Article additionnel avant l'article 7 bis
(articles L. 331-5-1 et L. 331-2-2 [nouveau] du code de la propriété intellectuelle)

Mise en oeuvre de l'interopérabilité

Votre commission vous propose d'adopter un nouvel article ayant pour objet d'insérer dans le code de la propriété intellectuelle deux articles nouveaux L. 331-5-1 et L. 331-5-2 destinés à garantir l'interopérabilité des mesures techniques de protection. Les dispositions de ces deux articles correspondent aux dispositions qui, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, figuraient aux alinéas 4, 5, 6, 7, 8 et 10 de l'article L. 331-5 créé par l'article 7 du projet de loi.


L'article L. 331-5-1 confère à l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection que votre commission propose de substituer au collège des médiateurs la responsabilité générale de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques. Cette mission est entièrement nouvelle, contrairement aux responsabilités en matière de copie privée, qui appartenaient déjà au collège des médiateurs.

L'article L. 331-5-1 définit l'objectif général assigné à l'interopérabilité des mesures techniques. Celles-ci doivent être d'une parfaite neutralité, et ne pas ajouter aux conditions posées par les auteurs et les auxiliaires de la création à la représentation ou à la reproduction de leurs oeuvres, des restrictions supplémentaires qui tiendraient à leur incompatibilité avec les appareils de lecture disponibles. Il s'agit, en d'autres termes, de refuser que l'offre de biens culturels puisse être segmentée en fonction de la configuration des matériels de lecture, et qu'un certain répertoire qui ne serait disponible que dans un magasin d'oeuvres en ligne déterminé, ne soit lui-même accessible qu'à un certain terminal de lecture.

Ces principes étant posés, l'article L. 331-5-2 décrit les procédures destinées à garantir la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité.

Comme le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, celui-ci repose sur la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité , définies comme la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour obtenir une copie protégée de l'oeuvre protégée par une mesure technique, et une copie protégée des informations sous forme électronique.

Le dispositif adopté par votre commission apporte cependant des réponses différentes à un certain nombre de questions.


A qui incombe l'obligation de fournir les informations essentielles ?

Cette obligation doit, de l'avis de votre commission, s'adresser à celui qui détient les droits sur la mesure technique de protection et qui est seul juridiquement à même d'y répondre, plutôt qu'au fournisseur de la mesure technique, comme le prévoyait l'Assemblée nationale.


Qui impose la fourniture des informations essentielles ?

L'Assemblée nationale avait, en première délibération, confié cette responsabilité cruciale au Conseil de la concurrence , dont ce n'est pas véritablement la vocation, et qui n'aurait pu statuer que sous l'angle un peu réducteur des atteintes à la concurrence. Certes, le recours à ce « juge des entreprises » aurait été de nature à rassurer les industriels. Mais la décision qu'il a déjà eu l'occasion de rendre en ce domaine, le 9 novembre 2004, permet de penser que, sauf revirement peu probable de sa jurisprudence, il n'aurait guère exercé de pression sur les acteurs concernés, au risque de décevoir les attentes.

En deuxième délibération, l'Assemblée nationale avait confié cette responsabilité au président du tribunal de grande instance , statuant en référé. Le juge civil est le juge de droit commun en matière de propriété littéraire et artistique. Il peut certes recourir à des experts, mais il n'est pas sûr qu'il soit le mieux armé pour intervenir dans un domaine aussi technique et aussi spécialisé. En outre, la multiplicité des tribunaux risquerait de se traduire par une disparité des décisions, elle-même source d'incertitudes juridiques.

Ces considérations ont conduit votre commission à créer une A utorité de régulation des mesures techniques de protection et à lui confier, entre autres, cette responsabilité.

De par sa composition, qui associerait trois magistrats et trois personnalités qualifiées respectivement compétentes dans le domaine de la propriété littéraire et artistique, de la propriété industrielle, et des technologies de l'information, cette autorité serait à même de prendre en compte les différents paramètres susceptibles de concourir à des décisions équilibrées, à la fois respectueuses des droits des auteurs et des auxiliaires de la création comme ceux des industriels, et en phase avec l'état des technologies. De par sa spécialisation et son unité, cette autorité indépendante saurait, plus qu'une autre, dégager une jurisprudence cohérente et bien adaptée.


Qui peut demander la fourniture des informations essentielles ?

Faute de dispositions spécifiques, le Conseil de la concurrence désigné par l'Assemblée nationale en première délibération pour être le juge de l'interopérabilité, aurait pu être saisi conformément aux dispositions du code de commerce, par les entreprises ou le ministre de l'économie, et le cas échéant, par certains organismes.

Le président du tribunal de grande instance, préféré en deuxième délibération, pouvait être saisi par « tout intéressé ».

Cette saisine pouvait paraître un peu large, au regard d'une décision susceptible de déboucher sur l'obligation de fournir des informations essentielles qui peuvent être industriellement sensibles, et ce d'autant plus que cette disposition n'était assortie, en contrepartie, d'aucune garantie.

Votre commission privilégie en ce domaine également une voie moyenne, en attribuant la possibilité de saisir l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection aux trois catégories de professionnels qui ont effectivement la capacité de mettre en oeuvre l'interopérabilité :

- les éditeurs de logiciels , qui souhaiteraient réaliser des logiciels capables d'opérer la jonction entre une mesure technique de protection et un appareil de lecture a priori incompatibles ;

- les fabricants de systèmes techniques , et notamment les industriels du secteur de l'électronique grand public, ou de l'informatique, désireux de rendre leurs matériels de lecture interopérants avec les plateformes de biens culturels en ligne, ou avec de nouveaux supports matériels ;

- les exploitants de services , et notamment de plateformes de téléchargement légal, attachées à ce que celles-ci soient accessibles au plus grand nombre possible de terminaux de lecture des oeuvres.

Cette saisine est plus étroitement délimitée que dans le cas des litiges portant sur le bénéfice de l'exception de copie privée, qui relèvent également de cette même autorité.

Les décisions rendues par l'autorité aboutissant, en matière d'interopérabilité, à la fourniture d'informations essentielles, votre commission n'a pas jugé opportun d'étendre ces possibilités de saisine aux simples consommateurs.

Ces informations essentielles étant d'une nature très technique, il n'est pas sûr qu'elles leur seraient nécessairement d'une grande utilité pour mettre en oeuvre eux-mêmes l'interopérabilité, à moins de disposer de capacités dont on peut penser qu'elles ne sont sans doute pas si répandues.

En outre, une trop grande diffusion dans le public de ces informations essentielles, ne pourrait conduire qu'à menacer certains secrets industriels, à fragiliser la protection offerte par les mesures techniques et à réduire leur efficacité.


Les conditions de la fourniture des informations essentielles

Dans le dispositif adopté en première délibération par l'Assemblée nationale, il revenait au Conseil de la concurrence de fixer les « conditions, y compris de prix, équitables et non discriminatoires » auxquelles les informations essentielles devaient être livrées, et le bénéficiaire devait, en contrepartie, s'engager « à respecter dans son domaine d'activité les conditions garantissant la sécurité du fonctionnement des mesures techniques ».

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en deuxième délibération limitait en revanche aux seuls « frais de logistique » la contrepartie que pouvait exiger l'industriel qui donnait ses informations essentielles.

Votre commission considère que l'interopérabilité ne doit pas être recherchée exclusivement à travers des procédures de contraintes étrangères à la recherche d'un équilibre entre les droits et les devoirs des parties en présence.

Aussi vous propose-t-elle un dispositif prévoyant deux étapes : une procédure de conciliation , conduite par l'autorité de régulation, suivie, éventuellement, en cas d'échec, d'une injonction assortie d'une astreinte .

Dans l'une comme dans l'autre de ces procédures, l'autorité veillerait à ce qu'un certain nombre de garanties soient apportées à la partie qui fournirait les informations essentielles, de façon à préserver l'efficacité et l'intégrité de la mesure technique, ainsi que le respect des conditions d'accès et d'usage du contenu protégé, telles qu'elles sont définies en accord avec les titulaires de droit.


• Le pouvoir d'appréciation de l'autorité

Votre commission estime que certaines des modalités de la fourniture des informations essentielles ne doivent pas être fixées de façon définitive et absolue dans la loi. Compte tenu de leur dimension technique, et du caractère évolutif des technologies auxquelles elles s'appliquent, elle juge préférable d'en confier l'appréciation à l'autorité de régulation.

Il reviendra ainsi à l'autorité de déterminer, en fonction des circonstances et de l'état de l'art :

- le format dans lequel seront délivrées les informations essentielles ;

- les conditions équitables et non discriminatoires suivant lesquelles les informations doivent être fournies ;

- les cas, qui doivent rester exceptionnels, dans lesquels le titulaire des droits peut subordonner la fourniture des informations essentielles à l'engagement par le bénéficiaire de renoncer à la publication du code source et de la documentation technique de son logiciel, si l'auteur de la mesure technique apporte la preuve que cette publication aurait pour effet de porter gravement atteinte à cette dernière.

Votre commission vous demande d' adopter cet article additionnel .

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