I. AUDITION DE MME ODILE BEILLOUIN, SECRÉTAIRE NATIONALE, ET M. JACQUES RASTOUL, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)

Mme Odile Beillouin, secrétaire nationale de la CFDT , a indiqué, en préambule, que le projet de loi traite de sujets essentiels, tels que la lutte contre les discriminations et l'accès à l'emploi des jeunes. Certaines mesures étaient attendues ; en revanche, la suppression de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme n'avait jamais été évoquée auparavant. Pourtant, l'objectif d'égalité des chances exige une politique suivie et cohérente, fondée sur la concertation. Elle a reconnu que l'existence du problème spécifique de l'emploi des jeunes, notamment dans les zones urbaines sensibles (Zus), est un constat partagé par tous depuis longtemps, bien avant les événements de novembre 2005.

Puis elle a regretté que l'alternance soit davantage présentée comme une option de sortie pour les jeunes en difficulté, plutôt que comme un véritable parcours scolaire qualifiant. Sans modification, le texte proposé risque, à terme, de dévaloriser l'apprentissage. A cet égard, le maintien de l'enseignement d'un socle commun de connaissances est essentiel pour permettre une réelle mobilité dans les choix d'orientation.

Elle a ensuite rappelé que la loi de cohésion sociale a étendu l'ouverture du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (Seje) de vingt deux à vingt-cinq ans. Elle a en revanche émis des réserves sur une ouverture plus large de ce dispositif, notamment aux jeunes diplômés originaires des Zus. Elle a également regretté que le CPE n'ait pas fait l'objet d'une concertation préalable en prenant en compte toutes les dimensions du problème de l'insertion des jeunes sur le marché du travail : la formation initiale, le logement notamment.

Concernant les ZFU, elle a souhaité qu'une véritable évaluation de l'incidence financière des dispositifs d'exonération et de leur efficacité sur l'emploi soit établie. Elle a estimé nécessaire d'appréhender la revitalisation économique des ZFU de façon plus globale, en intégrant les problématiques de logement, d'implantations commerciales et la présence des services publics, qui sont des vecteurs essentiels du développement économique des entreprises.

En ce qui concerne la création d'une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, Mme Odile Beillouin a insisté sur l'importance d'une réelle articulation et d'une cohérence avec les autres structures, afin d'accroître l'efficacité des politiques menées dans les territoires. A cet égard, une déclinaison territoriale serait souhaitable, ce que ne précise pas le texte dans sa version actuelle.

Elle s'est également montrée réservée sur l'élargissement des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), préférant les actions de promotion pour l'égalité plutôt que la mise en oeuvre de sanctions systématiques. De la même façon, elle a estimé que la suspension des allocations familiales ne doit intervenir qu'en dernier recours et que l'accompagnement des familles doit être privilégié, notamment lorsque leur situation sociale le justifie.

Elle a considéré enfin que le service civil volontaire ne répond pas véritablement à l'objectif de mixité sociale et d'apprentissage de la citoyenneté. Il convient en effet de bien distinguer les mesures prises en faveur de l'insertion de celles qui concernent un projet d'éducation civique.

M. Alain Gournac, rapporteur , a exprimé son inquiétude sur le nombre croissant de discriminations, notamment lors du recrutement des stagiaires en apprentissage. Il a voulu connaître l'opinion de la CFDT sur le curriculum vitae anonyme et les pratiques de testing. Il a enfin demandé quelles solutions pouvaient être envisagées pour intégrer les jeunes en grande difficulté scolaire dans le système éducatif afin de les préparer au mieux au monde du travail.

Mme Odile Beillouin a confirmé l'existence d'enquêtes mettant en évidence des pratiques discriminatoires dans le recrutement des stagiaires apprentis. Une négociation est en cours pour définir une politique volontariste et ambitieuse dont l'objectif est de permettre la reconnaissance des qualités objectives des candidats, indépendamment de leur patronyme, de leur lieu de résidence et de leur origine ethnique. La réalisation de cet objectif nécessite l'implication pleine et entière de tous les acteurs, le rôle de la Halde étant essentiel.

Le curriculum vitae anonyme ne constitue pas une réponse unique pour lutter contre les discriminations dans les entreprises. Il faut rechercher des solutions alternatives qui permettent de repérer les compétences des candidats de façon objective. Au-delà, il s'agit de changer les représentations et les procédures de recrutement pour promouvoir la diversité.

Pour surmonter les difficultés scolaires, un suivi individualisé devrait être développé pour favoriser l'apprentissage des repères et permettre une réorientation. Concernant l'apprentissage, il s'agit de fixer des objectifs qualitatifs et quantitatifs tenant compte de la diversité des différents métiers.

M. Michel Esneu s'est dit frappé par l'unanimité qui se dégage contre une orientation trop précoce dans l'apprentissage et la préférence pour un allongement de la période d'enseignement général. Il s'est interrogé sur la réelle possibilité de réformer le système scolaire et s'est dit plutôt favorable au développement expérimental de l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans.

M. Bernard Seillier a rappelé que la Halde était à l'origine une structure spécifique, dédiée à la lutte contre l'homophobie. De ce fait, l'élargissement de ses missions, notamment dans le domaine très sensible des sanctions, sa composition et sa capacité à agir de manière efficace, demeurent controversées et nécessiteraient au préalable une première évaluation.

Il s'est également montré surpris de la disposition visant à supprimer l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme et s'est interrogé sur les modalités de son intégration dans la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances.

Mme Odile Beillouin a confirmé sa réticence à une orientation trop précoce dans la voie de l'apprentissage si cela entraîne l'interruption de l'acquisition des savoirs fondamentaux. Faisant référence au rapport sur l'éducation de Claude Thélot, elle s'est montrée favorable au maintien d'un socle commun prédominant tout le long de la scolarité, qu'elle soit traditionnelle ou qu'elle se combine avec l'apprentissage d'un métier.

M. Jacques Rastoul, secrétaire confédéral de la CFDT , est convenu que le contexte caractérisé par un taux de chômage des jeunes élevé justifie la poursuite de la scolarité traditionnelle jusqu'à seize ans, voire dix-huit ans comme tel est le cas dans d'autres pays.

Mme Odile Beillouin a souligné le danger que peut représenter l'édiction d'une sanction en matière de discrimination, alors que l'on se trouve face à une logique de système, où les responsabilités sont difficiles à identifier. Il s'agit de réformer les représentations sociales grâce à une véritable réflexion et une pédagogie adaptée à destination des entreprises. Elle a enfin émis le voeu que s'articulent, au sein de l'agence, toutes les questions relatives au logement, à l'exclusion et à l'illettrisme sans pour autant que l'efficacité du système justifie une fusion des organismes. Pour garantir la cohérence des politiques menées, la nouvelle agence devrait jouer surtout un rôle de coordination, ces questions concernant tous les acteurs, que ce soit les entreprises, les partenaires sociaux ou l'Etat.

M. Alain Gournac, rapporteur , a confirmé que l'implication de tous les acteurs est nécessaire et cruciale, soulignant le rôle essentiel des hommes politiques.

M. Roland Muzeau a estimé que les sanctions, à condition qu'elles soient lisibles, peuvent être appliquées de façon pertinente en cas de discrimination objective dans le recrutement afin d'obtenir rapidement des résultats.

Mme Odile Beillouin est convenue que les sanctions sont nécessaires lorsque le délit est sans ambiguïté - en cas de discrimination raciale notamment - lorsque des « phénomènes excluants rejoignent des philosophies excluantes ». Cependant, elle a souhaité mettre en garde contre une « logique du victime-coupable » qui découle de la sanction et qui peut provoquer davantage de rejets. L'évolution des mentalités suppose qu'une grande place soit laissée au dialogue, la libération de la parole et la terminologie utilisée forgeant à terme les représentations.

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