N° 152

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, de modernisation du dialogue social,

Par Mme Catherine PROCACCIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 èm e législ.) : 3456, 3465 et T.A. 630

Sénat : 117 (2006-2007)

Syndicats.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le manque de concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, syndicats et patronat, pour l'élaboration des normes en droit du travail conduit régulièrement à des tensions sociales, dont la « crise du CPE » 1 ( * ) a fourni l'exemple récent le plus flagrant ; elle aboutit également parfois à l'adoption de règles excessivement rigides et tatillonnes, déconnectées des réalités de terrain, dont la législation sur les trente-cinq heures constitue l'exemple type.

Les procédures de consultation et de concertation avec les partenaires sociaux, qui peuvent aller jusqu'au renvoi d'un projet à la négociation collective, ne sont pourtant pas inexistantes dans notre pays. Mais des considérations d'opportunité politique amènent parfois les pouvoirs publics à se dispenser du concours des partenaires sociaux dans l'élaboration des réformes. Croyant en accélérer le cours, ils en obèrent en réalité l'efficacité, dans la mesure où des mesures rejetées par les employeurs ou par les salariés risquent fort d'être mal appliquées dans les entreprises. Et l'irruption d'une crise sociale rend inenvisageable pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, l'élaboration d'une nouvelle réforme portant sur le même thème.

On pourrait arguer que cette difficulté française, qui trouve son origine dans une défiance ancienne à l'égard des corps intermédiaires, pourrait être surmontée par une simple évolution de nos pratiques, sans qu'il soit besoin d'adopter un texte législatif. Votre commission partage plutôt, sur ce point, la conviction de Dominique-Jean Chertier qui estime, dans son rapport, qu'une « simple évolution des pratiques ne semble ni crédible sans aiguillon normatif, ni à la hauteur des enjeux » 2 ( * ) .

Le projet de loi présenté par le Gouvernement s'inspire, pour partie, des recommandations contenues dans ce rapport, sans en reprendre toutefois l'ensemble des conclusions, qui auraient impliqué l'adoption d'une révision constitutionnelle. Il bénéficie également des enseignements tirés d'expériences étrangères ou des règles en vigueur au niveau communautaire

Plusieurs pays européens ont en effet une pratique de la concertation et du dialogue social beaucoup plus développée et formalisée que la nôtre. Une grande part des règles de droit du travail applicables en Allemagne ou dans les pays nordiques, par exemple, sont d'origine conventionnelle.

Le projet de loi propose d'instaurer une procédure de concertation obligatoire, applicable à tous les projets de réforme envisagés par le Gouvernement en matière de droit du travail, d'emploi et de formation professionnelle qui relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle. Elle pourra être suivie, si les partenaires sociaux le souhaitent, d'une phase de négociation débouchant éventuellement sur un accord. L'information des partenaires sociaux et le dialogue avec le Gouvernement sur ses projets en matière sociale seront également renforcés. Cette nouvelle procédure ne portera pas atteinte aux prérogatives constitutionnelles du Parlement qui devra ensuite adopter les modifications législatives nécessaires, le cas échéant, pour une bonne application de l'accord.

La rédaction de ce projet de loi a été précédée d'une concertation très approfondie qui a permis de dégager un large consensus entre les organisations syndicales et patronales dont votre commission a pu mesurer la réalité 3 ( * ) . Il devrait contribuer à faire évoluer les rapports sociaux dans notre pays afin, pour reprendre les termes employés par le Président de la République, de « sortir de la logique du conflit, encore trop présente dans notre pays » pour « fonder une culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité » 4 ( * ) .

I. LES PARTENAIRES SOCIAUX DEMEURENT TROP FAIBLEMENT ASSOCIÉS À L'ÉLABORATION DES RÉFORMES EN DROIT DU TRAVAIL

Quoique la concertation soit une pratique fréquente dans notre pays, la qualité du dialogue social est souvent jugée insuffisante : il obéit à des modalités très diverses, dont la portée est aléatoire, et ne présente pas un caractère systématique.

Une rapide comparaison avec les pratiques en vigueur à l'étranger montre que la place du dialogue social dans l'élaboration des normes en droit du travail pourrait être accrue avec profit.

A. LES MODALITÉS VARIÉES DU DIALOGUE SOCIAL

La plus grande partie des règles applicables en matière de droit du travail dans notre pays sont d'origine étatique (lois et règlements). En règle générale, les accords conclus par les partenaires sociaux, au niveau national, de la branche ou de l'entreprise, ne sont applicables que s'ils sont plus avantageux pour les salariés, en vertu du principe dit « de faveur ». Le Gouvernement s'efforce cependant fréquemment d'associer les organisations représentatives de salariés et d'employeurs à l'élaboration de ses projets. Cette association peut être plus ou moins étroite :

- au minimum, les partenaires sociaux peuvent être informés des projets ou des décisions gouvernementales ;

- ils peuvent ensuite être consultés : ils sont alors invités à donner leur avis sur les orientations proposées, selon une procédure qui peut être officieuse ou officielle, si elle prend place dans le cadre de l'une des multiples instances consultatives existant au niveau national ;

- l'étape suivante est celle de la concertation : elle suppose un processus interactif entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, le Gouvernement étant amené à faire évoluer ses projets pour tenir compte des observations qui lui sont formulées ;

- enfin, les partenaires sociaux peuvent définir eux-mêmes les règles applicables par la négociation d'un accord collectif, ensuite repris par la loi.

Dans son rapport précité, Dominique-Jean Chertier insiste sur la multiplicité des instances de consultation et sur les interactions entre la loi et la négociation collective.

1. De multiples instances consultatives

Au fil du temps, le nombre d'instances consultatives compétentes sur les questions d'emploi, de droit du travail, de formation professionnelle n'a cessé d'augmenter. Les organisations syndicales et patronales les plus représentatives siègent dans ces instances et peuvent donc y faire entendre leur voix.

On peut notamment citer :

- le comité supérieur de l'emploi, qui émet des avis sur les orientations de la politique de l'emploi et sur les textes qui lui sont soumis, en particulier la convention d'assurance chômage ;

- la commission nationale de la négociation collective, consultée sur les projets de loi et de décrets relatifs à la négociation collective, sur l'extension et l'élargissement des accords collectifs ainsi que sur la fixation du Smic ;

- le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, qui produit des avis et rapports sur les questions de formation professionnelle ;

- le conseil supérieur de la participation ;

- le conseil supérieur de la prud'homie, consulté sur les projets de loi et de décrets concernant les conseils de prud'hommes ;

- le conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, qui est consulté sur tous les textes intervenant en la matière et peut formuler des propositions ;

- le conseil national de l'insertion par l'activité économique, qui peut être consulté par le Gouvernement sur toute question relative à l'insertion par l'activité économique ;

- le conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés, consulté sur les textes législatifs ;

- la commission nationale de lutte contre le travail illégal ;

- le conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre femmes et hommes, consulté sur tout projet de texte entrant dans son domaine d'intervention.

On le voit, peu de domaines de l'action gouvernementale échappent aujourd'hui au champ de compétence de ces instances consultatives. L'impression dominante est davantage celle d'un trop-plein que d'une pénurie. Encore cette liste ne mentionne-t-elle pas le Conseil économique et social, qui peut être saisi de tout projet de loi ou de décret à caractère économique et social, ni les instances d'expertise et de diagnostic partagé, telles que le conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc) et le conseil d'orientation pour l'emploi (COE). Le Gouvernement a donc rarement la possibilité d'intervenir sans que les partenaires sociaux ne puissent faire connaître leur point de vue.

* 1 CPE : Contrat « Première Embauche ».

* 2 Rapport au Premier ministre « Pour une modernisation du dialogue social », remis le 31 mars 2006.

* 3 Le compte-rendu des deux tables rondes organisées avec les organisations syndicales et professionnelles est publié en annexe, p. 39.

* 4 Discours prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006.

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