Rapport n° 18 (2006-2007) de M. André LARDEUX , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 12 octobre 2006

Disponible au format Acrobat (279 Koctets)

Tableau comparatif au format Acrobat (71 Koctets)

N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Michel DREYFUS-SCHMIDT et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants ,

Par M. André LARDEUX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 483 (2005-2006)

Famille.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début des années 1990, le nombre des divorces s'établit en moyenne à 120.000 par an. Parmi eux, 70.000 impliquent des enfants mineurs. Au total en France, chaque année, 120.000 enfants sont concernés par le divorce de leurs parents auxquels il convient d'ajouter ceux touchés par la séparation de leurs parents concubins.

Mettant en avant la nécessité d'assurer des relations équitables des enfants avec leurs deux parents et de renforcer l'exercice en commun de la parentalité malgré la séparation du couple, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a reconnu officiellement la possibilité, pour les parents divorcés ou séparés, d'organiser une résidence alternée de leurs enfants. La même possibilité peut être décidée par le juge aux affaires familiales, à titre provisoire ou définitif, lorsque les parents ne parviennent pas à s'entendre sur la garde des enfants.

Dans le cadre de la résidence alternée, l'enfant partage son temps entre le domicile de ses deux parents, selon une périodicité variable d'une famille à l'autre. Il s'agit le plus souvent d'une alternance hebdomadaire (dans 80 % des cas), mais chaque couple peut s'entendre sur des modalités différentes (une quinzaine sur deux, alternance infra hebdomadaire, partage du temps sur une période plus longue selon un planning arrêté en commun).

Quatre ans et demi après l'entrée en vigueur de la loi, on constate que la résidence alternée reste un choix minoritaire : la résidence des enfants est encore fixée, dans 90 % des cas, de façon exclusive chez l'un ou l'autre parent (chez la mère, dans les trois quarts des cas ; chez le père, dans 15 % des cas). La résidence alternée ne concerne donc que 10 % des familles avec enfants confrontées à un divorce ou à une séparation.

Plusieurs raisons expliquent le faible recours des parents et des juges à ce mode d'organisation de la résidence des enfants :

- la résidence alternée est d'abord contestée dans son principe même par de nombreux spécialistes de l'enfance, qui mettent en avant le besoin de stabilité et de repères des enfants et dénoncent ce mode d'organisation comme néfaste sur le plan psychologique, notamment pour le très jeune enfant ;

- il s'agit ensuite d'un mode d'organisation contraignant et souvent coûteux pour les parents : il suppose en effet une collaboration constante entre eux, parfois difficile à réaliser en cas de séparation très conflictuelle. Il impose également aux parents de continuer de vivre à proximité, notamment pour préserver la scolarisation de l'enfant. Il nécessite enfin que les deux ex-conjoints disposent d'un logement suffisamment grand.

*

L'une des conditions pour la mise en place d'une résidence alternée réside dans la possibilité pour les parents de s'entendre ou, au moins, de respecter une répartition équitable des charges liées à l'entretien de l'enfant.

Le choix d'une résidence alternée se traduit en effet, dans la grande majorité des cas (70 %), par une absence de pension alimentaire, le juge estimant que la résidence alternée entraîne, de fait, un partage des charges d'entretien de l'enfant. En contrepartie, la convention homologuée par le juge ou la décision judiciaire, lorsqu'elles prévoient une résidence alternée, précisent la répartition des charges matérielles et financières liées à la présence de l'enfant.

Pour opérer cette répartition, les parents, ou le cas échéant le juge, tiennent compte des avantages, fiscaux et sociaux, qui viennent atténuer ces charges.

Pour ce qui concerne les avantages fiscaux , la plus grande liberté est désormais possible : en effet, depuis la loi de finances rectificative n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, les parents peuvent opter pour un partage des parts fiscales relatives aux enfants à charge pour le calcul du quotient familial en cas de résidence alternée. Le nombre de parts est alors fixé à 0,25 pour les deux premiers enfants et 0,5 pour les suivants.

Mais bien que ce soit possible, les parents préfèrent encore majoritairement l'attribution exclusive des parts à l'un des deux membres du couple, l'une des variantes fréquentes consistant à alterner chaque année celui des deux parents qui bénéfice de cet avantage.

Répartition des bénéficiaires des parts fiscales

Attribution exclusive à l'un des deux parents

64,5 %

- dont attribution à la mère

25,2 %

- dont attribution au père

26,2 %

- dont alternance annuelle

13,1 %

Partage des parts fiscales

35,5 %

Source : Ministère de la justice, DACS, Cellule Études et Recherches,
enquête « Résidence des enfants », octobre 2003

Pour ce qui concerne les prestations familiales , l'article L. 513-1 du code de l'action sociale et des familles et, plus précisément, l'article R. 513-1 du même code pris pour son application, imposent aux parents de désigner parmi eux un allocataire unique. Dans près de 70 % des cas, c'est la mère qui perçoit les prestations, soit parce que les parents en ont décidé ainsi, soit parce qu'à défaut d'accord, les caisses d'allocations familiales continuent de verser les prestations à celui des deux conjoints qui était allocataire avant la séparation, c'est-à-dire là encore, dans la majorité des cas, à la mère.

*

C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi qui vise, sur le modèle déjà adopté pour les avantages fiscaux, à autoriser un partage des prestations familiales entre les deux parents en cas de résidence alternée : dans la mesure où les parents assument conjointement la « charge effective et permanente de l'enfant » au sens du code de la sécurité sociale, ses auteurs considèrent en effet que tous les deux doivent pouvoir bénéficier des prestations familiales.

A l'appui de leur proposition, ils citent un avis de la Cour de cassation en date du 26 juin 2006 1 ( * ) , rendu sur la requête du tribunal des affaires de sécurité sociale du Mans dans une instance opposant un père à la caisse d'allocations familiales, qui précise que :

« 1° En cas de divorce, de séparation de droit ou de fait des époux ou de cessation de la vie commune des concubins et lorsque les parents exercent conjointement l'autorité parentale et bénéficient d'un droit de résidence alternée sur leur enfant qui est mis en oeuvre de manière effective et équivalente, l'un et l'autre des parents doivent être considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale.

« 2° Il n'entre pas dans la compétence du juge aux affaires familiales de décider au bénéfice de quel parent doit être attribué le droit aux prestations familiales, cette compétence relevant du tribunal des affaires de sécurité sociale en vertu de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale. Il peut néanmoins constater l'accord des parents sur la désignation de l'allocataire ou l'attribution à l'un ou l'autre des parents du droit aux prestations familiales au moment où il statue.

« 3° La règle de l'unicité de l'allocataire prévue à l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale ne s'oppose pas à ce que, lorsque la charge effective et permanente de l'enfant est partagée de manière égale entre les parents, en raison de la résidence alternée et de l'autorité parentale conjointe, le droit aux prestations familiales soit reconnu alternativement à chacun des parents en fonction de leur situation respective et des règles particulières à chaque prestation. »

En conséquence, les auteurs de la proposition de loi suggèrent d'autoriser le partage des prestations familiales , selon le mécanisme suivant : en cas de résidence alternée, les prestations familiales (article premier) et, plus particulièrement, les allocations familiales (article 2) seront divisées en deux parts égales entre les parents, sauf disposition contraire de la convention, homologuée par le juge, par laquelle ils décident de la résidence alternée et règlent les modalités d'exercice de l'autorité parentale ou mention contraire du juge aux affaires familiales dans sa décision imposant la résidence alternée.

*

Tout comme les auteurs de la proposition de loi, votre commission estime que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Elle ne peut en effet que constater que le droit de la sécurité sociale n'a pas tiré les conséquences de l'évolution du droit de la famille et que le vide juridique en matière d'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée constitue une forme de rupture d'égalité vis-à-vis de parents qui, bien qu'assumant la charge effective de leur enfant, ne peuvent se voir reconnaître les droits attachés à cette qualité.

Votre commission rejoint donc les conclusions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant qui préconisait d'adapter le régime des prestations familiales à la garde alternée 2 ( * ) .

Mais elle estime que la présente proposition n'apporte pas une réponse appropriée à ce problème. En effet, la rédaction proposée va bien au-delà des dispositions de l'avis de la Cour de cassation :

- la Cour précise d'abord que les parents ne peuvent être considérés comme assumant conjointement la charge effective et permanente de l'enfant que dans les cas où la résidence alternée est « effective et équivalente » et elle en conclut que le partage des prestations est envisageable lorsque la charge de l'enfant est partagée « de manière égale » entre les parents. On peut donc en déduire qu' a contrario , quand la répartition du temps de résidence de l'enfant entre les deux parents est déséquilibrée, il n'y a pas lieu de partager le droit aux prestations ;

- par ailleurs, même dans les cas où le partage est envisageable, c'est-à-dire lorsque la charge effective de l'enfant est répartie de façon égale entre les parents, elle y met des limites : le partage ne peut se faire qu' « en fonction de la situation des parents et des règles particulières à chaque prestation » .

Or, la présente proposition de loi est en contradiction avec ces deux principes : elle vise indistinctement toutes les prestations familiales et impose leur partage systématique en deux parts égales , sans aucune référence à la situation particulière des parents et aux spécificités de chaque prestation ; d'autre part, elle organise ce partage en deux parts égales sans aucune référence au temps réellement passé par les enfants au domicile de chacun de leurs parents.

Autant votre commission est en accord avec les principes développés par la Cour de cassation, autant elle ne peut donner son aval à la solution, excessivement simpliste, proposée par la présente proposition de loi, de diviser en deux le montant de toutes les prestations familiales dues au titre des enfants en résidence alternée, et ce, pour deux raisons :

- il est d'abord essentiel de prendre en compte le caractère effectif et égal de la résidence alternée : comment, en effet, envisager de diviser en deux des prestations si les parents ne contribuent pas à égalité à l'entretien de l'enfant ? Or, la résidence alternée n'entraîne pas nécessairement un partage égalitaire du temps passé par l'enfant au domicile de chacun de ses parents. Par ailleurs, force est de reconnaître que même en cas de résidence alternée égalitaire, les frais relatifs à l'entretien quotidien de l'enfant (habillement, fournitures scolaires...) sont, la plupart du temps, assumés par l'un des deux parents, le plus souvent la mère. Il faudrait donc soit prévoir, a minima , un partage au prorata du temps de présence, soit limiter - sur le modèle prévu pour les avantages fiscaux - la possibilité de partage aux cas de résidence alternée égalitaire ;

- il est ensuite indispensable d'adapter les règles de partage aux différentes prestations et à la situation des parents : en effet, hormis pour les allocations familiales, leur attribution dépend toujours de critères relatifs à la situation des parents ou à leurs ressources.


Les prestations familiales

L'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale fixe à neuf le nombre des prestations familiales légales. Ces prestations sont les suivantes :

1°) la prestation d'accueil du jeune enfant ;

2°) les allocations familiales ;

3°) le complément familial ;

4°) l'allocation de logement ;

5°) l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ;

6°) l'allocation de soutien familial ;

7°) l'allocation de rentrée scolaire ;

8°) l'allocation de parent isolé et les primes forfaitaires d'intéressement à la reprise d'activité qui y sont rattachées ;

9°) l'allocation journalière de présence parentale.

Ainsi, il serait singulier de partager l'allocation de parent isolé ou l'allocation de soutien familial entre les parents, sans vérifier que chacun d'eux remplit effectivement la condition d'isolement exigée pour leur bénéfice.

De même, le partage des prestations sous conditions de ressources soulève de nombreuses difficultés : il nécessite la définition de règles particulières pour l'appréciation des ressources pour toutes les prestations soumises à une telle condition car, dans la majorité des cas, les ressources des deux parents ne seront pas équivalentes et n'ouvriront pas forcément droit aux mêmes prestations ou, à défaut, pas d'un même montant. Pour déterminer le droit à telle ou telle prestation, quelles ressources les caisses d'allocations familiales devront-elles retenir : l'addition des ressources des deux parents, même si ceux-ci sont séparés ? Les ressources de l'un ou de l'autre ? Mais alors, comment choisir celui des deux dont on retiendra les ressources ?

Un problème supplémentaire se pose pour l'allocation de logement familial, puisque son attribution est non seulement soumise à une condition de ressources mais dépend également de critères liés au logement lui-même. Or, par définition, des parents séparés n'occupent pas le même logement.

*

En conclusion, si votre commission reconnaît qu'une solution doit être apportée au vide juridique créé, pour l'attribution des prestations familiales, par le développement de la résidence alternée, elle plaide pour une solution adaptée à chaque prestation.

C'est d'ailleurs la démarche adoptée par le Gouvernement : au printemps dernier, il a mis en place un groupe de travail, rassemblant notamment la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les associations familiales, le Médiateur de la République, des représentants de la direction de la sécurité sociale, de la direction de la législation fiscale, du ministère de la justice ainsi que des magistrats et des avocats, dont la mission est, d'une part, d'étudier les prestations familiales pouvant facilement faire l'objet d'un partage entre des parents séparés, d'autre part, d'expertiser les différentes alternatives de partage et d'identifier les difficultés juridiques et de gestion par les caisses d'allocations familiales en proposant des règles de partage équitables et neutres.

Grâce à ces travaux, il est d'ores et déjà possible d'avancer une solution pour le partage des allocations familiales, ce que propose d'ailleurs le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. La rédaction retenue par ce texte est bien plus satisfaisante car elle fait référence à une mise en oeuvre effective de la résidence alternée et respecte le choix des parents pour l'une ou l'autre solution (allocataire unique ou partage des prestations). Elle permettrait en outre, grâce au décret en conseil d'Etat auquel elle renvoie, de préciser les modalités de répartition des parts ouvrant droit au bénéfice des allocations, notamment dans le cas des familles recomposées.

Pour les autres prestations, le groupe de travail poursuit ses réflexions et, dans ces conditions, il serait prématuré de poser le principe d'un partage de toutes les prestations.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose de rejeter cette proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
(art. L. 513-1 du code de la sécurité sociale)
Partage des prestations familiales entre les deux parents en cas de résidence alternée

Objet : Cet article prévoit un partage à parts égales des prestations familiales entre les parents en cas de résidence alternée de leurs enfants à charge.

I - Le dispositif proposé

L'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale dispose que les prestations familiales sont dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant.

L'article R. 513-1 du même code, pris pour son application, précise quant à lui que, lorsque les deux membres d'un couple vivent ensemble et assument conjointement la charge de l'enfant, l'allocataire, c'est-à-dire la personne qui perçoit effectivement les prestations, est désigné d'un commun accord des parents. A défaut de désignation explicite, les prestations sont versées à l'épouse ou à la concubine. Il précise également qu'en cas de divorce ou de séparation de droit ou de fait, si les deux membres du couple ont la charge effective et permanente de l'enfant, les prestations sont versées à celui au foyer duquel vit l'enfant.

Cette dernière règle donnait entière satisfaction jusqu'à ce que la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale instaure la possibilité d'une résidence alternée des enfants au foyer de chacun des parents. Dorénavant, en effet, le simple critère de résidence de l'enfant ne suffit plus pour déterminer celui des deux parents qui doit avoir la qualité d'allocataire.

C'est la raison pour laquelle le présent article propose de modifier l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, afin de tenir compte de cette nouvelle modalité d'exercice de l'autorité parentale.

Il dispose que les enfants sont réputés être à la charge égale de leurs deux parents, ce qui implique un partage par moitié des prestations familiales dues à leur titre. Toutefois, les parents, dans le cadre de leur convention homologuée par le juge, ou le juge lui-même, dans le cadre de sa décision sur la garde et la résidence des enfants, pourront déterminer des modalités différentes de répartition du droit aux prestations familiales.

II - La position de votre commission

Votre commission est consciente des difficultés liées à la résidence alternée en matière de droit aux prestations familiales : lorsque des parents séparés assument conjointement la charge effective de l'enfant dans le cadre d'une résidence alternée, il peut sembler injuste que seul l'un d'entre eux bénéficie des prestations familiales. On observera toutefois que, dans ce cas, le juge aux affaires familiales intègre le fait que l'un des parents perçoit des prestations lorsqu'il détermine le montant de la contribution de chacun à l'entretien de l'enfant et de la pension alimentaire éventuellement versée.

Mais en posant à la fois un principe général de partage de toutes les prestations familiales, quelles qu'elles soient, et des modalités uniformes pour ce partage, cet article soulève de nombreuses difficultés.

Il est d'abord impossible de poser un principe général de partage pour toutes les prestations familiales : certaines prestations familiales ne peuvent effectivement, de par leur nature même, être partagées. Il serait ainsi singulier de partager entre les deux parents une allocation de parent isolé (API) ou une allocation de soutien familial (ASF), celles-ci étant par définition réservées à des familles monoparentales.

Le principe d'un partage en deux parts égales du montant de toutes les prestations familiales est ensuite largement inopérant :

- les prestations sous conditions de ressources ne peuvent, à l'évidence, pas être partagées entre les deux parents sans vérifier que chacun remplit individuellement les conditions de ressources pour en bénéficier. Il s'agit également de déterminer quelles ressources sont prises en compte pour le calcul des prestations, lorsque leur montant varie avec le niveau de revenu : il serait pour le moins étrange de tenir compte du total des ressources des deux parents, pourtant séparés, pour déterminer le droit aux prestations. Mais en appréciant leurs ressources séparément, il est probable que le montant sera différent selon que l'on retient pour le calcul les ressources du père ou de la mère : dès lors, comment choisir le montant qui sera, d'après le texte de la proposition de loi, divisé par deux entre les parents ?

- l' allocation de logement familial pose un problème supplémentaire, dans la mesure où son attribution dépend également de critères liés au logement lui-même . Or, il est peu probable que les parents disposent d'un logement dont les caractéristiques (localisation, surface, équipement) ouvrent droit exactement au même montant d'allocation. Encore une fois, pour diviser le montant de l'allocation en deux parts égales, il faudrait que les Caf choisissent entre les deux parents celui dont le logement servira de référence pour le calcul des droits.

Les difficultés s'accroissent encore dans le cas de familles recomposées : aucune précision, dans le texte, n'est apportée quant aux ressources à prendre en compte, ni aux modalités de décompte des enfants en résidence alternée dans leur nouvelle fratrie. Dans la mesure où le montant de certaines prestations dépend du rang de l'enfant dans la fratrie, il n'est pas neutre de savoir si les enfants seront décomptés selon leur rang dans leur fratrie d'origine ou selon celui qu'ils occupent dans leur nouveau foyer, ce rang pouvant d'ailleurs être différent dans le foyer reconstitué par chacun de leurs parents.

Il est vrai que cet article prévoit la possibilité de déroger au partage des prestations à parts égales si les parents parviennent à un accord sur des modalités différentes. Mais il serait singulier qu'une convention passée entre les parents puisse imposer aux caisses d'allocations familiales des règles de partage spécifiques.

Pour ces motifs, votre commission vous propose de rejeter cet article.

Article 2
(art. L. 521-2 du code de la sécurité sociale)
Application du partage des prestations familiales entre les deux parents en cas de résidence alternée au cas des allocations familiales

Objet : Cet article décline, dans le cas particulier des allocations familiales, le principe de partage à parts égales des prestations familiales entre les deux membres du couple en cas de résidence alternée de leurs enfants à charge.

I - Le dispositif proposé

Par coordination avec les dispositions proposées par l'article premier en matière de prestations familiales, le présent article modifie l'article L. 521-2 du code de la sécurité sociale qui fixe les règles applicables à la détermination du membre du couple bénéficiaire des allocations familiales, pour permettre un partage de ces allocations entre les deux parents en cas de résidence alternée de leurs enfants à charge.

Cet article propose, sur le même modèle, un partage par moitié des allocations familiales sauf décision contraire des parents ou du juge.

II - La position de votre commission

Contrairement aux autres prestations familiales, le partage des allocations familiales ne se heurte pas aux difficultés liées aux différences de ressources ou de situation entre les parents. Il s'agit en effet d'une prestation universelle, dont le montant ne dépend que du nombre et de l'âge des enfants à charge. Le partage pourrait donc être envisagé, sous réserve de surmonter un certain nombre de difficultés techniques, liées notamment aux modalités de décompte des enfants dans les familles recomposées.

Votre commission estime toutefois que la rédaction de cet article soulève des objections de principe : sous couvert d'un partage justifié par des raisons d'égalité des parents, il remet profondément en cause le principe de l'allocataire unique. En effet, au lieu d'inviter d'abord les parents à se mettre d'accord pour désigner parmi eux l'allocataire, il considère comme acquis que ce choix se portera en priorité sur un partage des allocations.

Par ailleurs, le partage par moitié est trop rigide : qui dit résidence alternée ne dit pas forcément que l'enfant partage son temps de manière égale entre ses deux parents. Le partage devrait donc, a minima , être opéré au prorata du temps passé chez chaque parent. Il faut également vérifier que la résidence alternée est effective et qu'elle s'accompagne d'un réel partage des charges.

Enfin, votre commission considère qu'il n'entre pas dans les compétences du juge aux affaires familiales de désigner l'allocataire. La question des prestations familiales relève en premier lieu des Caf et, en cas de litige, des tribunaux des affaires de sécurité sociale. En outre, il serait d'un formalisme excessif d'obliger les parents à faire figurer leur accord sur la question des allocations familiales dans la convention homologuée car ils seraient obligés de retourner devant le juge pour le moindre changement.

Votre commission observe en outre que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, présenté en Conseil des ministres le 11 octobre dernier, offre une solution alternative nettement plus satisfaisante, car :

- elle invite les parents à s'accorder, soit sur le choix de l'allocataire, soit sur un partage ;

- à défaut d'accord, elle prévoit un partage, dans des conditions prévues par décret, notamment au prorata du temps de présence et avec toutes les précisions nécessaires pour permettre la détermination du montant dû à chaque parent en cas de famille recomposée.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose de rejeter cet article.

*

* *

Aux termes de l'article 42-6-c du règlement du Sénat, « lorsque la commission ne présente aucune conclusion ou si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le Sénat est appelé à discuter le texte initial de la proposition ».

En application de cet article, la commission des Affaires sociales propose de se prononcer en faveur des conclusions négatives qu'elle a adoptées sur la présente proposition de loi.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 12 octobre 2006 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. André Lardeux, rapporteur, sur la proposition de loi n° 483 (2005-2006), présentée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants.

M. André Lardeux, rapporteur , a déclaré que la proposition de loi de M. Michel Dreyfus-Schmidt a pour objet de permettre un partage des prestations familiales entre les deux parents, en cas de résidence alternée de leurs enfants. Ce mode d'organisation a été reconnu officiellement par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Il concerne aujourd'hui environ 10 % des 70.000 divorces impliquant des enfants mineurs qui sont prononcés chaque année en France.

Bien que ce ne soit pas directement l'objet du texte, il a souhaité indiquer que la garde alternée fait aujourd'hui l'objet de critiques, en raison de l'effet néfaste qu'elle peut produire pour l'enfant sur le plan psychologique, notamment lorsqu'il est très jeune, car elle ne répond pas à ses besoins de stabilité et de repères. Il s'agit en outre d'un mode d'organisation contraignant et coûteux, chaque parent devant être en mesure de loger ses enfants dans des conditions permettant une scolarisation continue. La garde alternée suppose donc des revenus suffisants et une collaboration constante entre les parents, parfois difficile à nouer en cas de séparation très conflictuelle. Elle implique notamment que les parents respectent une répartition équitable des charges liées à l'entretien de l'enfant, en tenant compte des avantages, fiscaux et sociaux, qui viennent atténuer ces charges.

Depuis la loi de finances rectificative pour 2002, les avantages fiscaux peuvent être répartis entre les parents grâce au partage du quotient familial se rapportant aux enfants. En revanche, les prestations familiales restent attribuées en intégralité à l'un des deux parents. Le choix de l'allocataire est normalement effectué d'un commun accord entre eux, mais si cet accord s'avère impossible, les caisses d'allocations familiales versent les prestations à celui des deux ex-conjoints qui avait la qualité d'allocataire avant le divorce.

M. André Lardeux, rapporteur , est convenu que le droit de la sécurité sociale ne s'est pas adapté à l'évolution du droit de la famille et n'a pas tiré les conséquences de la reconnaissance de la résidence alternée. Pour y remédier, la proposition de loi propose un partage des prestations familiales en deux parts égales en cas de résidence alternée, sauf si la convention homologuée par le juge, par laquelle les parents règlent les questions relatives à l'autorité parentale, ou la décision du juge lui-même en décident autrement.

Cette proposition s'appuie sur un avis de la Cour de cassation du 26 juin dernier, qui estime qu'en cas de résidence alternée, les enfants peuvent être considérés comme à charge des deux parents et, de ce fait, ouvrir droit aux prestations familiales au titre de l'un comme de l'autre.

Il a cependant considéré que la solution proposée va beaucoup plus loin que ne l'exige en réalité la jurisprudence de la Cour. Le texte prévoit en effet un partage des prestations familiales quel que soit le type de résidence alternée, c'est-à-dire que celle-ci soit ou non « égalitaire » ; or, la Cour précise que la résidence alternée doit être effective et équivalente pour que l'enfant puisse être considéré comme à charge de ses deux parents au sens du code de la sécurité sociale et elle écarte a contrario tout partage quand la charge de l'enfant n'est pas répartie de façon équitable entre eux. En outre, la proposition de loi impose un partage systématique par moitié de toutes les prestations familiales, alors que la Cour encadre ce partage, en le subordonnant à des adaptations « en fonction de la situation des parents et des règles particulières à chaque prestation ».

A l'appui de sa démonstration, M. André Lardeux, rapporteur , a cité l'exemple de l'allocation de parent isolé, qu'il serait singulier de diviser entre les deux parents, sans considération du fait que l'un d'entre eux pourrait en réalité ne pas remplir la condition d'isolement qui conduit à son attribution. De même, les prestations sous condition de ressources soulèvent un grand nombre de difficultés dans la mesure où, dans la majorité des cas, les ressources des deux parents ne seront pas équivalentes et n'ouvriront pas forcément droit aux mêmes prestations ou pas au même montant. En outre, un problème spécifique se pose pour l'allocation de logement familial, dont l'attribution est non seulement soumise à une condition de ressources, mais encore subordonnée à des critères liés au logement alors que, par définition, des parents séparés n'occupent pas le même logement.

M. André Lardeux, rapporteur , a estimé que si une solution doit être apportée au vide juridique créé, pour l'attribution des prestations familiales, par le développement de la résidence alternée, le dispositif doit impérativement être adapté à chaque prestation.

Il a rappelé que, conscient de ce problème, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail chargé d'étudier les prestations familiales pouvant faire l'objet d'un partage entre des parents séparés et d'identifier les difficultés juridiques et de gestion par les caisses d'allocations familiales en proposant des règles de partage équitables et neutres. Ces travaux ont d'ailleurs été traduits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, récemment déposé, qui propose une rédaction plus satisfaisante que celle de la proposition de loi : en effet, elle fait référence à une mise en oeuvre « effective et équivalente » de la résidence alternée et organise les modalités de répartition des parts ouvrant droit au bénéfice des allocations familiales, notamment dans le cas des familles recomposées.

En conclusion, M. André Lardeux, rapporteur , a proposé, pour l'ensemble des raisons exposées précédemment, de rejeter l'ensemble de la proposition de loi.

M. Guy Fischer s'est déclaré disposé à réfléchir aux conclusions du rapporteur, estimant que les dispositions de la proposition de loi posent effectivement des difficultés certaines d'application.

M. Nicolas About, président , a rappelé qu'il avait fait part de ces difficultés techniques à la conférence des présidents, tout en s'engageant devant elle à ce que la commission des affaires sociales rapporte le texte dans les délais impartis s'il devait être inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Il a considéré que le partage strictement égal de toutes les prestations familiales entre les deux parents serait source d'inéquité et compliquerait sensiblement la gestion de ces prestations par les caisses d'allocations familiales, si la proposition de loi devait être adoptée dans ses termes actuels.

M. Jean-Pierre Godefroy a indiqué qu'il rendra compte à M. Michel Dreyfus-Schmidt, auteur de la proposition de loi, des conclusions du rapporteur. Il a reconnu que le texte soulève en l'état des questions sur lesquelles il convient de se pencher plus avant.

M. Guy Fischer a estimé que si la garde alternée pose un réel problème de partage des prestations familiales entre les deux parents, il est aujourd'hui prématuré d'étudier la proposition de loi telle qu'elle est rédigée. Il a regretté, à cet égard, l'urgence avec laquelle ce texte a été inscrit à l'ordre du jour, empêchant son expertise préalable.

M. Nicolas About, président , a confirmé avoir demandé que la commission commence à travailler sur ce sujet dès que la conférence des présidents a évoqué l'éventualité de son inscription à l'ordre du jour. Il a considéré, en tant que président de la commission et président du conseil de surveillance de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), que le dispositif proposé par le texte pour le partage des prestations familiales n'est pas satisfaisant. D'ailleurs, le dispositif envisagé par le PLFSS, bien que moins extrême, pose également à son sens des problèmes techniques de mise en oeuvre pour les caisses d'allocations familiales. Il a rappelé que, lorsque le juge aux affaires familiales se prononce sur le montant de la prestation compensatoire et de la pension alimentaire, il tient déjà compte des prestations familiales reçues par chaque conjoint.

M. Guy Fischer a regretté, à cet égard, que la modification de la prestation compensatoire n'ait pas abouti lors de la dernière réforme.

M. Nicolas About, président , en est convenu, notamment pour ce qui concerne le délicat problème de la transmission aux héritiers de la charge de cette prestation. Il a ensuite indiqué que la proposition de loi fera l'objet d'un examen en séance publique sur la base du texte voté par la commission. En conséquence, conformément à son règlement, le Sénat sera invité à se prononcer sur les conclusions négatives de la commission.

M. André Lardeux, rapporteur , a estimé qu'au-delà du texte de la proposition de loi, il serait opportun d'évaluer les conséquences de la résidence alternée sur les enfants puisque l'on dispose désormais d'un recul de près de cinq ans sur sa mise en oeuvre pratique.

M. Nicolas About, président , a reconnu l'utilité de mettre en place un groupe de travail sur ce sujet. Il a rappelé que, chaque année, environ 12.000 enfants supplémentaires, dont l'âge moyen est de sept ans, sont concernés par ce dispositif qui doit, en tout état de cause, être évalué à l'aune de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Puis la commission a rejeté l'ensemble de la proposition de loi .

* 1 Avis n° 006 0005 du 26 juin 2006.

* 2 « L'enfant d'abord : 100 propositions pour placer l'intérêt de l'enfant au coeur du droit de la famille », rapport n° 2832 de Valérie Pécresse, députée, au nom de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant, février 2006.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page