le frein psychologique que certaines rigidités du droit du travail opposent à l'embauche, au moins dans les plus petites entreprises, ont un rôle majeur dans l'évolution de l'emploi. La jeunesse en pâtit avant les autres classes d'âge. L'Etat a beaucoup investi dans la diminution du coût du travail des jeunes, il était devenu indispensable d'aborder aussi la question des freins à l'embauche et de tenter une nouvelle forme de pacte entre la nation et les entreprises en faveur de l'intégration des jeunes sur le marché du travail .

Au regard de cette nécessité, de cette urgence, au regard des précautions et des garanties - celles expressément mentionnées et celles implicites, relevées plus haut - dont le texte du Gouvernement entoure l'entrée dans le CPE et la sortie du CPE, les critiques formulées contre l'absence de consultation des syndicats, auxquelles votre commission est nécessairement sensible, ne peuvent être déterminantes. Un amendement de l'Assemblée nationale a très opportunément prévu l'évaluation du CPE en même temps que celle du CNE, dont il est une sorte d'extension. Les partenaires sociaux participeront à ces évaluations qui seront l'occasion de faire le point en connaissance de cause sur les résultats de ces nouveaux outils.

En fonction de ces éléments d'appréciation, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 4 Les analyses utilisées ici sont extraites notamment de Yannick Fondeur et Claude Minni, « L'emploi des jeunes au coeur des dynamiques du marché du travail, économie et statistique », n° 378-379, 2004, et de Pauline Givord, « L'insertion des jeunes sur le marché du travail entre 2002 et 2004 », Insee Première, n° 1061, janvier 2006.

* 5 Extrait de : Yannick Fondeur et Claude Minni, « L'emploi des jeunes au coeur des dynamiques du marché du travail ».

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