B. LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT EN EUROPE

En revanche, votre commission estime que l'autre volet de la demande de nos collègues du groupe CRC soulève une vraie interrogation sur les conditions dans lesquelles la sécurité d'approvisionnement est garantie en France et en Europe.

En préalable, il convient de rappeler que l'analyse des flux d'électricité dans la soirée du 4 novembre 2006, avant que l'incident ne se produise, laisse apparaître une situation tout à fait normale . En effet, à cette heure, la production d'électricité était largement suffisante pour assurer la satisfaction de la demande. En outre, le niveau de la consommation effective était conforme au niveau des prévisions. Des échanges d'électricité entre les différents pays interconnectés avaient lieu à cette période, la France étant exportatrice nette d'électricité pour un volume de 5.724 MW.

Source : RTE et UCTE

Comme le souligne le schéma reproduit ci-dessus, il n'y a pas de lien direct entre les flux commerciaux d'électricité et les échanges physiques. Ainsi, les échanges commerciaux entre la France et l'Allemagne plaçaient cette dernière en situation d'exportatrice sur le plan commercial alors que les flux physiques montrent que de l'électricité était exportée de France vers l'Allemagne.

Situation du portefeuille EDF au moment de l'incident du 4 novembre 2006

Le 4 novembre à 22h00, avant l'incident réseau, au-delà de la satisfaction de ses engagements vis-à-vis de ses clients finals en France à hauteur d'environ 50.000 MW, EDF fournissait sur le marché de gros de l'électricité dans les conditions suivantes :

- 4.300 MW au titre des Virtual Power Plant (VPP). Suite à sa prise de participation dans l'opérateur allemand EnBW, EDF s'est engagé vis-à-vis de la Commission Européenne à mettre aux enchères des capacités de production d'électricité auprès de ses concurrents. Chaque bénéficiaire choisit la veille pour le lendemain s'il souhaite faire jouer son droit de tirage et détermine la destination de l'énergie en France ou à l'étranger.

- 5.500 MW au titre des contrats long terme. Les contrats à long terme sont des engagements historiques à fournir de l'électricité en base sur de longues périodes, de 20 à 30 ans, à d'autres compagnies d'électricité en Europe. Du fait de l'évolution des règles d'accès aux interconnexions en 2005, l'énergie est livrée sur le réseau français, excepté pour la Suisse et en partie pour l'Espagne et l'Italie. A 22h00, EDF exportait à ce titre 3.850 MW.

- Environ 500 MW au titre des arbitrages à court terme. Au-delà de ses engagements auprès de ses clients finals, EDF réalise des achats et ventes sur les marchés de gros pour optimiser son portefeuille, via sa filiale EDF Trading. Dans ce cadre, le 4 novembre 2006 à 22h00, EDF était vendeur net de 500 MW. Ce solde résultait d'opérations réalisées à tous les horizons de temps (ventes anticipées plusieurs mois à l'avance, la semaine précédente, la veille pour le lendemain, au cours de la journée). L'énergie peut être fournie (ou reçue) en France comme à l'étranger à travers le mécanisme d'accès aux interconnexions européennes.

Par ailleurs, pour l'essentiel, les échanges commerciaux d'EDF aux frontières s'établissaient à :

- 650 MW vers la Grande-Bretagne

- 200 MW vers le Benelux

- 450 MW vers l'Italie

- 100 MW vers l'Espagne

- 1100 MW en provenance d'Allemagne

Il convient de noter que de nombreux autres acteurs sont aussi actifs sur le marché de gros et participent aux échanges commerciaux aux frontières.

Source : EDF

En aucun cas, la panne du 4 novembre 2006 ne peut donc être imputée à un manque de production ou à un manque de capacités de production en Europe.

Toutefois, d'une manière plus générale, la situation électrique européenne se caractérise vraisemblablement, à plus long terme, par une insuffisance des moyens de production pour faire face, d'une part, au renouvellement d'un parc de production parfois vieillissant et, d'autre part, à la hausse de la consommation d'électricité, phénomène observé dans tous les pays européens.

D'après le dernier bilan prévisionnel de l'équilibre offre/demande établi par RTE 12 ( * ) , en France, « des besoins de production supplémentaires seront nécessaires dès l'automne 2009, pour un niveau évalué à 800 MW ; à partir de 2010, les besoins indispensables pour maintenir la sécurité d'approvisionnement seront de 1.000 à 1.200 MW supplémentaires par an ». En effet, notre pays, qui dispose pourtant d'opérateurs ayant procédé à des investissements conséquents, se situe régulièrement à la limite de l'équilibre offre/demande et ne peut compter sur son propre parc de production pour franchir les pics de consommation, comme celui du 28 février 2005 par exemple, journée au cours de laquelle il a été nécessaire d'importer près de 3.200 MW pour éviter toute rupture de l'approvisionnement électrique.

Certes, les opérateurs électriques français ont planifié un certain nombre d'investissements de production. A titre d'illustration, EDF prévoit de mettre en service 5.200 MW d'ici 2012, dont 600 MW avant la fin de cette année et 850 MW autres avant la fin 2007. Entre 2006 et 2008, EDF devrait avoir investi plus de 4 milliards d'euros en France dans les activités non régulées (investissements de renouvellement et de croissance), pour un programme total d'investissement (France et international) de 26 milliards d'euros entre 2006 et 2008 13 ( * ) . En outre, EDF, par l'intermédiaire des entreprises énergétiques dans lesquelles elle a pris des participations, prévoit également d'accroître son parc de production en Italie, en Allemagne et en Angleterre.

Il n'en reste pas moins qu'au delà de ces éléments factuels la question se pose de savoir si cet effort est suffisamment pris en compte par les différents pays européens et leurs opérateurs énergétiques et si les projets de développement du parc de production, dans le nouveau contexte d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques, sont suffisants pour garantir notre sécurité d'approvisionnement.

Pour ces raisons, votre commission juge tout à fait opportun de conduire des investigations complémentaires sur ce sujet. Elle considère néanmoins qu'aucun élément juridique ne plaide pour réaliser un tel travail dans le cadre d'une commission d'enquête, compte tenu notamment des contraintes procédurales encadrant le fonctionnement de ce type de structure. En effet, une commission d'enquête est tenue d'achever ses travaux dans un délai de six mois à compter de la date où sa création a été décidée. En conséquence, si la présente résolution était adoptée par votre Haute assemblée, c'est à dire le 13 décembre prochain, les travaux de cette commission d'enquête devraient impérativement être achevés avant le 13 juin 2007.

En conséquence, toute en reconnaissant l'intérêt du sujet soulevé par nos collègues du groupe CRC, votre commission considère qu'un tel travail de réflexion pourrait être mené de manière plus opportune dans le cadre d'une mission d'information, celle-ci pouvant être commune avec d'autres commissions qui manifesteraient leur intérêt pour ce sujet. Dans l'immédiat, votre commission, pour toutes les raisons développées dans ce rapport, vous invite à rejeter la demande de création de commission d'enquête formulée par la proposition de résolution n° 63.

*

* *

Réunie le mercredi 6 décembre 2006 sous la présidence de M. Jean-Paul Emorine, président, votre commission des affaires économiques a conclu au rejet de la proposition de résolution n° 63 tendant à créer une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, le groupe CRC votant en faveur de la création d'une telle commission d'enquête et le groupe socialiste s'abstenant.

En revanche, votre commission a estimé que la question de la sécurité d'approvisionnement électrique en France et en Europe justifiait des investigations complémentaires. Sur proposition de son rapporteur et de son président, elle a donc adopté, à l'unanimité, le principe d'une mission d'information sur ce sujet.

* 12 Deuxième bilan prévisionnel de l'équilibre offre/demande d'électricité en France d'octobre 2005, cité dans le « Bilan de la sûreté du système électrique français » du RTE du 26 juin 2006.

* 13 EDF table sur un programme total d'investissements de 40 milliards d'euros à l'horizon 2010.

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